L'histoire intime d'un écrivain renommé intéresse toujours, et plus cet écrivain de talent a été l'objet d'acerbes critiques, plus on aime à connaître sa vie, son état d'âme et ses écrits. Au déclin du XVème siècle et dans la première moitié du XVIème, au milieu de ce groupe d'hommes distingués qui honorent cette mémorable époque, une figure apparaît multiple, bizarre, difficile à saisir avec vérité, mais aussi curieuse à étudier pour les circonstances romantiques de son existence pleine d'imprévu que par le côté scientifique. En ces temps déjà lointains, dont l'agitation et le trouble tant politique que religieux semble revivre de nos jours avec les mêmes symptômes caractéristiques, Henri Cornélis Agrippa (1) occupe une place de savant et d'original vagabond employé tour à tour aux besognes les plus variées : militaire, humaniste, théologien, jurisconsulte, médecin, alchimiste, il possède tout le cycle des connaissances sacrées et profanes, mais il a peu d'idées générales ; c'est avant tout un vulgarisateur, doué d'une vaste érudition compliquée de tous les écarts d'une extraordinaire liberté d'opinion et d'une extrême mobilité de caractère. Comme Paracelse, son contemporain égalemenl alchimiste et médecin, il se plaisait à captiver le public par les innovations les plus étranges et les doctrines les plus osées. Sa vie, sur laquelle on a beaucoup écrit de fables fantastiques, fut en harmonie avec ses paradoxes.
On trouve dans ses 450 Epistolæ familiares (2) sa véridique autobiographie, non moins qu'un document magnifique d'histoire littéraire, où il se révèle d'une surprenante activité qui s'est produite sur les théâtres les plus divers. Consulté par les plus puissants personnages d'alors, il n'est pas une question importante à laquelle il ne soit mêlé. Aussi, malgré ses travers et sa versatilité proverbiale, ne mérite-t-il pas de tomber sous le ridicule dont Rabelais s'est plu à le couvrir. Sur de plaisantes légendes, on base trop souvent son jugement et l'on se montre indifférent aux enseignements utiles qu'on peut tirer de l'étude impartiale du passé, comme parfois on en lit des pages tronquées ou travesties par l'esprit de secte ou de parti. Il est juste pour Agrippa d'apprécier l'homme et ses travaux avec indépendance. Son histoire peul offrir de l'intérêt à plus d'un point de vue : elle présente d'abord le tableau de la vie privée tout entière d'un homme de lettres au XVIème siècle ; puis elle fournit d'utiles renseignements sur les hommes et les choses de son temps, et notamment sur les questions religieuses et politiques au début de la Réforme ; enfin elle donne de curieuses indications touchant les sciences et les arts occultes dans l'Europe occidentale.