PREMIÈRE PARTIE
Introduction
Les visiteurs Les honneurs maçonniques Réception du profane
Signes extérieurs de la franc-maçonnerie. Esprit de prosélytisme des maçons. Proposition d'un profane. Le cabinet des réflexions. Description de la loge. Places, insignes et fonctions des officiers. Ouverture des travaux d'apprenti. Les visiteurs. Les honneurs maçonniques. Réception du profane. Discours de l'orateur : dogmes, morale, règles générales de la franc-maçonnerie, rites, organisation des Grandes-Loges et des Grands-Orients, etc. Clôture des travaux d'apprenti. Banquets. Loges d'adoption. Mme de Xaintrailles reçue franc-maçon. Pose de la première pierre et inauguration d'un nouveau temple. Installation d'une loge et de ses officiers. Adoption d'un louveteau. Cérémonie
funèbre. Réception de compagnon. Réception de maître. Interprétation des symboles maçonniques. Les hauts grades. Carré mystique. Appendice : statistique universelle de la franc-maçonnerie. Calendrier. Alphabet. Abréviations. Protocoles. Explication des gravures.
Quand des
frères étrangers à la loge se présentent pour
visiter les travaux, ils sont introduits après cette adoption du procès-verbal, qui n'a jamais lieu qu'
en famille. Jusque-là, ils se tiennent dans une pièce voisine, où le
frère servant leur fait inscrire, sur un livre appelé
registre de présence, leurs noms, leurs grades, et les titres des loges auxquelles ils appartiennent. On n'admet aucun
visiteur qui ne soit au moins pourvu du grade de maître, et qui ne soit porteur de son
diplôme.
Sur l'avis donné par le couvreur qu'il se trouve des visiteurs dans les pas perdus, le
vénérable envoie auprès de ces
frères le maître des cérémonies pour leur tenir compagnie, et l'
expert pour les
tuiler, c'est-à-dire pour s'assurer qu'ils sont réellement francs-maçons. Cette formalité accomplie, l'
expert se fait remettre les diplômes, et va les
déposer avec le registre de présence, sur le bureau de l'orateur de la loge. Cet officier compare les signatures apposées,
ne varietur, sur les diplômes, avec celles que les
frères ont tracées sur la feuille de présence ; et, lorsqu'il en a reconnu l'identité, il fait part du résultat de son examen au
vénérable, qui ordonne alors d'introduire les visiteurs.
Les
honneurs qu'on leur rend varient suivant le grade ou les fonctions dont ils sont revêtus.
Si ce sont de simples maîtres, on leur donne l'entrée
dans les formes consacrées, et le
vénérable leur fait une courte allocution, à laquelle un d'eux répond ; puis, après avoir applaudi maçonniquement à leur présence, on les fait asseoir sur l'une des deux colonnes.
Dans quelques loges qui se piquent de se conformer aux traditions
anciennes, le
vénérable adresse au visiteur les questions qui suivent, avant de l'autoriser à prendre place.
Frère visiteur, d'où venez-vous?
De la loge de
Saint-Jean,
vénérable.
Qu'en apportez-vous ?
Joie, santé et prospérité à tous les
frères.
N'en apportez-vous rien de plus ?
Le maître de ma loge vous salue par trois fois trois.
Que fait-on à la loge de
Saint-Jean ?
On y élève des temples à la vertu,
et l'on y creuse des cachots pour le vice.
Que venez-vous faire ici ?
Vaincre mes passions, soumettre ma volonté, et faire
de nouveaux progrès dans la maçonnerie.
Que demandez-vous, mon
frère ?
Une place parmi vous.
Elle vous est acquise.
Quand le visiteur est décoré des hauts grades, les membres de la loge se réunissent sur son passage, et, joignant leurs
épées au-dessus de sa tête, forment ce qu'on appelle la
voûte d'acier. Pendant ce temps, le
vénérable et les surveillants frappent alternativement des coups de
maillets sur leurs autels, et ne s'arrêtent que lorsque le visiteur est parvenu à l'orient. Alors les
frères retournent à leurs places ; le
vénérable exprime au visiteur les félicitations de la loge ; le visiteur y répond ; on applaudit, et chacun se rassied.
Lorsque le visiteur appartient à l'autorité maçonnique, on lui envoie, dans les pas perdus, une députation de sept
frères, porteurs de
glaives et d'
étoiles. Le maître des cérémonies, qui marche en tête, le prend par la main et le conduit à la porte de la loge. Là, il trouve le
vénérable, qui lui présente sur un coussin les trois
maillets de l'
atelier, et prononce un discours approprié à la circonstance. Le visiteur prend les
maillets, et s'avance vers l'orient, sous la voûte d'
acier, escorté du
vénérable,
des surveillants, du maître des cérémonies et des sept membres
de la députation. Arrivé au trône, il rend les
maillets au
vénérable et aux surveillants, en adressant à chacun d'eux
quelques paroles obligeantes. Ensuite la loge applaudit, et les travaux reprennent leur cours.
Les plus grands honneurs sont réservés au grand-maître. Quand il se présente
en visiteur dans un loge, on lui envoie d'abord, dans la salle d'attente, deux maîtres des cérémonies, accompagnés de neuf
frères avec des étoiles ; puis, le
vénérable, précédé du porte-étendard et du porte-épée, entouré des deux surveillants et de douze
frères avec des étoiles, se rend près de lui, le harangue, lui offre sur un coussin les trois
maillets, les
clés du trésor et celles de la loge, et le conduit ensuite à l'orient, à travers une double haie de
frères qui forment la voûte d'
acier sur le passage du cortège. Là, s'accomplit le même cérémonial que dans le cas précédent. Lorsque le grand-maître veut se retirer, le cortège qui l'a introduit se forme de nouveau et le reconduit jusque dans le parvis du temple. Le
vénérable et les surveillants restent en place, et battent de leurs
maillets sur l'
autel, jusqu'à ce qu'il soit parti.
On rend aussi des honneurs aux
vénérables de loges qui se présentent comme visiteurs. Ce sont les mêmes que ceux qu'on attribue aux
frères des hauts grades, et que nous avons décrits ci-dessus.
Généralement, quand les honneurs ont été
rendus au commencement d'une séance, les
frères qui surviennent sont introduits sans cérémonie, et conduits à la place que leur grade leur donne le droit d'occuper dans la loge.
On est très prodigue en France des honneurs maçonniques. Dans les loges anglaises et américaines, on procède plus simplement. Après avoir été convenablement tuilé par l'
outer guard, qui le décore d'un tablier aux
couleurs de la loge, et ne lui permet pas de porter d'autres insignes, le visiteur est introduit avec les formalités d'usage. Il s'arrête un moment entre les deux colonnes, fait le salut maçonnique au
worshipful master et aux deux
wardens, et va s'asseoir ensuite à la place qu'il lui plaît de choisir. Ce n'est que dans les grandes occasions que ces loges reçoivent les visiteurs avec quelque apparat.
Le moment étant venu de recevoir le
profane, le
frère
terrible se rend auprès de lui, dans le cabinet des réflexions, prend à la pointe de son
épée son testament et ses réponses, et les apporte au
vénérable, qui en donne connaissance à la loge. S'il ne s'y trouve aucune proposition contraire aux principes de la
franc-maçonnerie, le
frère terrible retourne près du candidat, lui bande les yeux, et lui ôte tous les objets de métal qu'il peut avoir sur lui ; ensuite il lui découvre le sein et le bras gauche, le genou droit, lui fait chausser du pied gauche une pantoufle, lui entoure le cou d'une corde dont il tient l'extrémité ; puis, dans cet état, il l'
amène à la porte du temple, où il le fait heurter trois fois avec violence.
Vénérable, dit le premier surveillant, on
frappe à la porte en
profane !
Voyez, dit le
vénérable, quel est le téméraire qui ose ainsi troubler nos travaux !
En cet instant, le couvreur, qui a entr'ouvert la porte, pose la pointe de son
épée sur la poitrine nue du récipiendaire, et dit d'une voix forte :
Quel est l'audacieux qui tente de forcer l'entrée du temple ?
Calmez-vous, répond le
frère terrible ; personne n'a l'intention de pénétrer malgré vous dans cette enceinte
sacrée. L'homme qui vient de
frapper est un
profane désireux de voir la lumière, et qui vient la solliciter humblement de notre respectable loge.
Demandez-lui, dit le
vénérable, comment il
a osé concevoir l'espérance d'obtenir une si grande faveur.
C'est, répond le
frère terrible, parce qu'il
est né libre, et qu'il est de bonnes murs.
Puisqu'il en est ainsi, dit le
vénérable,
faites-lui décliner son nom, le lieu de sa naissance, son âge, sa
religion, sa profession et sa demeure.
Le
profane satisfait à toutes ces demandes ; ensuite le
vénérable donne l'ordre de l'introduire. Le
frère terrible le conduit entre les deux colonnes, c'est-à-dire au centre de la loge, et lui appuie la pointe de son
épée sur le sein gauche.
Que sentez-vous ? que voyez-vous ? dit le
vénérable.
Je ne vois rien, répond le
profane ; mais je sens la pointe d'une arme.
Apprenez, dit le
vénérable, que l'arme dont
vous sentez la pointe est l'image du remords qui déchirerait votre cur, si jamais vous étiez assez malheureux pour trahir la société dans laquelle vous sollicitez votre admission, et que l'état d'aveuglement dans lequel vous vous trouvez figure les ténèbres où est plongé tout homme qui n'a pas reçu l'
initiation maçonnique. Répondez, monsieur. Est-ce librement, sans contrainte, sans suggestion, que vous vous présentez ici ?
Oui, monsieur.
Réfléchissez bien à la démarche
que vous faites. Vous allez subir des épreuves terribles. Vous sentez-vous le courage de braver tous les dangers auxquels vous pourrez être exposé ?
Oui, monsieur.
Alors je ne réponds plus de vous !...
Frère
terrible, reprend le
vénérable, entraînez ce
profane hors du temple, et conduisez-le partout où doit passer le mortel qui aspire à connaître nos secrets.
On entraîne le récipiendaire dans le parvis.
Là, pour le dérouter, on lui fait faire quelques tours sur lui-même
; ensuite on le ramène à l'entrée du temple. Le couvreur a ouvert les deux battants de la porte ; on a placé, un peu en avant, un grand cadre dont le vide est rempli par plusieurs couches de fort papier, et que soutiennent des
frères de chaque côté.
Que faut-il faire du
profane ? demande le
frère
terrible.
Introduisez-le dans la caverne, répond le
vénérable.
Alors deux
frères lancent violemment le récipiendaire
sur le cadre, dont le papier se rompt et lui livre passage. Deux autres
frères
le reçoivent, du côté opposé, sur leurs bras entrelacés. On ferme avec
force les deux battants de la porte. Un anneau de fer, ramené plusieurs fois sur une barre crénelée, de même métal, simule le bruit d'une serrure qu'on fermerait à plusieurs tours. Pendant quelques instants, on observe le plus profond silence. Enfin, le
vénérable frappe un grand coup de
maillet, et dit :
Conduisez le récipiendaire près du second
surveillant, et faites-le mettre à genou.
Profane, ajoute-t-il, quand cet
ordre est exécuté, prenez part à la prière que nous
allons adresser en votre faveur à l'auteur de toutes choses. Mes
frères,
continue le
vénérable, humilions-nous devant le Souverain Architecte
des mondes ; reconnaissons sa puissance et notre faiblesse. Contenons nos
esprits
et nos curs dans les limites de l'équité, et efforçons-nous,
par nos uvres, de nous élever jusqu'à lui. Il est un ; il
existe par lui-même, et c'est de lui que tous les êtres tiennent l'existence.
Il se révèle en tout et par tout ; il voit et
juge toutes choses.
Daigne, ô Grand Architecte de l'univers, protéger les ouvriers de
paix qui sont réunis dans ton temple ;
anime leur zèle, fortifie leur
âme dans la lutte des passions ; enflamme leur cur de l'
amour des vertus, et donne-leur l'éloquence et la persévérance nécessaires pour faire chérir ton nom, observer tes lois et en étendre l'empire. Prête à ce
profane ton assistance, et soutiens-le de ton bras tutélaire au milieu des épreuves qu'il va subir.
Amen !
Tous les
frères répètent :
Amen !
Profane, reprend le
vénérable, en qui mettez-vous votre confiance ?
En
Dieu, répond le récipiendaire.
Puisque vous mettez votre confiance en
Dieu, suivez votre
guide d'un pas assuré, et ne craignez aucun danger.
Le
frère terrible relève le récipiendaire
et le conduit entre les deux colonnes. Le
vénérable poursuit :
Monsieur, avant que cette assemblée vous admette
aux épreuves, il est bon que vous lui donniez la certitude que vous êtes
digne d'aspirer à la révélation des mystères dont
elle conserve le précieux dépôt. Veuillez répondre
aux questions que je vais vous adresser en son nom.
On fait asseoir le récipiendaire. Il est d'usage que le siège qu'on lui présente soit hérissé d'aspérités et porte sur des pieds d'inégale
hauteur. On veut voir jusqu'à quel point la gêne physique qu'il en éprouve influe sur la lucidité de ses idées.
Le
vénérable lui adresse diverses questions sur des points de métaphysique. De ses réponses, il doit résulter qu'il croit en
Dieu, et qu'il est persuadé que tous les hommes se doivent réciproquement affection et dévouement, quelles que soient d'ailleurs
leurs opinions
religieuses et politiques, leur patrie et leur condition. Le
vénérable commente toutes les réponses du récipiendaire, les développe, et lui fait, en quelque sorte, un cours de philosophie et de morale. Puis il ajoute :
Vous avez convenablement répondu, monsieur. Cependant
ce que je vous ai dit vous a-t-il pleinement satisfait, et persistez-vous dans le dessein de vous faire recevoir franc-maçon ?
Sur la réponse affirmative du récipiendaire, le
vénérable reprend :
Alors, je vais vous faire connaître à quelles
conditions vous serez admis parmi nous, si toutefois vous sortez victorieux des
épreuves qu'il vous reste à subir. Le premier devoir dont vous contracterez
l'obligation sera de garder un silence absolu sur les secrets de la
franc-maçonnerie. Le second de vos devoirs sera de combattre les passions qui dégradent l'homme et le rendent malheureux, et de pratiquer les vertus les plus douces et les plus bienfaisantes. Secourir son
frère dans le péril ; prévenir ses besoins, ou l'assister dans la détresse ; l'éclairer de ses conseils quand il est sur le point de faillir ; l'encourager à faire le
bien quand l'occasion s'en présente : telle est la conduite que doit se tracer un franc-maçon. Le troisième de vos devoirs sera de vous conformer aux statuts généraux de la
franc-maçonnerie, aux lois particulières de la loge, et d'exécuter tout ce qui vous sera prescrit au nom de la majorité de cette respectable assemblée. Maintenant que vous connaissez les principaux devoirs d'un maçon, vous sentez-vous la
force et êtes-vous résolu de les mettre en pratique ?
Oui, monsieur.
Avant d'aller plus loin, nous exigeons votre serment d'honneur ; mais ce serment doit être fait sur une coupe sacrée. Si vous êtes sincère, vous pourrez boire avec confiance ; mais si la fausseté
est au fond de votre cur, ne jurez pas : éloignez plutôt cette coupe, et craignez l'effet prompt et terrible du breuvage qu'elle contient ! Consentez-vous à jurer ?
Oui, monsieur.
Faites approcher cet aspirant de l'
autel, dit le
vénérable.
Le
frère terrible conduit le récipiendaire au bas des degrés de l'
autel.
Frère sacrificateur, poursuit le
vénérable, présentez à cet aspirant la coupe sacrée, si fatale aux parjures !
Le
frère terrible met dans les mains du
profane une coupe à deux compartiments, tournant sur un pivot. D'un côté, il y a de l'
eau ; de l'autre, une liqueur amère. Le
vénérable reprend :
Profane, répétez avec moi votre obligation : « Je m'engage à l'observation stricte et rigoureuse des devoirs prescrits aux francs-maçons ; et si jamais je viole mon serment... (Ici, le
frère terrible fait boire au récipiendaire une partie de l'
eau contenue dans la coupe. Puis, en lui pesant sur la main, pour l'empêcher de boire davantage, il fait pivoter le vase de manière que le compartiment qui contient le bitter vienne prendre la place de celui qui renferme l'
eau, et se trouve à son tour du côté du
profane), je consens que la douceur de ce breuvage se change en amertume, et que son effet salutaire devienne pour moi celui d'un poison subtil. (Le
frère terrible fait boire le bitter au récipiendaire.)
Le
vénérable frappe un grand coup de
maillet.
Que vois-je, monsieur ? dit-il d'une voix forte. Que signifie
l'altération qui vient de se manifester dans vos traits ? Votre conscience
démentirait-elle les assurances de votre bouche, et la douceur de ce breuvage
se serait-elle déjà changée en amertume ! Eloignez le
profane.
On conduit le récipiendaire entre les deux colonnes.
Si vous avez dessein de nous tromper, monsieur, reprend le
vénérable, n'espérez pas y parvenir : la suite de vos épreuves le manifesterait clairement à nos yeux. Mieux vaudrait pour vous, croyez-moi, vous retirer à l'instant même, pendant que vous en avez encore la faculté ; car un instant de plus, et il sera trop tard. La certitude que
nous acquerrions de votre perfidie vous deviendrait fatale : il vous faudrait renoncer à revoir jamais la lumière du
jour. Méditez donc sérieusement sur ce que vous avez à faire.
Frère terrible, ajoute le
vénérable après avoir frappé un grand coup de
maillet, emparez-vous de ce
profane, et faites-le asseoir sur la sellette des réflexions. (Le
frère terrible exécute cet ordre avec rudesse.) Qu'il soit livré à sa conscience, et qu'à l'obscurité qui couvre ses yeux se joigne l'horreur d'une solitude absolue !
Tous les assistants observent, pendant quelques minutes, le silence le plus complet.
Eh bien ! monsieur, reprend le
vénérable, avez-vous bien réfléchi à la détermination qu'il vous convient de prendre ? Vous retirerez-vous, ou persisterez-vous, au contraire, à braver les épreuves ?
J'y persiste, répond le récipiendaire.
Frère terrible, dit le
vénérable, faites faire à ce
profane son premier voyage, et appliquez-vous à le garantir de tout accident.
Le
frère terrible exécute cet ordre. Dirigé
par lui, le récipiendaire fait trois fois le tour de la loge. Il marche sur des planchers mobiles posés sur des roulettes et hérissés d'aspérités, qui se dérobent sous ses pas. Il gravit d'autres
planchers inclinés, à bascule, qui, tout à coup, fléchissent
sous lui, et semblent l'entraîner dans un abîme. Il monte les innombrables
degrés d'une
échelle sans fin ; et lorsqu'il croit être
parvenu à une élévation considérable, et qu'il lui est enjoint de s'en précipiter, il tombe à trois pieds au-dessous de lui. Pendant ce temps, des cylindres de tôle remplis de sable, et tournant sur un axe, à l'aide d'une manivelle, imitent le bruit de la grêle ; d'autres cylindres, froissant, dans leur rotation, une étoffe de soie fortement tendue, imitent les sifflements du vent ; des feuilles de tôle suspendues à la voûte par une extrémité, et violemment agitées, simulent le roulement du tonnerre et les éclats de la foudre. Enfin, des cris de douleur, des vagissements d'
enfants, se mêlent à cet épouvantable fracas. Le
voyage terminé, le
frère terrible conduit le récipiendaire près du second surveillant, sur l'épaule duquel il lui fait
frapper trois coups avec la paume de la main. A ce moment, le second surveillant se lève, pose son
maillet sur le cur du récipiendaire, et dit brusquement :
Qui va là ?
C'est, répond le
frère terrible, un
profane
qui demande à être reçu maçon.
Comment a-t-il osé l'espérer ?
Parce qu'il est né libre et qu'il est de bonnes
murs.
Puisqu'il en est ainsi, qu'il passe.
Profane, dit alors le
vénérable, eˆtes-vous disposé à faire un second voyage ?
Oui, monsieur, répond le récipiendaire.
Le second voyage a lieu. Dans celui-ci, le récipiendaire
ne rencontre pas les obstacles qui ont entravé sa marche dans le précédent. Le seul bruit qu'il entende est un cliquetis d'
épées. Lorsqu'il a fait ainsi trois tours dans la loge, il est conduit par le
frère terrible au premier surveillant. Là se répètent le cérémonial, les questions et les réponses qui ont suivi le premier voyage. Alors le
frère terrible saisit la main droite du récipiendaire et la plonge à trois reprises dans un vase contenant de l'
eau.
Le troisième voyage a lieu ensuite, au milieu d'un profond silence. Après le troisième tour, le
frère terrible conduit le récipiendaire à l'orient, à la droite du
vénérable.
Là se répètent encore le cérémonial, les questions et les réponses qui ont terminé les deux premiers voyages.
Qui va là ? demande le
vénérable,
quand le récipiendaire lui a frappé sur l'épaule.
C'est, répond le
frère terrible, un
profane
qui sollicite la faveur d'être reçu maçon.
Comment a-t-il osé l'espérer ?
Parce qu'il est né libre et qu'il est de bonnes
murs.
Puisqu'il en est ainsi, qu'il passe par les
flammes purificatoires, afin qu'il ne lui reste plus rien de
profane.
Au moment où le récipiendaire descend les marches
de l'orient pour se rendre entre les deux colonnes, le
frère terrible l'enveloppe
de
flammes à trois reprises. L'instrument dont il se sert à cet
effet s'appelle la lampe à
lycopode. C'est un long tube de métal,
se terminant, à une extrémité, par une embouchure, et, à
l'extrémité opposée, par une lampe à
esprit de vin
entourée d'un
crible en forme de
couronne dont les trous livrent passage
à une poudre très inflammable, appelée
lycopode, renfermée
dans l'intérieur, et que le souffle de celui qui embouche l'instrument
pousse sur la
flamme de la lampe.
Profane, dit le
vénérable, vos voyages sont
heureusement terminés ; vous avez été purifié par la terre, par l'
air, par l'
eau et par le
feu. Je ne saurais trop louer votre courage ; qu'il ne vous abandonne pas, cependant, car il vous reste encore des épreuves à subir. La société dans laquelle vous désirez être admis pourra peut-étre exiger que vous versiez pour elle jusqu'à la dernière goutte de votre sang.
Y consentiriez-vous ?
Oui, monsieur.
Nous avons besoin de nous convaincre que ce n'est pas là une vaine assurance. Etes-vous résigné à ce qu'on vous ouvre la veine à l'instant même ?
Oui, monsieur.
Quelques récipiendaires objectent qu'il y a peu de temps qu'ils ont dîné, et qu'une saignée pourrait avoir pour eux des suites dangereuses. Dans ce cas, le
vénérable engage le chirurgien de la loge à leur tâter le pouls ; ce qui a lieu. Le chirurgien affirme toujours que la saignée peut être pratiquée sans inconvénient.
Frère chirurgien, dit le
vénérable,
faites donc votre devoir.
Le
frère chirurgien bande le bras du récipiendaire.
et lui pique la saignée avec la pointe d'un cure-dents. Un autre
frère,
qui tient un vase dont le goulot est fort étroit et qu'on a eu soin de remplir d'
eau tiède, l'incline, fait tomber un filet d'
eau très mince sur le bras du récipiendaire, et, de là, dans un bassin, où il épanche le reste de l'
eau avec bruit, de manière à faire croire au patient que c'est son sang qui
coule. L'opération s'achève suivant la forme usitée, et, quand elle est terminée, on fait tenir au récipiendaire son bras en écharpe.
Le
vénérable lui dit ensuite que les maçons
portent tous sur la poitrine une empreinte mystérieuse qui sert à les faire reconnaître ; il lui demande s'il serait heureux de pouvoir, lui aussi, montrer cette empreinte, qui s'applique à l'aide d'un fer chaud. Sur sa réponse affirmative, le
vénérable donne ordre de lui imprimer le sceau maçonnique. Cette opération se fait de plusieurs manières. Les plus usitées consistent à appliquer sur le sein du récipiendaire, soit le côté chaud d'une bougie qu'on vient d'éteindre, soit un verre de petite
dimension qu'on a légèrement échauffé en y brillant du papier. Enfin, pour dernière épreuve, le
vénérable invite le récipiendaire à faire connaître à voix basse au
frère hospitalier, qui se transporte à cet effet près de lui, l'offrande qu'il a l'intention de faire pour le soulagement des maçons indigents.
Vous allez bientôt, monsieur, lui dit le
vénérable, recueillir le
fruit de votre fermeté dans les épreuves, et des sentiments si agréables au Grand Architecte de l'univers, ceux de la pitié et de la bienfaisance, que vous venez de manifester.
Frère maître des cérémonies, ajoute le
vénérable, remettez le candidat au
frère premier surveillant, afin qu'il lui apprenne à faire le
premier pas dans l'
angle d'un
carré long. Vous lui ferez faire les deux autres, et vous le conduirez ensuite à l'
autel des serments.
Les trois pas dans l'
angle d'un
carré long sont ce qu'on appelle la
marche d'apprenti. Lorsque le premier surveillant a enseigné cette marche au récipiendaire, il est conduit à l'
autel par le maître des cérémonies.
Les loges n'ont pas, en France, d'
autel particulier pour les prestations de serment ; celui du
vénérable est seul destiné à cette cérémonie. Dans les loges anglaises et américaines,
l'
autel des serments est placé au milieu du temple, un peu avant d'arriver aux marches de l'orient. Il est de forme triangulaire et orné de draperies et de franges ; on y pose la Bible ouverte ; et on met sur la Bible l'
équerre, le
compas et l'
épée flamboyante.
Le maître des cérémonies fait agenouiller le
profane au pied de l'
autel, et lui appuie sur le sein gauche les pointes du
compas. Le
vénérable frappe alors un coup, et dit :
Debout et à l'ordre, mes
frères ! Le
néophyte va prêter le serment redoutable.
Tous les
frères se lèvent, saisissent une
épée, et se tiennent, pendant la prestation du serment, dans la posture consacrée.
Le serment prononcé, le maître des cérémonies conduit le récipiendaire entre les deux colonnes ; tous les
frères l'entourent et dirigent vers lui leurs
glaives nus, de manière qu'il soit comme un centre d'où partiraient des rayons. Le maître des cérémonies se place derrière lui, dénoue le bandeau qui lui couvre les yeux, et attend que le
vénérable lui donne le signal de le faire tomber. En même temps, un
frère tient la lampe à
lycopode à
un mètre en avant du
néophyte.
Frère premier surveillant, dit le
vénérable, maintenant que le courage et la persévérance de cet aspirant l'ont fait sortir victorieux de ses longues épreuves, le jugez-vous digne d'être admis parmi nous ?
Oui,
vénérable, répond le premier
surveillant.
Que demandez-vous pour lui ?
La lumière.
Que la lumière soit, dit le
vénérable.
Puis il frappe trois coups. Au troisième, le maître des cérémonies arrache le bandeau du récipiendaire, et, au même instant, le
frère qui a embouché la lampe à
lycopode, souffle fortement, et produit une vive
clarté (5).
Ne craignez rien, mon
frère, dit le
vénérable au
néophyte, des
glaives qui sont tournés vers vous. Ils ne sont menaçants que pour les parjures. Si vous êtes fidèle à la
franc-maçonnerie, comme nous avons sujet de l'espérer, ces
glaives seront toujours prêts à vous défendre ; mais si, au contraire, vous veniez jamais à la trahir, aucun lieu de la terre ne vous offrirait un refuge contre ces armes vengeresses.
Tous les
frères baissent la pointe de leurs
épées, et le
vénérable ordonne au maître des cérémonies de conduire le nouveau
frère à l'
autel. Lorsqu'il y est parvenu, on le fait agenouiller; le
vénérable lui place la pointe de l'
épée flamboyante sur la tête, et lui dit :
Au nom du Grand Architecte de l'univers, et en vertu des
pouvoirs qui m'ont été confiés, je vous crée et constitue
apprenti maçon, et membre de ,ette respectable loge.
Ensuite il frappe trois coups sur la lame du
glaive avec son
maillet ; il relève le nouveau
frère ; lui ceint un tablier de peau blanche,
emblème du travail ; lui donne des gants blancs,
symbole de la pureté de murs prescrite aux maçons ; lui remet des gants de femme, pour qu'il les offre à celle qu'il
estime le plus ; puis il lui révèle les mystères particuliers au grade d'apprenti maçon, et lui donne le triple baiser fraternel.
Reconduit alors entre les deux colonnes, le
néophyte y est proclamé en sa nouvelle qualité, et tous les
frères, sur l'ordre du
vénérable, applaudissent à son
initiation par le signe, la batterie manuelle et l'acclamation d'usage.
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(5) Voyez planche n°2.