Philippe III, dit le
Hardi, fils de
Louis IX et de
Marguerite de Provence, naquit le 30 avril 1245 ; il fut salué roi de France sur les sables brûlants de l'Afrique, près des ruines de Carthage, et dans un camp ravagé par la peste, le 25 août 1270.
Saint Louis venait d'expirer. Jean, comte de
Nevers,
frère de Philippe, le
cardinal légat, un grand nombre de seigneurs et de soldats avaient succombé. La consternation était générale ; et sans l'arrivée si longtemps attendue des
croisés de
Sicile, tout était perdu. Charles,
frère de
saint Louis et roi de
Sicile, fait débarquer son armée, qui campe à une demi-lieue des Français. Presque tous les
grands vassaux avaient suivi
saint Louis à la dernière
croisade ; et la monarchie française se trouvait comme transportée en Afrique. Philippe, âgé de 26 ans, était dangereusement atteint du mal qui ravageait l'armée lorsqu'il reçut le serment de ses
vassaux.
Saint Louis avait nommé régents du royaume Matthieu de
Vendôme, abbé de St-Denis, et Simon de
Clermont de
Nesle. Philippe leur écrivit pour les confirmer dans leur autorité ; en même temps, considérant l'état critique de sa santé et les dangers de sa position, il fixa à quatorze ans, dans une ordonnance datée du camp près de Carthage, la majorité de Louis, l'aîné de ses trois
enfants (1). On ignorait alors l'art d'embaumer les cadavres. On fit bouillir le
corps de
saint Louis dans du vin et de l'
eau. Le roi de
Sicile obtint la chair et les entrailles, qui furent déposées à l'
abbaye de
Montréal près de Palerme ; le cur et les os furent enfermés dans un cercueil pour être transportés à St-Denis. Déjà les
reliques du saint roi, confiées au sire de
Beaulieu, allaient être embarquées, lorsque toute l'armée demanda qu'elles fussent conservées dans le camp, ce qui lui fut accordé. La contagion y régnait toujours, et la
cavalerie maure enlevait tous les soldats qui s'éloignaient des palissades. Le roi de Tunis campait à deux
lieues des
croisés, et des succès récents avaient enflé son courage. Le roi de
Sicile, qui commandait pendant la maladie de Philippe, résolut de s'emparer du golfe de Porto-Farina, qui pouvait seul faciliter les approches de Tunis. Secondé par le comte d'
Artois et de Philippe de
Montfort, il attaqua les Sarrasins, qui eurent 5000 hommes tués ou noyés
(2). Peu de temps après, leur armée, ayant reçu de nombreux renforts, osa s'approcher jusqu'à portée de l'arc du camp des chrétiens, en hurlant, dit Guillaume de
Nangis,
je ne sais quoi de terrible, et obscurcissant l'
air d'une nuée de
flèches. Elle fut repoussée avec une perte de plus de 3000 hommes. Une grande bataille ne tarda pas à être livrée. Philippe était rétabli : il marcha aux
ennemis avec les rois de
Sicile et de Navarre. Le comte d'
Alençon et les
templiers furent chargés de la garde du camp. L'
oriflamme avait été déployée. Les
Maures ne tinrent pas longtemps contre les
croisés. Dans leur déroute, ils abandonnèrent leur camp, et furent poursuivis jusqu'aux défilés des
montagnes, d'où ils virent massacrer leurs malades et leurs blessés, piller leurs richesses, enlever leurs provisions, et, dans un vaste
incendie, disparaître leurs tentes et leurs bagages.
Philippe ne savait encore à quoi se résoudre, lorsque le roi de Tunis fit demander la paix ; et le 30
octobre, elle fut conclue aux conditions suivantes : une trêve de dix ans ; la franchise du port de Tunis ; tous les prisonniers rendus de part et d'autre ; les frais de la guerre fixés à 200.000 onces d'or, payés moitié sur-le-champ au roi de France et à ses
barons ; la
liberté du culte accordée aux chrétiens dans le royaume de Tunis, avec la faculté d'élever des
églises, de prêcher la foi et de convertir les
musulmans : clause
illusoire, qui ne fut insérée au traité que pour sauver l'honneur des
croisés, et leur permettre d'annoncer qu'ils avaient accompli leur vu. Un des articles portait enfin que le tribut déjà payé par Tunis au roi de
Sicile serait doublé pendant quinze ans, et que cinq années d'arrérages seraient acquittées immédiatement. Le traité venait d'être signé lorsque le roi d'Angleterre (Edouard Ier) arriva avec sa femme, son
frère, ses
barons et une armée. Il désapprouva hautement la paix, s'enferma dans sa tente, refusa de prendre part aux délibérations, et même au partage de l'
argent des mahométans : il demandait, il exigeait la guerre ; mais le roi de
Sicile ne voulait que de l'
argent, et il en avait obtenu. D'ailleurs, le traité
avait pour lui la sainteté des serments, la durée de la contagion et les lettres des régents de Philippe qui pressaient de retour. Le roi de France embarqua les os de
saint Louis, ceux de son
frère et ceux d'autres
illustres croisés, tandis qu'Edouard allait seul entreprendre au milieu de nouveaux revers la guerre pour la délivrance des saints lieux. Les vaisseaux de Charles et de Philippe mirent à la voile, et, après quarante-huit heures de navigation, entrèrent le 22 novembre à Trapani, en
Sicile. Une horrible tempête qui dura trois
jours en fit périr un grand nombre qui était resté dans la rade. 4000 personnes de toute condition moururent dans les flots ; et 1000, ayant gagné la terre, succombèrent aux fatigues de cette funeste journée. Ce fatal événement n'empêcha pas les rois de France, de
Sicile et de Navarre de s'engager, avec tous les comtes et
barons, à partir dans trois ans pour une autre
croisade ; et chacun jura de ne s'en point dispenser sans un sujet légitime, dont le roi de France serait
juge suprême. De toutes les
croisades, celle-ci avait été la plus malheureuse ; il y périt 30.000 hommes, et Philippe ne revint en France qu'avec des cercueils.
Il arriva à
Paris le 21 mai 1271, et fit faire de magnifiques obsèques aux
illustres morts dont il rapportait les cendres. On les mit en dépôt à Notre-Dame, d'où on les transporta processionnellement à St-Denis. Le roi aida à porter sur ses épaules le cercueil de son père jusqu'à l'
abbaye. On voyait encore il y a trente ans au faubourg St-Laurent et sur le chemin de St-Denis des monuments de pierre qui avaient été élevés par ordre de Philippe aux sept endroits de la route où il s'était reposé en portant ce pieux fardeau. Un incident singulier troubla cette auguste cérémonie. Le cortège funèbre trouva les portes de l'
église fermées par ordre de l'abbé Matthieu de
Vendôme, qui, pour le maintien des privilèges et de l'exemption de l'
abbaye, refusait d'y laisser entrer en habits
pontificaux l'
archevêque de
Sens et l'
évêque de
Paris. Il fallut que ces deux
prélats allassent les quitter au delà des limites de la seigneurie
abbatiale, et le roi fut contraint d'attendre hors de l'
église leur retour. Les tombes royales reçurent, avec les
corps de
saint Louis, de la reine Isabelle de Castille et du comte de
Nevers, celui
d'Alphonse, comte d'
Eu, fils de Jean de
Brienne, empereur de Constantinople et roi de Jérusalem.
Cette cérémonie funèbre fut suivie d'une autre où la joie publique devait éclater. Philippe fut sacré à
Reims le 30 août. Le lendemain, il partit pour visiter les frontières du nord et fut reçu dans
Arras par le comte de Flandre. Il voulut ensuite connaître l'état du
Poitou et du comté de
Toulouse, qui, après
la mort d'Alphonse, revenaient à la
couronne. Il s'avançait du côté de
Poitiers, lorsqu'il apprit que Roger-Bernard, comte de
Foix, avait emporté d'assaut le château de Sompuy, où flottait la bannière royale. Cité à comparaître devant Philippe, Roger s'y refusa ; et,
comptant sur le nombre de ses
vassaux et de ses forteresses, il résolut de soutenir sa rébeillon les armes à la main. Philippe convoqua le ban et l'
arrière-ban ; le rendez-vous était fixé à
Tours. Le
duc de
Bourgogne, les comtes de
Bretagne, de
Blois, de Flandre, de
Boulogne, etc., y arrivèrent suivis d'un grand nombre de chevaliers, et l'armée se dirigea vers les
Pyrénées. Philippe fit son entrée dans
Toulouse. Il reçut à
Pamiers la visite du roi d'
Aragon, son beau-père, entra sur les terres du comte révolté, et arriva enfin devant le château de
Foix. Cette forteresse, bâtie sur une
montagne inaccessible, était réputée imprenable. Le comte s'y était renfermé avec ses meilleures troupes et un grand nombre de machines de guerre. Philippe fit serment de ne s'éloigner qu'après avoir soumis la place ; et tandis que les assiégés le défiaient avec jactance, il fit
couper le pied de la
montagne, et ouvrir dans les rochers un chemin praticable. Roger, étonné, vit bientôt sa perte inévitable. Il demanda à capituler ; mais Philippe exigea qu'il se rendît à discrétion et qu'il livrât toutes ses forteresses. Le comte vint se jeter aux pieds du roi ; il implora sa clémence : Philippe le fit charger de chaînes et conduire à
Carcassonne, où on l'enferma dans une tour. Roger était en prison depuis un an lorsque, cédant aux prières du roi d'
Aragon, Philippe le fit venir à
Paris, l'arma chevalier, et le renvoya dans ses domaines.
Cet exemple de vigueur et de sévérité ne fut pas perdu, et la révolte du comte de
Foix fut, selon
Nangis, la seule qu'on vit sous ce règne. Edouard Ier, roi d'Angleterre, ayant succédé à Henry III (1274), s'empressa de venir à
Paris comme
vassal de Philippe pour les domaines qu'il possédait en France, et rendit
hommage à son
suzerain. Bientôt, le vicomte de
Béarn ayant refusé de se reconnaître
vassal d'Edouard,
duc d'
Aquitaine, fut poursuivi par ce prince, et se hâta d'interjeter appel à la cour de Philippe, qui convoqua son parlement. Edouard y fut cité ; épreuve humiliante pour un souverain. Il comparut, malgré sa répugnance, et se soumit à son
juge, qui prononça en sa faveur.
Philippe assista la même année au
concile général de
Lyon (Voyez
Grégoire X). Les Grecs abjurèrent le schisme ; et la primauté du pape fut reconnue par les
patriarches et les ambassadeurs de Michel
Paléologue. Mais cette réunion des deux
Eglises ne fut pas durable ; et dès que Charles d'
Anjou, roi de
Sicile, eut cessé de paraître redoutable, Constantinople cessa, de son côté, de reconnaître le
pontife romain.
Le
concile venait d'être terminé,
lorsque Philippe épousa en secondes noces
Marie, sur de Jean,
duc de
Brabant (1275). Les fêtes furent magnifiques : tous les seigneurs y parurent en habits et en manteaux de pourpre ; et les femmes, portant des robes tissus d'or, étaient, dit
Nangis,
comme un temple. La tendesse de Philippe pour la nouvelle reine alarma un favori jusque-là tout-puissant, Pierre de la Brosse, son grand
chambellan. Voulut-il brouiller ensemble le roi et la reine ? L'
histoire offre quelques indices à se sujet, et ne fournit aucune preuve. Philippe perdit subitement Louis, son fils aîné, à l'âge de douze ans (1276). On crut à la cour que le jeune prince avait péri par le poison : on chercha le coupable ; et la Brosse jeta, dit-on, dans l'
esprit du roi, des soupçons sur la reine, en insinuant qu'elle réservait le même sort aux deux autres fils de son maître (Philippe et Charles), afin d'assurer la
couronne aux
enfants du second
lit. Ses intrigues retombèrent sur lui-même, et il fut jeté en prison. A la première nouvelle de la disgrâce du favori, le
duc de
Brabant, qui avait craint de le poursuivre au temps de sa puissance, vint hautement demander justice, et offrit de défendre par le
duel l'innocence de sa sur. Personne ne se présenta pour soutenir l'accusation ; la reine se trouva justifiée ; la Brosse fut pendu, et tous ses biens furent confisqués. On l'avait aussi accusé d'entretenir des intelligences avec les rois de Castille et d'
Aragon. Il résulte du silence des
historiens contemporains que le second crime du favori ne fut pas plus prouvé que le premier. On est étonné de voir Daniel
avancer que le peuple
applaudit à l'arrêt des
barons, qui condamna la Brosse au gibet, lorsque Guillaume de
Nangis (3), le seul
historien contemporain de
Philippe le Hardi, dit positivement le contraire.
Henri Ier, roi de Navarre et comte de
Champagne et de
Brie, mort suffoqué par la
graisse (1274), avait laissé pour unique héritière sa fille Jeanne, âgée de deux à trois ans. Il avait ordonné, par son testament, qu'elle épousât un prince français. Cette exclusion des naturels du pays mécontenta les grands, qui, refusant de reconnaître comme régente et tutrice la reine mère,
Blanche d'Artois, sur de
saint Louis, élurent lieutenant général du royaume le
sénéchal don Pedre Sanche de Montagu. Bientôt la
couronne de Navarre, mal affermie sur la tête d'un
enfant, réveilla les prétentions des princes voisins. Jacques, roi d'
Aragon, soutint qu'elle lui appartenait par la donation de Sanche VII, qui l'avait institué son héritier (1231). Alphonse, roi de Castille, plus attentif à résoudre un problème qu'à poursuivre une
couronne, réclama cependant celle de Navarre, comme héritier de Sanche III, qui l'avait possédée et réunie à ses Etats. Ces deux souverains envoyèrent défendre leurs droits aux états de Navarre. Le lieutenant général et l'
évêque de Pampelune se prononcèrent pour l'Aragonais ; un autre parti se déclara pour le Castillan ; un troisième, et c'était le plus faible, voulait que le roi de France, comme parent de la jeune princesse, fût invité à se charger de la tutelle. Le parti le moins juste, celui de l'Aragonais, prévalut ; et le roi de Castille commença la guerre. La reine mère s'échappa secrètement avec sa fille, et vint demander à la cour de France asile et protection. Cette démarche acheva d'aigrir les seigneurs de Navarre. Les états arrêtèrent que Jeanne ne serait point reconnue reine si elle n'épousait Alphonse d'
Aragon ; et ils résolurent d'employer tous leurs soins pour empêcher qu'un prince français ne montât sur le trône de Navarre. En même temps, ils s'engagèrent à fournir au roi d'
Aragon, pour les frais de la guerre, la somme alors prodigieuse de 200.000 marcs d'
argent. Mais Blanche désirait et demandait que sa fille épousât un des trois fils de Philippe ; et Philippe
pressa vivement cette alliance, qui devait faire entrer une nouvelle
couronne dans sa maison. Il fallut lever l'obstacle de la proximité du sang. Grégoire X, qui devait à Philippe le
dom du
Comtat-Venaissin (4), accorda la dispense, et Jeanne de Navarre fut mariée à
Philippe surnommé le Bel (1275). Blanche engagea au roi de France la châtellenie de
Provins pour les frais de la guerre qu'il allait entreprendre ; elle lui remit la tutelle, ou, selon l'expression du temps, le
bail de la pupille pour les comtés de
Champagne et de
Brie. Philippe envoya dans la Navarre des troupes sous le commandement d'Eustache de Beaumarchais,
sénéchal de
Toulouse, guerrier habile et mauvais politique, qui obtint d'abord quelques avantages, mais qui eut l'imprudence de
toucher aux lois du pays. Toutes les fureurs des guerres civiles désolèrent cette contrée : les Français allaient succomber, lorsque Robert, comte d'
Artois, arriva avec une armée de 20.000 hommes. Pampelune fut prise d'assaut ; toutes les forteresses capitulèrent, et la Navarre fut soumise. Le comte d'
Artois, qui n'avait pu arrêter la fureur du soldat, rendit aux Navarrois leurs coutumes et leurs privilèges.
Vers cette même époque (1276), Philippe s'avançait avec une armée formidable pour porter la guerre au centre de la Castille. Alphonse X violait les traités les plus sacrés, et avait choisi pour successeur son second fils au préjudice des
enfants que Ferdinand, son aîné, avait eu de Blanche, fille de
saint Louis et sur de Philippe. Le
duc de
Bourgogne, le comte de
Bar, le
duc de
Brabant, le comte de Juliers et plusieurs autres princes allemands accompagnèrent Philippe, qui était
allé prendre l'
oriflamme à St-Denis. Cette grande armée eût
pu suffire à la conquête de toutes les Espagnes. Mais il fallait passer les
Pyrénées : on n'avait pourvu à rien. L'
hiver approchait, les
pluies rendaient les routes impraticables, et l'on n'avait rassemblé ni vivres ni fourrages. Philippe, que cinq chevaliers castillans étaient venus défier au nom de leur maître, reprit tristement le chemin de sa capitale.
Plus d'un an s'était écoulé, lorsque Philippe, ne pouvant concilier ses différends avec Alphonse, médita une nouvelle expédition contre la Castille. Mais le pape Jean, craignant que cette guerre ne fît échouer son projet d'une nouvelle
croisade, fit notifier aux souverains, sous peine de l'
excommunication et de l'interdit, la défense de recourir aux armes pour régler leurs droits respectifs. Les
légats du
saint-siège furent chargés de négocier la paix entre les deux rois. Alors parurent aussi en France des ambassadeurs tartares, qu'on prit pour des espions venant de Rome, allant à
Paris et à Londres pour proposer une ligue des princes chrétiens contre les Turcs. Philippe, qui n'aimait point la guerre, s'empressa de saisir un prétexte qui, dans l'
esprit du siècle, le justifiait du reproche d'inconstance ; mais il mérita plus d'une fois ce reproche, en commençant avec ardeur de grandes entreprises, en les poursuivant avec faiblesse, et en s'arrêtant au moment de l'exécution.
L'événement le plus mémorable arrivé
sous le règne de Philippe, est celui du massacre général
des Français en
Sicile, à la suite d'une conspiration aussi étonnante par l'horrible secret avec lequel elle fut conduite, qu'effroyable par l'atrocité de l'exécution (Voyez
Procida) : ces massacres furent appelés les
Vêpres siciliennes, parce qu'ils commencèrent à Palerme (le 30 mars 1282) au moment où les cloches appaleaient le peuple
à
vêpres. Vainement les foudres de Rome, lancées contre la
Sicile et le roi d'
Aragon, conviaient Charles d'
Anjou à venger son injure ; vainement une formidable armée française, conduite par le comte
d'
Alençon,
frère de Philippe, le comte Robert d'
Artois, le comte de
Bourgogne, Matthieu de
Montmorency et d'autres grands seigneurs du royaume, était arrivée dans les plaines de St-Martin en
Calabre, prête à franchir le détroit. Charles se laissa tromper par don Pèdre, qui lui proposa un combat singulier dans la plaine de
Bordeaux, à une époque assez éloignée pour laisser au climat et aux maladies le temps d'affaiblir l'armée de Philippe. Au
jour indiqué, Charles se trouva au rendez-vous, suivi du roi de France, son neveu ; et, depuis le lever jusqu'au coucher du
soleil, il attendit don Pèdre ; mais don Pèdre se dispensa de paraître, et se contenta de venir quelques heures avant minuit protester devant le
sénéchal de
Bordeaux contre le roi de France, qui, ayant accompagné son rival, lui donnait lieu de croire à quelque trahison. Bientôt les rois de
Sicile et d'
Aragon remplirent l'
Europe de leurs manifestes. Philippe leva promptement une armée, qui pénétra dans l'
Aragon, dégarni de soldats, et ravagea ce royaume. Une
bulle de
Martin IV offrit la
couronne de don Pèdre à un des fils de Philippe, pourvu que ce ne fût pas l'héritier présomptif du trône français. Le
cardinal Jean
Cholet fut chargé de négocier les conditions suivantes de cette étrange donation : le royaume d'
Aragon, uni au comté de Barcelone, ne pourrait être possédé par un prince qui serait en même temps roi de France, ou de Castille, ou d'Angleterre : le nouveau roi et ses successeurs ne pourraient traiter, sans le consentement du
saint-siège avec don Pèdre,
jadis roi d'Aragon, ni avec ses fils, pour la restitution totale ou en partie de la souveraineté dont Rome les
dépouillait pour leurs péchés ; le nouveau roi et ses successeurs se reconnaîtraient
vassaux du pape, lui prêteraient serment de
fidélité à chaque mutation, et lui payeraient annuellement, à titre de cens, le
jour de la St-Pierre, la somme de 500 livres tournois. Philippe ne voulut rien décider que de
l'avis des
barons et des
prélats du royaume : ils furent mandés à
Paris pour le 21
février 1284. Le parlement se tint au palais des rois dans la Cité. La
bulle y fut lue, et le clergé se retira dans une salle, la noblesse dans une autre pour délibérer. Les deux ordres, après quelques
divisions, furent d'avis que, pour la gloire de la
religion et pour celle de la France, le roi devait accepter le don du pape. Philippe III souscrivit sans réflexion à cet avis, dont les conséquences imprévues menacèrent de devenir fatales à son successeur. Le cardinal-légat donna au jeune comte de
Valois, second fils du roi, l'investiture des royaumes d'
Aragon et de
Valence et du comté de Barcelone.
En même temps, le
légat fit prêcher dans toute la France la
croisade pour l'expédition d'
Aragon, et l'on y attacha les mêmes
indulgences que pour les
croisades d'outre-mer. Philippe partit pour
Narbonne, où était le rendez-vous général de son armée. Plusieurs
historiens disent qu'elle était forte de 100.000 hommes de pied et de 20.000
chevaux. La flotte se composait de 150
galères et d'un nombre plus grand de vaisseaux de charge. On marche en bataille vers le
Roussillon :
Perpignan ouvre ses portes après quelque résistance.
Elne, prise d'assaut, est rasée jusqu'aux fondements.
Don Jayme, roi de Majorque, comte de
Roussillon, dépossédé par son
frère don Pèdre, se joint au monarque français. Il fallait s'ouvrir les
Pyrénées, que le roi d'
Aragon avait cherché à rendre inaccessibles. Philippe n'ayant pu forcer le col de Panissar, unique chemin pour pénétrer dans la Catalogne, retourna sur ses pas, et campa aux environs de
Collioure. Il méditait déjà d'abandonner cette grande entreprise, lorsque les
religieux de Sureda (ou le bâtard de
Roussillon, suivant Guillaume de
Nangis) vinrent lui offrir de conduire son armée par le col de la Mançana. Toute l'armée y passa le 20
juin 1285.
Don Pèdre fut obligé de se retirer, abandonnant ses vivres et ses bagages. Philippe entra dans l'Ampourdan, tandis que son amiral, Guillaume de
Lodève, s'emparait du port de
Roses. Bientôt Peiralade, Figuière,
Castillon et d'autres places se rendirent. Mais Girone fut l'écueil des
croisés. Le vicomte de Cardone y commandait pour don Pèdre ; sa défense fut vive et opiniâtre. De son côté, don Pèdre ne cessait de harceler les assiégeants, lorsque Philippe de
Nesle, suivi de 500 cavaliers d'élite, le surprit dans une embuscade où, suivant
Nangis, ce prince fut blessé mortellement. Mais si l'on en croit les
historiens espagnols,
il ne mourut qu'environ trois mois après, et lorsqu'il eut poursuivi vivement
les Français à leur sortie de Catalogne. Girone était assiégée depuis deux mois sans succès ; les chaleurs étaient excessives ; le camp était ravagé par une épidémie. Philippe désespérait de prendre cette forteresse, lorsque le comte de
Foix obtint la permission d'y entrer, et décida le gouverneur, qui était son parent, à capituler. Le 05 septembre, le roi fit son entrée dans Girone ; il y mit une forte garnison, et repassa les
Pyrénées pour aller hiverner en
Provence. D'ailleurs, par la trahison des habitants de
Roses, l'amiral de Barcelone venait de
battre la flotte française et de s'emparer de trente bâtiments. Les
croisés, dans leur fureur, réduisirent
Roses en
cendre : vengeance stérile, et qui n'empêcha pas l'armée d'éprouver en se retirant touts les horreurs de la disette. Les
pluies rendaient les chemins difficiles et impraticables pour les équipages. Les Aragonais s'étant saisis du pas de la
Cluse et du col de Panissar, firent périr beaucoup de monde et s'emparèrent des bagages. Enfin, Philippe, atteint lui-même de l'épidémie qui ravageait l'armée, fut transporté dans une litière à
Perpignan, où il mourut le 05
octobre 1285, dans la 41ème année de son âge, et après un règne de seize ans. Le roi de Majorque, qui ne l'avait point quitté depuis le commencement de l'expédition, lui fit faire de magnifiques obsèques. Les chairs séparées des ossements furent inhumées à
Narbonne, dans un tombeau de marbre blanc. Les os furent transférés à St-Denis, et le cur fut donné par
Philippe le Bel aux
jacobins de
Paris. La mort de Philippe III fut bientôt suivie de la reddition de Girone.
Ce prince eut de sa première femme, Isabelle d'
Aragon, quatre
enfants : Louis, dont on croit que le poison termina les
jours ;
Philippe le Bel ; Charles, comte de
Valois, dont la postérité régna sur la France et forma la race des
Valois : Robert, mort en bas âge. Trois autres
enfants naquirent du second
mariage de Philippe avec
Marie de
Brabant : Louis, comte d'
Evreux, souche des comtes d'
Evreux, rois de Navarre ; Marguerite, qui épousa Edouard Ier, roi d'Angleterre ; et Blanche, qui fut mariée à Rodolphe,
duc d'Autriche, fils aîné de l'empereur
Albert Ier. Le gouvernement
féodal continua de s'affaiblir sous le règne de Philippe. On avait commencé à croire sous
saint Louis que le prince, suivant l'expression de Beaumanoir,
était souverain par-dessus tous. Philippe eut, en montant sur le trône, le droit exclusif d'établir de nouveaux marchés dans les bourgs, et des communes dans les villes. Il régla tout ce qui concernait les ponts, les chaussées, et en général tous les établissements d'utilité publique. A l'exemple de son père, il employa contre les
barons la même politique dont ils s'étaient servis contre leurs
vassaux ; et c'est en continuant de suivre ce système, en maintenant la jurisprudence des appels, qui obligeait tout homme ajourné devant une justice royale d'y comparaître, quoiqu'il n'en fût pas justiciable ; c'est en étendant surtout leur puissance que les rois de France contraignirent enfin les
barons à reconnaître dans leur personne la même autorité qu'ils avaient réduit leurs
vassaux à reconnaître en eux. Edouard, roi d'Angleterre, datait les chartes de Guyenne de l'année de son règne. Philippe exigea et obtint qu'il les datât de l'année du sien, parce qu'Edouard était son
vassal pour le
duché d'
Aquitaine. Les premières lettres d'anoblissement furent données par Philippe (1272) en faveur de Raoul, orfèvre ou argentier du roi. En prenant possession du comté de
Toulouse, il maintint la province dans l'usage de payer volontairement les tailles et les subsides. Il donna le
comtat Venaissin à l'
Eglise romaine en 1274. C'est sous son règne que fut établi le système de l'inaliénabilité du domaine de la
couronne : la loi des
apanages commença dès lors à être mieux connue ; mais elle ne fut dans toute sa
force que sous
Philippe le Bel. Ainsi, les principes de la vraie politique s'introduisaient avec la lenteur du progrès des lumières. C'est sous
Philippe le Hardi que fut fondée l'université de
Montpellier. Ce prince, disent les
historiens, n'avaient aucune connaissance des lettres ; mais il était pieux, prudent , généreux, économe, ami de l'ordre et de la paix. Il parvint, sans augmenter les impôts, à former un trésor qui fut confié à la garde des chevaliers du
Temple ; sous lui s'acheva la rédaction des coutumes, et il eut le bonheur de pouvoir gouverner la France avec autant de douceur que d'autorité.
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(1) Jusque-là, les rois de France n'étaient majeurs qu'à 21 ans. L'ordonnance de Philippe fut renouvelée par Charles V, au mois d'août 1374.
Marguerite de Provence, mère de
Philippe le Hardi, avait eu au contraire prétendu garder la tutelle de ce prince jusqu'à ce qu'il eût 30 ans, et exigé de lui à cet égard un serment dont les
dispositions très singulières ont été publiées pour la première fois en entier dans le
Journal des savants de mars 1792, p. 158.
(2) On
lit quingenta millia dans la lettre de
Condé ; mais on croit que c'est une faute de copiste.
(3) Communi latronum patibulo est suspensus, sujus causa mortis incognita apud vulgus magnam admirationis et
MUEMURATIOANIS majoriam ministravit. (
In Chronico, ad. ann. 1278)
(4) Greg. evist., 62, l. 2.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 33 - Pages 79-83)