Jean, surnommé Cassien, fondateur du
monastère de St-Victor, à
Marseille, naquit au milieu du 4ème siècle, dans la
Scythie, selon Gennade ; en
Provence, selon d'autres. Cette dernière opinion est appuyée par divers endroits de ses écrits où il fait le tableau de la beauté et de la fertilité de son pays natal, ce qui ne saurait convenir aux déserts
de la
Scythie ; par l'élégance de son style en latin,
qu'il n'aurait pu acquérir dans une contrée où
la langue latine était inconnue ; par le désir qu'il
témoigne de revoir ses parents en allant à
Marseille.
On ignore par quel événement il fut conduit dès
sa plus tendre
jeunesse dans le
monastère de
Bethléem,
en Syrie, où il cultiva les sentiments de piété
qu'il avait puisés dans la maison paternelle, et se forma
aux exercices de la vie
ascétique. La haute réputation
des solitaires qui habitaient les déserts de l'Egypte lui
inspira, vers l'an 390, l'idée d'aller les visiter, accompagné
de son ami Germain. Le désir d'une plus grande perfection
les conduisit dans la haute Thébaïde et ils passèrent
plusieurs années dans le
monastère de Scété
où résidaient les plus parfaits de tous les moines
du désert. Ils allaient nu-pieds comme les
anachorètes
du pays, étaient pauvrement vêtus, subsistaient du
travail de leurs mains, menaient une vie austère, et mangeaient
à peine, par
jour, deux pains de six onces. Après
sept ans de séjour dans le désert, Cassien revint
à
Bethléem, fit un second voyage à Scété,
et se rendit, en 403, à Constantinople. Il y reçut
instructions de St Jean Chrysostome, qui l'ordonna diacre et l'agrégea
au clergé de son
église. Lorsque le saint
patriarche
fut exilé, Cassien eut la commission de porter à
Rome les lettres dans lesquelles le clergé de Constantinople
prenait la défense de son pasteur persécuté.
On ignore ce qu'il devint jusqu'en 414 ou 413, où il se
retira à
Marseille. Il y fonda deux
monastères,
l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes. Le premier est
la célèbre
abbaye de St-Victor, où l'on assure
qu'il eut sous sa discipline jusqu'à 5000 moines. Il y
vivait encore en 433, selon la chronique de St Prosper. Dupin
recule sa mort jusqu'en 440. Baillet la porte en 488 ; l'un et
l'autre le font mourir à 97 ans. D. Rivet pense qu'il termina
ses
jours en 434 ou 433.
Quelques
églises, entre autres celle
de St-Victor, l'honoraient, comme un saint, le 23
juillet.
Son
corps s'y conservait dans une chapelle souterraine.
Urbain V avait
autorisé cette
église à exposer à
la vénération publique sa tête et son bras
droit, enfermés dans un
reliquaire. Les ouvrages de Cassien
rendirent son nom célèbre dans les Gaules ; mais
ils excitèrent des troubles par les "erreurs"
qu'ils contenaient sur la grâce. En reconnaissant, avec
St Augustin, contre les pélagiens, l'existence du péché
originel, et la nécessité d'une grâce intérieure
pour tous les actes de piété, il s'écarta
de la doctrine du saint docteur sur la distribution de cette grâce,
qu'il attribua aux mérites de l'homme, ce qui en détruisait
la gratuité. Ce fut pour combattre cette "erreur"
que St Augustin composa les deux livres
De
la Prédestination et
Du
don de la persévérance, où
il place la raison de l'inégale distribution de la grâce
dans la volonté toute-puissante de
Dieu, enveloppée
d'un mystère impénétrable. La lecture de
ces livres ne termina pas les disputes, qui se prolongèrent
jusqu'au second
concile d'
Orange, en 529, où la doctrine
de St Augustin fut consacrée ; et dès lors, le
semi-pélagianisme
s'éteignit insensiblement, sans avoir causé de schisme,
parce que les personnages respectables qui l'avaient professé
ne s'étaient jamais séparés de l'unité.
Le premier ouvrage de Cassien est ses 12 livres des
Institutions
monastiques,
composés en 420, et regardés
comme le meilleur et le plus utile de ses écrits, par les
Pères de la vie spirituelle, quoiqu'il y laisse déjà
apercevoir le
germe de ses "erreurs" sur la grâce.
Elles contiennent les règles des
monastères d'Orient
adaptées aux pratiques reçues dans ceux des Gaules.
Cet ouvrage fut suivi de ses
Conférences,
au nombre de 24. Elles diffèrent des Institutions en ce
que, dans celles-ci, il n'avait guère décrit que
la vie extérieure des moines, et que, dans celles-là,
il s'attache à former leur intérieur, en les élevant
à la sublimité de la vie contemplative. C'est dans
la treizième de ces conférences, plus que dans aucun
autre de ses ouvrages, qu'il expose et développe son
semi-pélagianisme.
Saint Léon, n'étant encore qu'
archidiacre de l'
Eglise
Romaine, lui avait proposé d'écrire contre
Nestorius.
Cassien était très propre à remplir cette
tâche. Il était
théologien, savait parfaitement
le grec, et avait été du clergé de Constantinople,
où la nouvelle hérésie faisait des ravages.
Peut-être aussi que St
Léon, en le chargeant, dans
cette occasion, de défendre la cause de l'
Eglise, voulait
faire voir aux Orientaux que, quoiqu'il y eût du rapport
entre les erreurs de
Nestorius et celles de Pélage, néanmoins
ceux qui, en Occident, ne s'éloignaient pas entièrement
de la doctrine de cet
hérésiarque, ne laissaient
pas d'être absolument opposés à
Nestorius.
Cassien composa donc son traité
De
l'Incarnation, divisé en 7 livres :
ce fut le dernier et le mieux écrit de ses ouvrages. On
lui attribue plusieurs autres, que les meilleurs critiques conviennent
n'être pas de lui.
Son style répond aux sujets qu'il
traite. Sans être très pur, ni très élégant,
il est clair, aisé, agréable, ingénieux un
peu diffus, mais plein d'onction et persuasif. C'est dans ses
écrits que les fondateurs des ordres monastiques ont puisé
une partie de leurs règles. Ils en ont recommandé
la lecture à leurs
disciples. Plotius remarque que les
monastères qui avaient observé ses
Institutions
jusqu'à son temps étaient encore florissants, tandis
que ceux qui les avaient négligées languissaient.
Le
concile romain, sous Gélase, mit ses livres au rang
des
apocryphes,
sinon pour en défendre absolument la lecture,
du moins pour leur ôter l'autorité qu'ont les ouvrages
irrépréhensibles des saints Pères, et pour
annoncer qu'on doit les lire avec précaution ; d'autant
plus qu'indépendamment des "erreurs" sur la grâce,
on y trouve un levain d'
origénisme sur la création
des
anges, qu'il met avant celle du monde ; sur la nature de l'
âme,
qu'il fait corporelle, etc. Ses
Institutions
et ses
Conférences
ont été traduites en français par Nicolas
Fontaine, sous le nom de
Saligny, purgées de tous les endroits
qui favorisent le pélagianisme,
Paris, 1663-1667 ;
Lyon,
1685 et 87, 2 volumes in-8°. Le
marquis de Créqui a publié
en 1799, à Madrid, de l'imprimerie royale, in-18,
Principes
philosophiques des saints solitaires d'Egypte, extraits de St
Cassien. La meilleure édition de ses
uvres est celle d'Alard Gazée,
Douai, 1616, 2 volumes,
in-8° ;
Arras, 1628, in-folio ; avec des notes, considérablement
augmentées,
Paris, 1642, in-folio ; Francfort, 1722, in-folio.
(Biographie universelle ancienne
et moderne - Tome 3 - Pages 635-636)