DEUXIÈME
PARTIE LES SYMBOLES
CHAPITRE III
Théorie générale du Grand uvre La Matière du Grand uvre Soufre et Mercure Leurs symboles
Les dragons de Flamel Liste des synonymes hermétiques du Soufre et du Mercure
Le Grand uvre, ou préparation de la pierre philosophale, était, comme nous l'avons
déjà dit, le but principal des alchimistes ; leurs traités ne roulent généralement que sur ce seul sujet. Aussi, dans les chapitres qui vont suivre, nous parlerons exclusivement du Grand uvre. Mais avant de donner la
clef des
symboles hermétiques, nous allons exposer en peu de mots la marche que suivaient les alchimistes pour la préparation de la pierre philosophale ; ensuite, nous reprendrons chaque partie séparément.
La Matière du Grand uvre était l'or et l'
argent,
unis au
Mercure et préparés d'une façon spéciale. L'or était pris comme riche en Soufre, l'
argent comme contenant un
Mercure très
pur ; quant au vif-argent, il représentait le Sel, moyen terme d'union. Ces trois
corps préparés selon certains procédés étaient
enfermés dans un matras de verre, l'uf philosophique,
fermé avec soin. Le tout était chauffé dans un
fourneau nommé "athanor". Aussitôt le
feu allumé, le Grand uvre proprement dit commençait ; différents phénomènes se produisaient : cristallisations, dégagement de vapeurs qui ensuite se condensaient, etc. ; cela constituait les opérations. Au cours des dites opérations, la Matière prenait diverses colorations, que l'on nommait les "couleurs de l'uvre". Enfin, la
couleur rouge annonçait la fin de l'uvre. On prenait la Matière, on lui communiquait une plus grande puissance de transmutation à l'aide d'une opération nommée fermentation, et l'on avait
enfin la pierre philosophale.
Nous allons examiner la
composition théorique de la Matière du Grand uvre. D'après la théorie alchimique, il
était rationnel que la Matière de la pierre des philosophes fût composée de Soufre, de
Mercure et de Sel. Ces trois principes pris à l'état de pureté absolue, unis et cuits selon les règles de l'Art, devaient composer un nouveau
corps, qui, sans être un métal par lui-même, pouvait communiquer la perfection métallique au vif-argent, au plomb, à l'
étain.
Les alchimistes, en parlant de la Matière de la pierre, l'envisageaient tantôt comme une, en se rapportant à sa
composition invariable, tantôt comme triple, en se rapportant aux principes qui la formaient, tantôt ils l'appelaient quadruple, remplaçant les principes par les
éléments. «
C'est ainsi que notre Magistère est tiré d'un, se fait avec un, et il se compose de quatre et trois sont en un » (
Arnauld de Villeneuve :
Le Chemin du Chemin). Un : c'est la Matière de la pierre considérée dans son ensemble, c'est aussi la Matière unique universelle. Quatre : les quatre
éléments ; trois : Soufre,
Mercure et Sel. Les quatre
éléments sont réductibles aux trois principes, ce qui ressort d'un autre passage d'
Arnauld de Villeneuve : «
Il existe une pierre composée de quatre natures : le feu, l'air, l'eau et la terre. Le Mercure est l'élément humide de la pierre ; l'autre élément est la
Magnésie, qui ne se rencontre pas vulgairement » (
Lettre au roi de Naples). Le
Mercure froid et humide représente l'
eau et l'
air ; la
Magnésie ou Soufre représente le
feu et la terre, le chaud et le sec. Ceci explique ce que disaient énigmatiquement les philosophes, que la Matière
de la pierre a trois
angles en sa substance (les trois principes), quatre
angles en sa vertu (les
éléments), deux
angles en sa matière (fixe et volatil), un
angle en sa racine (la matière universelle). Cabalistiquement, le nombre
de la Matière est 10, car en traduisant en chiffres ce paragraphe on trouve 1+2+3+4=10.
Ils disaient encore que la Matière est végétale, animale et minérale. Végétale parce qu'elle a un
esprit, minérale parce qu'elle a un
corps, et animale parce qu'elle a une
âme ; nous retrouvons encore ici la
trilogie : Soufre,
Mercure, Sel : «
Ce Sel, ce Soufre, ce Mercure, qui sont le corps, l'esprit et l'âme, sortent tous
trois du chaos où ils étaient en confusion ou plutôt de la mer des philosophes » (
Psautier d'Hermophile). Cette mer des philosophes, ce
chaos, désignent l'unité de la Matière. Ce langage
symbolique a ruiné bien des souffleurs ; au lieu de
travailler sur les métaux, prenant les paroles des philosophes à la lettre, ils passaient leur vie à distiller des plantes, des urines, des excréments, des
cheveux, du lait, espérant trouver enfin la Matière de la pierre des sages.
Un
triangle ou un
carré symbolisaient la Matière de la pierre, selon qu'on l'envisageait comme formée des principes ou des
éléments. Parfois, ce
triangle est enfermé dans un
carré ; tel est le
symbole qui se trouve en tête de ce volume. Il a été
tiré du traité intitulé
Le Grand uvre
dévoilé en faveur des enfants de lumière. La matière présentait donc la même
composition que les métaux : «
Examine donc avec soin de quoi est formé le métal. Je te dis en
vérité qu'en cela consiste tout l'uvre des sages » (
Texte d'Alchymie).
Mais ainsi que nous l'avons vu, un grand nombre de philosophes ont passé sous silence le Sel comme troisième principe des métaux, et ils ne se sont guère occupés que du Soufre et du
Mercure. Ils donnaient au mélange de Soufre et de
Mercure, préparés pour l'uvre, le nom de
Rebis. Philippe
Rouillac donne à ce mot l'
étymologie suivante : «
Voilà pourquoi les Philosophes ont appelé la matière de leur bénite pierre : Rebis, qui est un mot latin formé de Res et de Bis, qui est autant à dire une chose deux, nous voulant induire à chercher deux choses, qui ne sont pas deux, mais une seule chose, qu'ils ont nommée Soufre et
Mercure » (
Abrégé du Grand uvre, par Philippe
Rouillac, cordelier).
Le Soufre et le
Mercure, principes mâle et
femelle, étaient symbolisés par un homme et une femme, ordinairement un roi et une reine. C'est ainsi qu'ils sont représentés dans le
Grand Rosaire imprimé au tome II, page 243 de l'
Artis Auriferæ. C'est encore sous le
symbole du roi et de la reine qu'ils sont représentés au premier
symbole des douze
clefs de
Basile Valentin, page 393 du
Museum hermeticum.
L'union du roi et de la reine constituait le
mariage philosophique.
«
Sois averti, mon fils, que notre uvre est un mariage philosophique qui doit être composé de mâle et de femelle » (Philippe
Rouillac :
Abrégé du Grand uvre). C'est à proprement parler après ce
mariage, ou union, que la matière prenait le nom de
Rebis ; on symbolisait
Rebis
par un
corps humain surmonté de deux têtes, une d'homme, une de femme. Cet
hermaphrodite chimique est commun dans les traités
hermétiques. On le trouve notamment en tête du
De Alchimia opuscula complura, puis dans le
Viatorium spagyricum, dans la traduction allemande du
Crede
Mihi de Northon, etc.
Dans les traités
hermétiques manuscrits, le roi est vêtu de rouge, et la reine de blanc, car le Soufre est rouge et le
Mercure blanc.
«
C'est là notre Mercure double : cette matière blanche en dehors, rouge en dedans» (
Texte d'Alchymie).
L'on figurait aussi le Soufre et le
Mercure par les signes de l'or et de l'
argent ; cela indiquait que le Soufre doit être tiré de l'or et le
Mercure de l'
argent. On trouve les signes de l'or et de l'
argent correspondant
à ceux du Soufre et du
Mercure dans un des pantacles du
Liber singularis de Alchimia de Barchusen. Ce point sera développé dans le chapitre suivant.
Le Soufre étant fixe en son
essence et le
Mercure volatil, les alchimistes représentaient le Soufre par le
lion, roi des
animaux
terrestres, et le
Mercure par l'
aigle, roi des
oiseaux : «
Le Mercure des philosophes est la partie volatile de leur matière : le lion est la partie fixe, l'aigle la partie volatile. Les philosophes ne parlent que des combats de ces deux animaux » (
Pernety :
Fables égyptiennes). Par suite, un
aigle dévorant un
lion signifiera la volatilisation du fixe ; inversement, un
lion terrassant un
aigle signifiera la
fixation du
Mercure par le Soufre. Disons en passant que le mot
aigle a, dans
Philalèthe, une signification différente de celle que nous venons de donner : c'est pour lui le
symbole de la sublimation en tant qu'opération ; ainsi, sept
aigles signifient sept sublimations (voir :
Entrée
ouverte au palais fermé du roi).
On employait encore dans le même sens le
symbole de deux
serpents, dont l'un est ailé et l'autre sans ailes; le
serpent ailé, c'est le principe volatil, le
Mercure ; le principe fixe, Soufre, est représenté par le
serpent sans ailes. «
Le Secret animal est représenté
par un cercle fait de deux serpents, l'un ailé, l'autre sans ailes, qui signifient les deux esprits, fixe et volatil, unis ensemble » (Lebreton :
Clefs de la philosophie spagyrique). Les deux
serpents
sont tantôt unis, comme dans le
caducée de
Mercure, tantôt séparés.
Dans les figures d'Abraham le
Juif (3) se trouve représenté un
serpent cloué sur une
croix, ce qui, alchimiquement, signifie que le volatil doit être fixé.
Les
dragons ont absolument la même signification que les
serpents. Le
dragon sans ailes que l'on trouve dans les figures d'Abraham le
Juif et de Nicolas Flamel, c'est le Soufre mâle et fixe ; le
dragon ailé, c'est le
Mercure, volatil et
femelle. «
Considérez ces deux dragons, car ce sont les vrais principes de la philosophie des sages… Celui qui est au-dessous sans ailes, c'est le fixe ou le mâle ; celui qui est au-dessus, c'est le volatil ou bien la femelle noire et obscure qui va prendre la domination pendant plusieurs mois. Le premier est appelé Soufre ou bien calidité et siccité, et le second Argent-vif, ou frigidité et humidité. Ce sont le Soleil et la Lune de source mercurielle et origine sulfureuse » (
Le livre de Nicolas Flamel). Les
dragons de Flamel étaient célèbres parmi les alchimistes et souvent cités : «
Flamel
veut que ce soient deux dragons, dont un a des ailes et l'autre n'en a point. Il les explique lui-même, l'un est mâle, l'autre femelle, l'un est le fixe, l'autre le volatil, l'un le Soufre, l'autre le Mercure, qui ne sont pas le Soufre et le Mercure du
vulgaire, mais ceux des philosophes » (
Filet d'Ariadne).
Un seul
dragon peut représenter les trois principes, mais alors il a trois têtes : «
La toison d'or est gardée par un dragon à trois têtes : l'une, c'est l'eau ; la seconde, c'est la terre ; la troisième, c'est l'air. Ces trois têtes doivent se réunir en une seule qui sera assez forte et assez puissante pour dévorer tous les autres dragons » (
D'Espagnet :
Arcanes de la philosophie d'Hermès). L'
eau, c'est le
Mercure ; la terre, c'est le Soufre ; et l'
air, c'est le Sel.
Trois
serpents dans un calice indiquent les trois
corps composant la Matière de la pierre, placés dans l'uf philosophique ; ce
symbole accompagne généralement l'
Hermaphrodite chimique.
Pourquoi les alchimistes figuraient-ils le Soufre et le
Mercure par des
dragons ? Flamel va nous répondre : «
La cause que je t'ai peint ces deux spermes en forme de dragons est parce que leur puanteur est très grande comme celle des dragons » (
Le livre de Flamel).
Nous avons parlé des principaux
symboles du Soufre et du
Mercure ; il en existe une infinité d'autres que l'on comprendra facilement si l'on se rappelle cette règle : «
Le Soufre étant fixe et mâle, le Mercure volatil et femelle, on les représentera soit par des choses naturellement contraires (fixe et volatil), soit par des animaux de sexe différent (mâle et femelle) ». Dans les figures de Lambsprinck, on les trouve sous forme de deux poissons, puis d'un
lion et d'une
lionne et d'un cerf et d'une
licorne, enfin de deux
aigles. Le
symbole le plus employé est celui de deux
chiens ; le Soufre était appelé
chien de Corascène et le
Mercure, chienne d'Arménie: «
Mon fils, prends le chien masle de la montagne de
Corascène et la chienne d'Arménie, jointez-les ensemble et engendreront » (Calid :
Secrets d'Alquimie).
Le Soufre et le
Mercure avaient un très grand nombre de synonymes, dont il est indispensable de connaître les principaux.
Synonymes de Soufre : gomme,
huile,
soleil, fixité, pierre rouge,
caillé,
safran, pavot, laiton rouge, sec, teinture,
feu,
esprit,
agent, sang,
homme rouge, terre vive,
Gabricius, roi,
époux,
dragon sans ailes,
serpent mâle,
lion,
chien de Corascène,
airain brûlé, or philosophique, etc.
Synonymes de
Mercure : principe
femelle, blanc, Beïa,
lune,
argent, or blanc, or cru,
azoth,
eau, lait, couverture blanche, manne blanche, urine blanche, froid,
humidité,
corps, matrice, femme blanche, habit changeant,
volatil, patient, lait virginal, plomb blanc, verre,
fleur blanche,
fleur de sel, écorce, voile, venin,
alun,
vitriol,
air, vent, arc-en-ciel, nuée, etc.
Explication de la planche VI
Figure I (tirée du Viatorium spagyricum, de Jamsthaler) : Symboles des quatre
éléments, se reporter à la planche II, qui donnera la signification des
triangles, signes des
éléments (Voir chapitre II).
Figure II (tirée de L'Azoth des philosophes, imprimé au tome II de la Bibliotheca chimica Mangeti) : Les signes des sept métaux. Au milieu
Rebis, l'
hermaphrodite chimique,
homme et femme, fixe et volatil, Soufre et
Mercure. Le globe ailé,
symbole de la Matière, mise en mouvement par la
Force, l'Archée. Le
Dragon,
symbole de l'unité de la Matière. Le
Triangle : les trois principes. Le
Carré et la
Croix, les quatre
éléments (Voir chapitres II, III et IV).
Explication de la planche VII
Figure I (tirée du Viatorium
spagyricum, de Jamsthaler) : Les sept métaux symbolisés par les divinités de l'Olympe païen, Apollon, Diane, Jupiter, Saturne, Mercure, Mars, Vénus (Voir chapitre II)
Figure II (tirée de la Margarita pretiosa) : Le Roi figure l'or ; les enfants agenouillés à ses pieds figurent les six autres métaux. Ils implorent l'or pour qu'il leur communique sa perfection (Voir chapitre II).
Explication de la planche VIII
Figure I (tirée d'une édition allemande du Crede Mihi, de Northon) : Rebis, l'hermaphrodite alchimique, Soufre et Mercure, couché dans un jardin entouré de murs qui symbolisent le triple vaisseau : athanor, bain de sable, uf philosophique. Mercure a la même
signification ; placé près de Rebis, il indique que l'hermaphrodite est le Mercure des philosophes pris dans le sens de Matière du Grand uvre (Voir chapitres III et IV).
Figure II (tirée du Viatorium spagyricum) : Nous retrouvons Rebis. Le corbeau, symbole du noir, veut dire que le mariage symbolique, l'union du Soufre et du Mercure, du mâle et de la femelle, a lieu pendant la couleur noire. Les trois serpents, symboles des trois principes. Le croissant et l'arbre lumière signifient qu'il s'agit ici de la Pierre blanche, du petit magistère (Voir chapitres II, III et IV).
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(3) Comme nous aurons plusieurs fois à parler de ces figures dans différents chapitres et qu'on ne pouvait les
séparer, nous les avons fait placer en tête de l'ouvrage, avec celles de Flamel.