LE CORPS PHYSIQUE
A Le Corps grossier
Nous devons nous appesantir assez longuement sur la constitution du corps, si nous voulons comprendre comment il est possible à l'Homme de s'en rendre maître pour le purifier et le dresser. Les fonctions du corps peuvent se subdiviser en deux groupes, dont l'un est généralement indépendant de la volonté, l'autre lui étant, au contraire, soumis. Nous allons les considérer successivement. Ces deux groupes fonctionnent au moyen du système nerveux, dont les caractéristiques diffèrent de l'un à l'autre.
Occupons-nous d'abord du système dit « Grand Sympathique », qui préside aux fonctions du
corps chargées d'entretenir la vie habituelle, contraction et expansion du poumon, battements du cur, mouvements des organes digestifs. Ce système comprend les nerfs des mouvements involontaires, ou de la vie végétative. A une certaine époque, dans le lointain passé de l'évolution physique qui édifia nos
corps, ce système était commandé par l'
animal qui le possédait. Mais peu à peu, il commença à fonctionner automatiquement, échappa au contrôle de la volonté, se rendit presque indépendant et s'acquitta de toutes les fonctions vitales normales du
corps. Tant que l'Homme est en bonne santé, ces fonctions passent inaperçues. Il sent qu'il respire, lorsqu'une oppression fait obstacle à sa respiration ; il sait que son cur bat, lorsque les battements en sont violents ou irréguliers. Mais, si tout est en ordre, il ne s'aperçoit de rien. Il est cependant possible d'amener le système nerveux sympathique sous le contrôle de la volonté par une pratique longue et douloureuse, et une certaine classe de Yoguîs dans l'Inde (les « Hatha-Yoguîs », tel est leur nom) développent ce pouvoir à un degré extraordinaire, dans le but de stimuler les facultés psychiques inférieures. Celles-ci peuvent être développées, sans s'occuper en rien de la croissance spirituelle, morale ou intellectuelle, et par action directe sur le
corps physique. Le Hatha-Yoguî apprend à régler sa respiration, au point de pouvoir la suspendre pendant un temps considérable. Il règle aussi les battements de son cur, activant ou retardant à volonté la
circulation. Par ces moyens il peut plonger le
corps physique dans un état léthargique et libérer ainsi le
corps astral. La méthode n'est guère à recommander ; mais pour les nations occidentales, portées à trouver si impérative la nature du
corps, il est instructif de savoir que l'Homme peut dominer pleinement ces fonctions automatiques à l'état normal, et d'apprendre que des milliers d'individus s'imposent une discipline longue et excessivement douloureuse, dans le seul but de se libérer de la prison du
corps physique, et de savoir qu'ils vivent lorsque l'
animation de leur
corps est suspendue. Quelque peu recommandable que soit leur méthode, ces gens-là prennent du moins leur rôle au sérieux et ne sont plus les simples esclaves de leurs sens.
En second lieu, nous trouvons le système nerveux volontaire, beaucoup plus important que le précédent, car c'est lui qui sert à l'expression de notre mentalité. C'est ici le grand système, instrument de notre pensée, grâce auquel nous pouvons sentir et nous mouvoir sur le plan physique. Ce système se compose de l'axe cérébro-spinal (cerveau et mlle épinière), d'où se ramifient, dans toutes les parties du
corps, des filaments de substance nerveuse. Ces filaments sont les nerfs sensitifs et moteurs : les premiers allant de la périphérie au centre, et les seconds du centre à la périphérie. De tous les points du
corps partent les filaments nerveux, qui s'unissent en faisceaux, pour rejoindre ensuite la mlle épinière, dont ils forment la substance fibreuse externe. De là ils remontent pour se déployer et se ramifier dans le cerveau, centre de toute sensation et de tout mouvement intentionnel soumis au contrôle de la volonté. Tel est le système qui nous occupe, moyen d'expression de la volonté et de la conscience humaine ; aussi peut-on dire que ces facultés ont leur siège dans le cerveau. Sur le plan physique, l'Homme ne peut rien faire sans l'intermédiaire du cerveau et du système nerveux. Si ces appareils sont dérangés, il devient incapable de s'exprimer méthodiquement.
Voilà précisément le fait sur lequel le matérialisme a fondé son objection bien connue : la pensée, disent les fervents défenseurs de cette doctrine, dépend de l'activité cérébrale et varie avec cette activité. Or, il est certain que si, comme le matérialiste, nous ne considérons que le plan physique, les variations de la pensée et celles du cerveau sont en effet concomitantes. Il est nécessaire d'introduire des
forces d'un autre plan, du plan astral notamment, pour montrer que la pensée n'est pas le résultat de l'activité nerveuse. Il est donc bien vrai qu'un cerveau étant sous l'action narcotique, d'une maladie ou d'une blessure, la pensée de l'homme à qui ce cerveau appartient ne peut plus trouver son expression normale sur le plan physique. Le matérialiste vous montrera aussi comment certaines lésions déterminées produisent sur la pensée des effets déterminés. Ainsi, par exemple, il existe une affection, peu fréquente d'ailleurs, nommée l'aphasie, qui détruit une portion particulière du tissu cérébral, voisine de l'oreille. Cette affection est accompagnée d'une perte totale de la mémoire des mots. Si vous posez une question au patient, il est incapable de vous répondre ; si vous lui demandez son nom, il reste muet. Mais prononcez vous-même son nom, et il montrera qu'il le reconnaît ; faites-lui une lecture, et il donnera des signes d'approbation ou de désapprobation. Il pense donc, mais ne peut parler. Il semble que la portion détruite du cerveau soit en rapport spécial avec la mémoire physique des mots, de telle sorte que sa
destruction fasse perdre à l'homme sur le plan physique, la mémoire des mots. Il serait ainsi rendu muet, tout en conservant le pouvoir de penser et la faculté d'assentiment ou de dissentiment envers toute proposition énoncée devant lui. Il est, d'ailleurs, évident que l'argument matérialiste ne tient plus, dès que l'homme est débarrassé de son instrument défectueux. Il peut alors manifester librement ses pouvoirs ; mais il redevient impuissant dès qu'il en est de nouveau réduit aux moyens physiques d'expression. Quoi qu'il en soit, l'importance de cette discussion, en ce qui concerne notre recherche actuelle, gît, non pas dans le plus ou moins de valeur des doctrines matérialistes, mais bien dans ce fait, que, d'une part, l'Homme est limité, dans son expression sur le plan physique, par les facultés de son instrument physique ; et que, d'autre part, cet instrument est susceptible d'être influencé par les
agents physiques. Si ces derniers
agents peuvent, comme nous venons de le voir, lui faire du tort, il est certain qu'ils pourront aussi servir à l'améliorer. Cette considération sera pour nous d'une importance capitale.
De même que toutes les autres parties du
corps, le double système nerveux dont nous venons de parler est constitué par des cellules, petits
corps bien délimités, comprenant une paroi et une substance incluse, visibles au microscope et modifiés selon leurs fonctions diverses. Les cellules, à leur tour, se composent de petites molécules ; ces dernières enfin sont formées d'atomes. Ce sont ici les atomes du chimiste : chacun d'eux est pour lui l'ultime particule indivisible d'un élément chimique. Ces atomes chimiques se combinent en d'innombrables manières pour former les gaz, les liquides et les solides du
corps grossier. Mais pour le théosophe, chaque atome chimique est un être vivant, capable de mener une vie indépendante ; et chaque combinaison de ces atomes en un groupement plus complexe constitue encore un être vivant. Ainsi chaque cellule jouit de sa vie propre, et tous ces atomes chimiques, toutes ces molécules, toutes ces cellules s'unissent pour former un « tout » organique, un
corps, qui sert de véhicule à un mode de conscience plus élevé que tout ce que ces êtres rudimentaires peuvent connaître dans leur existence séparée. Or, les particules vivantes dont se compose ce
corps plus élevé, ce
corps humain, viennent et s'en vont continuellement. Ce sont des agrégats d'atomes chimiques, trop petits pour être perceptibles à l'il nu, mais souvent visibles au microscope. Ainsi, lorsque nous regardons au microscope une goutte de sang, nous y voyons se mouvoir un grand nombre de corpuscules vivants. Ce sont les globules blancs ou rouges ; les blancs se rapprochant beaucoup, par leur structure et leurs mouvements, des amibes ordinaires. Nous y voyons de plus des micro-organismes, en rapport avec un grand nombre de maladies, des bacilles d'espèces diverses ; et le savant nous dira qu'il y a dans notre
corps des microbes amis et
ennemis : les uns nous font du tort, et les autres se jettent, pour les dévorer, sur les intrus malintentionnés et sur les déchets qui ne servent plus à rien. Nous recevons donc continuellement du dehors des micro-organismes, dont les uns nous apportent la maladie et la ruine, les autres la santé. Ainsi se renouvellent sans cesse les matériaux constituant notre vêtement corporel. Ils rentrent dans notre organisme, y restent quelque temps, puis s'en vont faire partie d'autres
corps. Il y a donc en nous un perpétuel changement, un « va-et-vient » incessant.
Or, l'immense majorité des hommes connaît peu ces faits et s'en inquiète encore moins. C'est pourtant sur eux qu'est fondée la possibilité de purifier le
corps grossier et d'en faire un véhicule plus digne de son hôte. L'homme ordinaire permet à son
corps de s'édifier n'importe comment à l'aide des matériaux qui lui sont fournis. Il ne s'inquiète aucunement de leur nature, pourvu qu'ils flattent son
goût et ses désirs, et n'a cure de savoir s'ils construisent à « l'Ego », au vrai Homme qui vit éternellement, une pure et noble demeure. Il n'exerce aucune surveillance sur ces particules qui viennent et s'en vont, il ne choisit rien, ne rejette rien, mais laisse tout s'arranger au petit bonheur : tel un maçon négligent qui ramasserait, pour construire sa maison, des détritus quelconques, rebuts de laine et de poils,
boue, copeaux, sable, vieux clous, déchets et ordures. En un mot, l'homme ordinaire édifie son
corps sans rime ni raison.
Il suit de là que la purification du
corps grossier consistera en un processus de sélection délibérée des particules qu'on laissera entrer dans sa constitution. L'homme y introduira, sous forme de nourriture, les
éléments constitutifs les plus purs qu'il puisse obtenir, repoussant tout ce qui est impur et grossier. Il sait que les particules admises en son
corps pendant le temps qu'il a négligemment vécu, s'élimineront d'elles-mêmes, graduellement et naturellement, dans un délai d'environ sept ans (cette élimination est même susceptible d'être fortement activée) ; et il prend la résolution de n'y plus introduire rien de malpropre. Au fur et à mesure qu'il accroît en lui les
éléments purs, il forme en son
corps une armée de défenseurs qui détruisent toute particule impure capable de le surprendre du dehors, ou d'y entrer sans son consentement. L'Homme peut même protéger encore plus sa demeure corporelle par une volonté active de la maintenir pure. Cette volonté agit magnétiquement et chasse continuellement du voisinage du
corps tous les êtres impurs qui voudraient l'envahir. Le
corps humain se trouve ainsi protégé contre les incursions auxquelles il est exposé, alors qu'il vit dans une atmosphère imprégnée de malpropretés de toute sorte.
En adoptant cette résolution de purifier son
corps et d'en faire un instrument convenable au service du Soi, l'Homme prend la première détermination préparatoire à la pratique du
Yoga. Cette détermination doit être prise quelque
jour, dans cette vie ou dans une autre, avant que l'on ait le droit de poser sérieusement cette question : « Quel est le moyen d'apprendre à vérifier par soi-même les enseignements de la
théosophie ? » Toute vérification personnelle des faits hyperphysiques dépend du complet assujettissement du
corps physique à l'Homme, son maître. Cette vérification, il doit la faire, et il en est incapable tant qu'il est enchaîné dans la prison de son
corps ou tant que ce
corps est impur. En admettant même qu'il ait apporté,
de quelque autre existence mieux disciplinée, des pouvoirs psychiques partiellement développés et que ces pouvoirs réussissent à se manifester en dépit des circonstances défavorables auxquelles l'Homme est actuellement soumis, il n'en reste pas moins certain qu'il sera gêné dans leur usage tant qu'il sera dans son
corps physique, si ce
corps est impur. Le
corps obscurcira ou déformera les impressions perçues à travers lui, et tous les renseignements obtenus seront sujets à caution.
Supposons maintenant que l'Homme se décide, après mûre délibération, à se bâtir un
corps pur. Ou bien il profitera de ce que son
corps se renouvelle complètement dans un délai d'environ sept ans, ou bien il préférera la voie plus courte, mais plus difficile, du changement rapide. Dans l'un et l'autre cas il commencera immédiatement à choisir les matériaux qui devront lui constituer un nouveau
corps pur, et la question du régime se présentera à lui. Dès le début, il exclura de son alimentation toute nourriture capable d'introduire dans son
corps des particules impures et susceptibles
de le souiller. Il supprimera l'
alcool et toutes les liqueurs qui en contiennent, car ces boissons introduisent dans son
corps physique des microbes impurs, produits de la
fermentation. Ces microbes ne sont pas seulement répugnants en eux-mêmes, mais ils attirent à eux, par une indéniable affinité, quelques-uns des habitants les plus dangereux du plan immédiatement supérieur. L'Homme subit donc forcément ce contact impur, qui, pour être invisible physiquement, n'en est pas moins réel. Des ivrognes privés, par la mort, de leur
corps physique et incapables d'assouvir par eux-mêmes leur exécrable désir des substances enivrantes sont là, dans l'atmosphère astrale, errant autour des lieux où l'on boit et des gens qui boivent. Ils cherchent à s'insinuer dans le
corps même des buveurs, pour prendre leur part de la vile jouissance à laquelle ceux-ci s'abandonnent. Des femmes sensibles et délicates se détourneraient avec horreur de leur verre, s'il leur était une fois donné de
voir les créatures répugnantes qui cherchent à partager leur plaisir et le lien intime qu'elles établissent avec les êtres les plus dégoûtants du monde invisible. Des
éléments mauvais s'assemblent également alentour, pensées d'ivrognes revêtues de substance élémentale. En même temps, le
corps physique attire à lui, de l'atmosphère ambiante, des particules grossières provenant du
corps d'ivrognes et de viveurs ; ces particules entrent dans la
composition du
corps, qu'elles souillent et avilissent. Si nous considérons les gens qui sont constamment en contact avec l'
alcool, ceux qui fabriquent ou débitent les vins, bières, spiritueux, et toutes les liqueurs malpropres, nous verrons, physiquement, combien leur
corps est devenu grossier et dégradé. Il suffit, comme exemple, d'un brasseur ou d'un cabaretier (sans parler des gens de toute classe qui boivent avec excès), pour montrer ce que font, partiellement et graduellement, tous ceux qui introduisent en eux de tels
éléments. Plus ils en absorbent, plus leur
corps devient vulgaire et grossier.
Il en est de même de toutes les autres substances alimentaires impropres à la consommation de l'Homme : la chair des mammifères, des reptiles, des poissons, celle aussi des crustacés et des mollusques qui vivent de cadavres, ainsi que toute nourriture souillée de sang, indigne des lèvres d'un Aryen. Comment un
corps formé de tels matériaux peut-il être pur, sensitif, délicatement équilibré et, en même temps, parfaitement sain, ayant la
force et la finesse de l'
acier trempé ? Comment peut-il être, en un mot, l'instrument indispensable à tout travail supérieur ? Ceux qui construisent leur
corps à
l'aide de substances si corrompues, attirent, eux aussi, des
éléments d'un genre très dangereux. Un sensitif peut les voir, errant autour des boucheries et aspirant les effluves qui montent des carcasses sanglantes et des flaques de sang à moitié dissimulées sous la sciure. Est-il besoin d'y
joindre encore la leçon pratique que nous fournit le seul aspect physique de ceux qui vivent dans un tel milieu ? Voyez l'équarrisseur et le boucher, et demandez-vous si leur
corps semble être l'instrument le mieux indiqué pour un travail de haute pensée ou la méditation des sublimes vérités spirituelles. Et, cependant, le
corps du boucher n'est que le produit achevé des même
forces qui opèrent, en proportion, chez les clients qu'il fournit de ses viandes impures. Nous le répétons encore une fois, aucune attention prêtée par l'Homme au
corps physique seul ne pourra lui donner d'elle-même la spiritualité ; mais est-ce une raison pour s'encombrer d'un
corps impur ? Est-ce une raison pour permettre que les pouvoirs de l'Homme, grands ou petits, soient limités, entravés, étouffés dans leur manifestation par l'imperfection forcée d'un tel instrument ?
Nous trouvons pourtant sur notre chemin une difficulté qu'il ne faut pas passer sous silence. Nous pouvons prendre grand soin de notre
corps et nous abstenir résolument de le rendre impur ; mais nous vivons au milieu de gens insouciants et qui, pour la plupart, sont dans la plus complète
ignorance de ces faits de la Nature. Dans une ville comme Londres, voire même dans toute ville occidentale, il est impossible de parcourir les rues sans être offusqué presque à chaque pas. Or, plus nous purifions notre
corps, plus s'accroît la délicatesse de nos sens physiques, et plus, par conséquent, nous avons à souffrir au sein d'une civilisation aussi grossière et aussi bestiale que la nôtre. Lorsque nous traversons les rues pauvres et commerçantes, qui ont des cabarets à tous les coins, impossible d'échapper à l'odeur de boisson. L'effluve de chaque guinguette déborde sur celle de la suivante, et, parfois même, des rues soi-disant convenables sont ainsi infectées. En outre, nous sommes contraints de passer devant les abattoirs et les boucheries, et de voyager dans les trains et les omnibus en compagnie de
corps puant la viande et l'
alcool. L'on sait évidemment que de meilleures
dispositions seront prises lorsque la civilisation sera un peu plus avancée, et qu'il y aura quelque chose de gagné lorsque toutes ces malpropretés seront centralisées dans des quartiers spéciaux, où ceux qui y tiennent pourront les aller chercher. Mais, en attendant, les particules impures nous arrivent de tous ces mauvais lieux, et nous les respirons avec l'
air de nos villes. Heureusement, comme le
corps sain où les microbes ne peuvent germer, le
corps pur, lui aussi, offre un terrain impropre au développement de ces particules malsaines. De plus, ainsi que nous l'avons vu, il y a en nous des armées d'êtres vivants qui sont toujours à l'uvre, travaillant à maintenir la pureté de notre sang. Ces véritables gardes du
corps se jettent sur toute particule empoisonnée pour la mettre en pièces et l'exterminer, dès qu'elle s'introduit dans la cité d'un
corps pur. A nous de choisir entre posséder en notre sang ces défenseurs de la vie, ou le peupler de
pirates qui ravagent et tuent tout ce qui est bon. Plus fermement nous nous refuserons à admettre dans notre
corps tout élément malpropre, mieux nous serons protégés contre les attaques du dehors.
Nous avons déjà fait allusion à l'automatisme du
corps et à son assujettissement à la loi de l'habitude. J'ai dit, en outre, que cette caractéristique pouvait être mise à profit. Eh bien, si un théosophe, s'adressant à quelque aspirant désireux de pratiquer le
Yoga et de trouver le chemin qui mène aux plans supérieurs de l'existence, lui tenait le langage suivant : « Il faut commencer de suite à purifier votre
corps, et cela avant toute pratique du
Yoga digne de ce nom. Car, pour un
corps impur et indiscipliné, le véritable
Yoga est aussi dangereux qu'une allumette enflammée pour un baril de poudre » ; si, dis-je, notre théosophe tenait à l'aspirant ce langage, ce dernier lui répondrait probablement en exprimant la crainte de voir souffrir sa santé d'une telle détermination. Or, il est de fait que le
corps, au bout du compte, ne s'inquiète guère des aliments que vous lui donnez, pourvu qu'ils suffisent à le maintenir en bonne santé. Il aura vite fait de s'accommoder de tout régime pur et nourrissant que vous jugerez bon d'adopter. Par le fait que le
corps est une créature automatique, il cessera bientôt d'exiger ce qui lui est constamment refusé, et si vous ne tenez aucun compte de ses penchants pour les aliments plus vils et plus grossiers, il concevra spontanément pour eux une aversion habituelle. De même qu'un palais modérément naturel se détourne avec dégoût et écurement du gibier et de la venaison en état de
décomposition, et qu'on a coutume de baptiser du titre de « faisandé », de même un
goût pur se révoltera contre tout aliment impur. Supposez qu'un homme ait contracté l'habitude de nourrir son
corps de diverses sortes de choses malpropres, son
corps les exigera impérieusement, et il sera tenté de céder à ses exigences ; mais, s'il n'y prête aucune attention, s'il agit à sa guise, et non suivant les désirs de son
corps, il s'apercevra, à sa grande surprise peut-être, que le
corps reconnaît bientôt son maître et se conforme à ses ordres. Au bout d'un certain temps, même, il commence à préférer ce que son maître lui donne et conçoit un
goût prononcé pour les aliments propres et un dégoût des aliments malpropres. L'habitude peut donc, selon les cas, être pour nous un secours, ou un empêchement. Votre
corps cède dès qu'il sent que vous êtes le maître et que vous n'avez pas l'intention de vous laisser détourner du but de votre vie par un simple instrument fait pour vous servir.
Remarquons, d'ailleurs, que la responsabilité de tous ces désordres incombe encore plus à
Kâma, ou au désir, qu'au
corps lui-même. Le
corps adulte exige certaines choses parce qu'on lui en a donné l'habitude. Mais observez un
enfant ; vous verrez que son
corps ne demande pas spontanément les aliments dont le
corps adulte se gave avec un si grossier plaisir. Le
corps de l'
enfant, sauf le cas d'une hérédité physique déplorable, éprouve même une aversion marquée pour la viande et le vin. Mais les parents l'obligent à manger de la viande, le père et la mère lui font avaler un peu de vin, au dessert, et l'engagent à « faire le petit homme », jusqu'à ce qu'enfin l'
enfant, tant par sa propre faculté imitative que sous la contrainte de son entourage, finisse par prendre des habitudes vicieuses. Alors, évidemment des
goûts impurs sont formés, peut-être aussi de vieux désirs Kâmiques sont-ils réveillés, qui sans cela fussent morts faute d'aliment ; et graduellement le
corps prend l'habitude d'exiger les choses dont on l'a nourri. Eh bien, malgré tous ces mauvais antécédents, accomplissez le changement, et, au fur et à mesure que vous éliminerez les particules qui ont faim de ces impuretés, vous verrez votre
corps changer ses habitudes et se révolter contre la simple odeur des choses qui faisaient autrefois sa joie. La vraie difficulté, dans la voie de la réforme, gît en Kâma, et non dans le
corps. En réalité, vous ne voulez pas faire ce changement, car, si vous le vouliez, vous le feriez. Vous vous dites : « Peut-être, après tout, cela n'a-t-il pas tant d'importance. Je n'ai pas de facultés psychiques, je ne suis pas assez avancé pour que le régime y fasse grand-chose ». Eh bien, jamais vous ne progresserez si vous ne cherchez pas à atteindre tout ce qu'il y a de plus haut à votre portée, et si vous permettez à votre nature passionnelle de se mettre en travers de votre progrès. Vous dites bien : « Comme j'aimerais à posséder la vision astrale et à voyager en
corps astral ! » Mais, quand il s'agit de mesures sérieuses, vous préférez un « bon » dîner. Ah ! Si, pour renoncer à la nourriture impure, on offrait à tout venant vingt-cinq millions au bout d'un an, les plus sceptiques trouveraient le moyen, en dépit des obstacles, de se maintenir en vie sans viande ni vin. Mais, lorsqu'on n'a en perspective que les inestimables trésors d'une vie plus haute, les difficultés sont insurmontables. Si les hommes voulaient vraiment ce qu'ils prétendent vouloir, nous verrions autour de nous des changements autrement rapides. Mais ils « font semblant », et ce, avec tant d'art, qu'ils s'induisent eux-mêmes à croire qu'ils sont sincères. Et pendant des milliers d'années, ils reviennent sur terre et recommencent une vie après l'autre, toujours sans nul progrès. Puis, un beau matin, dans quelque vie particulière, ils se demandent pourquoi ils ne progressent pas et s'étonnent de voir quelque autre homme avancer à pas de
géant dans le court espace de cette seule vie, tandis qu'eux piétinent sur place. L'homme qui veut « pour de bon », avec une persistance soutenue, et non par intermittences, peut faire tel progrès qu'il lui plaît, tandis que celui qui « fait semblant » continuera à faire tourner la meule pendant bien des vies à venir.
Quoi qu'il en soit, c'est ici, dans cette purification du
corps, que gît le secret de la préparation à toute pratique du
Yoga. Ou, si ce n'est pas là toute la préparation, du moins en est-ce une partie essentielle. Et maintenant, nous en avons assez dit sur le
corps grossier, véhicule le plus rudimentaire de la conscience humaine
(2).
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(2) Beaucoup de lecteurs français,
ignorant l'existence même du végétarisme, pourront s'étonner de voir recommander l'abstention totale de viande et d'
alcool. Dans les pays de langue anglaise où le végétarisme est universellement connu et
pratiqué, depuis bien des années, par des milliers d'adhérents, la chose parait beaucoup moins étonnante.
D'autre part quelques personnes désireuses de faire l'essai de ce régime en sont empêchées par le manque d'ouvrages compétents. Nous croyons rendre service à ces personnes en leur signalant l'ouvrage intitulé :
La table du Végétarien. (Société Végétarienne de France, 13 rue Froissart,
Paris.) (N.D.T.)