Biographie universelle ancienne et moderne Marguerite de
Valois, dont le vrai nom était
Marguerite d'Angoulême, fille de Charles d'
Orléans,
duc d'
Angoulême, et de Louise de Savoie, et sur de
François Ier, naquit à
Angoulême le 11 avril 1492, et fut élevée à la cour de
Louis XII. Cette princesse
parlait très bien les langues alors les plus célèbres, telles que l'espagnol et l'italien : elle reçut même de Paul Paradis, dit le Canosse, des leçons d'hébreu. Savante et polie, belle, douce et
compatissante autant que spirituelle, elle fut tendrement chérie de
François Ier, qui l'appelait sa
mignonne et la
Marguerite des Marguerites ; il lui confia plusieurs négociations importantes dans lesquelles elle ne se borna pas à des conseils judicieux. Elle était l'ornement de la cour de France ; et lorsqu'elle parut à celle de Charles-Quint, on essaya de prendre pour modèle ces manières élégantes et gracieuses qui lui étaient naturelles, et qu'alors comme aujourd'hui les étrangers enviaient aux Français.
Brantôme fait un grand éloge de l'éloquence, des talents, de l'habileté de cette princesse, et de son dévouement absolu pour son
frère : mais il ne faut pas prendre à la lettre ce qu'il dit, lorsqu'il assure « qu'en fait de joyeusetés et de galanteries, elle montrait qu'elle savait plus que son pain quotidien. » Les
Contes de la reine de Navarre sont, à la vérité, écrits d'une manière qui aujourd'hui nous paraît libre, mais qui de son temps ne s'éloignait point du bon ton de la cour et du langage des honnêtes gens : son style est même plus décent que celui de quelques sermons du temps, tels que ceux des Barlette, des Maillard et des Menot.
Marguerite épousa en 1509 Charles IV,
duc d'
Alençon,
premier prince du sang, qui lui était bien inférieur sous les rapports
de l'
esprit, des connaissances et du mérite. Ce prince survécut peu à la bataille de
Pavie, qu'il contribua beaucoup à faire perdre ; il mourut en avril 1525. La vive tendresse de Marguerite pour le roi son
frère, prisonnier en Espagne, et que ses chagrins y mirent aux portes du tombeau, l'avait déterminée à se rendre à Madrid pour lui prodiguer ses soins et ses consolations et pour tâcher d'obtenir sa
liberté. Elle fut chargée seule des pleins pouvoirs de la régente sa mère, pour négocier avec Charles-Quint cette affaire importante dans laquelle les grâces, l'éloquence, l'habileté même échouèrent devant la politique, l'astuce et la mauvaise foi. Elle repassa en France à la fin de novembre 1525, après avoir déjoué le projet déloyal que Charles-Quint avait eu de la faire arrêter.
Ce fut en 1527, et non pas en 1526 comme on l'a dit souvent,
qu'elle épousa Henri d'Albret, roi de Navarre, duquel elle eut Jeanne d'Albret,
mère de Henri IV. Marguerite porta dans la Navarre ces talents et cette
bienveillance qui font tant d'honneur aux princes et tant de bien aux peuples.
Ses soins y firent prospérer l'agriculture et le commerce, fleurir les
arts, et régner la justice ainsi que la sûreté. Mais l'asile
qu'elle y ouvrit aux novateurs donna lieu d'élever des doutes sur ses opinions
religieuses : elle sauva longtemps Berquin et Etienne
Dolet, qui finírent
par être brûlés comme hérétiques. Elle protégea
contre les poursuites du parlement, de la Sorbonne et des lieutenants criminels,
Jean Calvin qui n'était pas encore chef de secte ; Pierre Caroli qui devint
prieur de Sorbonne, et Roussel, son
prédicateur, auquel
Noël Béda,
syndic de la Sorbonne, attribuait des propositions hérétiques. Marguerite
accorda aussi sa protection à Charles de Ste-Marthe, à Jacques Lefèvre
d'Etaples, à quelques autres savants, à Erasme même, et surtout
à Clément Marot. Cette princesse n'en veillait pas moins à
contenir les novateurs exaspérés, qu'elle voulait regagner par la
douceur et qu'elle cherchait à rapprocher de leurs adversaires. Pendant
son remier
mariage elle passait une grande partie de son temps à
Alençon,
qui lui eut les plus grandes obligations et qui lui dut la tranquillité
au milieu des persécutions qui, à cette époque, agitaient
la France. Le rang de Marguerite, ses talents, son
influence, son mérite,
l'amitié même du roi, ne la mirent pas toujours à l'abri des
soupçons d'hérésie et des attaques qui en étaient
la suite. Les professeurs du
collège de Navarre eurent au mois d'
octobre
1533 l'audace de la jouer publiquement sur leur théâtre à
Paris, et de la désigner comme une insensée que l'
esprit de secte
avait égarée. Le roi voulut faire arrêter les auteurs et les
acteurs de cette comédie scandaleuse. Le principal, à la tête
de ses écoliers, repoussa à coups de pierres les officiers du prince,
dont Marguerite eut la générosité de fléchir le courroux.
Cette attaque ne fut pas la seule que l'on dirigea contre elle ; mais elle fut
la plus éclatante. La Sorbonne la désigna positivement comme hérétique
; et ce
corps, alors si redoutable, parvint à faire partager son zèle
au
connétable de
Montmorency, qui essaya inutilement d'aigrir le roi contre
Marguerite.
Il est
faux, quoiqu'on l'aít répété
dans plusieurs dictionnaires historiques, que le
Miroir
de l'âme pécheresse, ouvrage
ascétique de la
reine de Navarre, ait été censuré par la Sorbonne. Cette
production fut seulement rangée provisoirement par Leclerc, curé
de St-André des Arts, parmi les ouvrages suspects, parce qu'en contravention
à un arrêt du parlement, il avait paru sans nom d'auteur et sans
l'approbation de la faculté de
théologie. Bayle, tout judicieux
qu'il est, a parlé avec un peu trop de légèreté, d'après
Florimond de Rémond, de Marguerite de
Valois.
Son article a été
réfuté par Leclerc et Joly. Bayle n'est pas le seul auteur qui ait
copié Rémond sans examen : son exemple a été suivi
par le continuateur de l'
Histoire ecclésiastique
de
Fleury (t. 27, p. 392) ; par l'auteur de l'
Histoire
de l'Eglise gallicane (t. 28, p. 213), et par les rédacteurs
du
Journal de Trévoux (
octobre 1748).
C'est dans l'
Histoire de François
Ier, par
Gaillard (t. 5, p. 412), qu'il faut chercher le portrait
le plus fidèle de la reine de Navarre : il la peint comme
catholique, à
l'abri de reproches, douce et tolérante, ne divisant point les hommes en
orthodoxes et en hérétiques, mais en oppresseurs et en opprimés,
chérissant son
frère,
aimant passionnément les lettres, n'oubliant
aucun service, ne négligeant aucun talent et ne méconnaissant aucune
vertu. Elle fit, de concert avec le roi et les Du Bellay, des efforts malheureusement
infructueux pour rapprocher les
protestants des
catholiques. Le
pape Adrien VI
avait pour elle tant de considération, qu'il la pria de seconder le désir
qu'il avait d'apaiser entre les princes chrétiens les dissensions qui affligeaient
l'
Europe et l'
Eglise. Amie des arts et de l'humanité, Marguerite bâtit
le palais de
Pau ; elle y joignit des
jardins magnifiques, dota les hôpitaux
d'
Alençon et de
Mortagne-au-Perche ; elle fonda en 1538, à
Paris,
l'hôpital de ces orphelins que l'on appela les
Enfants rouges. Excellente
mère, tendre sur, elle vécut dans une union parfaite avec
le roi de Navarre, dont elle eut deux
enfants : le premier, qui était un
fils, mourut à
Alençon en 1530 ; la seconde était Jeanne
d'Albret, qui monta sur le trône de Navarre et y déploya les plus
nobles qualités. Marguerite, après avoir vaqué aux affaires
d'Etat, employait son loisir soit à l'étude, soit à des ouvrages
d'aiguille et de tapisserie ; et pendant ce temps elle dictait à ses secrétaires
les productions en prose ou en vers qu'elle composait, ou bien s'entretenait de
matières philosophiques et littéraires avec les savants et les poètes qu'elle admettait à son intimité. On sait qu'elle eut pour valets de
chambre plusieurs hommes d'
esprit, tels que Bonaventure Desperriers, Clément Marot et quelques autres ; ce qui faisait dire que la
chambre de cette princesse était un vrai Parnasse.
Elle mourut au château d'
Odos, dans le pays de
Tarbes, le 21 décembre 1549, donnant jusqu'à la fin des preuves de son attachement à la foi
catholique (1). Plusieurs
prélats et quelques littérateurs composèrent son éloge ; on frappa des médailles en son honneur ; la
poésie, dans diverses langues, chanta ses louanges. On disait d'elle « qu'elle était une Marguerit (
margarita, perle) qui surpassait en valeur les perles de l'Orient. » Ses
poésies, quoique médiocres, lui firent donner le surnom souvent prodigué de dixième Muse. L'
Histoire de Marguerite de Valois (par mademoiselle de la
Force), Amsterdam, 1696, 2 vol.
in-12 ;
Paris, 1720, 1739, 4 vol.
in-12 ; ibid, 1783, 6 vol.
in-12, est plutôt un roman qu'un morceau historique
(2).
Nous allons donner de ses ouvrages une indication plus exacte
et plus détaillée que celle que l'on a publiée jusqu'à
ce
jour.
1° Le meilleur de tous est celui qu'elle ne destinait pas
à l'impression, qu'elle avait
composé pour s'amuser, à une
époque où les
Contes de Boccace obtenaient à la cour une
grande faveur, et où, s'il faut en croire
Brantôme, la reine mère
et Madame de Savoie s'essayaient aussi dans ce genre de
composition : il fut publié pour la première fois en 1558, par Boistuau dit
Launay, sous le titre des
Amants fortunés : C'est l'
Heptaméron, ou les
Nouvelles de la reine de Navarre, ouvrage plein d'imagination et d'
esprit, écrit avec facilité et conçu à l'imitation du
Décaméron de Boccace. On sait que La
Fontaine n'a pas dédaigné de puiser dans les soixante-douze contes en prose de la reine de Navarre les ornements de quelques-uns des siens et surtout le sujet de la
Servante justifiée. L'édition de 1558 est très imparfaite : Claude Gruget qui avait été un des valets de
chambre de Marguerite, rassembla tous les manuscrits qu'il put découvrir, et dédia à Jeanne d'Albret la nouvelle édition qui a servi de modèle aux subséquentes, et dont l'impression fut achevée le 07 avril 1559, en l volume in-4°. Ces
Contes reparurent en 1567, in-16. Les éditions de Hollande, de 1698, de 1700 et de 1708, toutes en 2 volumes in-8°, ont l'avantage d'être
ornées des belles figures de
Romain de Hooge ; mais le style de l'ouvrage,
mis en beau langage, a été maladroitement retouché. On en donna en 1733, à
Chartres, sous le titre de La
Haye, une jolie édition en 2 volumes petit
in-12. Toutes ces éditions ont été effacées par celle qui parut à Berne, de 1780 à 1781, in-8° en 3 volumes avec les belles estampes de Chodowiecki ; la réimpression de 1790 est inférieure pour les gravures déjà fatiguées par le premier tirage. Les autres éditions de l'
Heptaméron à mentionner sont : celle de
Paris, 1828, 5 vol. in-32 ; celle de
Paris, 1841, 1844,
in-12, revue, corrigée et annotée par le bibliophile Jacob (Paul Lacroix) ; et celle de
Paris, 1853, in-8°, donnée par M. Leroux de Lincy.
2° Le
Miroir de l'âme pécheresse, suivi d'un Dialogue entre l'auteur et l'
âme sainte de Charlotte de France, sa nièce,
poésies très médiocres ;
Alençon, 1533, in-8°, et
Paris, même année et même format. C'est une sorte de commentaire en vers de dix syllabes du
Cor mundum crea in me, Deus ! 3° Marguerites de la Marguerite des Princesses,
poésies recueillies par Sylvius de la
Haye, l'un de ses valets de
chambre,
Lyon, 1547, in-8° ; nouvelle édition augmentée,
Paris, 1554, in-8°. L'éditeur a réuni dans ce recueil le
Miroír de l'âme pécheresse ; six ouvrages de théâtre, savoir : quatre mystères et deux farces ; une complainte pour un prisonnier que l'on croit être
François Ier ; et plusieurs autres pièces de vers dans lesquels on remarque de la facilité, quelquefois de la grâce, souvent des idées obscures et un mélange bizarre de pensées mondaines et de pensées
ascétiques. Plusieurs autres ouvrages de Marguerite de
Valois sont restés manuscrits, entre autres le
Débat d'amour, en vers mêlés de prose, où elle annonce qu'elle l'a
composé à l'âge de cinquante ans. On conserve parmi les manuscrits de la bibliothèque de
Paris, 3 volumes in-folio de ses
Lettres. Le plus grand nombre ont été publiées par M. F. Genin :
Lettres de Marguerite d'Angoulême,
Paris, 1841, in-8°, dans la collection de la société de l'
Histoire de France ; et :
Nouvelles Lettres de la reine de Navarre, adressées au roi
François Ier,
Paris, 1842, in-8°. Ses devises principales étaient :
1° un souci tourné vers le
soleil, avec ces mots :
Non inferiora secutus ;
2° un lis entre deux marguerites, avec cette inscription :
Mirandum naturæ opus.
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(1) Il est certain qu'elle ne fut jamais hérétique de cur. Mais on ne peut l'excuser dans toutes les démarches qu'elle fit en faveur des beaux
esprits du temps, souvent infectés de luthéranisme ; témoin les deux
apostats de l'ordre de St-Augustin. Bertaud et
Courant, qu'elle choisit pour ses
prédicateurs ; témoin encore
Quintin, un des chefs de la secte des libertins duquel elle osa faire une espèce d'apologie. Un préjugé encore peu favorable pour cette princesse, c'est le compliment que lui adressa
Calvin :
Quod Deus (illâ) usus fuerit ad regnun sum promovendum. Sans doute que sa complaisance et son affection pour les gens de lettres l'engagèrent plus avant qu'elle n'aurait dû.
(2) M. E. Castaigne a publié à
Angoulême, 1837, in-8°,
Notice biographique sur Marguerite d'Angoulême ; M. Victor Durand,
Marguerite de Valois et la cour de François Ier,
Paris, 1848, 2 vol. in-8°. Le meilleur travail sur Marguerite de
Valois est celui de M. Leroux de Lincy,
Essai sur la vie et les ouvrages de Marguerite d'Angoulême, etc.,
Paris, 1863, in-8°.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 26 - Pages 552-554)