Charles-Martel,
duc d'
Austrasie, à qui le titre de roi a été donné par quelques
historiens, par l'auteur de son
épitaphe, et qui le fut réellement par l'autorité dont il s'empara et dont il jouit pendant plus de vingt-cinq ans, était fils de
Pépin d'Héristal, autrement appelé
Pépin le Gros, et père de
Pépin le Bref, qui fonda la seconde dynastie des rois de France. C'est un des plus grands héros dont les Français puissent s'honorer.
Charles-Martel n'avait pas plus de 20 ans lorsque son père
mourut (714) ; la légitimité de sa naissance pouvait être
contestée, puisqu'il n'était pas né de
Plectrude, femme de
Pépin le Gros, mais d'une concubine de ce prince, nommée
Alpaïde. Le mot
concubine n'avait pas alors la signification méprisante qu'il a reçue depuis.
Plectrude avait été répudiée par
Pépin le Gros, qui la reprit dans sa vieillesse ; on conçoit aisément la haine que lui inspirait un fils née de son
époux
pendant sa disgrâce. Au moment où elle devint veuve, elle s'empara du gouvernement, dans l'espoir de conserver l'autorité à ses petits-fils, se saisit de
Charles-Martel, le retint prisonnier à
Cologne, où elle faisait sa résidence. Dans les murs de cette époque, c'était, pour une femme, une entreprise bien hardie que celle d'exercer le pouvoir de
maire du palais. Les
Neustriens méprisèrent les premiers l'autorité de
Plectrude, en élevant
Chilpéric II sur le trône, et
Charles-Martel, s'étant échappé de sa prison, fut reçu comme un libérateur par les Austrasiens, qui l'aidèrent à assiéger dans
Cologne la veuve de son père, trop heureuse de se tirer d'embarras en abandonnant à son
ennemi les trésors de Pépin et ses trois petits-fils (715).
Ainsi, Charles, traité d'abord comme un
enfant illégitime, parvint, sans autre droit que son courage, à être reconnu pour l'unique héritier des biens, des titres et des projets de sa famille : tels furent les exploits de sa
jeunesse. Pour arrêter les partis qu'il craignait de
voir s'élever contre son autorité naissante, il prit un
enfant du sang royal, nommé
Clotaire IV, et lui donna le titre de roi d'
Austrasie, afin de régner plus commodément sous son nom ; mais des seigneurs du
royaume de Neustrie et de
Bourgogne, qui avaient formé le dessein de rappeler les héritiers de Clovis à leur ancienne dignité, ne se méprirent point sur son ambition ; ils déclarèrent la guerre à
Charles-Martel, qui les battit complètement près de
Soissons, en 719. Après cette victoire, il se fit livrer
Chilpéric II, se créa
maire du palais de
Neustrie, et ne s'occupa plus, ensuite, de donner un roi particulier à l'
Austrasie, lorsque la mort le débarrasssa de
Clotaire IV. Sous l'
influence de
Charles-Martel,
Chilpéric II n'était effectivement qu'un fantôme de roi ; mais, en suivant l'usurpation depuis si longtemps méditée par les Pépin,
Charles-Martel dut se résoudre à ne jamais poser les armes ; car les grands méditaient, de leur côté, le projet de se rendre indépendants, et les
Saxons, les Frisons, les Bavarois, tributaires des rois de France, trouvaient, dans la confusion des intérêts, beaucoup de facilités pour secouer le joug, et des ressources pour se faire craindre, même après avoir été vaincus. Attaqué, dès la première année de sa puissance (716), par Radbod,
duc des Frisons, ligué avec Chilpéric, roi de
Neustrie, Charles avait été battu près de
Cologne, et obligé de se réfugier, avec une troupe
de 500 hommes, dans les Ardennes.
Vers le même temps, les
Saxons avaient fait en France une irruption, dont Charles tira, trois ans après, une éclatante
vengeance, en portant le fer et le
feu jusque dans leur pays. Il se vengea plus tard de l'audace des Frisons, et ce ne fut qu'en 733 qu'il porta la guerre dans leur pays, par terre et par mer ; il les défit alors dans plusieurs combats, et tua de sa propre main
Poppon, leur
duc. L'autorité royale était le point auquel la
force des événements et le balancement des partis ramenaient toujours : aussi
Charles-Martel, après la mort de
Chilpéric II, se vit-il réduit à proclamer
Thierry II, jeune
enfant qui prit le nom de roi, et ne reçut pas même les honneurs de forme qui appartiennent à ce rang. Les agressions de différents peuples de l'Allemagne obligèrent Charles à passer le Rhin, en 725, avec une nombreuse armée. Il parcourut cette contrée, dompta les bavarois, et revint chargé de butin, emmenant avec lui la reine Bilitrude, avec sa nièce Ferischilde, qu'il épousa.
Trois ans après, ce peuple supportant impatiemment le joug, il fut obligé de marcher encore une fois pour les soumettre, et il était occupé de cette expédition, lorsque les Sarrasins, après avoir pris et pillé
Bordeaux, s'avancèrent jusqu'à sur la Loire, ayant à leur tête Abdérame, guerrier auquel la victoire avait toujours été fidèle. Il fallait lui opposer une armée nombreuse, et il ne restait rien à offrir aux soldats français, les
maires du palais ayant laissé envahir les domaines royaux, les
fiefs sur lesquels reposait la solde de l'armée, et prodigué les trésors de l'Etat pour se faire des partisans. Dans la cruelle alternative de perdre la France ou de renoncer à la
couronne, en mécontentant les
évêques,
Charles-Martel n'hésita pas ; il
dépouilla le clergé pour enrichir les guerriers, marcha droit aux Sarrasins, qu'il rencontra près de
Poitiers, en l'an 732, et après un combat qui dura un
jour entier, il remporta une victoire complète ; les chroniques du temps portent la perte des Sarrasins à 375.000 hommes, en ajoutant qu'Abdérame, leur chef, y perdit la vie, et que ceux qui échappèrent au carnage ne purent rien emporter du butin qu'ils avaient fait depuis leur entrée en France. On a répété mille fois que Charles reçut de cette bataille le surnom de
Martel, comme s'il se fût servi d'un marteau pour écraser les barbares : c'est un de ces contes populaires que les
historiens adoptent sans examen, parce qu'il a l'
air d'une explication.
Martel et
Martin sont un même nom, et l'on sait le respect que les
Francs avaient pour saint Martin ;
Martel était d'ailleurs un nom particulier dans la famille des Pépin, puisque les deux premiers
ducs auxquels les Austrasiens confièrent le soin de les gouverner, lorsqu'ils essayèrent de se séparer du royaume, étaient parents, et que l'un se nommait
Pépin, l'autre
Martel. Cette mémorable victoire, à laquelle l'
Europe entière dut son salut, ne détruisit pas toute la puissance des Sarrasins en France ; en 737, Charles fut encore obligé
d'envoyer contre eux son
frère Childebrand, et bientôt il fut lui-même
forcé de marcher contre un de leurs rois, nommé Mauronte, qui avait
établi en
Provence le siège d'un nouvel empire. Après avoir pris d'assaut
Avignon, et l'avoir réduit en cendres, il livra une sanglante bataille aux infidèles, sur les bords de la Berre en
Languedoc, et mit en fuite Amor, un de leurs chefs, accouru d'Espagne avec de nouveaux renforts. Mais Mauronte occupait encore
, et ce ne fut que l'année suivante (739) que Charles s'empara de cette ville, d'où Mauronte s'enfuit pour ne plus reparaître.
Durant ces glorieuses expéditions,
Thierry II était mort, et
Charles-Martel, qui ne se faisait point illusion sur le mécontentement qu'avait excité la spoliation du clergé, dont les biens alors étaient véritablement le patrimoine des pauvres, n'osa prendre le titre de roi ; il se contenta de n'en point nommer, et gouverna seul, avec une autorité absolue, depuis 737 jusqu'à sa mort, arrivée à Quersi-sur-Oise, le 22
octobre 741. Cette époque de l'
histoire de France s'appelle
interrègne (1). Quelques mois avant de mourir,
Charles-Martel avait reçu deux nonces du pape Grégoire III (ce sont les premiers qu'on ait vus en France) ; ils
luis apportèrent les
clefs du sépuclre de saint Pierre, avec d'autres présents, et lui demandèrent, contre Luitprand, roi des Lombards, des secours qu'il leur promit, mais que la mort ne lui permit pas d'envoyer.
N'ayant pas de titre avoué,
Charles-Martel en a reçu
plusieurs, et les
historiens le désignent comme
maire du palais, lieutenant du royaume, patrice,
duc, prince, consul des Français. D'accord avec le pape Grégoire II, il pensait sérieusement à rétablir en sa faveur l'
empire d'Occident ; la mort les surprit l'un et l'autre occupés de ce grand projet, qui fut exécuté par
Charlemagne. On ignore l'année de la naissance de
Charles-Martel ; il se sauva de la prison où le tenait
Plectrude, en 715 ; ce qui autorise à croire qu'il vécut à peine cinquante ans. Il fut enterré à St-Denis. Grand entre les héros de sa race, pour avoir méprisé les petites ruses si chères aux ambitieux, il ne voulut rien que par son courage ; il eut toujours les armes à la main, et ne livra jamais une bataille qu'avec des troupes moins nombreuses que celles de ses
ennemis. Disposant, à sa mort, de la France comme d'un bien qui lui était acquis, il partagea le royaume entre ses trois fils, Carloman, Grifon et
Pépin le Bref, mais sans leur donner un titre qu'il n'avait pas cru devoir prendre lui-même ; aussi y eut-il encore un roi du sang de Clovis (Voyez
Childéric III). On trouve dans le tome Ier de la collection des
historiens de Duchesne un écrit curieux d'un auteur contemporain, ayant pour titre :
de Ficta Caroli Martelli Damnatione. C'était sans doute pour avoir touché aux biens du clergé, que les moines avaient répandu le bruit qu'il était damné.
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(1) Il faut lire l'
Histoire des Français, par Sismondi, t. 2, pp. 168-171, et les
Essais sur l'histoire de France, par M. Guizot, 3ème essai, pp. 67-83, pour apprécier la révoluton
opérée par
Charles Martel et son fils
Pépin le Bref. Ce fut comme une nouvelle
invasion germanique, comme une seconde conquête de la Gaule par les Austrasiens, bien plus barbares, plus Germains que les
Francs de
Neustrie, qui s'étaient à peu près fondus avec les Romains.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 7 - Pages 522-523)