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Vie du cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen – T. 1

Mgr Besson
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CHAPITRE V
(3/3)

L'école de Strasbourg. – Mlle Humann. – M. l'abbé Bautain. – Sa conversion. – Ses disciples. – Son ordination. – Retraite prêchée à Besançon. – M. Goschler. – Rapports de M. Bautain et de M. Goschler avec Henri de Bonnechose. – Départ de Henri de Bonnechose pour l'Alsace. – Il reçoit les ordres sacrés. – Ses fonctions au petit séminaire de Saint-Louis. – Retour à Besançon. – Ses fonctions dans l'école des hautes études. – Mort du cardinal de Rohan. – L'abbé de Bonnechose rentre à Strasbourg. – Il continue ses études théologiques et se prépare à la prêtrise. – Il est ordonné prêtre le 21 décembre 1833. – Sa première messe célébrée le 26 dans l'église de Saint-Pierre le Vieux.


1830-1834

      La correspondance de M. l'abbé de Bonnechose avec Mlle Humann est pleine d'allusions à cette situation critique. Heureux et honoré dans son ministère, le professeur d'éloquence sacrée souffre pour son ami. Il aurait voulu habiter le séminaire d'Ecole, qui n'est situé qu'à une lieue de Besançon. Il aurait pu venir faire son cours à la ville et rendre à M. Goschler quelques services en vivant à côté de lui, dans sa communauté. Le cardinal de Rohan n'accepta pas cet arrangement, et Mlle Humann dut inviter son cher Henri, comme elle l'appelait, à se résigner à la volonté de Dieu. On verra qu'elle n'épargnait pas d'ailleurs à l'abbé de Bonnechose les avis ni même les reproches. On avait pressé le jeune diacre d'employer son crédit auprès du cardinal en faveur de certaines personnes du monde, aussi bien que dans l'intérêt de quelques Pères jésuites qui étaient venus s'établir à Besançon, et pour lesquels M. l'abbé Perrin, leur ami, souhaitait un ministère actif dans les paroisses de la ville. L'abbé de Bonnechose consulta Mlle Humann avant de faire cette démarche, il en reçut la réponse suivante :

      « Je conçois très bien la peine que vous devez éprouver, mon cher Henri, et je vous assure que je la sens avec vous. Jeune comme vous êtes dans la vie de l'âme, enfant sans expérience dans les voies de la grâce, l'esprit du monde encore bien actif en vous, je craindrais, et je crains en effet... Mais vous êtes là où la Providence vous a appelé ; vous êtes séparé de votre frère Isidore par l'ordre de votre supérieur et non par votre choix ; dès lors, nous devons compter sur une protection spéciale, et la Mère commune de tous les enfants de Dieu nous l'accordera ! Restez donc tranquillement, filialement, enfantinement, là où vous êtes, puisque c'est là que Dieu vous veut ; vous y serez comme les anges sont au ciel, selon cette divine volonté. Portez avec paix les petites privations de la nature, à laquelle vous êtes encore fort attaché ; quand les événements providentiels concourent avec nos bons désirs et que nous ne les contrarions pas, la besogne du détachement se fait mieux et plus vite. Voyez votre frère le plus souvent que vous pourrez ; aimez-le, car il est pour vous, dans ce moment, le représentant de toute la famille ; et il vous aime plus que vous ne le savez, il vous aime avec sollicitude. Il serait fort heureux pour vous qu'Isidore pût donner un cours de philosophie dans l'école des hautes études. Tant que vous n'aurez pas cette base, vous ne saurez voir la doctrine catholique dans son imposant ensemble, ses dogmes fondés dans la racine de l'être humain. Sans doute qu'on peut être très religieux sans avoir la science de la religion ; mais aujourd'hui que nous sommes en général plus païens que chrétiens, il faut que le prêtre ait cette science pour parler avec autorité et faire obéir les nations à la foi.

      Vous me disiez qu'on voulait vous faire intermédiaire entre plusieurs personnes et Son Eminence, pour obtenir ce qu'on n'osait lui demander. Ne cède pas à ces propositions, mon cher Henri. Ne te mêle en rien du tout de ce qui n'entre pas dans la sphère de tes devoirs. Tu n'es déjà que trop porté à l'activité propre ; ton esprit, sous de beaux prétextes, est officieux. De l'officieux on passe aux insinuations, qui ne sont jamais sans plus ou moins de finesse, de ruse, et de là à l'intrigue, il n'y a qu'un pas ! Que le Ciel t'en préserve, mon cher Henri ! La candeur, la simplicité est le caractère des enfants de Dieu. Sois simple comme une colombe, fais bien avec amour et fidélité ce que tu as à faire, et laisse les autres soigner leurs affaires. Quant aux hommes que l'abbé Perrin estime, tu sais qu'on les estime aussi fort ici. Mais je ne crois pas moins qu'ils ne pourraient plus, sous le rapport de la science, faire le même bien qu'autrefois. Leur ordre a pris naissance dans un temps où tout se raisonnait, parce qu'on commençait à protester contre les vérités les plus importantes : la scolastique était souveraine ; elle ne l'est plus, et elle ne le deviendra plus. Les esprits sont bien au delà. Il faudrait donc qu'il y eût parmi ces hommes des maîtres qui fussent en mesure pour instruire les jeunes gens d'aujourd'hui, et qu'il leur fût permis de changer de méthode. Or, je crois ce dernier point impossible dans un corps qui tient à sa règle, et le premier bien difficile. Je vous dis cela, cher ami, afin que vous sachiez à quoi vous en tenir dans l'occasion.

      J'avais encore diverses choses à vous dire, ce sera pour la prochaine fois, car la nuit approche. Bonsoir, mon cher Henri. Je vous embrasse de cœur et vous recommande à la protection de la sainte Vierge. Qu'elle conserve ce pauvre petit enfant dans la voie qui conduit droit à la vie. «

      On a pu remarquer que Mlle Humann tantôt dit vous à M. de Bonnechose et tantôt tu. Cette dernière formule est surtout chère à sa plume quand elle commande ou qu'elle conseille avec une sorte d'autorité maternelle. Elle dogmatise un peu au hasard, en parlant des dogmes fondés dans la racine de l'être humain. Ainsi la justesse des pensées lui fait quelquefois défaut quand elle entre dans le domaine de la théologie. Ce qu'elle dit de la méthode des jésuites et de la scolastique trahit les préjugés du temps. Les femmes les plus distinguées ont beau avoir des clartés de tout, leur jugement est toujours sujet à quelque revision.

      Cette femme si ferme et si résolue, qui traitait l'abbé de Bonnechose comme un fils, prenait soin de sa santé, entrait avec lui dans les détails les plus minutieux. Un jour que le médecin lui avait interdit toute lecture, voici comment elle approuve l'ordonnance :

      « Vos organes, vos nerfs, votre cerveau, toutes vos fibres, avaient besoin d'être détendus, votre activité inquiète et désordonnée les avait mis dans un état violent. Mais ce n'est là que le motif secondaire de l'ordonnance. Le premier était celui de faire du vide en vous, afin que la grâce y trouve entrée ; de faire du silence en vous, afin que votre cœur puisse entendre sa douce voix ; bien sûre que j'étais et sûre que sa première parole sera une parole de douce plainte du peu de profit que vous avez tiré, selon Dieu, de tout ce qu'il vous a donné et fait pour vous. La profonde tristesse qui vous a saisi à la vue de votre pauvreté est une tristesse selon Dieu, et j'espère de sa bonté infinie qu'il vous fera pleurer encore bien souvent, car heureux ceux qui pleurent ! Heureux, parce qu'il n'y a point de conversion sincère et foncière, point de purification véritable sans larmes ; les larmes qui partent d'un cœur brisé et humilié sont l'eau du baptême de pénitence. Remerciez Dieu de tout votre cœur quand il daigne faire surgir cette eau en vous. Ne les demandez pas ; car ce serait aussi demander des douceurs et des consolations. Ne provoquez par aucun moyen ces larmes, car vous vous exposeriez à la tentation. Mais si elles vous sont données, et elles le seront si vous savez être humble et paisible, alors laissez-les couler ; elles amolliront la croûte du vieil homme et fortifieront l'homme nouveau, qui est encore tout faible et chétif en vous. Je vous embrasse et vous aime. »

      Mais surtout elle prenait soin de son âme, le reprenant à la moindre imperfection, l'élevant audessus de la nature, lui interdisant les moindres pensées de satisfaction et de gloire, lui montrant la croix toute nue, sans fleurs ni parure, et le conjurant de ne pas chercher à en adoucir la pesanteur. Voici une belle page sur le calme intérieur :

      « Vous avez bien fait, cher ami, en vous laissant aller à l'impulsion de votre cœur, pour m'écrire le petit mot qui m'a été consolant et doux. Que cette grâce divine, qui commence à vous faire sentir plus distinctement son action, veuille vous parler et ouvrir en même temps le sens de l'ouïe en vous, afin que vous entendiez sa douce voix au milieu du bruit du dehors, ou qu'elle veuille vous donner l'intelligence de ces paroles, de ces gémissements ineffables, que son esprit forme en nous ! Votre volonté est bonne, mon cher Henri, car elle est désireuse de Dieu ; c'est une première et grande grâce, la première grâce nécessaire pour le salut. Gardez-la avec le plus grand soin, comme vous garderiez une goutte du sang de Jésus-Christ, car elle vous a été acquise au prix de ce sang ! Recevez les douceurs qui vous sont données dans la prière, mais ne les recherchez pas, ne vous y attachez pas, ne vous attristez point quand vous en serez privé. Vous avez répondu au premier appel : Me voici ! Ajoutez aujourd'hui : Pour faire votre volonté. Mieux vous réussirez à simplifier votre regard et vos vues, vos désirs et vos pensées, à voir l'unique nécessaire dans la volonté divine, et uniquement dans cette volonté, plus sûrement vous avancerez. Il y a bien des voies pour aller au ciel ; chaque chrétien suit la sienne et souvent se la fait. Une multitude de lignes sont possibles entre deux termes ; une seule est la plus directe, la plus simple et la plus courte : c'est le rayon simple et droit ! Que le rayon visuel de votre âme cherche donc Dieu, qui est votre terme. Cherchez-le purement, et il se donnera à vous purement, quand votre fond sera purifié... Cette purification ne se fait pas en un jour, en un an, aussi promptement que nous le voulons ou nous l'imaginons. Nous avons en nous tant de souillures admises librement et auxquelles il faut renoncer librement, et ce travail est souvent pénible et long ! Heureux celui qui obtient de Dieu un secours spécial... Heureux aussi le Samaritain qui, touché des maux et du délaissement du pauvre, lui tend la main et le porte à l'hôtellerie. Calme intérieur, voilà, mon cher Henri, ce que je me sens portée à vous recommander. »

      Cependant le cardinal de Rohan était tombé gravement malade, une vive inquiétude s'empara de la ville et du diocèse de Besançon, et l'abbé de Bonnechose, en la peignant dans ses lettres, la fit aisément partager à la communauté de Strasbourg. Il veillait, il priait au lit de l'auguste malade, son âme défaillait quelquefois à la pensée de le perdre. Mlle Humann le console et le réprimande :

      « Mon cher Henri, l'abbé Paul, qui part ce soir pour vous trouver au lit du malade et partager la douleur et les veilles avec vous, vous apportera cette feuille. Le frère ainé et moi, nous sommes vraiment malades aussi de douleur, et il n'y a que la résignation illimitée à la volonté de celui qui donne la vie et la retire qui puisse soutenir en de telles circonstances. L'Eglise militante ferait une grande perte si ce vénérable pasteur lui était enlevé ; son diocèse serait bien à plaindre, surtout son clergé ! Et vous, enfant, vous perdriez un appui puissant, une protection précieuse. Mais, oh ! que la sainte volonté de Dieu soit faite, et non la nôtre ! Après cela, puisse ce calice être éloigné de nous ! On prie beaucoup ici à cet effet, et tant qu'il y a vie, il y a espoir.

      Il est vrai, mon cher Henri, que mon cœur a souffert à cause de toi, et ton rêve n'était pas une pure illusion. Ce n'est point la politique extérieure qui me donnait de l'inquiétude à ton sujet : je sais bien que tu ne t'en occupes pas. Mais c'est la politique du dedans, le faire officieux de l'homme naturel qui se réfléchit, se mire, s'agite ; c'est le masque de l'ancien Henri, son importance, sa personnalité, ses allures, que je voyais reparaître. C'est le manque d'âme ; non pas le manque de dévouement, de courage, de constance, mais de cette âme enfantine et évangélique que je ne trouvais plus dans tes lettres. Celle que je reçus hier était meilleure sous ce rapport ; j'en étais consolée, et j'ai bien désiré que le bon ange versât du baume sur et dans ton pauvre cœur déjà si affligé. Non, ami, je l'espère de la bonté de Dieu, les liens de famille ne seront point relâchés ; seulement, quand tu tends à sortir de ta voie ou que tu t'en écartes en effet, je ne te retrouve plus ; le rapport du cœur n'est plus direct, ma prière ne t'atteint pas, du moins je n'en ai pas la conscience ; je ne sais plus te parler ; je vois ta liberté comme un interstice entre nous. Cela est tombé depuis hier, et je te parlerai plus au long au premier moment. Embrasse tendrement le bon Isidore pour moi, dis-lui que le frère aurait volé à Besançon si son cours, si nouveau encore, le lui avait permis. Du reste, que cette feuille soit pour toi seul : elle contient l'expression d'une âme qui aime tendrement la tienne... Bonsoir, enfant. »

      Mais il entrait dans les desseins de Dieu de rappeler à lui le pieux cardinal. La mort l'enleva à son diocèse et à l'Eglise le 13 février 1833, au milieu des desseins magnifiques qu'il avait conçus pour la gloire de son clergé et le salut de son peuple. L'abbé de Bonnechose partagea avec les secrétaires du prélat le soin de l'ensevelir. Il pleurait son bienfaiteur et son ami. Il voyait pour la seconde fois le palais en deuil, la cour archiépiscopale dispersée, il disait adieu à ces salons hospitaliers dont le cardinal de Rohan était l'âme et où il avait tenu lui-même une si grande place. M. l'abbé Goschler rentra le premier à Strasbourg, faisant généreusement le sacrifice de sa position à la paix du diocèse et emportant, avec le témoignage de M. l'abbé Gousset, l'estime de tous ceux qui l'avaient entendu sans prévention. M. l'abbé de Bonnechose acheva le semestre dans l'école des hautes études, prêcha le jour de Pâques à la cathédrale et partit le lendemain. L'école était fermée pour la seconde fois. Les jeunes ecclésiastiques dont elle se composait furent nommés, par l'administration capitulaire, vicaires dans les villes du diocèse ou professeurs dans les petits séminaires.

      Le second séjour que l'abbé de Bonnechose avait fait à Besançon ajouta encore à la considération dont son nom était entouré. On ne doutait plus de sa vocation, parce qu'on l'avait vu appliqué à ses nouveaux devoirs, évitant le monde et ne voulant être connu désormais que par les œuvres du saint ministère. Il reprit à Strasbourg ses fonctions de professeur de rhétorique au séminaire de Saint-Louis et ses études de théologie au grand séminaire. Mais le nom du cardinal de Rohan, le souvenir de sa vie et de ses vertus, le spectacle de sa mort, demeurèrent un de ses plus chers entretiens. Il aimait à les rappeler et il offrait plusieurs fois, chaque année, le saint sacrifice de la messe pour le repos de l'âme de celui qu'il appelait son plus insigne bienfaiteur.

      Quand l'année classique fut terminée, M. de Bonnechose accompagna l'abbé Bautain à Paris. Celui-ci prêcha plusieurs sermons à Saint-Roch et donna, dans cette chaire illustre, une haute idée de son talent oratoire. Son disciple, qui n'était que diacre, avait déjà débuté, non sans éclat, à Strasbourg et à Besançon. Après un sermon sur la paix prêché le dimanche de Quasimodo et un sermon sur l'Eglise prêché le jour de la Pentecôte, tous deux à Saint-Louis, il avait donné dans la cathédrale de Strasbourg le sermon de l'Assomption. Mgr de Trévern, aussi bien que le cardinal de Rohan, avait pensé qu'on ne pouvait pas mettre trop tôt cette nouvelle lumière sur le chandelier de l'Eglise. Ce fut aussi le sentiment de Mgr de Quélen. Il accueillit le jeune diacre avec faveur et lui témoigna le regret de l'avoir perdu pour son diocèse, en donnant trop facilement des lettres d'incorporation. M. de Bonnechose prêcha à Paris, le 08 septembre 1833, sur la fête de la Nativité. Il en écrivit à Mlle Humann, lui racontant l'accueil qu'il avait reçu de l'archevêque de Paris. Voici la réponse que lui fit cette vénérable dame :

      « Vos feuilles des 14 et 16, mon cher Henri, ont été douces et bonnes. Que Dieu soit béni mille fois de tout le bien qu'il vous fait, et de celui auquel il veut bien vous employer en faveur de ceux pour lesquels il vous emploie ! A Dieu seul toute la gloire, et que le moi n'en détourne pas un atome à son profit. Le langage de l'archevêque m'a été au cœur. Je trouve dans le peu de mots que vous marquez le caractère d'en haut, celui de l'esprit que vous avez invoqué avant d'avoir été voir le prélat... et dans le sens de ces paroles les lois providentielles clairement exprimées. Oui, tout ce qui se fait sous sa conduite se fait avec douceur et calme : la sagesse atteint avec douceur d'une extrémité à l'autre. L'esprit du Seigneur n'est point dans l'agitation de la tempête, dans l'ardeur du feu, dans l'impétuosité du vent, dans le bruit des paroles, dans les mouvements de l'action propre.... Il se fait sentir dans le souffle doux du zéphyr, et pour le sentir il faut être doux et calme comme lui. Vous voilà, ce me semble, en vraie position, attendant du ciel l'effet des sermons, tout prêt à faire un carême, des conférences, ce qu'on voudra et qui pourra s'accorder avec votre voie, et prêt aussi à rester dans le nid, si l'on ne vous demande pas ailleurs. Oh ! oui, vraiment la position et disposition des âmes de foi, des enfants de la Providence, est la plus heureuse de toutes ; et à quel terme inattendu elle nous conduit souvent, contre toutes probabilités et vues humaines ! Je le disais encore ce matin à Adolphe. En voyant mon père selon la nature, à l'âge de douze ans, où il était un enfant de la campagne, cadet de dix frères et d'une sœur, sans étude comme sans fortune, qui aurait dit que de cet enfant sortiraient un homme d'Etat et un chef d'Eglise, un ministre et un évêque... N'aurait-on pas dit : comment cela se peut-il ?... Et cela a été, cela est arrivé par des voies de providence admirables, et que la prudence de la chair n'aurait jamais imaginées. Nous serons fidèle à cette voie, n'est-ce pas, mon cher Henri, et nous serons bien contents de nous revoir et de nous embrasser. »

      La rentrée du séminaire de Saint-Louis fut aussi brillante qu'on pouvait l'attendre du mérite des maîtres et de la confiance des familles. M. de Bonnechose reprit sa classe et se prépara à la prêtrise, avec MM. Nestor Lewel, de Régny et Mertian. Mgr de Trévern voulut examiner lui-même les quatre ordinands. L'examen dura quatre heures et mit dans un véritable relief leur instruction à la fois solide et brillante. L'ordination eut lieu le 21 décembre 1833,
dans la cathédrale de Strasbourg ; mais ce fut le 26 seulement, fête de saint Etienne, que Henri de Bonnechose célébra sa première messe. La cérémonie eut lieu dans l'église de Saint-Pierre le Vieux. Ces deux actions prirent, comme l'acte de sa consécration à Dieu dans l'église de Molsheim, la première place dans les souvenirs de sa vie. On peut juger, par quelques lignes, de l'émotion qu'il éprouvait en se reportant à ces jours de grâce et en revoyant les lieux où il s'était donné à Dieu avec tant d'abandon et tant de bonheur :

      « Je me suis arrêté à Molsheim et j'ai voulu visiter cette église où j'étais venu prier en septembre 1830, au moment où je prenais la résolution de quitter le monde et d'entrer dans l'Eglise. J'ai visité aussi avec le plus vif intérêt la maison contiguë, où j'ai fait ma retraite de huit jours avant de déclarer publiquement cette résolution. Cette maison est maintenant occupée par des religieuses de Notre-Dame, menacées d'expulsion par les Prussiens.

      Que de souvenirs la vue de ces lieux m'a retracés ! Il y en avait de pénibles, car mon sacrifice ne s'était pas fait sans douleur. Mais ce qui dominait en moi, c'était le sentiment d'une profonde reconnaissance envers Dieu pour les grâces innombrables dont il m'a comblé dans l'intervalle de quarante-quatre ans écoulés depuis cette époque. Nous étions alors sous le coup terrible de la révolution de 1830 ; depuis, j'ai vu celle de 1848, et tout récemment les catastrophes de 1870. Maintenant tous les gouvernements sont ébranlés. La France a perdu le sien et ressemble à un navire qui flotte à l'aventure. L'Elise est dépouillée de sa puissance temporelle, et le vicaire de Jésus-Christ, privé de tous ses biens, environné dans Rome des ruines de tous les ordres religieux, est captif au Vatican. Mon Dieu ! quand direz-vous aux flots de la Révolution comme aux flots de la mer : « Usque huc venies : tu n'iras pas plus loin ? »

      Quelques jours plus tard, le cardinal était à Annecy.

      « Je suis allé à Annecy, dit-il, j'y ai vénéré les corps de saint François de Sales et de sainte Chantal, et je leur ai demandé leur protection pour mon voyage de Rome. J'étais aussi préoccupé d'un grand souvenir. Il y a quarante-quatre ans aujourd'hui (08 septembre), j'ai pris solennellement la résolution de quitter le monde et la magistrature pour entrer dans l'état ecclésiastique et m'y dévouer uniquement au règne de Jésus-Christ. J'ai demandé avec ferveur à saint François de Sales de m'obtenir la fidélité nécessaire pour bien remplir cet engagement jusques au terme final. » (Journal, 1874.)

      « 08 septembre 1879. Nativité de la sainte Vierge. Voici pour moi un grand anniversaire. C'est à pareil jour qu'en 1830, il y a quarante-neuf ans, dans une chapelle de l'église de Molsheim, en Alsace, assistant à la messe et recevant la sainte communion, j'ai déclaré tout haut ma résolution de quitter le monde, de renoncer à mes fonctions d'avocat général et à ma famille, pour me mettre au service de l'Eglise pauvre et humiliée. Tout le reste s'en est suivi... et depuis lors que d'épreuves, mais aussi que de grâces, que de faveurs divines, que de témoignages touchants de la protection de Dieu et de son infinie bonté ! J'ai été, durant ces quarante-neuf années, toujours conduit comme par la main et toujours soutenu. Aussi je ne sais comment exprimer ma reconnaissance, et je vais offrir le saint sacrifice à cette intention. Te Deum laudamus. »

      Le cardinal ne manquait pas de célébrer, chaque année, l'anniversaire de son ordination sacerdotale. Il le mentionne tous les ans dans son journal. Citons quelques lignes seulement de ce mémorial si cher à son âme :

      « 26 décembre 1864. Fête de saint Etienne. Anniversaire de ma première messe célébrée à Strasbourg à Saint-Pierre le Vieux. J'ai dit la messe rempli de ce souvenir, et en demandant à saint Etienne de m'obtenir la force de bien remplir ma charge et de rendre dignement témoignage à la vérité.

      1874. J'ai célébré l'anniversaire de ma première messe dite à Strasbourg en 1834. Je l'ai célébré avec une ferveur toute nouvelle en action de grâces pour tous les secours, pour toutes les faveurs que Dieu a daigné m'accorder depuis lors, et afin d'obtenir le pardon de toutes les fautes que j'ai commises dans la célébration du saint sacrifice. J'y ai prié beaucoup saint Etienne pour qu'il m'obtienne l'esprit qui le fortifiait et pour que je puisse bien finir ma vie. »




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