CHAPITRE XI LE PARDON DES PÉCHÉS
« Je crois... le pardon des péchés. » « Je reconnais
un seul baptême pour la rémission des péchés. » Ces mots tombent sans peine des lèvres des fidèles, dans toutes les églises de la Chrétienté, pendant la récitation des Credos familiers, celui des Apôtres et celui de Nicée. Tes péchés te sont pardonnés. Ces mots reviennent fréquemment dans les propos prêtés à Jésus, et il est à remarquer que cette expression accompagne constamment l'exercice de Ses facultés curatives, la délivrance de la maladie physique et celle de la maladie morale étant par conséquent simultanées. Un jour même, Jésus voulut démontrer par la guérison d'un paralytique qu'Il avait le droit de déclarer à un homme : Tes péchés te sont pardonnés (310). Ailleurs, il dit d'une femme : Ses péchés, qui sont nombreux, lui sont pardonnés, car elle a beaucoup aimé (311). Dans le célèbre
traité Gnostique, la Pistis Sophia, nous trouvons l'affirmation que la rémission des péchés est le but même des Mystères :
« Auraient-ils été pécheurs, auraient-ils
vécu dans tous les péchés et toutes les
iniquités
dont Je vous ai parlé, néanmoins, s'ils se convertissent et se repentent
et font acte de renoncement, comme Je viens de vous le décrire, accordez-leur
les mystères du royaume de lumière ; ne les leur cachez en aucune
façon. C'est à cause du péché que J'ai apporté
ces mystères dans le monde, pour la rémission de tous les péchés
commis depuis le commencement. Voilà pourquoi Je vous ai dit autrefois.
Je ne viens pas appeler les justes. J'ai donc apporté les mystères
afin de remettre à tous les hommes leurs péchés et les faire
entrer dans le royaume de lumière. Car ces mystères, sont le don
du premier mystère, celui de l'effacement des fautes et des
iniquités
de tous les pécheurs
(312). »
Dans ces mystères, c'est le
baptême qui remet les péchés,
comme le reconnaît d'ailleurs le Credo de
Nicée.
Jésus
dit : « Ecoutez encore et Je vous dirai, en vérité, à
quel type se rattache le mystère du
baptême qui remet les péchés...
Lorsqu'un homme reçoit les mystères des
baptêmes, ces mystères
deviennent un
feu puissant, d'une violence et d'une sagesse
extrêmes, qui
consume tous les péchés ; ils pénètrent dans l'
âme
d'une manière
occulte et dévorent tous les péchés
que l'imposteur spirituel y a implantés. »
Jésus complète
la description de ce processus purificateur, puis il ajoute : « Telle est
la manière dont les mystères des
baptêmes remettent les péchés
et toute
iniquité (313). »
Sous une forme ou sous une autre, le « pardon des péchés
» se retrouve dans la plupart des
religions,
sinon dans chacune. Or, toutes
les fois que se présente une semblable unanimité, nous pouvons conclure
sans crainte, en vertu d'un principe dont j'ai parlé plus haut, qu'elle
a pour base un fait naturel. Cette idée du pardon des péchés
réveille, d'ailleurs, un écho dans l'
âme humaine. Nous constatons
que, pour certaines personnes, le sentiment de leurs fautes est une souffrance
; mais qu'elles rejettent le poids du passé, qu'elles se dégagent
des liens du remords qui les enserre, et elles s'avancent, le cur joyeux
; leur regard, naguère perdu dans les ténèbres, voit briller
la lumière, il leur semble qu'un fardeau soit enlevé de leurs épaules,
qu'une entrave leur soit ôtée. Le « sentiment du péché
» a disparu et, avec lui, la souffrance qui les rongeait. Dès lors
elles connaissent le printemps de l'
âme, la parole souveraine qui renouvelle
toutes choses ; un hymne de reconnaissance jaillit de leur
âme ; le temps
où chantent les
oiseaux est arrivé ; il y a
de la joie parmi
les Anges. Cette transformation, assez fréquente du reste, ne laisse
pas d'être difficile à expliquer, lorsque la personne qui l'éprouve
en elle-même ou qui la constate chez autrui se demande : Que s'est-il donc
passé ? D'où vient cette modification de conscience dont les effets
sont aussi manifestes ?
Les penseurs contemporains sont pénétrés
de l'idée que tous les phénomènes reposent sur des lois invariables
; ils ont étudié le mécanisme de ces lois et sont, par suite,
disposés à rejeter toute théorie du pardon des péchés,
la déclarant en contradiction avec cette vérité fondamentale.
Les savants, persuadés que la loi est inviolable, rejettent de même
toute notion qui s'en écarte. Les uns et les autres ont raison de s'appuyer
sur l'action infaillible de la loi, car la loi n'est que l'expression de la Nature
divine qui ne présente ni variation, ni ombre de changement. Quelle que
soit notre manière d'envisager le pardon des péchés, elle
doit s'accorder avec cette idée fondamentale, aussi nécessaire dans
le domaine moral que dans celui des sciences physiques. Plus de stabilité
possible, si nous ne pouvions nous reposer en toute sûreté dans les
bras éternels de la
Bonne Loi.
Mais poussons notre examen plus loin
; nous serons frappés par ce fait que les Instructeurs qui ont le plus
insisté sur le caractère invariable de la loi proclament en même
temps avec énergie le pardon des péchés.
Jésus dit
:
Au jour du Jugement, les hommes rendront compte de toute parole mauvaise
qu'ils auront dite (314). Et pourtant il dit ailleurs
:
Prends courage, mon enfant, tes péchés te sont pardonnés
(315). De même, la
Bhagavad
Gitâ nous dit constamment que l'action nous lie. «
Le monde est lié par l'action
(316). » «
L'homme retrouve un
corps offrant les mêmes caractères que celui
qu'il avait précédemment
(317). » Et
cependant il dit dans un autre passage : « Si le plus pécheur des
hommes m'adore de tout son cur, lui aussi devra être considéré
comme juste
(318). » Quel que soit le sens attaché
à l'expression « pardon des péchés » dans les
différentes Ecritures il semble donc que cette idée ne soit pas,
pour Ceux qui connaissent le mieux la loi, en contradiction avec la séquence
infaillible de cause à effet.
D'ailleurs, si nous examinons, même sous sa forme la
plus élémentaire, l'idée qu'on se fait du pardon des péchés,
nous constatons que les croyants n'entendent point par là que le pécheur
pardonné doive, ici-bas, échapper aux conséquences de son
péché. L'ivrogne repenti, dont les péchés sont pardonnés,
souffre évidemment encore d'ébranlement nerveux, de ses fonctions
digestives affaiblies et, au moral, de la méfiance que lui témoignent
les hommes qui l'entourent. On trouve, en dernière analyse, que les déclarations
concernant le pardon s'appliquent aux rapports entre le pécheur et
Dieu
et aux châtiments posthumes que le Credo de celui qui parle attache au péché
non pardonné ; elles n'impliquent point la possibilité d'échapper,
sur la terre, aux conséquences du péché. Les Chrétiens
ont perdu la foi dans la réincarnation et, avec elle, toute manière
raisonnable d'envisager la continuité de l'existence, soit dans ce monde,
soit dans les deux mondes qui lui succèdent. De là sont nés
certains écarts d'imagination et certaines affirmations insoutenables,
par exemple l'idée blasphématoire et terrible que l'
âme humaine
souffre de tortures éternelles pour des péchés commis pendant
une courte vie terrestre. Pour échapper à ce
cauchemar, les
théologiens
ont conçu l'idée d'un pardon qui délivre le pécheur
de son affreux emprisonnement dans un enfer perpétuel. Ce pardon ne lui
épargne pas ici-bas les conséquences de sa mauvaise conduite ; jamais
cette thèse n'a été soutenue ; il n'est pas supposé
non plus, sauf dans les
Eglises Protestantes modernes, lui épargner, dans
le Purgatoire, après la mort physique, les souffrances prolongées
qui sont l'effet direct de son péché. La loi suit son cours, sur
la terre comme dans le Purgatoire, et, dans ces deux mondes, l'affliction suit
le péché comme les roues suivent les bufs d'un attelage. Le
pardon des péchés permet d'échapper uniquement aux tortures
éternelles,
cauchemar n'existant que dans l'obscure imagination des croyants.
Nous nous demandons même si les
théologiens, après avoir déclaré
que l'enfer perpétuel était le monstrueux résultat d'erreurs
passagères, n'ont pas dû trouver un moyen d'échapper à
un sort incroyable et injuste et déclaré pour cela l'existence d'un
pardon tout aussi incroyable et tout aussi injuste. Les systèmes élaborés
par la pensée humaine, sans tenir compte des faits sur lesquels repose
la vie, font souvent tomber le penseur dans des fondrières intellectuelles
dont il ne peut se tirer sans gagner péniblement, à travers la fange,
une direction opposée. Un pardon inutile est venu faire contrepoids à
un enfer éternel et inutile et remettre en
équilibre les balances
de la justice. Mais laissons là les aberrations des
esprits encore
ignorants
et rentrons dans le domaine des faits et du bon sens.
Un homme commet-il une mauvaise action,
il s'impose, par là, un chagrin, car le chagrin est toujours la plante
qui naît de la semence du péché. On pourrait dire, plus exactement,
que le péché et le chagrin sont simplement les deux faces d'un même
acte, et non deux faits indépendants. Tout objet présente deux faces,
dont l'une est postérieure et invisible et l'autre antérieure et
visible. De même, tout acte a deux faces qui, dans notre monde physique,
ne peuvent être
vues en même temps. Dans d'autres mondes, le bien
et le bonheur, le mal et le chagrin, sont visiblement les deux faces d'un même
principe. C'est ce qu'on nomme le karma. Ce terme commode et aujourd'hui fréquemment
employé est emprunté au sanscrit ; il exprime cette
connexion ou
identité et signifie littéralement « action » ; de là
le nom, donné à la souffrance, de conséquence karmique du
mal. Le résultat, « l'autre face », peut ne point s'affirmer
immédiatement au cours de l'incarnation présente, mais tôt
ou tard il fera son apparition, et le pécheur sentira douloureusement sa
griffe s'appesantir sur lui. Un résultat se produisant dans le monde matériel,
un effet éprouvé par notre conscience physique, sont l'aboutissement
final d'une cause mise en
jeu dans le passé ; c'est le
fruit devenu mûr
; c'est à la fois la manifestation et l'épuisement d'une
force déterminée.
Cette
force se dirige du centre vers la périphérie, et ses effets
sont déjà épuisés dans le mental quand ils apparaissent
dans le
corps. La manifestation physique, son apparition dans le monde matériel,
prouvent qu'elle a fait son temps
(319). Si à ce
moment le pécheur, ayant épuisé le karma de sa faute, rencontre
un Sage capable de voir le passé et le présent, l'invisible et le
visible, ce Sage pourra constater la terminaison du karma en question et, la loi
étant satisfaite, il déclarera libre le captif. L'épisode
du paralytique, dont nous avons déjà fait mention, semble offrir
un exemple de ce genre. Une maladie physique est l'expression ultime d'une mauvaise
action commise dans le passé ; le processus mental et moral touche à
son terme, et l'homme qui souffre est amené, par l'intermédiaire
d'un
Ange serviteur de la loi, dans la présence d'un Etre susceptible de
soulager la maladie physique en mettant en
jeu une énergie supérieure.
Tout d'abord, l'
Initié déclare que les péchés du malade
sont pardonnés ; puis il justifie sa clairvoyance par ces mots pleins d'autorité
:
Lève-toi, prends ton lit et va-t'en dans ta maison (320).
Dans le cas où aucun
Initié n'eût été présent,
la maladie se fût dissipée sous l'action réparatrice de la
nature, sous l'
influence d'une
force mise en
jeu par les Intelligences Angéliques
invisibles, qui sont, dans ce monde, les
agents de la loi karmique. Quand un Etre
plus
exalté se charge de ce rôle, la
force est plus rapide et plus
irrésistible, et les vibrations physiques sont immédiatement remises
à l'unisson avec l'
harmonie qui constitue la santé. On peut dire
que tout pardon des péchés accordé dans ces conditions présente
un caractère déclaratoire. Le karma étant épuisé,
« celui qui connaît le karma » déclare le fait. Cette
assurance produit un soulagement mental comparable au soulagement éprouvé
par un prisonnier, quand l'ordre d'élargissement est donné, ordre
qui fait partie de la loi au même titre que la sentence jadis prononcée.
L'homme qui apprend ainsi l'épuisement d'un mauvais karma éprouve
cependant un soulagement plus profond, car il eût été incapable,
par lui-même, d'en prévoir le terme.
Ces déclarations de pardon
remarquez-le bien sont constamment suivies de l'observation que
le malade a fait preuve de « foi » ; en d'autres termes, le véritable
agent déterminant l'épuisement du karma est le pécheur lui-même.
Dans le passage relatif à la femme qui
menait une vie déréglée,
nous trouvons réunies les deux déclarations :
Tes péchés
te sont pardonnés... Ta foi t'a sauvée ; va en paix (321).
La foi c'est le jaillissement, dans l'
âme humaine, de sa propre
essence divine cherchant à retrouver l'océan divin qui lui est semblable.
Fait-elle irruption à travers la nature inférieure qui l'emprisonne
comme la source jaillit à travers les mottes de terre qui la recouvrent,
la
force ainsi libérée agit sur la nature humaine toute entière
et en accorde les vibrations avec les siennes. L'homme ne devient conscient de
ce travail qu'à l'heure où la croûte karmique du mal est ainsi
brisée. La certitude joyeuse de l'existence, en lui-même, d'une puissance
naguère ignorée, dont la naissance coïncide avec l'épuisement
du karma mauvais, entre pour une large part dans le bonheur, le soulagement et
la
force nouvelle
dus au sentiment que le péché est « pardonné
» et que ses conséquences ont pris fin.
Cela nous
amène au cur de notre sujet : je veux parler de cette transformation qui s'opère dans la nature intérieure de l'homme, à l'insu de cette partie de la conscience qui agit dans les limites cérébrales, jusqu'au moment où elle se manifeste soudainement dans ces limites, venant on ne sait d'où, éclatant « comme un coup de tonnerre dans le
ciel bleu », jaillissant d'une source inconnue. Comment s'étonner que l'homme, stupéfait de cette
invasion,
ignorant tout des mystères de sa propre nature et de l'existence du «
Dieu intérieur » qui est véritablement lui-même, croie recevoir de l'extérieur ce qui vient en réalité du dedans et, inconscient de sa propre Divinité, ne puisse concevoir dans le monde que des Divinités extérieures à lui-même. Or, cette erreur est d'autant plus facile à commettre que l'impact final, la vibration qui brise les murs de sa prison, est souvent la réponse de la Divinité qui est dans l'
âme d'un autre homme ou de quelque Etre surhumain, la réponse aux appels pressants de la Divinité enfermée en lui-même. Souvent l'homme est conscient de cette aide fraternelle, sans comprendre qu'il l'a provoquée lui-même par le cri de sa nature intérieure. Une explication, donnée par une personne plus instruite que nous, peut élucider une difficulté intellectuelle, et cependant c'est notre propre intelligence qui, ainsi aidée, arrive à la solution ; une parole d'encouragement prononcée par une personne plus pure que nous peut nous donner la
force d'accomplir un effort mental dont nous nous supposions incapables et cependant l'effort est nôtre. Un
Esprit plus élevé que nous et plus conscient de sa Divinité peut, de même, nous aider à déployer notre propre énergie divine, bien que ce soit ce déploiement d'énergie qui nous élève à un plan supérieur. Tous, nous sommes unis, par les liens d'un service fraternel, à ceux qui sont au-dessus comme à ceux qui sont au-dessous de nous. Et nous hésiterions à admettre que nous, si souvent à même d'aider, dans leur développement, des
âmes moins avancées que la nôtre, nous puissions recevoir une assistance analogue de Ceux qui nous dominent de si haut, et que leur aide puisse accélérer considérablement nos progrès !
Parmi les transformations qui s'opèrent dans les profondeurs de la nature humaine à l'insu de la conscience inférieure, il en est qui affectent l'exercice de la volonté. L'Ego jette un regard en arrière sur son passé, en résume les résultats et, souffrant des fautes commises, décide qu'il changera d'attitude, décide qu'il changera le mode
de son activité. Le véhicule inférieur continue, sous l'
influence
des impulsions anciennes, à s'emporter dans des directions qui l'amènent
à se heurter violemment contre la loi. L'Ego n'en décide pas moins qu'il suivra une ligne de conduite différente. Jusqu'alors il a cédé à l'attrait du principe
animal ; les plaisirs du monde inférieur l'ont tenu enchaîné. Maintenant il se tourne vers le but véritable de l'évolution et prend la résolution de travailler pour des joies plus hautes. Il voit le monde entier en voie d'évolution et comprend qu'en se mettant en travers de ce courant formidable, il sera jeté de côté, cruellement meurtri ; il réalise, par contre, qu'en suivant le flot, il
sera emporté sur son sein et amené jusque dans le port qu'il désire
atteindre.
L'Ego se décide donc à transformer sa vie, revient délibérément
sur ses pas, fait face en arrière. Cet effort qu'il tente pour amener sa
nature inférieure dans la direction nouvelle a pour conséquence
immédiate beaucoup de souffrances et de troubles. Les habitudes contractées
sous l'
influence des idées anciennes résistent obstinément
à l'action des idées nouvelles, et un conflit cruel s'élève.
Petit à petit la conscience qui se manifeste à travers le cerveau
accepte la décision prise sur les plans supérieurs ; alors naît
en elle, par le fait même qu'elle s'incline devant la loi, le « sentiment
du péché ». La conviction qu'on a fait fausse route devient
plus profonde ; le remords s'empare du mental ; des efforts mal réglés
sont faits pour devenir meilleur, mais se brisent contre les vieilles habitudes,
jusqu'à ce que l'homme, accablé de douleur, songeant au passé,
désespéré en
voyant le présent, reste plongé
dans des ténèbres sans issue. Enfin, la souffrance toujours croissante
arrache à l'Ego un cri suppliant, et une réponse lui est renvoyée
des profondeurs intimes de sa propre nature, par le
Dieu qui vit en lui, comme
dans tout ce qui l'entoure, par la Vie de sa Vie. Il abandonne donc la nature
inférieure, qui lui fait obstacle, et se tourne vers la nature supérieure,
qui est essentiellement lui-même, laisse le moi séparé qui
le torture, pour le MOI unique qui est le Cur de tous.
Or, changer ainsi d'objectif, c'est se détourner de
l'obscurité pour faire face à la lumière. La lumière
n'avait jamais cessé de briller, mais l'homme lui tournait le dos. Maintenant
il voit le
soleil, dont l'éclat réjouit son regard et inonde de
joie tout son être.
Son cur était
fermé, mais s'ouvre
maintenant sans réserve, et l'océan de la vie, semblable à
une marée puissante, y pénètre et l'inonde de bonheur. Les
vagues d'une vie nouvelle se succèdent et le soulagent. La joie de l'aube
rayonne. Il comprend que son passé ne se répétera plus, car
le chemin qu'il est décidé à suivre le mène dans des
régions plus hautes ; il ne se soucie point de la souffrance que le passé
peut lui léguer encore, sachant que le présent ne transmettra plus
à l'avenir d'amertumes semblables.
Le sentiment de paix, de joie, de
liberté, voilà ce qui a été appelé le résultat du pardon des péchés. Les obstacles opposés par la nature inférieure au
Dieu du dedans et au
Dieu du dehors sont renversés, et cette nature a peine à comprendre que la transformation se soit opérée en elle-même et non dans l'
Ame Suprême
(322). Un
enfant repousse la main maternelle qui voudrait le guider ; il tourne son visage vers la muraille, se croit peut-être seul et oublié, jusqu'à ce qu'il se retourne en poussant un cri et se retrouve entouré des bras protecteurs qui étaient restés là, tout près de lui. Tel l'homme, dans sa présomption, repousse les bras protecteurs de la Mère divine des mondes, mais s'aperçoit, en regardant en arrière, qu'il n'a jamais quitté ce sûr abri ; quels que soient ses écarts, il n'échappe pas à cet
amour vigilant.
Le passage de la
Bhagavad Gitâ, déjà cité en partie, nous donne l'explication de cette transformation qui
amène « le pardon ».
« Le plus grand des pécheurs m'adore-t-il sans réserve,
lui aussi doit être regardé comme un juste, car la résolution
qu'il a prise est bonne. » Cette bonne résolution
amène
un résultat inévitable : « Bientôt il devient soumis
et trouve la paix
(323). » Le péché
consiste essentiellement à opposer la volonté de la partie à
la volonté du tout, le principe humain au principe Divin. Quand le changement
s'est opéré, quand l'Ego unit sa volonté séparée
à la volonté qui agit dans le sens évolutif, alors, dans
la région où vouloir et agir ne font qu'un, où les effets
se montrent inséparables des causes, l'homme est « regardé
comme un juste ». Or, des effets correspondants se manifestant invariablement
dans les plans inférieurs, « bientôt il devient soumis »
en action, après l'être devenu en volonté. Ici-bas, nous jugeons
d'après les actions, feuilles mortes du passé ; là-haut le
jugement porte sur les volontés, semences en germination d'où sortira
l'avenir. Voilà pourquoi, dans le monde inférieur, le Christ exhorte
toujours les hommes à
ne point juger (324).
Des
défaillances sont possibles, après même que l'homme se soit franchement engagé dans la nouvelle direction et que celle-ci est devenue pour lui une habitude.
Pistis Sophia y fait allusion, dans un passage où les
disciples demandent à
Jésus si un homme peut, en se repentant, être admis de nouveau dans les Mystères après une
défaillance. La réponse de
Jésus est affirmative, mais Il déclare qu'à un certain moment la réadmission devient impossible, sauf pour le Mystère suprême, qui pardonne toujours. « Amen, amen, vous dis-je ; quiconque, après avoir reçu les mystères du premier mystère, retombera et commettra (jusqu'à) douze transgressions, mais se repentira ensuite douze fois, en invoquant le mystère du premier mystère, sera pardonné. Mais s'il commet plus de douze transgressions, s'il retombe et pèche encore, il n'obtiendra pas indéfiniment la rémission de sa faute de manière à pouvoir rentrer dans son mystère, quel qu'il soit. Il ne lui appartient plus de se repentir, à moins qu'il n'ait reçu les mystères de cet
ineffable qui toujours a
compassion et remet les péchés aux siècles des siècles
(325). »
Ces relèvements après les
défaillances, avec leur « rémission des péchés », nous les constatons dans la vie humaine, surtout dans les phases avancées de l'évolution. Tel homme voit une occasion mise à sa portée ; il s'assurerait, en la saisissant, des possibilités de développement nouvelles ; mais il n'y parvient pas et ne peut se maintenir au niveau qu'il avait atteint et qui lui avait valu cette occasion de s'élever encore. Pour le moment, tout progrès lui est interdit ; il est obligé de réunir ses
forces et de parcourir de nouveau, avec lassitude, le terrain déjà gagné, pour remonter enfin et reprendre pied dans la
position d'où il avait glissé. Alors seulement se fait entendre une douce Voix ; elle lui annonce que le passé n'est plus, que sa faiblesse s'est changée en
force, que le portail s'ouvre de nouveau devant lui.
Ici encore le « pardon » n'est que la déclaration, faite par une autorité compétente, de la situation réelle, la permission d'entrer accordée à ceux qui en sont dignes, refusée aux autres. Supposez qu'un homme ait failli ; cette déclaration lui donnera l'impression d'être « un
baptême pour la rémission des
péchés » et lui rendra le privilège perdu par sa propre faute. Il en résultera certainement pour lui de la joie et de la paix, la disparition d'une accablante tristesse, le sentiment que les entraves du passé ont enfin été détachées de ses pieds.
Reste une vérité qu'il ne faut jamais oublier : nous vivons dans un océan de lumière, d'
amour et de
béatitude qui nous entoure sans cesse la Vie de
Dieu. Semblable au
soleil inondant la terre de sa
clarté, cette Vie éclaire toutes choses. Seulement, ce Soleil-là ne se couche jamais. Par notre égoïsme, notre sécheresse de cur, notre intolérance et notre impureté, nous empêchons la lumière de pénétrer notre conscience ; elle n'en brille pas moins sur nous, nous
baigne de toutes parts et exerce sur les murailles élevées par nous-mêmes une pression douce, mais, en même temps, forte et persistante. L'
âme renverse-t-elle ces remparts, la lumière y pénètre, l'
âme se trouve inondée de
Soleil et respire avec bonheur l'atmosphère céleste
car le Fils de l'Homme est dans le ciel, bien qu'il ne le sache point, et les brises d'en haut viendront caresser son front s'il l'expose à leur souffle. Toujours
Dieu respecte l'individualité humaine ; Il ne pénètre notre conscience que le
jour où cette conscience s'ouvre pour Le recevoir.
Voici, je me tiens à la porte et je frappe (326) : telle est l'attitude de toutes les Intelligences du monde spirituel vis-à-vis de l'
âme qui se développe. Si Elles attendent que la porte s'ouvre, ce n'est pas faute de sympathie, mais un effet de Leur profonde sagesse.
L'homme n'est soumis à aucune contrainte ; il est libre ; il n'est pas esclave, mais potentiellement un
Dieu ; sa croissance ne saurait être forcée ; elle doit procéder d'une volonté intérieure. Comme l'enseignait Giordano Bruno,
Dieu n'
influence l'homme que lorsque sa volonté s'y prête. Et pourtant
Dieu est « partout, et prêt à secourir tous ceux qui font appel à Lui par un acte de leur intelligence et se donnent à Lui sans réserve, avec
amour et spontanément
(327) ». « La puissance divine qui est tout en tous ne s'offre ni ne se refuse ; c'est nous qui l'assimilons ou la rejetons
(328). » « Elle s'absorbe rapidement, comme la lumière solaire, sans hésitation, et se manifeste pour quiconque se tourne vers elle et s'ouvre à son
influence... Quand les fenêtres sont ouvertes, le
soleil entre instantanément ; il en est de même dans les cas dont je parle
(329). »
C'est donc au sentiment du « pardon » qu'est due la joie qui remplit le cur, au moment où la volonté s'harmonise avec le Divin, où, l'
âme ayant ouvert ses fenêtres, le
soleil d'
amour et de lumière se répand en elle, où la partie sent qu'elle appartient à l'ensemble, où la Vie Unique fait tressaillir toutes les veines. Telle est la vérité sublime qui donne de la valeur aux expositions les plus naïves du « pardon des péchés » et leur permet souvent, malgré leur insuffisance au point de
vue intellectuel, d'amener les hommes à une vie pure et spirituelle. Telle est la vérité montrée dans les Mystères Mineurs.
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(310) St Luc, VII, 47, 48.
(311) Ibid., VII, 47.
(312) Traducton anglaise de G. R. S. Mead,
loc. cit., livre II, §§ 260-261.
(311) Loc. cit., §§ 299, 300.
(314) St Matthieu, XII, 36.
(315) Ibid., IX, 2.
(316) Loc. cit., III, 9.
(317) Ibid., VI, 43.
(318) Ibid., IX, 30.
(319) D'où la douceur et la patience dont souvent font preuve les malades d'une nature très pure. Ils ont appris la leçon de la souffrance et ne font pas naître de mauvais karma nouveau, en s'irritant contre les effets du mauvais karma qui s'épuise actuellement.
(320) St Luc, V, 24.
(321) St Luc, VII, 48, 50.
(322) Oversoul... « Cette unité, cette
âme suprême dans laquelle chaque être est contenu et unifié, uni aux autres... » (
Emerson, traduction de Maeterlinck. (N. d. T.)
(323) Loc. cit., IX, 31.
(324) St Matthieu, VII, 1.
(325) Loc. cit., 1. II, § 305.
(326) Apoc., III, 20.
(327) Giordano Bruno, traduction L. Williams,
The Heroic Enthusiasts, vol. I, p. 133.
(328) Ibid., vol. II, pp 27, 28.
(329) Ibid., pp. 102, 103.