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La voie de l'occultiste - Tome 2

Annie Besant
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FRAGMENT III : LES SEPT PORTAILS
Chapitre XXIII : La quatrième porte

      Maintenant, prépare-toi pour le quatrième, le portail des tentations qui captivent l'homme intérieur.
      Avant que tu ne puisses approcher de ce but, avant d'étendre la main pour soulever le loquet de la quatrième porte, tu dois avoir dompté en toi-même toute modification du mental et tué l'armée des pensées-sensations qui, subtiles et insidieuses, se glissent inaperçues dans le lumineux sanctuaire de l'Ame.


      Charles Webster Leadbeater : Beaucoup d'aspirants au Sentier ont constaté que les fautes ordinaires, commises et corrigées dans la vie de chaque jour reparaissent plus tard sous une autre forme.

      Vous pouvez, par exemple, avoir supprimé l'orgueil sous ses formes mondaines ordinaires, mais il reparaîtra sous forme d'orgueil spirituel. Vous pouvez de même avoir perdu tout désir de gain terrestre, mais il reparaîtra et aura pour objet cette fois le progrès personnel ou le savoir, pour la satisfaction personnelle de vous instruire et pour jouir de votre développement intellectuel. Ensuite, même quand la sympathie a commencé à s'affirmer dans la vie, l'égoïsme essaie de s'en emparer et de vous amener à vouloir simplement vous délivrer de ce qui vous cause malaise et tristesse, et reléguer loin de vos yeux l'objet souffrant. Ceci rappelle un peu la ménagère (s'il en existe de pareille) qui, n'aimant pas voir la poussière, la balaie et la cache sous le tapis, au lieu de nettoyer la chambre à fond.

      La haine elle-même reparaît et il peut sembler incroyable qu'un vice aussi grossier puisse se manifester chez les personnes qui s'efforcent de mener la vie supérieure. Certains de nos étudiants s'en rapprochent dangereusement si l'un de leurs collègues ne partage pas leurs idées – par exemple sur les chaînes planétaires ou sur la question de savoir si Mars et Mercure appartiennent ou non à notre propre chaîne ! Bien entendu, si on leur demande de but en blanc :

      « Détestez-vous un tel parce que, sur ce point, son opinion diffère de la vôtre ? », ils le nient ; seulement ils n'iront pas voir ce collègue et, s'ils le rencontrent, éprouveront une grande agitation et se montreront désagréables, à moins qu'ils ne dissimulent leurs sentiments sous une aisance factice, sous une surface unie – comme l'huile sur l'eau.

      C'est là un défaut singulièrement tenace ; quelques très grands malheurs n'ont pas eu d'autre origine. Toute la chrétienté ne fut-elle pas au quatrième siècle bouleversée et déchirée à cause d'un seul point sur une seule lettre d'un mot donné ? De la présence ou de l'absence de ce point dépendait le sens du mot : le Deuxième Logos est-il de la même substance que le Premier, ou d'une substance semblable ? D'où la dispute qui fit rage dans Alexandrie entre les Ariens, comme on les appelait, et les Orthodoxes. Aujourd'hui même, des millions de Chrétiens ne sont-ils pas séparés d'autres millions de Chrétiens par cette question : le Troisième Logos procède-t-Il directement du Premier, ou bien du Premier par le Second ? C'est la fameuse « controverse du filioque » au sujet de la procession du Saint-Esprit ; elle amena le schisme entre les deux grandes sections de l'Eglise chrétienne. L'Eglise orientale ou grecque soutient que le Saint-Esprit ou Troisième Logos, procède du Père seul – procession simple – mais l'Eglise occidentale ou romaine soutient qu'il procède à la fois du Père et du Fils – procession double. Cette dispute concerne un point sur lequel nul ne peut rien savoir et qui pratiquement n'a d'importance pour personne. De certains diagrammes qui nous ont été montrés, nous Théosophes pouvons conclure que les deux partis ont raison, mais ni l'un ni l'autre n'accepteront cette idée.

      Autre exemple : dans le Bouddhisme, deux grandes sections sont en désaccord sur le point suivant : la plateforme posée sur l'eau pour la célébration de certaines cérémonies doit-elle être faite de trois planches ou de quatre ? En conséquence, ces deux sections ne peuvent célébrer ensemble les cérémonies mentionnées.

      Quelle importance y a-t-il à rattacher ou non Mars et Mercure à notre chaîne ? Quoi qu'il en soit, nous pouvons être des hommes ou des femmes tout aussi vertueux, des citoyens tout aussi bons, des Théosophes tout aussi zélés, des serviteurs tout aussi dévoués aux Maîtres, comme aussi – espérons-le – des amis tout aussi fidèles, malgré nos opinions diverses. Personnellement, j'étudie et j'observe de mon mieux ; ensuite, je dis ce que je connais car c'est, je crois, mon devoir, mais je n'ai jamais prétendu à l'infaillibilité et je m'instruis tous les jours. Jamais je ne songerais à brimer une personne qui n'est pas de mon avis. J'ai d'ailleurs plus d'une fois entendu notre grande Présidente nous dire son profond espoir que personne n'érigera jamais en dogme aucune de ses paroles et ne fera pas d'elle un obstacle aux futurs progrès de notre Société et une cause de division. Si elle éprouve une inquiétude quelconque, c'est au point de vue de ce danger-là.

      L'idée d'infaillibilité concernant telle ou telle source de Connaissances est supposée étrangère aux Théosophes. Quand une idée nouvelle est promulguée, nous nous demandons : « Présente-t-elle l'accent de la vérité ? Sommes-nous inspirés, édifiés, illuminés par elle ? », et non : « Qui l'a dit ? De quel ouvrage est-ce tiré ? ». Il y a des personnes, cependant, qui, ayant perdu leur foi aveugle dans la Bible, l'ont reportée sur La Doctrine Secrète, véritable mine de sagesse, mais qui, au dire de l'auteur même, ne prétend pas à la perfection. Ce livre, affime-t-elle, n'est qu'un choix de fragments empruntés à la doctrine fondamentale de la doctrine secrète ; y sont particulièrement étudiés certains faits dont différents écrivains se sont emparés et qui ont été si bien déformés que la vérité est devenue méconnaissable. L'auteur cite la phrase de Montaigne : « Je n'ai fait ici qu'un bouquet de fleurs choisies et n'ai rien fourni de moi que le lien qui les attache » (60).

      Pendant des siècles, La Doctrine Secrète restera pour les Théosophes un véritable trésor ; sachons préserver cet ouvrage de tout dogmatisme. En occultisme, nul ne peut avoir le dernier mot. Les connaissances que nous avons acquises jusqu'ici ne représentent, dans un grand voile, qu'un petit coin soulevé ; impossible de savoir ce qui sera révélé quand sera soulevée une autre partie.

      Avant d'espérer franchir la quatrième porte, dit Aryasanga, il faut avoir dompté en soi les modifications du mental. Les humeurs varient et colorent à nos yeux le monde extérieur. L'homme a peine à comprendre que lorsque la dépression l'enveloppe comme un nuage, le monde extérieur n'est pas plus obscur qu'auparavant. Eprouve-t-il une grande, une accablante affliction, ce n'est pas sans une certaine surprise qu'en sortant de chez lui il voit le soleil briller encore et les gens sourire ou même rire.

      Un homme personnellement très malheureux éprouve parfois une véritable colère en voyant les autres aussi heureux que de coutume ; dans son opinion, le monde est bien dur et lui témoigne bien peu d'intérêt. Il oublie qu'hier, quand lui-même était heureux, d'autres étaient dans la détresse et qu'au lieu d'en être affecté, il n'en prenait aucun souci. La dépression, je le sais, est une chose très réelle mais toujours créée ou permise par l'homme qui la subit. Elle a quelquefois pour cause une santé mauvaise, une fatigue excessive ou la tension nerveuse. Chez d'autres, elle vient du monde astral où se trouvent de nombreux « défunts » en proie au découragement. Si donc nous ne sommes pas toujours responsables de la dépression qui nous envahit, c'est bien notre faute si nous lui permettons de s'installer.

      Beaucoup de gens semblent croire que leur attitude visà-vis de la réalité peut la modifier. « Oh ! non, disent-ils, jamais vous ne me ferez croire cela ! » – comme si leur incrédulité faisait loi. Mais un fait reste un fait, que l'on y croie ou non. C'est une des curieuses petites façons dont se manifeste la vanité humaine.

      Il faut aussi veiller à ce que des pensées fortuites n'empêchent pas d'être serviable ou qu'elles fassent perdre de vue l'occasion de rendre un bon service à un tel, parce que tout ne plaît pas en lui – par exemple la manière dont il a les cheveux coupés. Ce n'est là qu'un petit détail, mais qui révèle la condition de notre mental et de notre caractère. Souvent l'obstacle est une pensée concernant la race, la classe ou la caste ; dans l'Inde, elle amène souvent le Brahmane à négliger ses devoirs envers le paria. Nul ne songe à nier l'immense différence de classe, mais à chacun devrait être offerte l'occasion de s'élever socialement et moralement aussi haut qu'il en est capable. Bien entendu, on ne peut guère transformer en peu de temps la condition de millions d'hommes ; on ne peut élever des Panchamas à l'état de Brahmanes, mais il est toujours possible de montrer à ces gens la plus grande bonté et le plus grand intérêt, et d'assister tous ceux qui peuvent recevoir notre aide.


      Si tu ne veux pas être tué par elles, tu dois rendre inoffensives tes propres créations, les enfants de tes pensées, invisibles, impalpables, dont les essaims tourbillonnent autour du genre humain, qui sont les descendants et les héritiers de l'homme et de ses dépouilles terrestres. Tu dois étudier la vacuité de ce qui semble plein, la plénitude de ce qui semble vide.

      La plénitude de ce qui semble vide est une expression très significative. D'abord on pense au Koïlon, à l'éther de l'espace. L'idée commune, c'est que l'espace est vide, mais en réalité il est rempli d'une substance dont la densité est presque inimaginable. C'est la matière apparemment solide qui est « vide ». La matière visible consiste en trous pratiqués dans la vraie matière, de bulles soufflées dans le Koïlon. Comme le disait récemment un savant français : « Il n'y a plus de matière. Il n'y a que des trous dans l'éther (61). » Le dernier mot de la science relativement à l'éther de l'espace, c'est que sa densité est dix mille fois plus grande que celle de l'eau et environ cinq cents fois plus grande que celle du métal le plus lourd ; impossible de rien imaginer de plus dense.

      Les Hindous parlent de la racine de la matière ou moulaprakriti, dont le Koïlon est, je crois, une forme densifiée. Le Logos, disent-ils, quand Il Se réalise Lui-même, Se différencie de l'Absolu et, regardant en arrière vers cet Absolu, ne Le voit plus ; un voile Le recouvre et ce voile est moulaprakriti. Dans La Doctrine Secrète, Mme Blavatsky cite en ces termes les mots du Swami T. Subba Rao :

      Dès qu'il (c'est-à-dire le Logos... « première manifestation [ou aspect] de Parabrahman ») commence son existence d'être conscient... à son point de vue objectif, Parabrahman lui apparaît comme Moulaprakriti. Je vous prie de vous rappeler ceci... car c'est l'origine de toutes les difficultés au sujet de Pourousha et de Prakriti éprouvées par les différents auteurs qui ont traité de la philosophie védantine... Ce Moulaprakriti est matériel pour lui (le Logos), de même qu'un objet matériel l'est pour nous. Ce Moulaprakriti n'est pas plus Parabrahman que la collection d'attributs qui caractérisent un pilier ne sont ce pilier lui-même. Parabrahman est une réalité non conditionnée et absolue, et Moulaprakriti est une sorte de voile jeté dessus. Parabrahman par lui-même ne peut être vu comme il est ; il est vu par le Logos avec un voile jeté sur lui, et ce voile est l'immense océan de la matière cosmique... (62).

      Le Logos dont il est fait mention ici est le Logos de notre univers, qui comprend des millions de systèmes solaires – et non le Logos d'un unique système solaire. C'est Son souffle qui pénétra la matière primordiale et creusa des trous dans l'espace afin que l'univers prît naissance. Quatorze milliards de ces bulles constituent un atome physique, dont dix-huit font un atome d'hydrogène, le plus léger des éléments chimiques.

      C'est donc un fait que tout ce qui est pour nous matière n'est, en somme, que trous dans la matière véritable. La pression de cette matière primordiale est de plusieurs millions de tonnes par pouce carré. Quand l'homme sera parvenu à exclure cette pression, il pourra employer cette énergie prodigieuse comme force motrice ; il pourra utiliser l'énergie du Logos inhérente à l'atome et qui fait résistance à cette grande pression. Mais la première force utilisée sera la force obtenue par la désintégration de l'atome physique.

      La plénitude du vide apparent et la vacuité de la plénitude apparente se prêtent à l'étude, grâce à diverses expériences familières. Les pensées d'autres hommes et d'autres êtres remplissent l'atmosphère. Comme il est dit dans Le Monde occulte :

      Chaque pensée émise par l'homme passe dans le monde intérieur et devient une entité active en s'associant, en adhérant – pourrions-nous dire – à un élémental, c'est-à-dire à une de ces forces semi-intelligentes du domaine invisible. Elle survit comme une active intelligence – créature engendrée par l'esprit – pendant une période plus ou moins longue, proportionnée à l'intensité première de l'action cérébrale qui l'a éveillée.

      On peut méditer soit dans une chambre inoccupée, soit dans une chambre remplie d'autres personnes. Dans le second cas, elle peut être vide pour nous, parce que ces personnes nous affectent peu. Dans la première, la chambre peut cependant être remplie de présences et d'influences puissantes et invisibles, attirées par notre méditation et qui s'appliquent à déverser leur énergie sur nous qui, en apparence, sommes seuls.

      Dans les différentes circonstances de la vie, il en est un peu de même. Beaucoup d'événements apparemment considérables se produisent, mais sans nous affecter ; au contraire, un fait imperceptible peut affecter notre existence tout entière. La mort d'un proche parent ou la perte de notre fortune prennent une telle importance ou moment où elles surviennent qu'elles doivent, pensons-nous, exercer sur notre vie une influence permanente ; or, il peut arriver qu'en fin de compte la différence soit nulle. J'en ai fait l'expérience. Etant encore jeune homme, je perdis une assez grosse fortune dans le grand désastre financier de 1866. A cette époque, l'événement me paraissait grave ; cependant, je n'ai pas eu à souffrir de ses conséquences. Mais ma rencontre fortuite avec une personne qui me parla de Mme Blavatsky a eu sur ma vie une influence capitale. Cette rencontre semblait due au hasard, mais elle a dû être voulue et combinée, dans ce vide apparent qui en réalité est, de toutes les façons possibles, la plénitude.

      Autre exemple : un Déva qui passait vint à moi, un dimanche matin, pendant un entretien que j'avais à Adyar avec quelques Théosophes. Il me montra certaines manières par lesquelles, au début de la sixième race-mère, les Dévas influenceraient les hommes par la religion. Je ne vis là, sur le moment, que l'acte bienveillant d'un ami de passage ; aujourd'hui, je suis sûr que c'était bien davantage, étant donné les conséquences qui en ont résulté. Nous fûmes ainsi amenés à connaître de nombreux détails sur les commencements de la nouvelle race. Des investigations entreprises à ce sujet servirent de base à la deuxième partie de L'Homme ; d'où il vient, où il va. Enfin, un peu plus tard, l'étude faite en commun par le Dr Besant et par moi-même eut pour résultat la première partie de ce même ouvrage. L'examen de la communauté future révéla que le souvenir du Dr Besant survivrait grâce à ce livre quand tous ses écrits antérieurs auraient été oubliés, mais que son œuvre capitale dont l'histoire conservera la mémoire est encore à écrire.


      Intrépide aspirant, regarde bien au fond du puits de ton propre cœur et réponds. Connais-tu les pouvoirs du Soi, ô toi qui perçois les ombres extérieures ?

      La pureté est une grande chose, mais ne suffit pas. Le petit enfant est pur parce qu'il ignore le bien et le mal. La connaissance est également nécessaire afin que nous puissions agir, et aussi la volonté pour transformer cette connaissance en action. Les animaux sont plus purs que l'homme ; plus purs encore les végétaux ; ils n'ont pas l'imagination qui pousse l'homme à rechercher le plaisir matériel, et à défier ainsi ou à méconnaître les lois naturelles. Il faut cependant que l'homme fasse l'expérience de la matière afin d'acquérir la connaissance et retourner ensuite à la patrie divine dont il est descendu, en retrouvant sa pureté première. L'homme sort du Logos comme un nuage divin, mais quand il retourne à Lui, il est devenu un être divin doué de pouvoirs définis.

      L'homme engagé sur le Sentier a reconnu en soi l'être divin ; il échappe à l'influence de la région des ombres. Leur réalité est purement relative et disparaît maintenant en comparaison de celle de la vie immanente, champ d'expériences conscientes, infiniment plus vaste que l'excitation éveillée par l'impact des choses extérieures. Les ombres, l'homme les a supposées réelles, absolument réelles, plus réelles que tout le reste, et cela pendant de longues incarnations. Tout cela était nécessaire, car sans leur attraction, jamais il ne se serait éveillé, jamais son attention ne se serait fixée, jamais il n'aurait rien appris.


      Si tu ne les connais pas, alors tu es perdu.
      Car, sur le quatrième sentier, la plus légère brise de passion ou de désir fera remuer la lumière tranquille sur les murs blancs et purs de l'âme. La plus petite vague d'aspiration ou de regret pour les dons illusoires de Maya, ondulant le long d'Antahkarana – le Sentier qui relie ton Esprit à ton soi, la grand'route des sensations, ces rudes excitants d'Ahamkara – toute pensée, même rapide comme l'éclair, te fera, perdre tes trois prix, les récompenses par toi gagnées.


      Parlant ici de vairagya, Aryasanga dit qu'en cherchant à l'acquérir de façon parfaite, la moindre réponse accordée aux objets séduisants, le moindre désir d'en jouir font retomber l'homme au rang des agités. Ceci rappelle la comparaison de l'âme aussi limpide qu'un lac de montagne – comparaison qui se trouve dans le deuxième fragment (63). Aryasanga compare maintenant l'âme à une lampe, pour exprimer la fixité à laquelle il faut parvenir. Une pensée accidentelle suffit pour nous rejeter en arrière ; c'est vrai, mais rappelons-nous qu'il s'agit d'une pensée qui nous est propre. Comme je l'ai déjà expliqué, si c'est simplement un reflet de la pensée d'autrui, une forme-pensée errante qui attire l'attention mais n'est pas appropriée, alors notre pureté, notre tranquillité, notre vairagya n'est pas exposé au même trouble.

      Des personnes excellentes sont parfois péniblement impressionnées par ces pensées à la dérive ; elles ont le sentiment que pour avoir des idées semblables, il faut être bien méchant. Mais si elles évitent de les accueillir, de les alimenter, de les renforcer et puis de les émettre à nouveau, chargées d'une nocivité accrue, ces personnes n'ont pas en réalité commis une faute. Sans doute nous ne serions pas conscients d'une pensée mauvaise ou impure si elle ne rencontrait pas en nous un principe analogue, mais cela revient à dire que nous ne sommes pas encore parfaits. Une pensée de ce genre traverse-t-elle le mental d'un Adepte, Il ne la remarque même pas, mais, si elles étaient nombreuses autour de Lui, Il éprouverait peut-être le besoin de les chasser, comme on chasse des mouches et des moustiques. Ne vous laissez donc pas troubler inutilement par les mouvements instinctifs de colère ou d'égoïsme, ni par des pensées flottantes indésirables. Seulement évitez de les adopter : sans quoi, non seulement vous ne pourriez acquérir vairagya, mais vous perdriez les trois prix déjà remportés et, vous retrouvant au commencement du Sentier, toute l'ascension serait à recommencer.

      Antakharana est appelé ici la grande route des sens ; c'est le moyen mystérieux qui permet aux objets matériels d'affecter la conscience ; c'est le canal entre l'objet et le sujet : grâce à lui, un impact frappant un organe sensoriel se traduit dans la conscience par une sensation. Une pareille sensation ou perception directe est plus vive que toute description verbale. Entendre, voir, sentir une chose, donne un sentiment de sa réalité bien supérieur à celui qu'on obtiendrait en y pensant seulement. Voilà pourquoi la perception clairvoyante des autres plans a bien plus de valeur que les descriptions que nous pourrions en donner, pourquoi aussi les ouvrages de yoga disent qu'à tous les témoignages d'autrui, à tous les jugements portés par lui sur des choses que l'aspirant n'a pas vues encore, celui-ci devra substituer en fin de compte sa propre perception directe, seule capable de donner une vue nette de la vérité.

      Les sensations sont appelées ici les rudes excitants d'ahamkara. Aham signifie « moi », et kara « faire » ; ahamkara signifie donc « celui qui fait le moi ». La vivacité même de cette expérience directe cause, par contraste, la vivacité du sentiment que nous avons de notre propre existence. Et, comme cette opération se renouvelle à tous les niveaux, elle intensifie l'illusoire personnalité tant que l'homme est encore dans le monde ; mais, quand il est bien engagé dans le Sentier et que l'illusion du moi personnel a été absolument dissipée, elle évoque le Moi, l'Atma, la volonté dans l'homme spirituel.

      Dans le premier fragment nous avons déjà étudié cette forme supérieure d'ahamkara, dont il est souvent question dans la philosophie hindoue.


      Car, sache-le, l'Eternel ne connaît pas de changement.

      En somme, il faut consentir à sacrifier l'inférieur au supérieur. On n'entre pas avec des biens terrestres dans le royaume des cieux. Les lois et les conditions du monde supérieur ne se modifient pas pour se conformer aux désirs d'aucun aspirant.


      « Abandonne à jamais les huit cruelles misères. Sinon, sûrement tu ne peux venir à la sagesse, ni encore à la libération », dit le grand Seigneur, le Tathagata de perfection, « celui qui suivit les traces de ses prédécesseurs ».

      Les huit cruelles misères sont : la méchanceté, l'indolence, l'orgueil, le doute, le désir, l'illusion, l'ignorance et les vies futures. Cette dernière misère paraît tout d'abord bizarre, mais le sens est évident : la vie de ce monde est une misère en comparaison de ce que nous offrent les plans supérieurs.

      Le titre de Tathagata est traduit ici par « celui qui suivit les traces de ses prédécesseurs ». A Ceylan, on nous a dit que le sens était « Celui qui fut bien envoyé » ; c'est-à-dire un être député par la Grande Confrérie Blanche comme son Messager dans le monde. C'est pourquoi l'histoire de l'Initiation se retrouve avec peu de variantes dans les traditions de différents peuples, particulièrement sous la forme de ce que l'on nomme le mythe solaire.


      Rigide et exigeante est la vertu de Vairagya. Si tu veux t'assurer sa voie, tu dois garder ton esprit et tes perceptions beaucoup plus purs qu'auparavant de toute action tuante.
      Tu dois te saturer de pure Alaya, devenir comme un avec l'Ame-Pensée de la nature. Uni à elle, tu es invincible ; séparé d'elle, tu laisses le champ libre à Samvritti, origine de toutes les illusions du monde.


      Une longue note explique le terme Samvritti :

      Samvritti est celle des deux vérités qui démontre le caractère illusoire ou le vide de toutes choses. C'est une vérité relative, dans ce cas. L'école Mahayana enseigne la différence entre ces deux vérités – Paramarthasatya et Samvrittisatya (Satya, « vérité »). C'est là le point en litige entre les Madhyamikas et les Yogacharyas, les premiers niant et les seconds affirmant que tout objet existe grâce à une cause précédente, ou par enchaînement. Les Madhyamikas sont les grands nihilistes et négateurs, pour qui tout est Parikalpita, une illusion et une erreur dans le monde de la pensée et dans l'univers subjectif aussi bien que dans l'objectif. Les Yogacharyas sont les grands spiritualistes Samvritti, donc comme vérité relative seulement, est l'origine de toute illusion.

      C'est le discernement, la première des quatre qualités exigées, qui permet de toujours distinguer le réel du relativement réel que nous appelons parfois l'irréel. Chaque fois que, perçant à travers l'irréel, nous voyons le réel, il nous devient plus facile de recommencer, car ce que nous reconnaissons comme le réel, c'est Dieu en nous. Plus ce réel s'éveillera, plus nous reconnaîtrons facilement sa fin en toutes choses et sa vie dans nos semblables.

      L'Alaya pur, qui est à la fois en nous et derrière le Mental Divin présent dans la nature, a été reconnu par les voyants de toutes les religions. Je tiens d'un savant Mahométan que la sentence islamique bien connue : « La ilaha illa'llah », ne signifie pas « Il n'y a pas d'autre Dieu que Dieu », comme on le traduit généralement, mais bien « Dieu seul existe ». Les mots arabes, m'expliqua-t-il, peuvent, pour qui les prend littéralement, recevoir le premier sens, mais le second est le sens ésotérique, communiqué secrètement aux fidèles. Telle est l'expression véritable du monothéisme ; ce n'est pas que les Dieux soient nombreux, mais qu'un seul Dieu mérite ce nom et notre adoration. Si cette interprétation ésotérique est juste, elle forme un lien étroit avec l'Hindouisme, qui nous parle de « l'Unique, sans second », l'Unique dans lequel, est-il dit, se rencontre à la fois l'être et le non-être.


      Tout est impermanent chez l'homme excepté la pure essence d'Alaya. L'homme est son rayon cristallin ; une flèche de lumière immaculée au dedans, une forme d'argile matérielle à la face inférieure. Ce rayon est le guide de ta vie et ton vrai Soi, le veilleur et le penseur silencieux, la victime de ton soi inférieur. Ton Ame ne peut être blessée qu'au moyen de ton corps ignorant ; dirige et maîtrise-les tous deux, et tu pourras franchir sain et sauf le prochain « portail de la balance ».

      L'unique est seul permanent. La personnalité d'un homme dure très peu de temps : jusqu'à la fin de sa période dévakhanique. L'ego traverse toute la série des incarnations humaines, peut-être toute la durée de notre chaîne. La monade sans doute se maintient plus longtemps, mais est elle-même impermanente. L'Unique seul demeure. Non pas que nous devions nous perdre nous-mêmes. Nous pouvons dire en vérité avec Emily Brontë :

      La terre et l'homme disparaîtraient – les soleils et les univers cesseraient d'être – et Vous seriez laissé seul, qu'en Vous existerait encore toute vie.

      La Monade dans l'homme est une étincelle de la flamme unique. Considérée dans le temps, toujours elle semblera évoluer. Nous pouvons dire, avec la plus profonde révérence, que le Logos Lui-même paraît faire de même. Il répond à la meilleure, à notre plus haute conception de Dieu, et pourtant Il ne sera pas à la fin du système solaire ce qu'Il était au commencement, car ce système est pour lui une incarnation.

      La « forme d'argile matérielle » n'a pour l'homme d'autre utilité que de favoriser en lui-même le développement de l'étincelle divine. La partie matérielle ne peut affecter l'étincelle divine, c'est-à-dire lui faire un mal positif, mais elle peut avancer ou retarder son épanouissement, ce qui équivaut pour l'étincelle à être aidée ou lésée. Voilà pourquoi celle-ci est appelée victime du moi inférieur.

      Le quatrième portail est nommé ici celui « de la balance », car il se rapporte dans l'homme au principe moyen. Il s'agit toujours de savoir qui l'emportera – l'extérieur ou l'intérieur. Le candidat, après avoir développé et purifié ses principes inférieurs – physique, astral et mental – doit maintenant porter ses efforts sur les principes supérieurs et faire de leur développement son but principal.


      Bon courage, ô pèlerin hardi qui veux atteindre l'autre rive. N'écoute pas ce que te soufflent tout bas les légions de Mara ; écarte les tentateurs, ces esprits de nature mauvaise, les jaloux Lhamayin de l'espace illimité.

      Les Lhamayin, dit une note, sont les élémentals et les mauvais esprits, ennemis et adversaires de l'homme. Aucun être ne fait le mal pour le mal, mais certains élémentals sont dangereux pour l'homme : ils ont leur existence propre et nous les gênons. Les élémentals ressemblent aux animaux sauvages qui, sans être ennemis de l'homme, n'aiment pas qu'il pénètre dans leur domaine et lui portent rancune parce qu'ils ont subi ses mauvais traitements.

      Les esprits de la nature sont des créatures joyeuses ; on ne peut rien leur reprocher de plus grave que de jouer des petits tours malicieux, désagréables aux personnes qui en sont victimes. Ils n'aiment pas l'homme parce qu'il fait beaucoup de choses qui leur sont odieuses et les troublent. Ils vivent dans la campagne, heureux et satisfaits ; leur joie est de s'ébattre avec les jeunes animaux sauvages ; ils les aiment, comme ils aiment les fleurs et les arbres. Point de soucis dans leur vie innocente ; ils ne subissent aucune nécessité, car ils n'ont pas comme l'homme l'obligation de travailler pour se nourrir et pour se vêtir.

      Dans ce paradis sylvestre, l'homme fait irruption ; il poursuit et tue les animaux qui sont leurs amis ; les arbres qu'ils affectionnent, ils les abat pour cultiver la terre ou construire des maisons ; il souille l'air des impures émanations de l'alcool et du tabac. Leurs délicieux paysages devenant pour eux un affreux désert, ils sont contraints de fuir. Ils doivent éprouver un peu les sentiments d'un artiste qui voit de belles perspectives abîmées et rendues hideuses par la présence d'usines dont les cheminées vomissent de noires fumées et dont les gaz tuent l'herbe, les fleurs et les arbres. Nous appelons cela le progrès ; l'esprit de la nature en juge autrement, car sa demeure est en ruines et ses amis ont péri.

      Voilà pourquoi les esprits de la nature évitent l'homme et que, si une personne se promène dans un bois ou suit un sentier, ils s'esquivent à son approche. Elle peut réussir à surmonter leur aversion, comme on arrive quelquefois à vaincre la timidité des bêtes sauvages. Un yogui, assis et méditant, peut caresser les animaux qui s'approchent de lui. Allez à la campagne ; restez étendu, sans bouger, pendant une heure ou deux, les petits animaux sauvages, tels que les écureuils et les oiseaux, viendront tout près de vous. De même, si vous séjournez longtemps en une même localité, les esprits de la nature découvrent peu à peu que vous êtes un spécimen d'humanité inoffensif ; un jour vient où ils sont tout disposés à se lier avec vous ; ils finiront par gambader autour de vous, très fiers d'avoir un homme pour ami. Sur le plan astral, ces êtres prennent les hommes pour des intrus gênants et dangereux ; nous regarderions de même une armée envahissante. Ils s'appliquent donc à faire peur aux arrivants. Mais ils ne sont pas tentateurs. Ce rôle est surtout joué par les mauvaises formes-pensées générées par l'homme lui-même.

      Certains hommes, appelés parfois magiciens noirs, cherchent à combattre le progrès spirituel de l'humanité, très persuadés que nos émotions élevées sont mauvaises et qu'en elles survivent les sentiments et les désirs de nature animale. Des magiciens pareils remarquent-ils une personne placée dans une situation spéciale et qui, tout en avançant sur le Sentier, est susceptible d'être infuencée par eux ? Ils peuvent juger bon de lui opposer un élémental destiné à l'ébranler et à causer ainsi un trouble paralysant l'action du Maître. Voilà ce qui se rapproche le plus du démon tentateur, croyance populaire parmi les Chrétiens. Pourtant, aucun aspirant ne doit redouter ces assauts, car le pire des magiciens noirs est incapable d'influencer, ni d'employer une personne animée d'une volonté ferme et qui pense exclusivement au travail du Maître et jamais à soi.


      Tiens bon ! Tu approches maintenant du portail du milieu, de la porte de la douleur, avec ses dix mille pièges.
      Sois maître de tes pensées, ô lutteur pour la perfection, si tu veux en franchir le seuil.
      Sois maître de ton âme, ô chercheur de vérités immortelles, si tu veux atteindre le but.
      Concentre ton regard d'âme sur l'unique lumière pure, la lumière qui est libre d'affection, et fais usage de ta clef d'or.

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      Aryasanga parle à juste titre de dix mille pièges, car bien souvent le candidat se croyant parvenu à vairagya ou au détachement, s'aperçoit que des pièges identiques renaissent subtilement et toujours sous ses pas. L'âme elle-même ou manas supérieur doit être dominée par la nature bouddhique. Comme nous l'avons vu, la vie bouddhique commence à la première Initiation, sinon avant, et le candidat monte, passe dans le plan bouddhique, d'un sous-plan à l'autre. Pour que cette ascension soit parfaite, il faut que l'âme elle-même, le manas supérieur, y participe et qu'elle devienne à son tour la servante de ce principe plus élevé. Cela fait, le candidat est prêt à pénétrer dans le plan suivant ; il recevra la Quatrième Initiation et franchira un nouveau seuil.

      « Libre d'affection » veut dire ici « incapable d'être affecté » ; c'est là, comme nous l'avons indiqué, le vrai sens de vairagya.


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(60)  Nous n'avons pu retrouver et vérifier cette phrase dans les œuvres de Montaigne. (N. D. T.)

(61)  En français dans le texte (N. D. T.).

(62)  Op. cit., vol. II, p. 157.

(63)  Chapitre XVI.




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