Biographie universelle ancienne et moderne Louis XI, fils de Charles VII, naquit à
Bourges le 03
juillet 1423, et fut élevé d'une manière fort simple sous les yeux de sa mère,
Marie d'
Anjou, fille de Louis II, roi titulaire de Naples, l'une des femmes les plus vertueuses de son siècle. Dès l'âge de cinq ans il fut
marié à une princesse écossaise, qui mourut sept années
après (Voyez
Marguerite d'Ecosse). Devenu ainsi veuf à douze ans, il accompagna son père dans plusieurs expéditions, où il montra du courage, et surtout l'étonnante activité et la vigueur de résolution qui ne cessèrent pas de le distinguer. Un contraste aussi remarquable avec le caractère de faiblesse et d'indécision de Charles VII ne pouvait manquer de produire des dissensions dans la famille royale. Elles éclatèrent par la haine que ce jeune prince voua, dès son enfance, à la belle Agnès
Sorel et à tous les ministres favoris du roi. Louis avait à peine dix-sept ans, lorsque, poussé par quelques hommes turbulents, il s'échappa de la cour pour se rendre à
Niort, où il devint le chef d'une révolte connue sous le nom de la
praguerie. Charles VII marcha contre les rebelles, les
dissipa et fit périr quelques hommes obscurs, en pardonnant à son fils et même à ceux qui l'avaient entraîné.
Le jeune prince s'efforça bientôt d'effacer ses torts par son zèle et sa valeur dans les commandements qui lui furent confiés au siège de
Pontoise, de la
Réole et surtout à celui de
Dieppe, qu'il fit lever aux Anglais en 1443. L'année suivante, ayant marché contre les Suisses, il les vainquit dans plusieurs combats sanglants ; et, à son retour, il fut comblé par Charles VII des marques de la plus vive tendresse. Mais après quelques mois de résidence à la cour, le caractère inquiet et difficile du
Dauphin reprit tout son empire ; ce prince ne se contint plus dans sa haine contre les courtisans, et dans son impatience de régner, il prit part à plusieurs intrigues où il ne s'agissait de rien moins que de ravir à son père le trône et la
liberté (Voyez
Chabannes). Obligé de s'éloigner une seconde fois de la cour, il se retira dans le
Dauphiné, que Charles, malgré tant de motifs de défiance, laissa tout entier à sa
disposition, lui permettant même de jouir de plusieurs autres possessions. Ainsi Louis, qui désirait si vivement son indépendance,
put se regarder comme souverain dans une contrée éloignée de la capitale, et qui offrait des ressources considérables. Se livrant à toute son activité, il changea entièrement l'administration de la province, augmenta les impôts, et fit des levées de troupes dont le but ne pouvait être rassurant. Dans le même temps il épousa, malgré son père, la fille du
duc de Savoie ; et, ne cessant pas d'entretenir des correspondances coupables à la cour de Charles VII, il fut accusé de n'avoir pas été étranger à la mort d'Agnès
Sorel.
Voyant ses projets découverts, il essaya de conjurer l'orage en proposant de conduire ses troupes contre les Anglais : mais le roi reçut cette offre avec froideur, et il ordonna à Chabannes de marcher contre le
Dauphin et de s'assurer de sa personne. Ce prince, averti à temps, partit sous prétexte d'un
pèlerinage à St-Claude, et se réfugia dans les Etats du
duc de
Bourgogne, qui voulut bien lui accorder un asile, en refusant de prendre part à tout projet d'agression. Loin de là, le
duc envoya au roi de France des ambassadeurs chargés de lui expliquer ses motifs, et de tenter une réconciliation entre le père et le fils. N'ayant pu y réussir, il donna au
Dauphin une résidence agréable dans la petite ville de Gennep, en Hainaut, et lui assigna une pension assez considérable, mais qui ne lui suffit pas toujours. Le jeune prince fit des emprunts, demanda de l'
argent à tout le monde, et ce fut alors qu'il essuya, de la part du
duc de
Bretagne, un refus qu'il ne lui pardonna jamais. Il est probable que, malgré quelques lettres de soumission adressées à son père, il ne désirait point retourner en France tant que Charles VII n'aurait pas
fermé les yeux. Ce tendre père l'en conjura plusieurs fois, et Louis sembla disposé à se rendre à ses touchantes invitations ; mais ce fut toujours lorsque la santé du roi parut décliner : il changeait d'avis à la première nouvelle de son rétablissement. Enfin, il passa cinq ans dans cette retraite, où il lui naquit un fils qu'il perdit peu de mois après. Il y fit des études assez suivies, et ce fut là qu'il recueillit les
Cent Nouvelles nouvelles. Tous ses moments paraissaient consacrés aux lettres et à la chasse, qu'il aimait beaucoup ; mais ce fut-dans ce même temps qu'on avertit le roi que son fils voulait le faire empoisonner. Du moins est-il bien certain que le malheureux Charles VII, effrayé d'un tel avis, se priva de nourriture, et qu'il mourut par l'excès même des précautions qu'il se crut obligé de prendre.
Dès que Louis reçut cette nouvelle, il se rendit
à Avesne, où il fit célébrer un service des morts. Après la cérémonie, dit Monstrelet,
il se vêtit de pourpre, qui est la coutume de France, parce que, sitôt que le roi est mort, son fils plus prochain se vest de pourpre. Dans les transports de sa joie, il oublia d'envoyer les ordres nécessaires pour les obsèques de Charles VII ; et sans l'attachement de Tannegui-Duchâtel, qui se chargea du soin et des frais de cette cérémonie, un de nos meilleurs rois, celui auquel la France avait l'obligation d'être échappée au joug de l'étranger, eût été enseveli sans honneur, tandis que les princes, les seigneurs et les courtisans qu'il avait comblés de ses bienfaits couraient se prosterner devant leur nouveau maître.
Louis XI se rendit à
Reims pour se faire sacrer, accompagné du
duc de
Bourgogne, du comte de Charolais et de quelques gentilshommes. Il refusa par défiance une escorte plus nombreuse. Philippe le Bon assista, comme pair du royaume, à la cérémonie, et fit
hommage de ceux de ses domaines qui relevaient de la
couronne. Ce prince, qui désirait sincèrement la paix, se jeta aux pieds du roi et le pria dans les termes les plus affectueux et les plus pressants de pardonner aux serviteurs de son père qui avaient pu l'offenser. Louis promit tout, et il n'excepta de son pardon que sept individus qu'il ne nomma point : se réservant ainsi de choisir ses victimes, et de faire peser sur tous une cruelle appréhension.
Dès qu'il eût saisi les rênes du gouvernement,
voulant en tout point le contraire de son père, il rendit la
liberté au
duc d'
Alençon, fit grâce au comte d'
Armagnac, et se hâta d'écarter tous les chefs de la noblesse qui avaient servi Charles VII avec tant de dévouement et de gloire. Les Dunois, les la Trémoille, les
Brézé, les Chabannes, devinrent suspects à ses yeux ; il lui fallait des créatures, et non des généraux et des ministres. Il déposa le chancelier Juvénal des Ursins, puis l'amiral, le grand
chambellan, les maréchaux de France, beaucoup d'autres officiers civils et militaires, et les principaux directeurs des finances, qu'il remplaça par des gens obscurs, et surtout par ceux qui l'avaient aidé dans ses intrigues et ses complots ; enfin, on ne vit bientôt dans les emplois que des hommes nouveaux, que le roi avait tirés du rang le plus bas afin de pouvoir les y replonger sans
scrupule et sans danger au moindre soupçon.
Son barbier devint ambassadeur et comte (Voyez
Ledain) ; son tailleur
héraut d'armes, et son médecin chancelier (Voyez
Coytier). Tant de changements firent beaucoup de mécontents ; le roi crut que pour les apaiser il lui suffirait de publier un édit où il déclarait, sans avoir beaucoup d'
envie de s'y conformer, « qu'aucun état ne vaquerait à l'avenir, si ce n'est par mort, résignation ou forfaiture. »
Louis venait à peine de jurer à son sacre de
ne point augmenter les impôts, qu'il en établit de très considérables : les habitants de
Reims, qui avaient été témoins de sa promesse, furent les premiers à se révolter ; il fit écarteler le chef de la rébellion, et l'on trancha la tête à six de ses complices.
Angers,
Alençon,
Aurillac, où s'étaient manifestés de semblables troubles, virent de pareilles exécutions ; et la paix fut rétablie. Le roi visita ensuite le midi de son royaume ; et, en passant
à
Tours, il reçut l'
hommage du
duc de
Bretagne, qui vint dans cette ville avec une suite brillante. Ce fut alors que Louis institua le parlement de
Bordeaux. S'étant avancé sur la frontière d'Espagne, il prit la défense du roi d'
Aragon, usurpateur du royaume de Navarre, lui préta cent mille écus, reçut de lui une cession du
Roussillon et de la Cerdagne, et fit marcher ses troupes contre les peuples de la Catalogne, qui furent réduits après de sanglants combats. (Voyez
Jean II et
Don Carlos).
L'année suivante, il entra en négociation avec Henri IV, roi de Castille, qui le prit pour arbitre de ses différends avec le roi d'
Aragon et ses peuples révoltés. La décision de Louis ne satisfit aucun parti ; et les troubles se renouvelèrent, comme l'avait probablement prévu ce prince ; car c'est dans son siècle, et surtout par lui, qu'a commencé en
Europe cette cruelle politique qui consiste à prolonger les haines des partis opposés pour qu'ils puissent se combattre plus longtemps et s'affaiblir davantage. Les deux monarques avaient conclu leurs arrangements ; et tous deux étaient également décidés à ne pas les tenir, lorsqu'ils eurent une entrevue sur la Bidassoa. Henri s'efforça d'y paraître de la manière la plus brillante ; et Louis s'y montra fort négligé, selon sa coutume : « car il se mettait si mal, dit Commines, que pis ne pouvait ». Le Castillan lui
inspira une sorte de mépris par sa figure
ignoble et son peu d'
esprit ; et tous deux se séparèrent mécontents l'un de l'autre. Mais si le roi de Castille fut peu satisfait du monarque français, il n'en fut pas de même de ses ministres et de ses courtisans ; Louis les combla de
présents, et gagna par ses largesses tous ceux qui pouvaient le servir dans ses projets. C'est ainsi qu'il ne manqua jamais une occasion de se ménager dans toutes les cours des créatures et des
agents qu'il payait fort cher, auxquels il donnait lui-même des instructions, et dont il suivait la correspondance, de peur d'être trahi.
Son séjour dans les Etats du
duc de
Bourgogne l'avait mis à portée de gagner quelques serviteurs de ce prince ; et il fit longtemps des pensions à plusieurs d'entre eux, entre autres à Jean de Croy, favori de Philippe le Bon, qui le servit à merveille dans son acquisition des places de la Somme.
Toutes ces prodigalités, ostensibles ou secrètes,
étaient fort onéreuses pour l'Etat ; mais, d'un autre côté, le roi se montrait dans sa personne et dans sa maison le plus simple et le moins prodigue des souverains. Cependant il avait doublé les impôts, et il voulut même établir à son profit, dans les domaines du
duc de
Bourgogne, une gabelle semblable à celle qui se percevait dans ses propres Etats. C'est à cette occasion que Philippe lui envoya le sire de Chimai, qui lui dit hautement qu'un prince aussi puissant que l'était son maître devait être traité avec plus de considération. « Eh ! quel homme est-ce donc que ce
duc ? demanda le roi. Est-il d'un autre métal que les autres princes de mon royaume ? Oui, sire, répliqua Chimai ; s'il n'avait été de meilleur
acier et plus dur que les autres, il ne vous eût pas retiré et défendu cinq ans contre les menaces d'un grand roi, la terreur de l'univers, tel qu'était monseigneur votre père. » Louis s'éloigna sans rien dire, et ne fut plus question de la gabelle.
Dans le même temps,
François II,
duc de
Bretagne,
se voyait de plus en plus harcelé par les prétentions du roi. Après
l'avoir fait juger par une espèce de commission, Louis, s'étant
rendu avec une armée sur la frontière de
Bretagne, lui intima défense de s'intituler
duc par la grâce de Dieu, de
frapper monnaie en son nom, de faire des levées d'hommes, et enfin d'exiger un serment de ses
sujets. C'était lui déclarer la guerre :
François n'y était
point préparé. Selon l'usage de la faiblesse, il eut recours à une soumission apparente, et redoubla en secret d'efforts pour soulever contre le roi toutes les haines et tous les intérêts. D'après l'inquiétude que les projets de
Louis XI avaient déjà fait naître chez la plupart des
grands vassaux et des souverains, le
duc n'eut pas de peine à leur faire comprendre qu'ils devaient prévenir par une attaque simultanée les projets de leur
ennemi commun, et que sans cela ils ne pouvaient manquer d'être ses victimes. Il parvint ainsi à former une ligue dans laquelle entrèrent
successivement les
ducs de
Calabre, de Bourbon, de Lorraine, d'
Alençon, de
Nemours, de
Bourgogne, et enfin le
duc de Berri,
frère du roi, dont celui-ci avait semblé prendre à tâche de faire un mécontent en lui refusant un
apanage, et en le tenant auprès de lui dans une espèce de captivité. Ce jeune prince, d'accord avec les confédérés,
réussit à s'évader au moment de l'explosion ; et il devint le prétexte et le chef apparent de cette redoutable confédération qui prit re nom de
ligue du bien public. Louis recevait depuis longtemps des avis sur ces menées et ces projets ; et il chercha vainement à conjurer l'orage. Redoutant surtout le
duc de
Bourgogne, il lui envoya son chancelier
Morvilliers, qu'il chargea de repousser une accusation dont toute l'
Europe avait retenti, et selon laquelle le roi aurait tenté de faire enlever le
duc de
Bourgogne et le
duc de Charolais par un certain
Rubempré, que ces princes tenaient en prison. Les explications de
Morvilliers furent loin de les satisfaire ; et le ton d'aigreur et de menace qu'il prit ne fit qu'
ajouter au ressentiment de Philippe, qui depuis longtemps résistait avec peine à son fils, impatient de combattre ; dès lors il n'hésita plus à se
joindre à la coalition, et fut le premier à faire marcher des troupes sous les ordres du comte de Charolais.
Louis XI était à
Poitiers lorsqu'il apprit que ce prince s'approchait de St-Denis, rendez-vous général. Il envoie aussitôt des ordres à
Paris pour que l'on y fasse une bonne défense. et il entre dans le Berri avec 14.000 hommes. Après avoir soumis cette province, il réduit l'Auvergne, le Bourbonnais, et se dirige vers la capitale. Les
Bourguignons, repoussés par les habitants dans plusieurs attaques, impatients de ne pas voir le
duc de
Bretagne, venaient de passer la Seine pour aller au-devant de lui, lorsque le roi les rencontra dans la plaine de
Montlhéry, et leur livra bataille le 16
juillet 1465. On combattit avec un acharnement qui rendit la perte considérable de part et d'autre. Les deux chefs se montrèrent très braves ; le
Bourguignon, impétueux et téméraire, fut grièvement blessé ; le roi le fut légèrement ; il donna ses ordres avec calme et présence d'
esprit, et contribua beaucoup au succès de cette journée ; car ce fut bien pour lui une victoire, puisqu'il n'avait d'autre but que d'arriver à
Paris, et qu'il entra le lendemain dans cette ville, tandis que le comte de Charolais ne quitta pas le champ de bataille, faute de pouvoir faire un seul mouvement. L'entrée du roi dans sa capitale se fit aux acclamations de tout un peuple, non moins ivre de ses succès que de ceux du monarque. Louis récompensa un si grand zèle par une légère diminution d'impóts, et en prenant parmi les bourgeois un conseil par lequel il est assez probable qu'il n'avait aucune
envie de se laisser conduire. Cependant, les confédérés avaient réuni leurs
forces ; et ils menaçaient encore
Paris, avec une armée qui devenait tous les
jours plus nombreuse. Ils repassèrent la Seine ; déjà ils s'étaient emparés de Charenton et ils avaient porté l'effroi dans l'
âme des Parisiens, lorsque Louis, toujours actif et infatigable, revint de la Normandie, où il était allé chercher des vivres et du renfort. Déjà l'on était en négociation avec les
ennemis pour leur ouvrir les portes de la ville. Le roi frémit du danger qu'il avait couru ; il rompit les conférences, et punit ceux dont la faiblesse ou la perfidie avait exposé sa
couronne à un si grand danger. On l'a entendu dire depuis que, si les princes fussent entrés dans
Paris, il ne lui serait resté d'autre ressource que de passer en
Suisse ou à Milan. Aussitôt après son arrivée, la défense prit le caractère de vigueur et d'activité qu'il savait imprimer à ses opérations ; mais tout son royaume était livré à d'affreux ravages : la Normandie s'était soulevée, et
Rouen venait d'être livré aux confédérés. Cependant,
voyant que la monarchie pouvait être perdue par une imprudence, et ne voulant pas l'exposer aux hasards d'une bataille, il aima mieux négocier ; et, après quelques démarches inutiles, il résolut d'être lui-même son négociateur. Tout à coup on le voit entrer dans un bateau ; il aborde sur la rive opposée, où le comte de Charolais vient le recevoir, entre en pourparler avec ce prince, et consent à tout ce qu'on exige de lui. « Lorsqu'il était le plus faible, dit l'
historien Chalon, il savait sur toutes choses s'accommoder au temps, faire des traités selon la volonté de ses
ennemis, leur céder ses droits et ses prétentions afin de les désunir : mais quand une fois il avait rompu leur ligue et leur union, il reprenait ce qu'il avait cédé, et ne tenait rien de ce qu'il avait promis. »
Louis XI recevait à cette époque de fréquents
avis de F. Sforce,
duc de Milan, en qui il avait une grande confiance, et qui
lui avait envoyé des troupes sous les ordres de son fils. Ce
duc lui conseilla
positivement, dans cette conjoncture, de tout accorder pour dissiper la ligue,
« sauf à ne consulter ensuite que les circonstances. » De tels principes s'accordaient trop avec le caractère de Louis pour qu'il ne se
hâtât pas de les adopter. Il signa donc, le 30
octobre 1465, les traités de Conflans et de St-Maur, par lesquels il céda la Normandie à son
frère, une partie de la Picardie au
duc de
Bourgogne, le comté d'Etampes au
duc de
Bretagne, et donna l'
épée de
connétable au comte
de St-Pol. Enfin, il fit plus de concessions en tout genre que ses
ennemis n'auraient
osé l'espérer. Mais à peine étaient-ils séparés, qu'il protesta contre un traité arraché par la
force ; profitant de quelques difficultés que le parlement fit pour l'enregistrer, il déclara hautement qu'il ne consentirait jamais que la Normandie fût démembrée du royaume ; et il fit marcher une armée vers cette province. Quelques places essayèrent en vain de
fermer leurs portes, il pénétra partout de vive
force ; et contre sa coutume, il se montra généreux envers ceux qui avaient tenté de lui résister ; mais afin que sa clémence ne pût pas être prise pour de la faiblesse ou de la crainte, il y mêla quelques actes de rigueur.
Son frère, incapable de se défendre, s'adressa vainement au
duc de
Bretagne et au
duc de
Bourgogne, tous deux garants du traité de Conflans. Le premier avait peu de moyens de le seconder, et tout ce qu'il osa fut de le recevoir dans ses Etats (Voyez
François II de Bretagne). Le second était trop occupé contre les Liégeois, que Louis aidait secrètement.
Ce fut dans cette circonstance que
le roi assembla dans
Tours les états généraux, auxquels il
exposa les torts de son
frère. Ces états, qu'il avait su composer
selon ses
vues et devant lesquels il vint lui-même développer ses
motifs, les approuvèrent tous. Après avoir déclaré
que la Normandie ne pouvait pas être séparée de la France,
ils offrirent pour conserver cette province toutes les ressources du royaume.
Peu après la séparation des états de
Tours, Louis offrit
à ses peuples un leurre du même genre en créant une commission
de vingt
réformateurs des abus, à laquelle durent être
adressées toutes les plaintes et toutes les réclamations. Mais,
dit un auteur contemporain,
la plus grande uvre de cette commission fut
de soi assembler, car de toute icelle assemblée ne vint aucun profit à
la chose publique. Le
duc de
Bretagne, jugeant qu'il ne pourrait lutter longtemps
seul contre toutes les
forces du roi, signa une espèce de capitulation
au moment où le
duc de
Bourgogne (1) venait à
son secours avec une armée.
Louis XI pouvait lui livrer bataille : mais
les chances en étaient douteuses ; et, en pareil cas, il aima toujours
mieux se servir d'autres moyens. Cette fois il lui en coûta 120.000 écus
d'or ; pour cette somme, le
duc lui accorda une trêve. On s'occupa ensuite
d'un traité de paix. Mais Charles venait de débuter dans la carrière,
et Louis avait besoin d'abaisser des
vassaux trop puissants. Ainsi personne ne
voulait la paix ; et les conférences se prolongèrent sans résultat.
Cependant le roi, plein de confiance dans ses talents, et se laissant d'ailleurs
entraîner par les flatteries de Jean de la Balue, résolut de profiter
de sa supériorité sur son jeune rival, et persuadé qu'il
le ferait aisément tomber dans ses pièges, il se rendit à
Péronne avec un
sauf-conduit et une suite peu nombreuse. On ne peut supposer
que l'intention du
duc fût dès lors d'abuser d'une marque de confiance
aussi grande : mais le roi n'avait pas cessé d'exciter et d'aider les Liégeois
dans leurs attaques contre la
Bourgogne ; il envoya bien à ses
agents,
en partant de
Paris, l'ordre de retarder une explosion, mais cet ordre vint trop
tard ; et peu de temps après son arrivée à
Péronne,
Charles apprit que les Liégeois avaient fait une sortie et qu'ils annonçaient
hautement leur alliance avec le roi de France. A cette nouvelle, le
duc entre
dans une extrême fureur ; il s'emporte contre le roi dans les termes les
plus injurieux, le menace, l'enferme dans la citadelle, et le laisse pendant trois
jours incertain du sort qu'il lui préparait. Ce fut en vain que Louis jura
par
la pâque-Dieu, son
juron ordinaire, qu'il n'était pour
rien dans cet événement ; qu'il ne portait aucun intérêt
aux Liégeois, et que
si Monsieur de Bourgogne le voulait, il irait volontiers
avec lui mettre le siège devant leur cité. Le respect qu'
inspire
la
royauté, l'horreur d'un meurtre qui eût révolté
l'
Europe entière, purent seuls lui sauver la vie. Livré à
mille projets divers, Charles était dans la plus vive agitation. Marchant
dans son appartement, ne se déshabillant pas même pendant la nuit,
tantôt il voulait mettre le
duc de Berri sur le trône de France, tantôt
il voulait s'y placer lui-même. Le roi, qui connaissait tout le danger de
sa position, conservait le calme dont il avait besoin. Ne pouvant parler au
duc,
et ne
voyant que les personnes qui lui venaient de sa part, il n'oublia rien pour
les mettre dans ses intérêts. Ce fut par elles, et surtout par
Comines,
qu'il apprit ce qui se passait chez ce prince, et qu'il fit dire ce qu'il lui
importait de communiquer. Enfin, le quatrième
jour, Charles se rend dans
la prison du monarque, et l'abordant d'un
air brusque il lui demande si son intention
est encore de l'accompagner à
Liège. Le roi n'hésite pas
; et les deux souverains entrent en conférence sur la paix. C'était
bien le cas pour Louis de se rappeler les conseils de Sforce. Il consentit à
tout ; on rédigea un traité, et il jura de s'y soumettre sur la
croix de
Charlemagne. Les conditions en étaient telles que, malgré
sa résignation, il ne put s'empêcher de se récrier sur quelques-unes
; à quoi les
agents du
duc répondaient :
Monseigneur le veut,
ainsi l'a ordonné ; et il signait. Il offrit même des otages
qui
acceptèrent hautement, dit
Comines ;
mais je ne sais,
ajoute cet
historien,
s'ils disaient ainsi à part ; je me doute que
non ; car il les y eût laissés. Dès ce moment les deux
princes semblèrent vivre en bonne intelligence ; mais le roi était
surveillé et environné de gardes, moins chargés de veiller
à sa sûreté que d'observer ses démarches. Ce fut ainsi
qu'il partit pour
Liège au milieu de l'armée
bourguignonne, dont
il prit les
couleurs, ne conduisant avec lui qu'un petit nombre de Français.
Le siège fut long et sanglant,
Louis XI y courut de grands dangers ; et
toujours placé sous les yeux du soupçonneux
Bourguignon, il fut
près d'être égorgé par les assiégés,
qui avaient pénétré pendant la nuit jusque dans le quartier
général. Enfin
Liège fut pris, ou plutôt les habitants
l'abandonnèrent pour se sauver dans les
bois ; et le monarque français
vit détruire sous ses yeux cette malheureuse cité dont il avait
causé la ruine. Lorsqu'il eut ainsi essuyé tous les genres d'humiliation,
il lui fut ermis de se retirer. Tremblant encore de voir le
duc changer d'avis,
il lui dit en partant :
Si vous avez affaire de moi, ne n'épargnez pas
; je ne désire partir que pour aller à Paris faire publier notre,
appointement en cour de parlement. J'espère que nous nous reverrons l'été
prochain en Bourgogne, et que nous passerons quelques jours ensemble, faisant
bonne chère.
Charles ne se donna même pas
la peine de cacher le mépris que ce langage lui inspirait. Mais le roi
avait échappé au plus grand danger que son imprudence lui ait jamais
fait courir. Il n'avait donné pour s'en tirer que des promesses, des serments,
et il trouvait que c'était bien peu. Ce qui l'intéressait davantage,
c'est que Chabannes lui avait conservé son armée, malgré
un ordre positif de la licencier, ordre que le
duc de
Bourgogne lui avait fait
écrire à
Péronne, sous sa dictée.
Son premier soin
fut de l'augmenter ; et loin de faire publier en parlement
son appointement
de
Péronne, il ne permit pas même qu'on lui en parlât et ne
souffrit jamais qu'on prononçât devant lui le nom de cette ville.
On raconte que, quelques habitants de
Paris ayant instruit des pies et des geais
à le répéter, il envoya des gens chargés de tuer ces
oiseaux et d'informer contre leurs malins instructeurs. L'article du nouveau traité
qui lui tenait le plus à cur était la cession à son
frère des comtés de
Brie et de
Champagne. Charles l'avait fait souscrire
à cet arrangement, non pour l'avantage du
duc de Berri, mais parce que,
ces provinces touchant aux Etats de
Bourgogne, il lui convenait d'avoir pour voisin
un prince faible, qui d'ailleurs lui était dévoué et qui
pourrait au besoin lui ouvrir le chemin de la capitale. Le roi, qui avait pénétré
ces motifs, cherchait tous les moyens d'éluder sa promesse : n'osant pas
d'abord y manquer ouvertement, il mit en usage toutes sortes de ruses pour faire
accepter à son
frère le
duché de Guyenne, qui, en l'éloignant
du prince
bourguignon, devait le soustraire à son
influence. Mais il fut
trahi dans cette affaire par le
cardinal de la Balue, qu'il avait tiré
du néant pour en faire son ministre et qui depuis longtemps trafiquait
de ses secrets avec le
duc de Berri, le
duc de
Bourgogne, le pape et tous ceux
qui voulaient les acheter. On surprit la correspondance de ce traître, et
le roi y vit les preuves d'un grand nombre de perfidies
(2).
C'en était assez pour que le coupable fût livré au dernier
supplice : mais Louis se crut obligé de montrer quelque déférence
au
saint-siège ; et il envoya au pape un ambassadeur pour le prier de nommer
des
juges ecclésiastiques. Le
pontife, qui avait profité des perfidies
de la Balue, éluda cette proposition ; et ces retards sauvèrent
le
cardinal, qui
expia néanmoins ses crimes dans une longue et cruelle
captivité. On voit ainsi que
Louis XI, quelque soupçonneux et rusé
qu'il fût dans sa politique, n'était pas à l'abri de tous
les genres de tromperies, et que, malgré sa prétention de porter
son conseil dans sa tête
(3), il eut aussi des ministres
et des favoris qui abusèrent de sa confiance, et ce furent précisément
ceux qu'il avait tirés de la plus basse condition. Il est vrai qu'il leur
fit payer bien cher cette témérité, et qu'au moindre soupçon
personne ne trouvait grâce devant lui (Voyez
Melun).
Les intrigues de la Balue avaient beaucoup contribué
à tenir le
duc de Berri éloigné du roi : dès que ce
prince, bon et facile, fut livré à lui-même, le monarque en
obtint tout ce qu'il voulut.
Les deux frères eurent à
Saintes une
entrevue dans laquelle, selon l'usage de ce temps, ils se parlèrent d'abord
à travers des barreaux de fer. Ce ne fut que le second
jour qu'ils s'embrassèrent.
Louis fit renoncer son
frère à la
Brie, à la
Champagne et
à la Normandie pour accepter la Guyenne ; et, ce qui caractérise
aussi bien le monarque français que les murs de ce siècle,
il lui fit jurer, sur la
croix de St-Lô,
de n'être consentant ni
participant de prendre jamais la personne de Monsieur Louis, son frère,
ni le tuer. Le
duc promit encore de ne pas
épouser la fille du
duc
de
Bourgogne ; et ce dernier la lui ayant fait offrir secrètement quelque
temps après, il n'hésita pas à en informer le roi.
Son nouveau
duché était un peu moins considérable qu'on ne lui avait
fait espérer, parce qu'on en avait séparé des villes et des
vassaux puissants ; mais rien ne put altérer alors ses résolutions
pacifiques.
Louis XI était encore sans
enfant mâle, et le
duc de
Berri se trouvait ainsi l'héritier de la
couronne : il est probable qu'une
aussi belle perspective contribuait beaucoup à lui
inspirer du calme et
de la patience. Ainsi il paraissait être franchement dans les
vues du roi
; et ce prince le fit même consentir à
épouser Jeanne de Castille.
Il fut fiancé à cette princesse ; mais la naissance d'un
Dauphin
(Voyez
Charles VIII) vint changer sa position et ses sentiments. Le
duc
de
Bourgogne ayant profité de cette circonstance pour réitérer
ses offres, et le
duc de
Bretagne ayant en même temps insisté pour
qu'il acceptât une aussi belle proposition, il ne résista plus, lia
secrètement une correspondance avec ces deux princes et s'engagea bientôt
par de nouveaux traités. Le roi ne tarda pas à en être informé
; et le hasard lui fit voir près d'éclater le complot le plus vaste
et la ligue la plus redoutable qui eût encore été formée
contre lui. Dans la frayeur que lui
inspira cette découverte, il se hâta
de conclure avec le
duc de
Bourgogne une trêve, à laquelle ce prince
dut le salut de son armée, engagée témérairement sur
la Somme. Depuis qu'il était sur le trône, Louis n'avait cessé
d'avoír les armes à la main ; et, toujours obligé de résister
à des
ennemis puissants et à des ligues nombreuses, il s'était
vu plusieurs fois menacé d'une ruine complète.
Son frère
avait été la cause ou le prétexte de toutes ces ligues, et
dans ce moment il allait encore se placer à la tête d'une coalition
plus formidable. C'est dans de telles conjonctures que le
duc de Guyenne fut empoisonné
: ce crime n'a jamais été mis en doute ; on ne varie que sur le
nom de celui qui en fut l'auteur
(4). Le roi s'efforça
de paraître extrêmement affligé de cet événement
; il fit faire à son
frère un service magnifique, ordonna des prières
publiques, et prescrivit à cette occasion la récitation de l'
Angelus
à genoux, au son de la cloche de midi, ce qu'il observait lui-même
très exactement. Mais au milieu de ses chagrins et de sa dévotion
vraie ou simulée, il ne perdit pas de
vue ses intérêts. Au
premier avis du danger de son
frère, il fit marcher des troupes vers la
Guyenne ; et dès que Charles eut
fermé les yeux il prit possession
de ses Etats, pendant que le
duc de
Bourgogne, en fureur, le proclamait un assassin,
et déclarait dans un manifeste qu'après
s'être défait
de son frère par poisons, maléfíces, sortilèges,
Louis venait de séduire trois jeunes seigneurs de sa cour pour l'assassiner.
Le monarque répondit par des allégations à peu près
semblables ; et, pour les appuyer par des faits, il fit arrêter un marchand
bourguignon nommé Hardi, que l'on accusa d'avoir cherché à suborner deux valets du roi afin d'empoisonner leur maître, et qui, un peu plus tard, fut écartelé en place de Grève.
Ces invectives si indignes d'aussi grands souverains devaient
amener des événements encore plus déplorables. La guerre
se ralluma avec une fureur sans exemple, même dans ces temps de désolation
; et tandis que le
duc de
Bourgogne portait le fer et le
feu dans la Normandie
et la Picardie, où la ville de
Beauvais put seule lui résister (Voyez
Hachette), les généraux de
Louis XI exercèrent contre
la Flandre et la
Bourgogne de terribles représailles. Pendant ce temps,
le roi tenait en échec le
duc de
Bretagne ; et lorsqu'il eut forcé
ce prince d'accepter une trêve, le
duc de
Bourgogne, dont tout le triomphe
se bornait à des ravages et qui n'avait plus à parcourir qu'un pays
ruiné, fut obligé de consentir à des conditions semblables.
Cette trêve n'était que de trois mois ; mais elle fut prolongée,
beaucoup plus par le besoin et l'épuisement des parties que par leur désir
de rester en paix. A peine un traité était-il signé qu'on
songeait à le rompre ; et lorsqu'on ne pouvait plus combattre, on cherchait
à nuire à ses rivaux par d'autres moyens. Telles étaient
les murs et la politique du
XVème siècle. Si la bonne foi
fut alors bannie de la terre, on ne peut pas dire qu'elle se fût réfugiée
dans le cur des princes. Le roi d'
Aragon n'avait pas été compris
dans ces arrangements, quoiqu'il eût pris part aux hostilités contre
Louis XI, et qu'il eût voulu se libérer ainsi des trois cent mille
écus qu'il devait à ce monarque. Louis, qui désirait, de
son côté, recouvrer cette somme, même en gardant le
Roussillon,
qui en était le gage, dirigea une armée contre
Perpignan ; mais
ses généraux ne purent enlever cette place. Le monarque aragonais
s'y était établi en personne, et lui seul la défendit par
son exemple. Louis fit encore, l'année suivante, marcher des troupes de
ce côté ; et, profitant d'un moment de sécurité qu'il
avait su
inspirer au roi d'
Aragon, il surprit ses frontières sans défense
et livra le pays aux plus affreux ravages. J
e vous donne la dépouille
de tous ces révoltés, écrivait-il à son général
Bouille ;
et afin que d'ici à vingt ans il n'en retourne nul, faites-leur
trancher la tête. Heureusement
Bouille était un homme de bien
; il demanda grâce pour ces malheureux, et le roi l'écouta. Cette
guerre fut terminée par un traité le 17 septembre 1472 : Louis reçut
une partie de son
argent, et resta maître des provinces engagées.
C'est vers la même époque qu'il envoya le
cardinal
Jouffroy contre le comte d'
Armagnac, qui, après avoir fait dans
Lectoure
une vive résistance, périt victime du plus horrible assassinat.
Le roi méditait depuis longtemps cette vengeance : mais il n'en avait pas
trouvé l'occasion ; car, dit
Mézerai,
il n'omettoit jamais de
se venger, sinon lorsqu'il en appréhendoit de dangereuses conséquences.
Il ne faut cependant pas croire, avec cet
historien, que
Louis XI ne cherchât
jamais qu'à satisfaire un vif ressentiment. Il est évident qu'après
le règne du trop facile Charles VII, où tous les ressorts de l'autorité
s'étaient relâchés, son successeur fut obligé d'user
d'une grande rigueur. L'inflexibilité avec laquelle il fit périr
un si grand nombre d'
ennemis de son pouvoir était sans doute dans son caractère
; mais on doit avouer que la monarchie avait alors besoin d'être soutenue
par une main aussi ferme. Ce prince régnait depuis quatorze ans, et il
n'avait pas cessé de lutter contre ses
vassaux, contre ses sujets, et contre
des voisins puissants et ambitieux, prêts à se partager ses dépouilles.
Mais son activité et la fermeté de ses résolutions avaient
donné à sa puissance, au dedans comme au dehors, une
force et une
stabilité telles, que désormais rien ne pouvait l'ébranler.
Enfin il était, à cette époque, dans la plus heureuse position
pour mettre à profit toutes les chances qu'allait lui offrir la fortune,
toutes les fautes qu'allaient faire ses
ennemis.
Il faut avouer qu'à cet égard
il fut plus heureux qu'il ne pouvait l'espérer, et que le plus redoutable
de ses adversaires, le
duc de
Bourgogne, fit, par haine pour sa personne, au delà
de tout ce qu'il pouvait attendre. Ce prince, entraîné par l'ambition
la plus insensée, prétendait ressembler à Annibal, et il
s'efforçait en tout point d'imiter ce grand capitaine ; mais au moment
où il marchait à la conquête du monde, il fut arrêté,
à son passage des Alpes, par des paysans suisses qu'il avait méprisés,
et que le roi de France aidait secrètement. Ces braves Helvétiens
firent éprouver de sanglantes défaites à leur téméraire agresseur, qui avait déjà essuyé un pareil échec devant la petite ville de Nuyts. Ces expéditions du
duc de
Bourgogne étaient d'autant plus folles que pendant ce temps le roi d'Angleterre, Edouard IV, son allié, descendait en Picardie avec la plus belle armée que les Anglais
eussent encore fait débarquer sur le continent. L'indignation de ce prince
fut extrême lorsqu'il vit que le
duc ne venait pas se réunir à
lui comme ils en étaient convenus ; et le roi de France profita habilement
de cette circonstance pour entrer en négociation avec Edouard. Persuadé
qu'il arriverait mieux à son but par des séductions que par la
force
des armes, Louis épuisa ses trésors, fit des emprunts de tous côtés, et combla de ses largesses les ministres, les conseillers, les soldats
(5), et le monarque lui-même, qui reçut un présent de cinquante mille écus. C'était bien peu pour la
couronne de France qu'Edouard avait réclamée dans son manifeste. Louis promit de lui payer une pareille somme chaque année, et de marier le
Dauphin avec une princesse anglaise : il prit encore beaucoup d'autres engagements, que son intention n'était sans doute pas de tenir ; car son système, bien arrêté par son
goût autant que par les avis de Sforce, était qu'en pareil cas il faut
donner ce qu'on n'a pas, et promettre ce qu'on ne peut pas donner. Enfin il fit si bien, qu'en moins d'un mois toute cette expédition rentra dans les ports d'Angleterre, et qu'Edouard fut son pensionnaire et son allié.
Après avoir éloigné avec tant de bonheur
ce redoutable
ennemi, Louis eut bon compte du
duc de
Bretagne, et même du
duc de
Bourgogne, dont les embarras augmentaient de
jour en
jour par ses téméraires
entreprises. Ces deux princes conclurent encore une trêve à la fin
de 1475 ; c'était la septième depuis quatorze ans ! Dans celle-ci,
comme les triumvirs romains, ils se sacrifièrent réciproquement
leurs amis et leurs
ennemis. Louis n'y fit pas comprendre le
duc de Lorraine,
qu'il venait d'exciter à une levée de
boucliers dont Charles voulait
le punir ; et, de son côté, le prince
bourguignon livra le
connétable
de St-Pôl, dont le roi cherchait à se venger. Pour satisfaire son
ressentiment, ce prince renonça aux places de
St-Quentin et de
Ham. Le
sang de cette victime fumait encore, lorsque le
duc de
Bourgogne, qui l'avait
si indignement livrée, périt lui-même devant
Nancy le 05
janvier
1477. Dès que
Louis XI reçut cette nouvelle, il ne put dissimuler
sa joie ; et il l'annonça à ses bonnes villes par une circulaire,
donna un grand dîner, partit pour un
pèlerinage d'actions de grâces,
et voua une balustrade d'
argent au tombeau de St-Martin, à
Tours. De tels
soins ne l'empêchèrent pas de tirer parti de l'événement
: il mit ses troupes en campagne, et reprit les places de la Somme qui avaient
été le prix du sang du
connétable ; d'un autre côté,
il fit signifier aux Etats de
Bourgogne qu'en sa qualité de seigneur
suzerain
il était maître de cette province, le
feu duc n'ayant pas laissé
de postérité masculine. Cette prétention, appuyée
par une armée, n'éprouva aucun obstacle.
Pendant que l'héritage du
duc de
Bourgogne était
ainsi de toutes parts envahi, sa jeune héritière, environnée
de conseillers timides et d'un peuple turbulent, n'osait prendre aucune détermination.
Cette princesse avait vingt ans ; on voulait lui faire
épouser le
Dauphin,
qui n'en avait que huit. Quelque répugnance que cette différence
d'âge pût lui
inspirer, le désir de la paix et l'horreur des
divisions qui l'avaient tant affligée sous le règne de son père
l'y faisaient consentir. Ainsi l'on ne peut douter qu'une aussi grande affaire
fût entièrement à la
disposition du roi ; mais elle n'entrait
pas dans sa politique, et sa première pensée fut de
diviser cet
immense héritage, d'en réunir à son domaine la meilleure
partie et de distribuer le reste à ses généraux. Il le déclara
positivement, dès le premier instant, à ceux qui l'entouraient ;
et tous les ordres qu'il donna ont été la conséquence de
cette première résolution. Au reste, on ne saurait nier que ce plan,
qui depuis longtemps était le principal but de sa politique, ne fût
alors d' une exécution facile. Peut-être que plus tard, lorsqu'il
vit le fils de l'empereur prêt à lui ravir une aussi riche proie,
éprouva-t-il quelques regrets. Mais il n'était plus temps ; le développement
de ses projets ambitieux avait révolté tous les
esprits ; et la
princesse, qui venait de voir périr deux de ses plus fidèles serviteurs
par suite d'une perfidie du roi (Voyez
Marie de Bourgogne), ne pouvait
plus donner sa main qu'à l'
archiduc Maximilien. Ainsi
Louis XI, par de
faux calculs d'ambition ou peut-être de haine contre la maison de
Bourgogne,
avait lui-même tout fait pour amener cette alliance avec l'Autriche, qui
devait causer tant de maux à la France. Il parut s'apercevoir de cette
faute lorsqu'il voulut ensuite faire
épouser par le
Dauphin la fille de
Marie ; mais l'occasion n'était plus la même, et Marguerite d'Autriche
n'apportait pas en dot la riche succession de
Bourgogne (Voyez
Charles VIII).
La mort de
Charles le Téméraire n'offrit donc à Louis qu'une
occasion de s'emparer par la violence de ses vastes domaines. Ses armes firent
de grands progrès en Flandre et en Picardie. Beaucoup de places se rendirent
sans combattre : d'autres opposèrent quelque résistance ; et, selon
sa coutume, il usa envers celles-ci d'une rigueur d'autant plus blâmable
que leur tort était de se montrer fidèles au souverain légitime.
Il changea jusqu'au nom d'
Arras, qu'il nomma
Franchise ; et les habitants
de cette ville les plus honnêtes et les plus considérables furent
livrés au prévôt Tristan qui leur fit trancher la tête
; les autres furent dispersés, et l'on donna leurs biens à des aventuriers.
Un peu plus tard, ceux d'Avesne, de
Condé et de
Mortagne furent traités
d'une manière aussi cruelle. Une lettre de l'empereur fit alors connaître
au roi que ce prince était décidé à soutenir la cause
de son fils ; et Maximilien reçut en effet des renforts, avec lesquels
il ne tarda pas à se mettre en campagne. De son côté, Louis
n'avait rien négligé pour être en mesure de défendre
ses conquêtes ; et tandis qu'il avait cimenté son alliance avec l'Angleterre,
il en avait formé de nouvelles en Allemagne, en
Suisse et en Italie. En
même temps il avait augmenté le nombre de ses troupes, et toutes
ses places étaient dans le meilleur état de défense. Actif
et vigilant, ses
ennemis ne le prirent jamais au dépourvu. Si une telle
prudence exigeait beaucoup de soins et d'
argent, il faut avouer qu'elle épargna
souvent le sang des soldats ; et, comme l'a dit l'
historien Molinet, il est bien
vrai que Louis aima toujours mieux
perdre dix mille dans que de risquer la
vie d'un archer ; ou, ce qui est plus probable (car on ne peut pas, de bonne
foi, faire honneur d'une pareille réserve à son humanité),
il savait que les chances de la guerre sont incertaines, que ses pertes sont irréparables,
mais que rien n'est plus facile à un souverain que de recouvrer les sacrifices
d'
argent. Cependant ses dépenses furent telles, à cette époque,
que le parlement crut devoir y mettre une opposition, comme il avait déjà
fait en 1470 pour les aliénations du domaine. Cette cour fit une remontrance,
dont on ne voit pas que Louis ait tenu beaucoup de compte. Il était alors
occupé d'un procès qu'il venait intenter à la mémoire
de
Charles le Téméraire, devant la cour des pairs,
pour crime
de félonie, offrant des
sauf-conduits à son gendre et à
sa fille, afin qu'ils pussent venir le défendre en personne, ou envoyer
des fondés de pouvoirs. A leur défaut, il nomma d'office des avocats
au défunt ; et les siens, remontant jusqu'aux ancêtres de Charles,
outragèrent indignement leur mémoire, récapitulèrent
tous les torts de ce
duc et vantèrent la bonne foi et le désintéressement
du roi, dont le seul but, dans ce ridicule procès, était évidemment
de confisquer à son profit les domaines du défunt. Mais ces domaines
étaient désormais dans les mains d'un jeune prince qui pouvait les
défendre.
Maximilien, après avoir repris
Cambrai, venait d'obtenir
sur les généraux de
Louis XI, à Guinegate, une victoire importante,
mais qui ne fut pas décisive. C'est dans cette campagne que, le
duc d'Autriche
ayant violé les lois de la guerre les plus sacrées en faisant pendre
un officier français qui avait eu le courage de résister pendant
trois
jours à toute son armée avec une seule compagnie, le roi se
vengea de cette
infamie d'une manière inouïe jusqu'alors. Le prévót
Tristan reçut ordre de choisir cinquante des prisonniers les plus considérables,
et il en fit pendre dix sur la place où l'officier avait été
exécuté, dix autres devant
Douai, dix devant St-Omer, dix devant
, et dix devant
Arras. Cette guerre traîna encore en longueur plusieurs
années, et fut mêlée de succès et de revers. Les généraux
français, qui d'abord avaient éprouvé des échecs en
Franche-Comté, prirent leur revanche l'année suivante (1479), et
ils s'emparèrent d'
Auxonne, de Dôle, etc.
(6). Le roi vint lui-même
à
Dijon ; et il y établit un parlement, un hôtel des monnaies,
y fit de grandes promesses à ses nouveaux sujets, et gagna pour toujours
ce pays à la France. D'un autre côté, il conservait en Flandre
et en Picardie la plupart de ses conquêtes ; mais craignant de les perdre
par la prolongation de la guerre, il aurait voulu se les assurer par un traité
de paix. Il essaya de faire entrer dans ses
vues le
cardinal de la Rovère,
envoyé du pape auprès des souverains de l'
Europe pour les engager
à se réunir contre Mahomet II, qui menaçait d'envahir l'Occident.
Il est probable que le roi n'avait aucune
envie d'entrer dans une pareille
croisade
; mais il s'en servit habilement pour faire
déposer les armes à
Maximilien, en lui proposant de proroger la trêve tant que les infidèles
seraient en Italie,
afin, dit-il,
que je puisse servir Dieu et Notre-Dame
contre le Turc. Lorsque cette trêve fut arrêtée, on voulut
ouvrir des négociations de paix ; mais la défiance était
si grande, que les négociateurs, ne pouvant pas convenir du lieu où
ils se réuniraient, communiquèrent par correspondance de
à
Arras.
Ils vous mentent bien, écrivait aux siens
Louis XI,
mentez
bien aussi. Tous ces mensonges n'amenèrent rien de décisif.
Mais le roi d'Angleterre ayant fait comprendre à Maximilien que, Louis
étant près de sa fin, il ferait mieux d'attendre, les opérations
cessèrent de part et d'autre.
En effet, dès le commencement de 1481, Louis avait
éprouvé une attaque d'apoplexie ; et les approches de la mort ajoutant
à son caractère inquiet et soupçonneux, il ne s'occupait
plus que de ses terreurs. Renfermé dans son château de Plessis-lez-Tours,
il s'y rendait inaccessible. Un fossé large et profond fut creusé
tout autour. On n'arrivait à la porte qu'après avoir passé
sur deux ponts-levis, et cette porte ressemblait au guichet d'une prison. Toutes
les murailles étaient hérissées de longues pointes de fer
; et quatre cents archers, qui veillaient
jour et nuit autour de cette effrayante
demeure, avaient ordre de tirer sur tous ceux qui en approchaient sans permission.
Ne voulant pas paraître si près de sa fin, et craignant de faire
connaître l'altération de son visage, le roi ne se montrait plus
au public que de très loin et magnifiquement habillé ; ce qui contrastait
singulièrement avec sa simplicité habituelle. C'était dans
la même intention qu'il publiait chaque
jour de nouveaux règlements,
qu'il ôtait ou donnait des emplois, qu'il adressait à ses ministres,
à ses ambassadeurs et au parlement des lettres très fermes et très
impérieuses. Enfin il ne semblait occupé que du soin de faire croire
son autorité plus active et plus forte ; sa seule crainte était
qu'on ne s'aperçût de sa décadence. Une seconde attaque étant
venue augmenter ses terreurs, sa défiance devint extrême : il changeait
chaque
jour ses domestiques, augmentait le nombre de ses gardes, tremblait devant
son médecin (Voyez
Coytier), et ordonnait d'horribles supplices.
Au moment où il prenait des précautions si cruelles contre les hommes,
voulant apaiser le
ciel par tous les moyens qu'
inspire la crainte, il ordonnait
des
pèlerinages, des processions, faisait recueillir des
reliques dans
toutes les contrées, prodiguait des biens immenses aux gens d'
Eglise, et se mettait à genoux devant l'ermite
François de
Paule, qu'il avait fait venir du fond de la
Calabre. « Il y a du plaisir, dit
Mézerai, à lire dans les
historiens tout ce que la crainte de la mort et celle de perdre son autorité faisaient faire au roi
Louis XI dans les dernières années de son règne. » Et
Mézerai n'épargne pas les détails ; il en adopte même de fort incertains. Nous ne dirons donc pas avec lui, d'après Robert Gaguin et d'autres chroniqueurs, que
Louis XI se plaisait à entendre les gémissements des malheureux auxquels il faisait donner la torture, ni qu'il avait fait construire un cachot sous sa
chambre à coucher, de manière qu'aucune plainte des victimes ne pût lui échapper ; ni enfin qu'il faisait tirer du sang à des
enfants pour le boire : c'est bien assez que les
historiens les plus timides n'aient pu passer sous silence les cages de fer où il enfermait des prisonniers, ni les énormes chaînes appelées les
fillettes du roi, destinées à tenir ces malheureux attachés ; ni enfin les
noyades exécutées dans des sacs. C'est bien assez que l'on ne puisse
contester que le nombre des exécutions dirigées par son prévôt
Tristan, qu'il appelait son compère, et qu'il eut le tort ineffaçable
d'admettre dans sa familiarité.
Mais ce n'est pas seulement sur ces
derniers faits, ni sur la fin de sa carrière, que l'
histoire doit juger
ce monarque ; il est évident qu'il était alors dans une espèce
de délire ou de démence, qu'il sentait bien lui-même et que
tous ses efforts tendaient à dissimuler. Les
historiens ne sont pas d'accord
sur la nature de sa maladie ; les uns disent que ce fut l'épilepsie, d'autres
l'apoplexie. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'elle lui laissait quelques bons
intervalles, et que c'était alors qu'il demandait à
Dieu pardon
de ses crimes
(7).
Louis XI n'avait pas eu le temps d'accomplir
ses projets, et il est évident qu'après avoir obligé tant
de
grands vassaux à se courber devant l'autorité royale, de telle
sorte qu'on a dit avec raison qu'il avait mis les rois
hors de page ; après
avoir ajouté au royaume plus d'un quart de son étendue
(8), il lui restait encore beaucoup à faire. On sait avec quel soin il cherchait à se rendre populaire en favorisant les bourgeois, qu'il visitait dans
leur famille, et qu'il admettait souvent à sa table : il ne s'en tint pas envers eux à ce genre d'encouragement ; il seconda leur commerce, autant qu'il put le faire dans ces temps d'
ignorance et de calamités ; il fit venir de Grèce et d'Italie des ouvriers, qui pour la première fois fabriquèrent en France des étoiles de soie, d'or et d'
argent. Ce fut aussi
Louis XI qui établit la poste (Voyez
Olivier Maillard), et qui favorisa l'introduction des premiers imprimeurs à
Paris (Voyez
Gering). Il avait le projet d'ordonner dans tout son royaume l'uniformité des poids et mesures ; il fit réunir toutes les coutumes et les ordonnances, dont il voulait composer un code universel. Lorsqu'il se vit près de sa fin, une de ses plus grandes inquiétudes fut que son fils ne pût pas achever l'exécution de ses plans ; et il paraît qu'il se repentit de n'avoir pas donné d'autres soins à son éducation. Craignant qu'il n'eût envers lui les torts que lui-même avait à se reprocher envers son père, il l'avait toujours tenu éloigné de la cour ; et ce prince était sans instruction (Voyez
Charles VIII). Le roi ne voulait pas qu'il sût d'autre latin que ces cinq mots, dont il faisait sa maxime favorite :
Qui nescit dissimulare nescit regnare. Quelques
jours avant sa mort, s'étant rendu à
Amboise pour lui faire ses adieux, il lui adressa quelques exhortations vraiment paternelles en faisant noblement l'aveu de ses fautes, et il l'engagea à ne rien changer dans son gouvernement. Depuis cette scène touchante, il ne parla plus de son fils qu'en disant
le roi.
Louis XI, en effet, ne régnait plus : il n'eut que le temps de faire quelques
dispositions pieuses ; le 31 août 1483 il se confessa, reçut les sacrements et mourut en disant :
Notre-Dame d'Embrun, ma bonne maîtresse, aidez-moi (9).
L'
histoire n'offre aucun souverain dont le portrait soit plus difficile à tracer que celui de ce monarque ; et l'on n'a peut-être jamais vu dans le même homme autant de contrastes et de passions opposées. Il ne négligea aucun moyen de se procurer de l'
argent ; il établit des impôts considérables, et pourtant il n'avait aucun faste, ni dans sa cour ni dans sa personne : mais quand il ne pouvait pas vaincre ses
ennemis par les armes il en triomphait par la corruption. Il aurait eu, plus que Philippe de Macédoine, le droit de dire qu'une place était prise lorsqu'il pouvait y faire entrer un mulet chargé d'
argent. C'est ainsi qu'il épargna souvent le sang de ses sujets : car, bien qu'il n'ait pas été une seule année sans faire la guerre, il n'y eut que deux grandes batailles sous son règne, celle de
Montlhéry et celle de Guinegate. Mais en admirant une réserve aussi digne d'être louée, on regrette de ne pouvoir l'attribuer à son humanité ; car s'il évita soigneusement de répandre le sang de ses sujets sur le champ de bataille, il le fit couler sur les échafauds avec une profusion jusqu'alors sans exemple dans notre
histoire. Cependant, si l'on en excepte les derniers moments de sa vie, il ne manqua jamais de faire observer les formes judiciaires, usitées dans ce temps-là
(10) ; ses condamnations ont toujours été prononcées par des
juges, même celle du
duc de
Nemours, où son plus grand tort fut d'
ajouter aux horreurs du supplice par un appareil plus affreux que le supplice lui-même, et de partager entre les
juges les dépouilles de la victime.
Aucun souverain ne fut aussi défiant que
Louis XI ; et cependant il en est peu qui aient essuyé plus de trahisons de la part de leurs ministres et de leurs favoris ; il en est peu qui soient tombés dans des pièges plus grossiers. D'une mobilité excessive, ses
goûts et ses passions changeaient à chaque instant de direction et d'objet ; et c'est ainsi qu'on le vit successivement confiant et soupçonneux, avare et prodigue, audacieux et timide, clément et cruel. Doué d'une activité incroyable, il voyait tout par lui-même, de peur d'être trompé ; et il fit deux ou trois fois le tour de son royaume. L'
Europe prit alors une face toute nouvelle ; et c'est à son siècle que l'on doit rapporter l'origine de la politique actuelle des souverains, et surtout leurs communications et leurs rapports diplomatiques, qui, pour être plus polis et moins brusques dans les formes, n'ont pas beaucoup gagné sous le rapport de la bonne foi. Ainsi que l'a remarqué M. Michelet,
Louis XI fut l'écho de cette politique machiavélique italienne dont
Venise était alors le parfait modèle. Mais moins patient que ne l'étaient les rusés diplomates italiens, le roi de France, qui prévoyait tout, ne savait pas différer.
Son règne est un des plus curieux de notre
histoire, par la prodigieuse quantité d'événements, et par la révolution absolue qu'éprouva la monarchie.
Louis XI sut imprimer à l'autorité
royale un mouvement de vigueur et de
force, qui s'est encore augmenté sous les règnes suivants, malgré la faiblesse de quelques-uns de ses successeurs. Enfin, comme l'a dit Duclos, ce prince fut également célèbre par ses vices et par ses vertus ; mais, tout mis en balance, c'était un roi. Les grands, dont il s'était fait des
ennemis irréconciliables, répandirent contre lui beaucoup de calomnies et de
libelles. C'est ainsi que l'apologiste du
duc d'
Alençon ne trouva pas d'autre moyen de se justifier que d'accuser son souverain ; et que de
Seyssel, qui, dans son
Histoire apologétique de Louis XII, a voulu faire ressortir davantage les qualités de celui-ci, a exagéré les torts de
Louis XI. Toutefois on doit reconnaître que, comme beaucoup de grands politiques,
Louis XI fut un homme peu fait pour
inspirer l'estime et un attachement désintéressé. Entre autres créations de ce monarque, il faut citer encore l'ordre de St-Michel, institué en 1466 (Voyez
François II). L'
esprit de ce prince n'était dépourvu ni de finesse ni de culture ;
Comines dit qu'il avait eu n
ourriture autre que les seigneurs de ce royaume. On
cite de lui beaucoup de mots très piquants.
Louis XI laissa de Charlotte de Savoie Charles VIII, qui lui succéda ; Anne,
duchesse de
Beaujeu ; et Jeanne, première femme de
Louis XII (Voyez sainte Jeanne). Il eut encore deux filles de madame de
Sassenage, sa maîtresse.
On doit consulter sur le règne de ce prince :
l°
la
Chronique scandaleuse (Voyez Jean de
Trotes) ;
2° l'
Histoire de son règne, faisant suite à celle de Charles VII, d'abord attribuée à un
prêtre liégeois, Amelgard, mais que M. J. Quicherat a reconnu être de Thomas Basin,
évêque de
Lisieux,
prélat qui avait eu beaucoup à souffrir des persécutions de
Louis XI.
3° les
Mémoires de Comines ;
4° l'
Histoire de Louis XI, par P.
Mathieu ;
5° Rerum gallicarum commentarii ab anno 1461 ad annum 1480 (Voyez
Beaucaire) ;
6° Histoire
de Louis XI, par Duclos, publiée en 1745 ;
7°
Louis XI et Charles le Téméraire,
par Jules Michelet,
Paris, 1844, in-8° ;
8° Histoire de Louis XI, par Philippe de
Ségur,
Paris, 1830, in-8°. Nous ne ferons qu'indiquer Varillas, mademoiselle de
Lussan, Brizard, le
Règne de Louis XI, par Dumesnil, in-8°,
Paris, 1811 et 1820. Mercier a fait un drame intitulé
La Mort de Louis XI, 1738, in-8° ; pièce fort inférieure à celle dont le même roi a fourni le sujet à Casimir Delavigne.
________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________
(1) Philippe le Bon étant mort le 15
juillet 1467,
Charles le Téméraire, comte de Charolais, était devenu
duc de
Bourgogne.
(2) C'était par les suggestions de cet indigne
prélat que
Louis XI avait aboli la pragmatique sanction, ce boulevard élevé, après tant de siècles de dissensions, contre les prétentions de la cour de Rome. Cependant les conseils de Jean de la Balue ne furent pas les seules causes de sa détermination. Plusieurs
évêques et
théologiens réclamaient cette abolition (Voyez
La Tradition de l'Eglise sur l'institution des évêques, par M. de Lamennais. t. 3, p. 106) : le pape avait fait espérer au monarque français qu'il le seconderait dans son projet de remettre la
maison d'Anjou sur le trône de Naples (Voyez
Pie II et
Paul II). Enfin, le
pontife l'avait séduit par toutes sortes de flatteries, et il lui avait promis d'envoyer en France un
légat qui nommerait aux bénéfices, de manière que l'
argent ne sortît pas du royaume. Toutes ces promesses n'avaient été qu'un
jeu concerté d'abord avec Jouffroy, ensuite avec la Balue : ce dernier mettait à cette affaire une telle importance qu'il alla lui-même lire l'édit d'abolition du parlement ; mais cette cour le repoussa avec beaucoup de fermeté, et fit la fameuse remontrance de 1467.
Vous devriez avoir grande honte, lui dit le procureur général St-Romain,
de poursuivre cette expédition. Comme le roi commençait à voir qu'il était joué et qu'il avait besoin du parlement pour ses impôts, il ne poussa pas la chose plus loin, et l'édit resta sans exécution. Cependant il ne fut pas supprimé, et
François Ier le remit en vigueur par son
concordat.
Louis XI ne gagna guère à ses complaisances pour la cour de Rome que le titre de
roi très-chrétien, que le pape lui donna et qui fut dès lors consacré pour les rois de France.
(3) Le maréchal de
Brézé, qui avait aperçu ce ridicule dès le commencement du règne de
Louis XI, le
voyant un
jour monté sur un
cheval très faible, lui dit :
Ce cheval est plus fort qu'on ne croit, car il porte le roi et son conseil. Cette flatterie eut le plus grand succès auprès du monarque.
(4) Le
duc Charles de Guyenne se trouvait à table chez son aumônier, Faure de Versois, abbé de St-Jean d'Angély, à côté de la
dame de
Montsoreau, sa maîtresse. Il partagea avec elle une pêche qu'on lui avait présentée, et cette
dame mourut presque subitement ; le prince languit pendant plusieurs mois. L'abbé et un nommé de Laroche, écuyer de bouche, furent mis en prison : on commença leur Procès, et leurs premières déclarations furent contre le roi ; mais
Lescun, ministre du
duc de
Bretagne, craignant qu'ils ne fussent relâchés à la faveur des troubles, les fit transférer dans les Etats de ce prince, où le procès allait être repris dix-huit mois plus tard, en présence de commissaires que le roi y avait envoyés, lorsque
Laroche s'évada et que Versois fut trouvé étranglé dans sa prison.
(5) Louis envoya dans le camp anglais trois cents chariots chargés des meilleurs vins, et donna ordre qu'on reçût tous les Anglais dans les auberges, à
Amiens, où il était. Le nombre en fut si grand qu'il causa de l'inquiétude à
Comines, qui trouva un
jour, à neuf heures du matin, cent écots dans un seul cabaret. Il en avertit le roi. Le monarque, craignant de perdre le
fruit de sa largesse en y mettant fin trop brusquement, ne fit servir à dîner dans la loge du portier du côté où ils entraient, et il invita des officiers anglais, qui, honteux de l'indiscrétion de leurs soldats, y mirent eux-mêmes
des bornes.
(6) Besançon ne fut point pris. On n'osa pas faire le siège de cette ville, parce qu'elle était en état de résister ; mais, quand toute la province fut soumise, Charles d'
Amboise ordonna le siège de
Besançon. Alors les habitants représentèrent qu'ils n'étaient point sujets du
duc de
Bourgogne, et calmèrent
Louis XI en lui faisant offrir la garde de leur cité comme l'avait eue le
feu duc et comme l'eurent les rois d'Espagne jusqu'en 1664 (Voyez
Varin).
(7) Les derniers moments de
Louis XI furent marqués par un redoublement de sa superstition ordinaire. La
sainte ampoule dont il avait été sacré fut le dernier remède auquel il s'avisa de recourir. Il la demanda à
Reims, et, sur le refus de l'abbé de St-Remy, il obtint du pape l'autorisation de la faire venir. Le
souverain pontife, avec lequel il était alors au mieux, lui avait donné la permission de se choisir
un
confesseur pour
commuer les vux qu'il pourrait avoir faits (Voyez Michelet,
Louis XI et Charles le Téméraire, p. 494).
(8) Louis XI a réuni à la France l'
Anjou, le Maine, la
Bourgogne, la
Provence, le
Roussillon et plusieurs grands
fiefs.
(9) Dans les derniers temps de sa vie,
Louis XI était toujours couvert de
reliques et d'images ; il portait à son bonnet une Notre-Dame de plomb, à laquelle il demandait sans cesse pardon de ses crimes, et il en commettait de nouveaux bientôt après.
(10) Il ne paraît pas du reste s'être pour cela soucié de la justice. Témoin sa conduite dans l'affaire de
Morvilliers dont il fit un chancelier alors que celui-ci était encore sous le coup d'une accusation de malversation.
Louis XI, ayant mis au néant cette accusation, en jetant au
feu les pièces du procès, lui confia les sceaux (Voyez Michelet,
Louis XI et Charles le Téméraire, p. 70).
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 25 - Pages 170-181)