Biographie universelle ancienne et moderne Robert d'Arbrissel, fondateur de l'ordre de Fontevrault et de l'
abbaye de ce nom, naquit, en 1047, dans le village d'
Arbrissel, à sept
lieues de
Rennes, vint de bonne heure à
Paris, où il fit des progrès rapides
dans les lettres, et fut reçu docteur en
théologie.
Son évêque, Silvestre de la
Guerche, le rappela auprès de lui, s'aida de ses lumières, lui conféra les dignités d'
archiprêtre et d'official, et eut la satisfaction de le voir combattre avec succès la simonie, l'incontinence et les autres vices de son clergé. Après avoir travaillé pendant quatre ans à l'extirpation de ces désordres, Robert se vit exposé, par la mort de son protecteur, au ressentiment des ecclésiastiques qu'il avait humiliés ; et Marbodus, successeur de la
Guerche, qui apparemment n'aimait pas autant que celui-ci les réformes et les réformateurs, le remercia de ses soins, et le laissa partir pour
Angers, où il alla enseigner la
théologie. Ce fut la qu'Urbain II, qui l'entendit prêcher, fut si content de ses sermons, qu'il lui conféra le titre de
prédicateur apostolique, avec la permission de prêcher
per universum mundum.
A quelque temps de là, Robert, cédant à son
goût pour la vie solitaire, se retira avec un
compagnon dans la
forêt de Cruon, en
Anjou. Il s'y vit bientôt entouré d'une foule d'
anachorètes
attirés par la renommée de ses vertus et de la sainte austérité de sa vie. Il les partagea en trois colonies, se chargea d'en gouverner une, et confia les autres à Vital de
Mortain et à Raoul de la Futaye. Robert quitta ensuite cette solitude et s'en alla prêchant partout la parole de
Dieu, et partout entraînant après lui une foule d'auditeurs de tout âge et de tout sexe, que son éloquence attachait à sa personne.
Ce mélange d'hommes et de femmes ne manqua pas d'éveiller la curiosité publique et de scandaliser quelques personnes. C'est ce dont on peut juger par deux lettres contemporaines qui nous sont restées, l'une de Geoffroy, abbé de
Vendôme, qui, quoique lié avec Robert, l'accuse d'indiscrétion dans sa trop grande familiarité avec les femmes qu'il gouvernait. Voici un passage de cette lettre :
Fæminarum quasdam, ut dicitur, nimis familiariter tecum habitare permittis, et cum ipsis etiam, et inter ipsas noctu frequenter cubare permittis
L'autre lettre est de Marbodus,
évêque
de
Rennes, qui, outre les mêmes reproches, lui fait ceux de
singularité
dans sa conduite et d'excès dans son zèle, principalement contre les
prêtres et les
évêques ; il l'exhorte à la prudence et à la discrétion, « afin d'imposer silence à la calomnie, et de faire cesser des discours auxquels sa conduite donne lieu. »
Robert prit alors une résolution bien extraordinaire : ce fut, comme dit Bayle, de
fixer ses tabernacles dans les solitudes de Fontevrault, de soumettre les hommes à l'empire des femmes ; et tandis qu'il imposait à celles-ci l'obligation de prier, il voulut que ceux-là, leurs
serviteurs perpétuels, fussent
occupés à
dessécher des marais, à défricher des landes, à labourer les terres qu'ils avaient conquises sur les
eaux et sur le désert
(1). L'
abbaye de Fontevrault, fondée par ses soins en 1103, devint en peu de temps considérable et célèbre, quoi qu'en aient dit quelques
prélats de son temps, dont il n'eût pas osé accuser les murs, si les siennes n'eussent pas été exemptes de reproche ; et les tristes échos de Bayle, qui ont trouvé plaisant de répéter après lui que
Robert d'Arbrissel ne faisait qu'un même
lit avec ses plus jolies prosélytes, afin de vaquer plus commodément à l'
oraison. Il est certain que sa piété ne se démentit jamais ; que sa réputation fut attaquée et non flétrie par les accusations dont nous venons de parler ; que les papes, les rois et les
prélats les plus distingués lui rendirent justice et le protégèrent contre toutes les interprétations malignes. Lorsqu'il crut que son établissement pouvait se passer de lui, il reprit son premier emploi de
prédicateur ambulant, parcourut la France, exhortant les riches à la
charité, les pauvres à l'humilité, les femmes à la continence, et les hommes à l'
amour de
Dieu. Il assista, en 1104, au
concile de
Beaugency, et prit place parmi les
prélats. L'
évêque de
Poitiers fut si satisfait de sa doctrine et des lois qu'il avait données à ses
disciples, qu'il sollicita auprès du
saint-siège les
bulles de confirmation ; et, en les délivrant, le
pape Pascal II déclara qu'il prenait cet ordre sous sa protection spéciale.
Ce fut au milieu de ses travaux apostoliques que Robert tomba
malade ; il fut obligé de s'arrêter au
prieuré d'
Orsan,
diocèse de
Bourges, et il y mourut, le 24
février 1117. L'
archevêque de cette ville, son clergé, la noblesse des environs et une foule de
laïcs,
accompagnèrent son
corps jusqu'à l'
abbaye de Fontevrault, où on lui fit des obsèques magnifiques. En 1633, Louise de Bourbon,
abbesse de Fontevrault, fit placer les restes de Robert dans un superbe tombeau de marbre, sur lequel on lisait l'
épitaphe qu'Hildebert,
évêque du
, avait faite en son honneur, et dont voici quelques vers :
Attrivit lorica latus, sitis arida fauces,
Dura fames stomachum, lumina cura vigil.
Indulsit raro requiem sibi, rarius escam.
Guttura pascebat gramine, corda Deo.
Legibus est subjecta caro dominaæ rationis ;
Et sapor unus el, sed sapor ille Deus.
L'ordre de Fontevrault, supprimé avec tous les autres, par suite de la révolution, était divisé en quatre provinces, à savoir : la province de France, dans laquelle il y avait quinze
prieurés ; la province d'
Aquitaine, quatorze
prieurés ; la province d'Auvergne, quinze
prieurés ; la province de
Bretagne, treize
prieurés. L'habit des hommes consistait en une robe noire, une chape, un chaperon ou grand
capuce, auquel étaient attachées par derrière et par devant deux petites pièces de drap nommées
roberts. L'habit des femmes consistait en une robe blanche, une cuculle noire, un surplis blanc et une ceinture de laine noire. En prononçant leurs vux, les hommes et les femmes promettaient stabilité, conversion de murs,
chasteté pure, pauvreté nue et obéissance. Le P. de Soris a publié pour la défense de
Robert d'Arbrissel l'ouvrage suivant :
Dissertation apologétique pour le bienheureux Robert d'Arbrissel, sur ce qu'en a dit M. Bayle dans son Dictionnaire,
Anvers, 1701, petit in-8°.
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(1) Tout en proclamant en principe l'émancipation de la femme, le christianisme, par une contradiction qu'explique suffisamment son mépris pour la nature et la vie, pour leurs jouissances et pour leurs joies, laissait planer sur cette moitié du genre humain d'injurieuses
prétentions qui la maintenaient dans une condition d'infériorité.
Cet état de choses change au
XIIème siècle, et la femme obtient enfin une une complète réhabilitation. Après avoir été
si longtemps considérée comme une cause de péché, comme l'auxiliaire du démon, elle devient pour l'homme un puissant mobile de vertu et d'héroïsme ; elle récompense la valeur, dispense et consacre la gloire. Les plus puissants
barons, les guerriers les plus
illustres briguent ses suffrages, avouent sa suprématie, lui jurent obéissance, respect, dévouement, et la placent, dans leurs devises
héraldiques, après
Dieu et avant le roi. Deux faits ont exercé une grande
influence sur cette révolution sociale ; d'abord le dévouement de la célèbre comtesse Mathilde envers Grégoire VII et les services rendus par elle à la puissance
pontificale ; puis la fondation de l'ordre de Fontevrault par
Robert d'Arbrissel. « Le libre
mysticisme. dit M. Michelet, entreprit alors de relever ce que la dureté sacerdotale avait traîné dans la
boue. Ce fut surtout un
Breton, nommé
Robert d'Arbrissel, qui remplit cette mission d'
amour. Il rouvrit aux femmes le sein du Christ, fonda pour elles des asiles, leur bâtit Fontevrault, et il y eut bientôt des Fontevrault par toute la chrétienté. L'aventureuse
charité de Robert s'adressait de préférence aux grandes pécheresses ; il enseignait dans les plus odieux séjours la clémence de
Dieu, son incommensurable
miséricorde. Un
jour qu'il était venu à
Rouen, il entra dans un mauvais lieu, et s'assit au foyer pour se chauffer les pieds. Les courtisanes l'entourent, croyant qu'il est venu pour faire folie ; lui, il prêche les paroles de vie, et promet la
miséricorde du Christ. Alors celle qui commandait aux autres lui dit : Qui es-tu, toi qui dis de telles choses ? Tiens pour certain que voilà vingt ans que je suis entrée en cette maison pour commettre des crimes, et qu'il n'y est jamais venu personne qui parlât de
Dieu et de sa bonté. Si pourtant je savais que ces choses fussent vraies !... » A l'instant il les fit sortir de la ville ; il les conduisit, plein de joie, au désert, et là, leur ayant fait faire pénitence, il les fit passer du démon au Christ. C'était chose bizarre de voir le bienheureux
Robert d'Arbrissel enseigner, la nuit et le
jour, au milieu d'une foule de
disciples des deux sexes qui reposaient ensemble autour de lui. Les railleries amères de ses
ennemis. les « désordres même auxquels ces réunions donnaient lieu, rien ne rebutait le charitable et courageux
Breton. Il couvrait tout du large manteau de la grâce. ».
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 2 - Pages 149-150)