Biographie universelle ancienne et moderne Proclus, philosophe grec, naquit le 08
février de l'an 412 de l'ère vulgaire ; on le conclut de divers renseignements et surtout de son thème natal, que son
historien Marinus a rapporté et que Fabricius explique. Il mourut le 17 avril 485 ; il y avait eu, en l'année précédente, une éclipse de
soleil, marquée en effet dans les tables astronomiques au 13
janvier 484. Selon ce même Marinus,
Proclus a vécu soixante-quinze ans ; calcul qui, au premier coup d'il, semblerait inexact ; mais il s'agit d'années lunaires, usitées alors chez les Grecs et un peu plus courtes que les années juliennes. On a commis, sur l'époque de sa naissance, deux erreurs plus graves. Les uns l'ont fait vivre au IIème siècle de l'ère chrétienne, trompés par le nom de
Plutarque, l'un de ses maîtres, qu'ils ont mal à propos confondu avec
Plutarque de
Chéronée
(1). Les autres, et particulièrement Lambecius, retardent au contraire sa naissance jusqu'à l'an 443, et sa mort jusqu'en 518 ou 519, parce qu'ils supposent, sur la foi de Zonaras, qu'il brûla la
flotte de
Vitalien avec des miroirs ardents, à la manière d'Archimède ; sur la foi de
Théophane et de Cédrénus, qu'il prédit, en 518, la mort de l'empereur Anastase. Ou ces faits sont chimériques, où il faudrait les rapporter à quelque autre
Proclus ; car celui dont nous parlons avait déjà eu, dans son école, deux successeurs, Marinus et Isidore, quand Anastase régnait.
Proclus est souvent surnommé
Lycien et considéré comme natif de Xanthe ; mais si nous en croyons Marinus, il naquit à Byzance, où ses parents étaient venus de Syrie
fixer leur séjour et où il reçut la première éducation. Sa mère s'appelait Marcella, et son père Patricius, à moins que ce nom ne désigne une dignité. De Constantinople ou de Xanthe, il fut envoyé, fort jeune encore, à
Alexandrie, où il suivit les leçons du grammairien
Orion et du
rhéteur Léonas, professeurs alors renommés. Il fréquenta aussi les écoles que les Romains avaient dans cette ville et y apprit la jurisprudence, étude que lui avait recommandée
son père, à qui elle avait, dit-on, valu beaucoup de considération
et de crédit. Léonas distingua le jeune
Proclus : il l'admettait dans sa société la plus intime et à sa table ; il le traitait comme son fils. Obligé d'aller à Byzance, il le prit pour
compagnon de voyage, et l'élève eut la satisfaction de revoir sa propre patrie sans cesser de profiter des leçons et des soins de son maître.
De retour dans
Alexandrie,
Proclus y étudia la philosophie
éclectique ou synthétique sous
Olympiodore, dont il comprenait parfaitement
la doctrine, inintelligible à presque tous les autres auditeurs ; il retenait et récitait une leçon entière, dont pas un seul mot n'avait pu se
fixer dans la mémoire de ses condisciples.
Héron, le second de ce nom, lui euseigna une plus véritable science, une philosophie plus réelle, les mathématiques. Cependant l'
école alexandrine perdait son éclat ; Syrianus avait quitté cette ville et s'était retiré dans Athènes, l'antique patrie des arts et des sciences, et y allait succéder, pour l'enseignement du
platonisme, à
Plutarque, fils de
Nestorius.
Proclus, à peine âgé de vingt ans, s'y rendit, déjà précédé d'une réputation honorable ; on l'accueillit avec une faveur extrême.
Plutarque lui expliqua le
Phédon de Platon et quelques livres d'Aristote et le recommanda en mourant à Syrianus. Celui-ci le conduisit à l'
aristotélisme et du
platonisme à la
théologie et à la science des mystères.
Proclus, à l'âge de vingt-huit ans, écrivit un commentaire sur le
Timée. Depuis, Asclépigénie, fille de
Plutarque, lui apprit les arts magiques des Chaldéens, et il ne tarda point à se faire
initier aux mystères d'
Eleusis. Il s'occupait aussi d'études politiques et passait pour habile dans cette matière ; il donnait des consultations aux magistrats et aux cités.
Syrianus, en mourant, le désigna pour son successeur ; l'école qu'il lui léguait était devenue fort lucrative, à ce que nous apprend Damascius, dans Photius. Outre cinq leçons par
jour,
Proclus tenait encore des soirées littéraires, en sorte qu'il lui restait fort peu de temps à consacrer à la
composition de ses livres ; il en écrivit néanmoins un grand nombre, où il associait ses propres doctrines à celles d'orphée, de Pythagore, de Platon, d'Aristote, de Plotin, de Porphyre et de
Jamblique. On distingue entre ses nombreux élèves Hiérius, fils de
Plutarque, Asclépiodote, Zénodote, Hégius et Marinus, qui a écrit sa vie et qui lui a succédé dans sa chaire de philosophie. C'était sans doute en la prenant après Syrianus, vers l'an 450, que
Proclus avait reçu le surnom de successeur. Il ne paraît pas qu'il l'ait constamment occupée durant les trente-cinq années suivantes ; car son
historien parle de persécutions qui l'obligèrent de sortir d'Athènes ; il fit un voyage en Asie et en profita pour étudier les
rites de ces contrées. Après un an de séjour en Lydie, il revint en Grèce et recommença d'instruire les Athéniens. Il mourut dans leur ville à l'âge de 75 ans, comme nous l'avons dit ; il avait été souvent malade, particulièrement de la goutte, et ne s'était jamais marié.
Tels sont les faits les plus vraisemblables de sa vie ; nous avons cru devoir les séparer des contes que Marinus y entremêle. L'opuscule de Marinus est moins une notice biographique qu'uine sorte de
panégyrique,
calqué sur le système des vertus
platoniques, non seulement de celles
qui sont connues sous le titre de
cardinales, mais de celles encore que l'école
d'
Alexandrie avait distinguées par les noms de physiques, morales, théorétiques et
théurgiques. Il suit de là que la succession chronologique des faits n'est pas toujours bien établie dans cette notice, et c'est par conjecture seulement que nous avons, à l'exemple de Brucker, placé entre la mort de Syrianus et celle de
Proclus le voyage de celui-ci en Asie et son séjour en Lydie. Du reste, les
fables racontées par Marinus sont aussi à recueillir, parce qu'elles servent, ainsi que l'a observé le même Brucker, à expliquer et à caractériser les doctrines de ces philosophes. Il faut donc savoir que
Proclus, attaqué dans sa
jeunesse d'une maladie jugée incurable, en fut guéri par
Apollon, qui lui apparut et lui toucha la tête ; qu'avant de repartir de Byzance avec Léonas, il eut des entretiens nocturnes avec
Minerve, qui lui conseillait d'aller à Athènes ; qu'il retourna peurtant, quelque
religieux qu'il fût, à
Alexandrie ; mais que, peu de temps après, il se souvint de l'avis de la déesse et déserta les leçons d'
Olympiodore pour se transporter auprès de
Plutarque et de Syrianus ; qu'au moment où il entrait dans Athènes, le portier de la ville lui dit : « J'allais
fermer les portes si vous n'étiez venu », paroles qui présageaient évidemment qu'il rétablirait l'éclat de l'école socratique. Il se préparait par des jeûnes aux apparitions d'
Hécate et de plusieurs autres divinités ; il jeûnait surtout le dernier
jour de chaque mois et célébrait les nouvelles lunes. ll avait une petite
sphère, au moyen de laquelle il attirait la
pluie, tempérait la
chaleur, empêchait les tremblements de terre et opérait des guérisons miraculeuses, pour lesquelles néanmoins il employait aussi des hymnes et des prières. Un
jour, ayant mal au pied, il y mit un emplâtre qu'un
oiseau vint enlever : il comprit que c'était un heureux présage ; mais il osa demander un oracle plus rassurant, et pendant son sommeil un
dieu vint lui baiser les genoux et lui rendre la santé. Une autre fois, sans qu'il fût malade,
Dieu lui-même se montra à ses regards, tendit vers lui la main droite et le déclara, d'une voix haute et sonore, l'honneur de la ville d'Athènes. Aussi arriva-t-il qu'un personnage important, nommé Rufin, survenant au milieu d'une leçon de
Proclus, vit une auréole autour de sa tête et se prosterna
religieusement devant lui. Ce Rufin lui offrit des trésors, qu'il refusa ; et Marinus admire ce désintéressement
plus qu'il ne convient peut-être, car
Proclus était né de
parents riches ;
Nestorius lui avait fait un legs considérable, et son
école lui rapportait beaucoup d'
argent. Brucker a relevé plusieurs autres contradictions dans cette
légende :
Proclus méprise la douleur ; et dès qu'il ressent l'indisposition la plus légère, il a recours à des remèdes de bonne femme, à des enchantements, à des formules. On le loue de son
célibat, et l'on avoue qu'il n'observe point une continence parfaite. Il est exempt de toutes les faiblesses humaines, et cependant colérique, emporté, insatiable de louanges. Il n'aime que la vérité, et il mêle au culte de la mère des
dieux, à celui des autres divinités, les superstitions les plus grossières. Mais enfin son visage resplendit de rayons célestes ; il est sobre, et il renoncerait à l'usage des viandes si
Plutarque ne lui avait conseillé d'en user pour fortifier son tempérament et pour vivre avec plus de sainteté ; telle est, en un mot, la vénération que ses lumières et ses vertus inspirent que, lorsqu'on l'enterre dans le tombeau de son maître Syrianus, toute la ville d'Athènes assiste à ses funérailles et le proclame le plus heureux des mortels.
Cette notice de Marinus a pour second titre
De la félicité ; elle est destinée à montrer que le
platonisme perfectionné est le souverain bien. Elle n'avait été qu'incomplètement publiée avant l'édition que Fabricius en donna en 1700 ; on en doit à Boissonade, depuis 1814, une édition plus correcte et plus savante. Cette vie fournit la
clef des doctrines professées par
Proclus, par ses maîtres, par ses
disciples, et imaginées surtout pour être mises en opposition au christianisme, dont ils étaient
ennemis déclarés.
Proclus est un
hiérophante plutôt qu'un philosophe : il aspire à être le
pontife de toutes les
religions de l'univers ; il chante tous les
dieux, excepté celui des chrétiens. Il puise, le plus qu'il peut, dans les livres d'
Homère, d'Orphée, de
Zoroastre, productions évidemment supposées, qu'il prend ou donne pour authentiques. Il s'efforce d'y rattacher les institutions de Pythagore, les dogmes de Platon, et même quelques-unes des observations d'Aristote, et d'en composer un système, qui néanmoins demeure si confus qu'on n'a point réussi encore à en présenter un exposé complet, clair et méthodique. Ce qu'on y voit d'abord de plus positif, c'est, comme l'a remarqué Fréret, la résolution de faire descendre des Orphiques et non des Egyptiens les doctrines de Pythagore, de Timée de
Locres et de Platon. Il répète après les Orphiques que le sceptre de l'univers fut d'abord entre les mains de Phanès, c'est-à-dire de
Bacchus, passa dans celles de la Nuit, puis d'Uranus, puis de
Saturne, ensuite de Jupiter, qui règne depuis qu'il a, dit-on, détrôné son père, mais qui sera forcé de céder la place à
Bacchus, premier et dernier souverain du monde. Cette mythologie est du moins fort claire : il s'en faut que la métaphysique de
Proclus le soit autant.
On sait que la philosophie
alexandrine fait tout dériver d'un principe unique ; en conséquence,
Proclus enseigne que la pluralité ne saurait précéder l'unité ; que l'une et l'autre n'ont pu commencer d'exister en même temps ; que l'unité est essentielle et produit d'abord la
dualité, puis toutes les pluralités, le fini et l'
infini. De là proviennent toutes choses, par voie de mélange ; de là diverses
triades, tant réelles que rationnelles : l'être, la vie et l'intelligence ; ou bien la vie, l'intelligence et l'
âme ; l'
infini, le fini et la vie ; ou bien l'
essence, l'identité et la variété ; ou bien encore la limite, l'illumination et le mélange : car on rencontre çà et là ces différentes expressions dans les livres de
Proclus, soit qu'elles répondent aux mêmes
conceptions, soit qu'elles aient chacune un sens particulier.
A ses yeux, les idées sont des essences pures et immortelles,
subsistantes en elles-mêmes et non en autre chose ; leur mixtion exprime le grand
hyménée des êtres (2) ; mais la substance universelle, genre de toutes les substances, est l'être absolu,
le point culminant de tous les êtres réels. Bien avant
Proclus, on avait recommandé à l'homme de se connaître lui-même ; c'est le commencement de toute étude ; en s'emparant de cette maxime,
Proclus dit que la parfaite connaissance de nous-mêmes consiste à
juger des facultés par l'essence et des actes par les facultés. Il distingue cinq ordres de fonctions dans l'
âme : les sensations, puis le sentiment que l'
âme acquiert d'elle-même comme unie au
corps et comme distincte de lui ; ensuite les lumières supérieures par lesquelles elle corrige les notions imparfaites ; en quatrième lieu, le retour de l'
âme sur elle-même pour considérer sa propre
essence et y découvrir l'image du monde ; enfin ses rapports avec les autres
âmes quelconques.
Les connaissances se
divisent aussi en cinq ordres, selon
qu'elles ont pour objet ou les choses matérielles, ou les caractères
communs aux objets sensibles ; ou l'unité, autrement dit l'absolu, conduisant
à la recherche des causes par déduction de conséquences ; ou la contemplation immédiate des êtres et des essences ; ou en dernier lieu les choses supérieures à l'entendement. Cette cinquième science est la plus élevée ; aussi prend elle le nom d'
exaltation ou de
μανια. Ce dernier progrès a manqué, dit-on, à plusieurs philosophes, par exemple, à Aristote ; mais Platon y tendait ; Ammonius Saccas, Plotin et surtout
Proclus, y sont parvenus.
Cet aperçu général de la doctrine de ce dernier auteur nous dispensera d'entrer dans un examen particulier de chacun de ses livres. L'énumération seule en serait déjà fort longue, si nous l'étendions à tous ceux qui sont aujourd'hui perdus ; ils sont au nombre de plus de vingt, entre lesquels nous ne rappellerons que des traités sur la mère des
dieux, sur la
théologie d'Orphée, sur les oracles ; des commentaires sur les deux poèmes d'
Homère, sur les
Ennéades de Plotin et sur le
Phædon, le
Phdrus et les
Lois de Platon. Les livres de
Proclus contre le christianisme ont aussi disparu, à l'exception de ce qu'on a transcrit Jean Philopon, en les réfutant. Le commentaire sur les
Harmoniques de Ptolémée subsiste ; mais il est resté manuscrit. Quant aux ouvrages dont on a publié ou le texte grec, ou seulement des versions latines ou de simples extraits, quelques-uns appartiennent aux belles-lettres, la plupart à la philosophie. Dans la première classe se présentent d'abord des hymnes au
Soleil, aux Muses, et deux à
Vénus. Brunck, en les insérant au tome 2 de ses
Analecta, y a joint deux petites pièces, l'une de huit vers, l'autre de quatre. Les hymnes avaient paru à la suite des poèmes attribués à Orphée, chez les Juntes, à Florence. en 1500, in-4° ; chez les Aldes, à
Venise, en 1517, in-8°, etc.
Proclus avait
composé beaucoup d'autres
poésies qui ne se retrouvent plus. Sa
Chrestomathie grammaticale et poétique n'est connue que par les extraits qu'en a donnés Photius. On les a imprimés à part avec la version latine d'André Schott, à Francfort, en 1590, in-4° ; ils contiennent une notice sur la vie d'
Homère, que
Léon Allatius a insérée dans son livre
De patria Homeri,
Lyon, 1646, in-8°. Ce qui reste des
Scholies de
Proclus, sur le poème des uvres et des
jours d'Hésiode, a été publié à
Venise, en 1537, in-4° ; à
Bâle, en 1541, in-8° ; et à Leyde, en 1603, in-4°. En imprimant le livre de George Chæroboscus sur les figures poétiques, Frédéric Morel y joignit une dissertation de
Proclus sur la
poésie (grec-latin,
Paris, 1615,
in-12). Le même Morel a mis au
jour, en 1577, in-4°, le texte grec, sans nom d'auteur, d'un traité du style
épistolaire, que depuis, en 1597, Commelin a imprimé in-8° sous le nom de Libanius avec une version latine ; les intitulés de quelques manuscrits attribuent à
Proclus cet opuscule, qui ne vaut guère la peine d'être revendiqué pour lui ni pour personne.
Ses livres de philosophie ont excité beaucoup plus
de curiosité, même ceux qui ne sont connus que par des traductions
en latin. Tel est d'abord son
Traité de la Providence,
du destin et de la liberté, traduit au
XIIIème siècle
par Guillaume de Morbeka et dont Fabricius a transcrit cinquante-trois chapitres
dans sa
Bibliothèque grecque (t.
9 de l'édition de Harles). C'est le premier article du
Recueil
des uvres de Proclus, que M. Cousin a entrepris en 1820,
dont le dernier et sixième volume a paru en 1827. Cette édition,
dont M. Daunou a rendu compte dans le
Journal des savants (
janvier 1828),
est d'ailleurs loin de contenir tous les ouvrages connus de
Proclus.
Proclus,
après avoir distingué la Providence de la destinée, distingue
aussi la sensibilité organique et passive de l'intelligence, qui s'élève
par degrés jusqu'à l'enthousiasme ; et il ne veut pas non plus que
l'on confonde avec les notions imparfaites. acquises par les sensations, ni la
science qui procède par analyse ou par synthèse, ni surtout les
extases ou illuminations intellectuelles par lesquelles on aperçoit immédiatement
la vérité. Intermédiaire entre
Dieu, qui ne choisit pas,
parce qu'il est absolument bon, et la matière qui ne peut choisir, parce
qu'elle est inerte, l'homme jouit d'une
liberté véritable, quoique
limitée. Le même Guillaume de Morbeka a traduit les réponses
de
Proclus à dix objections ou questions sur la Providence ; opuscule dont
Fabricius n'a donné qu'un sommaire et qui est imprimé pour la première
fois en entier dans le tome 1 de l'édition de M. Cousin. Il en est de même
du traité des maux, intitulé par le traducteur du XIIIème
siècle
De subsistentia malorum.
Selon
Proclus, ce qu'on appelle mal physique est un bien, un résultat de
l'ordre général. Le mal n'existe ni dans les
dieux, ni dans les
anges, ni dans les démons, ni dans les héros. Il ne consiste, à
l'égard des
âmes, que dans la faiblesse qui les fait descendre vers
les choses matérielles. Les biens dérivent d'une cause unique, nécessaire,
éternelle ; ils sont réels, ils ont une
hypostase ; les maux
naissent de mille causes indéterminées et ne sont que des privations.
On peut s'étonner que l'orthodoxe Guillaume de Morbeka ait aussi traduit
l'
Instituion théologique de
Proclus
; car, en certains articles, elle se rapproche beaucoup des dogmes d'
Arius ; et
ce n'est point la seule occasion où l'on remarque des ressemblances entre
l'
arianisme et le
néo-platonisme. La version de Guillaume est demeurée
manuscrite ; celle d'Emile Portus accompagne le texte grec dans l'édition
in-folio de Hambourg, en 1618 ; et l'on a de plus une traduction latine de Fr.
Patrizi, imprimée sans le texte, dès 1583, à Ferrare, in-8°.
L'ouvrage contient les preuves de deux cent onze propositions, dont la plupart
sont fort obscures ou très inexactes. Il ne faut pas le confondre avec
une
théologie platonique, en six livres, qui toutefois offre à peu
près les mêmes idées : c'est un tissu de vaines controverses
auxquelles Platon n'a jamais songé ; on y reconnaît les traces des
disputes qui venaient d'agiter l'orient, au IIIème et au IVème siècle.
Lambecius assure qu'il existe une version manuscrite de ces livres, par le même
Guillaume de Morbeka ; mais ils ont été retraduits par Emile Portus
et ont paru ainsi en latin en même temps qu'en grec à Hambourg, en
1618, avec l'ouvrage précédent. C'est dans le troisième de
ces livres que se trouve un passage sur l'
âme des bêtes, que Bayle
a discuté (
Dic., article
Pereira),
et qui accorde aux brutes non pas une
âme raisonnable, mais une
âme
sensitive, capable de mémoire et d'imagination. Le commentaire sur le
Timée
de Platon, que
Proclus chérissait comme son meilleur ouvrage, quoique ce
fût, à ce qu'il semble. son premier essai, a péri en grande
partie. Les cinq livres qui en restent sont joints aux
uvres
de Platon, dans les éditions de 1534 et 1566, in-folio. Ce commentaire
est fort savant : beaucoup d'anciens auteurs y sont cités. De tous les
livres de Platon, le
Timée est
celui où il a le plus développé son système sur la
nature des choses, sur l'univers sensible et sur l'univers intelligible ; mais
l'explication de
Proclus s'arrête au tiers de ce livre et y ajoute plus
de difficultés qu'elle n'en éclaircit. Dans les deux éditions
qui viennent d'être citées, on a mis à la suite de ce commentaire
ce qui reste des observations de
Proclus sur le
Traité
de la république.
Son travail sur le premier Alcibiade n'était
connu que par des extraits et par une version latine, très incomplète,
de Marsile Ficin ; M. Cousin en a publié le texte grec dans les tomes 2
et 3 de son édition de
Proclus. Des manuscrits de la bibliothèque
de
Paris lui ont fourni ce texte ; il a recueilli des variantes dans ceux de
Venise
et de Milan ; il y a joint les extraits latins de Marsile Ficin et ce qui se retrouve
d'une version latine d'Hermann Gogava, que Lambecius avait indiquée et
qui était inédite. Dans son quatrième volume, M. Cousin a
donné les deux premiers livres du commentaire de
Proclus sur le
Parménide, d'après quatre manuscrits de la bibliothèque de
Paris, avec des fragments de la traduction latine de Gogava, tirés de la bibliothèque de
Vienne ; rien encore n'avait été publié de ce commentaire, ni en grec ni en latin. Le savant Fr. Creuzer a publié à Francfort-sur-Mein. 1820-1825, 4 vol. in-8°, intitulés
Initia philosophiæ ac theologiæ ex Platonicis fontibus ducta, sive Procli diadochi et Olympiodori in Platonis Alcibiadem commentarii ; il y a joint l'
Institution théologique de
Proclus (texte revu et amélioré) et l'ouvrage de Nicolas de Methone :
Refutatio theologicæ institutionis a Proclo compristæ ; cet écrit, juqu'alors inédit, a été édité par J.-T. Voemel, qui y ajoint une version latine et des notes. M. Cousin a consacré à ces quatre volumes divers articles dans le
Journal des savants (avril,
juin et
juillet 1827). Le commentaire de
Proclus sur le
Timée, publié par M. Schneider, Breslau, 1847, in-8°, forme un gros volume de 884 pages ; l'édition antérieure,
Bâle, 1534, fourmillait de fautes de tout genre. On doit mentionner encore le travail qu'on doit aux recherches de Boissonade et qui a paru à Leipsick en 1820, in-8°, sous le titre d'
Extrait des scholies de Proclus sur le Cratyle de Platon,
scholies dont il n'avait été rien imprimé jusqu'alors ; le savant éditeur les a tirées de trois manuscrits, l'un du
Vatican et les deux autres de la bibliothèque de
Paris, tous trois peu anciens.
Les autres livres de
Proclus tiennent aux sciences physiques et mathématiques et ne sauraient offrir aujourd'hui aucune notion profitable. Deux livres, intitulés
Du mouvement, sont principalement extraits de la physique d'Aristote ; ils ont été imprimés en grec à
Bâle en 1531, in-8°, et avec la version latine de Velsius en 1545, in-8°, dans la même ville ; il en existe une traduction française par Forcadel, à
Paris, 1565.
Proclus a laissé sur le premier livre des
Eléments d'Euclide des
scholies que Barocci a traduites en latin (
Padoue, 1560, in-fol.) et Th. Taylor en anglais (Londres, 1788 et 1789, 2 vol. in-4°), et dont le
texte grec accompagne celui d'Euclide dans l'édition de
Bâle, 1533, in-fol., et dans celle d'Edouard
Bernard, qui y joignit une version latine (Voyez le
Journal des savants, 1707, p. 394)
(3). Le
Traité de la sphère, de
Proclus (qui n'est qu'une copie littérale de plusieurs chapitres de Geminus), a paru, réuni à d'autres anciens livres d'astronomie, dans le volume in-folio imprimé par Alde à
Venise en 1499 ; il a eu pour traducteurs, en latin, Th. Linacer,
Elie Vinet,
Jean Lauremberg, M. Hopper, Jean Bainbridge (Londres, 1620, in-4°) ; en italien,
Ignace Danti (Florence. 1523, in-4°) et Tito Scandianese (
Venise, 1556, in-4°).
Son livre des
Positions astronomiques, avant de paraître en grec à
Bâle en 1540, in-4°, était connu par une version latine de George Valla, imprimée in-folio à
Venise en 1498
(4). On lui attribue de plus un écrit sur les éclipses, qui n'a été publié qu'en latin, à la suite des tables astronomiques de Jean Schrter, à
Vienne, 1551, in-4°. Enfin l'on a un monument de son
goût pour l'astrologie dans une paraphrase du
Tétrabible attribué à Ptolémée ; Mélanchthon a mis au
jour le texte grec de cette paraphrase en 1554 à
Bâle, in-8°.
Telles sont les diverses productions de
Proclus (5). A considérer l'étendue de ses connaissances et la variété de ses travaux, il occupe un rang distingué dans l'
histoire littéraire du Vème siècle. Peut-être à une époque plus heureuse eût-il recueilli et répandu de vives lumières. Il eût donné des directions plus utiles à ses vastes études, à l'activité de son imagination, à la puissance de sa pensée. Il a excité, parmi ses contemporains, un enthousiasme qui, plus tard, semble s'être renouvelé en Allemagne, en Ecosse et même en France. M. Cousin l'a éloquemment loué ; MM. de Gérando, Buhle, Tennemann, Tiedemann, etc., ont exposé ses doctrines et les ont jugées dignes d'attention. Diderot, au contraire, l'avait déclaré
le plus fou de tous les éclectiques ; et auparavant, le judicieux et savant Brucker n'avait guère vu dans ses livres qu'un tissu de visions ou d'impostures. Burigny, qui a écrit (
Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, t. 31) une notice sur sa vie et sur trois de ses ouvrages, ceux qu'on ne possède que traduits en latin, par Guillaume de Morbeka, trouve que son style est obscur, sa manière d'écrire très confuse, l'ensemble de ses livres un
chaos de matières mal digérées, sa science fausse et son système absurde. Mais ni la sévérité de ses censeurs, ni le désordre de ses propres livres, ne font autant de tort à la mémoire de
Proclus que l'
histoire de sa vie, telle que l'a écrite Marinus, son élève et son successeur ; elle ne laisse en doute que la question de savoir si les syncrétismes, depuis Ammonius Saccas jusqu'à
Proclus, ont été des fourbes ou seulement des illuminés.
On peut encore consulter : Simon,
Histoire de l'école d'Alexandrie, t. 2, pp. 382-583 ; Vacherot,
Histoire de l'Ecole d'Alexandrie, t. 2, pp. 210-384 ; Ritter,
Histoire de la philosophie, t. 4, p. 536-556 ; Daunon,
Cours d'études, t. 19, p. 141 ; le
Dictionnaire des sciences philosophiques, t. 5, p. 235 ; une thèse de M. Berger :
Proclus, exposition de sa doctrine, 1840.
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(1) Il s'agit de
Plutarque, fils de
Nestorius ; il avait écrit un commentaire sur les trois livres d'Aristote,
De anima, cité par Simplicius, mais qui est perdu. Il était Athénien.
(2) Cette expression et celles qu'on lira en caractères italiques dans les lignes suivantes sont employées par de Gérando dans un exposé de la doctrine de
Proclus.
(3) Ce commentaire, divisé en quatre livres, est d'une prolixité fatigante, mais on y apprend plusieurs choses curieuses concernant l'
histoire des mathématiques ; on y voit, par exemple, qu'Euclide est le quatorzième, chez les Grecs, qui ait donné des
éléments de géométrie.
(4) Dans cet ouvrage, plus considérablé que le précédent, quoique assez médiocre,
Proclus expose la doctrine de Ptolémée sur les parallaxes, les éclipses et les orbites des planètes. Il y paraphrase la description que Ptolémée nous a laissée de ses instruments. L'édition grecque, que M. l'abbé Halma a donnée en 1820 avec une traduction française, a été faite sur les manuscrits 2363 et 2392 de la bibliothèque de
Paris. La traduction latine, donnée par Valla, est fort inexacte, défigurée par des fautes grossières, et surtout par la licence qu'il a prise de changer plusieurs passages, par exemple, lorsqu'il a substitué à la description de l'astrolabe, qui servait aux observations astronomiques, celle d'un autre astrolabe qui est une projection stéréographique de la
sphère céleste sur un plan. C'est, comme l'autre astrolabe, une invention d'
Hipparque : et Valla nous en enseigne la construction d'après un ouvrage de Philoponus, mathématicien d'
Alexandrie.
(5) Harles cite de plus un traité des vertus morales et civiles et des facultés de l'
âme, dont on a imprimé à Rome, en 1542, in-8°, non le texte, mais une version latine. par Raphaël Mambla, composée d'extraits des livres philosophiques de
Proclus.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 34 - Pages 385-389)