Appendice III Trois documents indiquant l’opinion courante sur les Juifs convertis en Provence au XVIIème et au XVIIIème siècle
I
Remontrances sur les désordres
qui sont à la cour du Parlement de Provence
à cause des grandes parentés et alliances des néophytes,
faites en face des néophytes, en l'an 1601 au Roy Henri IV
lors de son entrée, à Aix, par M. de Monier
avocat-général au Parlement d'Aix (117).
Après que la Provence fut unie à cet état, d'autant que Philippe le Bel avait déjà chassé les Juifs de la France, reconnaissant qu'il n'y avait rien de plus contraire à l'humeur et franchise de notre nation que la perfidie judaïque, et que ces gens conspiraient toujours secrètement contre les chrétiens, ils les firent (sic) aussi chasser de la Provence mais quelques-uns d'entre eux qui s'étaient retirés à Avignon, marris d'être dépouillés de leurs commodités et privés de la tyrannie qu'ils exerçaient par le moyen des usures, suivant le conseil de la synagogue de Constantinople et autres villes du Levant, résolurent de se convertir à la religion chrétienne en apparence, ponr se rétablir et se venger des chrétiens. Et à ces fins trois d'entre eux se nrent baptiser sous divers noms. [...]
[L'auteur des remontrances cite les noms de trois Juifs tige de trois familles importantes à l'époque où il parlait par les charges qu'elles avaient dans le Parlement. Il prétend que leur conversion fut simulée et qu'ils durent à l'usure les richesses considérables qu'ils acquirent. Puis il poursuit ainsi qu'il suit :]
Plusieurs à leur imitation s'étant fait baptiser et s'étant joints avec eux ont aussi acquis de grandes facultés. On les a toujours appelés au pays
Néophytes, c'est-à-dire nouveaux chrétiens, comme en Portugal on les appelait
christianos nievos. Le roi
Louis XII au commencement de son règne étant averti de leur usure et malversation avait résolu de les chasser de
Provence, mais ils firent quelques offres à S. M. de sorte que pour la nécessité de ses affaires et pour subvenir aux frais de la guerre d'Italie, il se contenta d'imposer sur eux une certaine somme qui fut levée et tous ceux de cette qualité furent cotisés comme il appert par les registres de la
chambre des comptes de
Provence. Et d'autant qu'on avait résolu de les exterminer et cependant de continuer sur eux de grandes impositions et qu'ils étaient détestés et méprisés publiquement, pleins d'
opprobres et d'
ignominies, qu'ils ne pouvaient parvenir à aucune dignité ecclésiastique, parce que les anciennes constitutions
canoniques et les
conciles y résisaient ny aussi en la moindre charge publique en quelque ville qu'ils habitassent, et quoiqu'ils n'aient manqué de brigue ni de corruptions, jamais ils n'y ont été élevés, tant ils sont odieux par leur malice et perfidie ; après avoir longtemps cherché quelque moyen pour s'établir, s'affranchir de ces impositions et s'acquérir quelque sorte d'honneur et d'autorité. Enfin la
vénalité des offices introduite par le Roy
François Ier et le malheur des guerres leur a servi de planche aux charges et dignités de la justice, qui sont les plus importantes et desquelles ils devraient être plutôt exclus que des autres, d'autant qu'elles leur donnent pouvoir sur la vie, l'honneur et les biens des chrétiens et conséquemment plus de moyens d'exercer les effets de leur avarice et de leur vengeance.
[Les remontrances continuent en faisant le procès d'une famille qui sous Charles IX avait acheté plusieurs charges au Parlement de
Provence. Elles signalent très vivement les abus résultant de la présence dans la cour de plusieurs parents et alliés. On trouve dans ces violentes incriminations la preuve de l'hostilité qu'avaient les anciennes familles de la noblesse ou de la robe contre les enrichis récents et ils étaient nombreux au milieu des troubles politiques et des crises économiques du
XVIème siècle. Grâce à la
vénalité des charges de judicature ces
nouvelles couches s'élevaient rapidement aux premiers rangs. Mais nous laissons à l'écart ce côté, fort curieux au point de
vue de l'
histoire sociale, des remontrances de M. de Monier pour reproduire exclusivement ce qui a trait aux
Néophytes Juifs. Il prétend en effet que la famille qui cumulait ainsi des charges au Parlement descendait de l'un des trois Juifs baptisés sous Charles VIII
(118).]
Ce serait une gloire digne de sa majesté, ajoute-t-il, que imitant les actions de
Philippe le Bel son aïeul, il chassât cette vermine de gens,
sinon de France du moins des compagnies souveraines et même de celle de
Provence qui en est le plus infectée. A quoi sa Majesté doit d'autant plus volontiers se disposer que sa conscience y est obligée par les lois et par la raison. Car les lois ecclésiastiques rendent ces
néophytes indignes d'aspirer aux charges publiques, et même il n'y a pas longtemps que les
Jésuites et autres principaux ordres de la chrétienté eu leurs chapitres et assemblées ont fait une résolution de n'en recevoir aucun qui n'ait passé la septième race et ceux-ci n'ont pas encore passé la troisième. Aussi en Espagne du côté de
Valence et Mayorque, ils ne les admettent aux charges temporelles qu'après la septième
génération ou race, les tiennent désormais tributaires et comme esclaves. Au Parlement de
Toulouse ils n'en ont jamais voulu recevoir aucun en l'administration de la justice. Faut-il que le seul parlement de
Provence soit rempli de cette ordure et les sujets du roy sujets à leur domination ? Du temps des Comtes de
Provence ils n'avaient jamais osé aspirer à ces desseins. Leurs statuts sont pleins de menaces contre les usures et autres méchancetés de cette race maudite. Quelle apparence qu'ils soient tolérés et favorisés sous les Roys de France ! Quant aux raisons elles sont si grandes ! Premièrement ils ne sont chrétiens qu'en apparence et en effet ils observent leur ancienne
religion, ont de particulières cérémonies parmi eux et contribuent à l'entretiennement des Juifs d'
Avignon, et il n'y a pas longtemps qu'un juif d'
Avignon vint faire une quête à
Aix et étant entré par mécompte en la maison d'un qui n'était pas
néophyte, il demanda le tribut avec plusieurs paroles exécrables contre Notre Seigneur Jésus-Christ. Il en fut informé et aussitôt cela fut assoupi par leurs artifices et intrigues; mais il serait facile d'en avoir la preuve pour les convaincre et les châtier. Ils sont si unis entre eux que lorsqu'il est question de s'avancer, d'achetér quelqu'office tous se cotisent et ordinairement ils font des assemblées et monopoles et conspirent secrètement contre les chrétiens ; chose fort dangereuse en un état ou dans l'administration de la justice, car on remarque que ces gens-là ont une cabale et une si étroite liaison qu'ils n'ont qu'une même volonté et pour faire une injustice ils se prêtent la conscience les uns aux autres. Il se sont tellement enrichis par le moyen des usures et autres moyens illicites qu'ils sont les plus riches de la province de sorte qu'avec l'
argent ils s'établiront en toutes les charges qui viendront à vaquer, n'étant pas marris d'acheter en gros ce qu'ils vendent en détail et d'ailleurs pour être en honneur et autorisés ils n'épargnent rien, car ils ont mille moyens de s'enrichir et de se remplacer ce qu'ils ont financé. Semblables aux Aristocratides entre les Athéniens, qui
entrant aux charges publiques croyaient aller à une maison d'or. Ils ont cette curiosité qu'ils veulent savoir ce qui se fait dans toute la province jusque dans les maisons des particuliers, et parce qu'ils ne rendent la justice qu'à dessein pour obliger les uns pour faveur et intimider les autres pour vengeance, ils font par ce moyen ce qu'ils veulent et acquierent ce que bon leur semble à quel prix qu'ils désirent. Aussi les abus qu'ils commettent, leurs parentés, leurs alliances, sont cause qu'on ne voit que d'évocations et de plaintes contre le parlement de
Provence (119). Ceux-mêmes qui sont magistrats, outre les usures qui leur sont familières marchandent et vendent jusques aux denrées et font toutes sortes de métiers sordides pour s'enrichir. Mais ce qui est plus à craindre, c'est qu'ayant la
religion et la volonté du tout étrangère et aliénée de la France et du christianisme, ils se rendront si forts qu'enfin ils perdront la
Provence, et quand ils n'en auraient pas la volonté, l'avarice les possède tellement, que comme ils ont vendu Notre Seigneur ils vendront aisément leur
fidélité et eux-mêmes, pour la mettre entre les mains des étrangers. Et pour le voir clairement dans les derniers troubles, aucun d'eux n'a été serviteur du Roy, tous s'étant jetés à
Avignon, lieu de leur origine ; car ils n'affectent rien plus que d'être sous la domination des Papes, d'autant que leurs synagogues ne sont reçues qu'aux terres de l'
Eglise. On voit en eux des signes de la malédiction de
Dieu tous apparents ; car les uns pissent le sang les
jours de
vendredi ; les autres qui sont descendus de ceux qui avaient craché contre Notre-Seigneur, quand ils crachent, les crachats retombent sur eux. Quelle honte de les voir autorisés en un royaume chrétien ! De sorte que c'est une chose trop dangereuse de tolérer ces gens-là en une province frontière et leur donner une si grande autorité et leur permettre qu'ils s'établissent en telle sorte qu'ils sont les plus forts. Donc pour pourvoir à cet abus et délivrer les sujets du roy de tant d'oppression, il semble qu'il serait bien de les chasser de la
Provence et confisquer leurs biens qui valent plus d'un million d'or à tout événement en leur laissant leurs biens, les priver des charges publiques qu'ils exercent qui valent plus de 150.000 écus, et, quand on en vendrait, rendre ce qu'ils ont financé et remplir leur place de gens d'honneur et bons serviteurs du Roi. Sa M. y gagnerait plus de 50.000 écus, de quoi les Etats en feront des remontrances et de très humbles supplications à sa Majesté. Et en ce cas il faudrait constituer sur eux ces impositions que le Roi
Louis XII avait établies et prendre tant pour cent de leurs facultés. Le sieur Vidame de
Chartres en a un brevet et permission de S. M. mais il serait plus à propos que le roi y mit la main et il pourrait tirer un secours notable pour les entretiennements de ses
galères et de ses garnisons. Mais en toute façon il semble que sa Majesté ne doit souffrir les grandes parentés et alliances qui sont plus dangereuses en ces gens-là parce qu'ils n'ont qu'une même volonté de mal faire, et même au parquet où de quatre ils veulent être trois proches parents pour le moins. Il ne faut pas rendre les
néophytes, de meilleure condition que ceux de la
religion et faut qu'ils se contentent d'être mi-partis.
[Ici suit un rôle de douze membres du Parlement faisant partie des trois familles d'origine prétendue juive que M. de Monier a dénoncées dans les remontrances ci-dessus. Il ajoute:]
« S'il est nécessaire on justifiera le rôle ci-dessus transcrit et tout le contenu du présent mémoire par extraits et registres de la cour et autres pièces authentiques.
II
En 1640 l'abbé Bouis,
prêtre d'
Arles, publiait à
Avignon un livre, aujourd'hui rarissime, intitulé
La royale couronne des roys d'Arles dédiée à messsrs les consuls et gouverneurs de la ville (in-4°.) Il y raconte que les Juifs d'
Arles se voyait menacés d'une prochaine expulsion par les consuls de la ville avaient en 1489 écrit une lettre aux Juifs de Constantinople pour leur demander conseil sur la conduite à tenir dans ces circonstances critiques. L'abbé Bouis en publie le texte ainsi que la réponse des Juifs de Constantinople dont voici la traduction :
« Bien-aimés
frères en Moïse, nous avons reçu votre lettre dans laquelle vous nous faites connaître les anxiétés et les infortunes que vous endurez. Nous en avons été pénétrés d'une aussi grande peine que vous-mêmes.
L'avis des
grands Satrapes et rabbins est le suivant. A ce que vous dites que le roi de France vous oblige à vous faire chrétiens :
faites-le, puisque vous ne pouvez faire autrement ;
mais que la loi de Moïse se conserve en votre cur.
A ce que vous dites, qu'on commande de vous
dépouiller de vos biens ;
faites vos enfants marchands, afin que peu à peu, ils dépouillent les chrétiens des leurs.
A ce que vous dites qu'on attente à vos vies :
faites vos enfants médecins et apothicaires, afin qu'ils ôtent aux chrétiens leurs vies.
A ce que vous dites qu'ils détruisent vos synagogues :
faites vos enfants chanoines et clercs, afin qu'ils détruisent leurs églises.
A ce que vous dîtes qu'on vous fait bien d'autres vexations : faites en sorte que vos
enfants soient avocats et notaires, et que toujours ils se mêlent des affaires des Etats, afin que, en mettant les chrétiens sous votre joug, vous dominiez le monde, et vous puissiez vous venger d'eux.
Ne vous écartez pas de cet ordre que nous vous donnons, parce que vous verrez, par expérience que d'abaissés que vous êtes, vous arriverez au faîte de la puissance.
V. S. S. V. F. F. prince des Juifs de Constantinople le 21 de Gaslen, 1489
(120).
L'abbé Bouis publie cette lettre ainsi que la consultation des Juifs de
Provence en espagnol et prétend les avoir tirées « d'une vieille copie des archives d'une des plus fameuses
abbayes de
Provence. »
Par le préambule des remontrances de l'avocat général de Monier on voit qu'au commencement du
XVIIIème siècle cette prétendue consultation et cette réponse étaient déjà connues.
On les trouve en effet, avec quelques variantes insignifiantes, imprimées dans un ouvrage espagnol publié à
Paris en 1583 par un gentilhomme Navarrais
La Silva curiosa de Julian de Medrano caballero Navarro en que se tratan diversas cosas sutilisimas y curiosas muy convienrentes pare damas y caballeros en toda conversauon virtuosa y honesta (
Paris, Nicolas Chesneau, 1583, in 8°). Mais dans cet ouvrage, ces lettres sont données comme une consultation des Juifs d'Espagne et non plus d'
Arles : c'est aussi aux Juifs d'Espagne que la réponse est adressée ; enfin c'est dans les archives de Tolède que l'on prétend avoir trouvé ces lettres.
Effectivement, il existe plusieurs copies de ces lettres dans diverses bibliothèques de l'Espagne. Nous ne les regardons pas comme authentiques. Elles nous paraissent l'oeuvre de quelque chrétien espagnol du
XVIème siècle, qui après l'expulsion des Juifs voulait pousser les autorités civiles et ecclésiastiques à prendre des mesures de précaution contre les nouveaux convertis. Il employait un procédé de polémique fort usité à cette époque et les plaisanteries classiques contre les médecins et les avocats donnent à cette élucubration son vrai caractère. Il y avait en effet en Espagne au
XVIème siècle un mouvement d'opinion national beaucoup plus que
religieux, qui poussait à l'expulsion du pays de tous les
éléments étrangers.
Le succès, que cette invention eut dans tous les pays ou les chrétiens se trouvaient en contact avec des Juifs et des convertis, peut être considéré par une saine critique comme une preuve de la fausseté de ces conversions et de la longue continuité de leur judaïsme secret. Sans cela la
légende de cette consultation des Juifs de Constantinople, qui exprime d'une manière si expressive l'
esprit de secte persistant chez ces
néophytes, ne se serait pas perpétuée pendant plus de deux siècles.
On y croyait encore en effet en
Provence au commencement du
XVIIIème siècle comme le prouve l'extrait suivant d'un ouvrage resté manuscrit, parce que le gouvernement refusa l'autorisation de l'imprimer, mais répandu à de nombreuses copies.
III
Extrait de la Préface de la Critique du Nobiliaire de Provence
par Barcilon de Mauvans.
...Mais enfin les Juifs continuant toujours leurs usures et leurs malversations, Charles VIII fatigué tous les
jours des plaintes qu'on faisait, fit un édit portant qu'ils se laveraient de l'
eau du
baptême ou qu'ils eussent à vuider le Royaume. A la publication de cet édit, toutes les synagogues du Royaume furent détruites dans un
jour, et tous les Juifs se cachèrent : Plusieurs pour ne pas quitter leurs biens furent contraints de recevoir le
baptême ; ils suivirent le conseil des Juifs de Constantinople que les Juifs d'Espagne leur communiquèrent. Ils se ravisèrent sur l'infortune de ceux-ci : ils suivirent exactement les préceptes qui se trouvent dans la lettre escrite par les rabbins de Constantinople en réponse de celle escrite par les Juifs d'Espagne dont ils ne sçeurent pas profiter. En voici la teneur qui nous montre au naturel l'
esprit de la nation judaïque. [...]
Les
néophytes de
Provence suivant cet ordre se faisaient de toutes sortes de métiers, la plupart s'attachèrent au Palais ; et depuis la
vénalité des charges, ouverte par le roy
François Ier, facilités par les troubles de la ligue en
Provence sous les roys Charles IX et Henri III, les
néophytes s'établirent en si grand nombre au Parlement d'
Aix qu'ils s'y rendirent les plus forts ; ils acquirent le greffe civil du Parlement, un
néophyte estoit greffier en chef. Il remplissait les places des audienciers et des commis des gens de sa nation, les arrêts, les décrets, les ordonnances, les sacs et les pièces étaient en son pouvoir. Ils estaient maîtres du Parquet. De quatre gens du Roy, trois estaient de race judaïque, de conseillers et de présidents, le père et trois
frères en remplissoient les charges. Estant maîtres dans le Parlement, ils estaient maîtres en
Provence. Ils s'étaient établis dans la cour des Comptes pour être les maîtres des archives du Roy dont ils ont tiré toutes les chartes,
lettres patentes et les actes qui n'étaient pas avantageux à leur nation. Enfin il advint tant de désordre, tant de
tyrannie, d'oppression et de violence du grand crédit et de l'autorité des
néophytes, que l'avocat général Monier fit cette belle remontrance au Roy Henri IV contre les
néophytes du Parlement, où il représenta si au long leurs pernicieux desseins et leurs méchantes pratiques qu'il faudrait un volume entier pour la faire voir ici au long. Elle estait dans les registres du Parlement par ordre du Roy Henry IV ; mais elle en a été tirée par le crédit des
néophytes, je l'ai
vue dans les cabinets des curieux. J'en ai un extrait
(121). On y voit au naturel le portrait des gens issus de race judaïque, leur
envie, leur perfidie, leur avarice, leur usure, leur rapine et leur
tyrannie, décrite avec une merveilleuse éloquence pour ce temps.
Son but était de persuader au Roy l'extirpation entière de cette nation en France depuis longtemps résolue par ses prédécesseurs Roys, ou du moins de défendre l'entrée du Parlement et des autres
corps ou communautés aux
néophytes, les déclarer indignes d'y estre reçus. Il se réduisit et conclut à ce qu'il plut au moins au roy de ne pas leur donner la dispense pour parenté. [...]
Tant de cruauté, de barbaries et de désolation souffertes en
Provence par la nation juifve, nous ont laissé une horreur pour les Juifs et pour ceux qui en sont issus, qui passe de père en fils, et qui ne s'effacera jamais de nos
esprits. Nous nous en ressentons même encore tous les
jours dans les alliances, dans les traités et dans le commerce que nous avons avec eux. Que ce soit nobles, que ce soit
juges, que ce soit marchands ou artisans, nous trouvons en eux cet
esprit, ce caractère de nation judaïque, d'
envie, de trahison et de perfidie, d'avarice et de cruauté. On n'y prend presque pas garde dans le reste du royaume, ils en ont été chassés, ou si accablés d'impôts qu'ils ont été obligés de quitter le pays ; ils se réfugiaient en
Provence où ils ont été reçus et protégés. Ce n'est que depuis la réunion de la
Comté de
Provence à la
couronne qu'ils ont été chassés ou obligés de se laver par les sacrées
eaux du
baptême. Depuis ils n'ont plus judaïsé et célébré le
jour du sabbat qu'en secret et le
jour du dimanche en public.
Il est si vray que ces familles judaïques judaïsent toujours qu'il m'a esté rapporté par une personne de distinction et de
probité connue, qu'estant en débauche avec des jeunes gens comme luy au cabaret, ils avaient parmi eux deux jeunes hommes de famille hébraïque chrestiens en public depuis cinq
générations. Dans la
chaleur du vin ils mirent tous leurs membres virils sur une assiette. Les
néophytes, malgré qu'ils en eussent, furent obligés de mettre les leurs comme les autres, on vit qu'ils étaient circoncis. A cette
vue il se leva une huée que les
faux néophytes ne purent pas soutenir.
Si les
néophytes pratiquent toujours leurs mystères secrètement, ils conservent aussy toujours à l'égard des chrétiens leur
esprit d'
envie, d'avarice, de perfidie et de cruauté. Ils sont toujours nos
ennemis irréconciliables, d'autant plus dangereux qu'ils sont secrets et cachés sous les noms d'amis et d'alliés. Pour les éviter j'ai fait dans cette préface un abrégé de l'
histoire des Juifs de
Provence et le dénombrement à la fin de ce livre de toutes les familles de nouveaux chrestiens de race judaïque qui comme tels furent dénommés pour estre taxés conformément à la déclaration du Roy
Louis XII l'an 1512 dont Gervais de
Beaumont, premier président au parlement d'
Aix fut chargé de l'exécution. J'ai l'extrait collationné des archives signé : Tisaty ; j'ai trouvé encore les verbaux des
baptêmes des familles de race judaïque, baptisées depuis cette cotisation jusques aujourd'huy, dans divers notaires dont ils ont soustrait la plus grande partie des originaux ; mais j'ai vu les anciens extraits dans les cabinets des curieux qui valent les originaux.
Nota. Cette critique de («
L'Etat de la Provence dans sa noblesse, par l'abbé Robert de Biançon), d'après l'état des familles dont elle parle, a dû être écrite pendant les premières années du
XVIIIème siècle.
Peut-être même une partie était-elle déjà faite en 1700.
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(117) Ces remontrances ne sont connues que par la copie que prétendait en avoir Barcilon l'auteur de la
Critique du nobiliaire de Provence, dont nous reproduisons la préface comme le document III de cet appendice. Les
histoires de
Provence ne parlent pas d'une entrée d'Henry IV à
Aix. Mais ces remontrances sont bien dans le style et dans les idées de l'époque. D'autre part nous savons que M. de Monier avait été un des magistrats fidèles à la cause
royaliste durant les troubles de la Ligue et le passage suivant de l'
Histoire de Provence par de Gaufridy conseiller au Parlement de
Provence en 1660 (1694 in-folio
Aix) raconte les mêmes faits avec une nuance dans les appréciations dont on se rendra compte :
« Le roi
Louis XII ne laissait pas de veiller à la tranquillité du royaume. Il s'en vit en
Provence une grande épreuve. Les Provençaux avaient fait en divers temps de grandes plaintes des vexations que faisaient les Juifs par leurs prêts, de l'impuissance ou tout le monde était réduit par le débordement de leurs usures. Mais ces plaintes s'étaient toujours faites inutilement. Comme elles furent renouvelées en ce temps-là, le roi y apporta un si bon ordre qu'il en sera mémoire éternellement. » [Gaufridy expose que c'est par l'exercice de la médecine que dès le
Moyen-Age les Juifs s'étaient rendus nécessaires et qu'on n'avait pas observé le
concile d'
Avignon de 1337 qui défendait aux Chrétiens de se servir de médecins et de chirurgiens Juifs...] « Le roi
René en avait toujours auprès de sa personne, ajoute-t-il. Il en faisait tant de cas que pour l'
amour d'eux il permit à tous les Juifs de tenir des fermes, d'être procureurs et clavaires. Leur faveur n'alla pas plus loin au contraire elle commença à diminuer peu à peu après l'union de la
Provence à la
couronne de France. Comme ils virent ce changement, ils essayèrent de se maintenir par des contributions extraordinaires. Mais
enfin les plaintes de leurs usures excessives obligèrent le roi Charles VIII à les réprimer et à délivrer même la
Provence de cette vermine. Pour cela il fit un édit en 1498, par lequel il fut enjoint à tous les Juifs de quitter leur
religion ou de vider le royaume. Dès que la publication en fut faite, plusieurs prirent le dernier parti. Ils se retirèrent dans les contrées voisines. Quelques-uns, ou par la considération de leurs familles, ou par celle de leurs établissements, préférèrent la facilité de se faire chrétiens à l'incommodité d'un déménagement et des voyages. Mais comme on exécuta l'ordre avec molesse, la plupart demeurèrent comme ils étaient auparavant. Enfin le Roi renouvela en cette année l'édit que son devancier avait fait : sans doute fut-il importuné des mêmes plaintes. On a dit qu'il le fit pour éloigner de
Provence plusieurs de ceux d'Espagne qui s'y étaient venus établir, quand Ferdinand, roi d'
Aragon les eut chassés de ses Etats, d'où il fit vider plus de 800.000
âmes. Quoi qu'il en soit l'édit fut exécuté à la rigueur. Ainsi ces gens se virent pressés de prendre parti. Les uns quittèrent le pays, les autres s'y arrêtèrent à la faveur du
baptême. Mais comme ces nouveaux baptisés persistèrent dans leur commerce ordinaire ; que dans leurs prêts, dans leurs ventes et dans leurs autres actions, ils paraissaient autant Juifs que jamais, on crut qu'ils l'étaient encore effectivement, et que, suivant les préceptes de leurs Rabins, sous l'apparence de la nouvelle
religion, ils gardaient toujours dans le cur la loi de Moïse. Ce fut assurément pour cette raison seule qu'ils furent méprisés comme auparavant et qu'ils demeurèrent fort longtemps sans pouvoir s'allier par
mariages qu'entre eux-mêmes. Peut-être ce fut aussi par la même cause qu'en l'année 1512, le Roi, sous prétexte de la nécessité de la guerre, fit une imposition sur eux dont ils firent eux-mêmes le régalement sur chaque particulier et la levée. Quoi qu'il en soit, la mémoire de toutes ces choses s'est abolie depuis que ces gens en embrassant la
religion chrétienne, sont entrés dans la possession des charges, des offices, des
fiefs. » (T. I, pp. 386 à 388).
(118) L'extrait de l'
Histoire de Provence du conseiller de Gaufridy qu'on a pu lire à la note précédente justifie pleinement notre
jugement sur ces remontrances. Nous ajouterons qu'une enquête faite vers 1700 pour l'admission dans l'ordre de Malte d'un des membres de la famille incriminée par l'avocat général de Monier et qui existe dans les Archives départementales des Hautes-Alpes a pleinement démontré la fausseté de l'accusation d'origine Judaïque dirigée contre elle. En résumé une
question Juive avait existé en
Provence au
XVIème siècle et dans les premières années du siècle suivant. Mais comme de nos
jours beaucoup de passions particulières se donnaient carrière sous ce couvert.
(119) Gaufridy dans l'
Histoire de Provence indique discrètement les plaintes auxquelles les cabales de famille donnaient lieu contre le Parlement. Après le rétablissement de l'autorité royale en 1596, le Parlement protesta au sein des Etats de
provence contre les plaintes dont il était l'objet.
(120) Ces lettres ont été publiées de nouveau par M. l'abbé Chabauty dans son livre
Les Juifs nos maîtres, Documents et développements nouveaux sur la question juive), un vol. in-2.
Paris, Palmé, 1882, où il s'est efforcé de prouver leur authenticité. Voyez en sens contraire
La Revue des Etudes juives, t. I (1881), p. 219 et p. 301, articles de MM. Darmesteter et Morel-Fatio.
(121) C'est cet extrait que nous avons reproduit comme le Document I du présent appendice.