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Les Grands Initiés

Edouard Schuré
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LIVRE V
ORPHÉE – LES MYSTÈRES DE DIONYSOS


I – LA GRÈCE PRÉHISTORIQUE – LES BACCHANTES – APPARITION D'ORPHÉE

Dans les sanctuaires d'Apollon qui possédaient la tradition orphique, une fête mystérieuse se célébrait à l'équinoxe du printemps. C'était le moment où les narcisses refleurissaient près de la fontaine de Castalie. Les trépieds, les lyres du temple vibraient d'elles-mêmes et le Dieu invisible était sensé revenir du pays des Hyperboréens, sur un char traîné par des cygnes. Alors, la grande prêtresse vêtue en Muse, couronnée de lauriers, le front ceint des bandelettes sacrées, chantait devant les seuls initiés la naissance d'Orphée, fils d'Apollon et d'une prêtresse du Dieu. Elle invoquait l'âme d'Orphée, père des mystes, sauveur mélodieux des hommes ; Orphée souverain, immortel et trois fois couronné, dans les enfers, sur la terre et dans le ciel ; marchant, une étoile au front, parmi les astres et les Dieux.

      Le chant mystique de la prêtresse de Delphes faisait allusion à l'un des nombreux secrets gardés par les prêtres d'Apollon et ignorés de la foule. Orphée fut le génie animateur de la Grèce sacrée, l'éveilleur de son âme divine. Sa lyre aux sept cordes embrasse l'univers. Chacune d'elles répond à un mode de l'âme humaine, contient la loi d'une science et d'un art. Nous avons perdu la clef de sa pleine harmonie, mais les modes divers n'ont pas cessé de vibrer à nos oreilles. L'impulsion théurgique et dionysiaque qu'Orphée sut communiquer à la Grèce, s'est transmise par elle à toute l'Europe. Notre temps ne croit plus à la beauté dans la vie. Si malgré tout il en garde un profond ressouvenir, une secrète et invincible espérance, il le doit à ce sublime Inspiré. Saluons en lui le grand initiateur de la Grèce, l'Ancêtre de la Poésie et de la Musique, conçues comme révélatrices de la vérité éternelle.

      Mais avant de reconstituer l'histoire d'Orphée du fond même de la tradition des sanctuaires, disons ce qu'était la Grèce à son apparition.

      C'était au temps de Moïse, cinq siècles avant Homère, treize siècles avant le Christ. L'inde s'enfonçait dans son Kali-Youg, en son âge de ténèbres, et n'offrait plus que l'ombre de son ancienne splendeur. L'Assyrie, qui, par la tyrannie de Babylone, avait déchaîné sur le monde le fléau de l'anarchie, continuait à piétiner l'Asie. L'Egypte, très grande par la science de ses prêtres et par ses pharaons, résistait de toutes ses forces à cette décomposition universelle ; mais son action s'arrêtait à l'Euphrate et à la Méditerranée. Israël allait relever dans le désert le principe du Dieu mâle et de l'unité divine par la voix tonnante de Moïse ; mais la terre n'avait pas encore entendu ses échos.

      La Grèce était profondément divisée par la religion et par la politique.

      La péninsule montagneuse qui étale ses fines découpures dans la Méditerranée et qu'entourent des guirlandes d'îles, était peuplée depuis des milliers d'années par une poussée de la race blanche, voisine des Gètes, des Scythes et des Celtes primitifs. Cette race avait subi les mélanges, les impulsions de toutes les civilisations antérieures. Des colonies de l'Inde, de l'Egypte, de la Phénicie avaient essaimé sur ses rivages, peuplé ses promontoires et ses vallées de races, de coutumes, de divinités multiples. Des flottes passaient, voiles déployées, sous les jambes du colosse de Rhodes, posé sur les deux môles de son port. La mer des Cyclades, où, par les jours clairs, le navigateur voit toujours quelque île ou quelque rive surgir à l'horizon, était sillonnée par les proues rouges des Phéniciens et les proues noires des pirates de Lydie. Ils emportaient dans leurs nefs creuses toutes les richesses de l'Asie et de l'Afrique : de l'ivoire, des poteries peintes, des étoffes de Syrie, des vases d'or, de la pourpre et des perles – souvent des femmes enlevées sur une côte sauvage.

      Par ces croisements de races, s'était moulé un diome harmonieux et facile, mélange de celte primitif, de zend, de sanscrit et de phénicien. Cette langue, qui peignait la majesté de l'Océan dans le nom de Poséidôn et la sérénité du ciel dans celui d'Ouranos, imitait toutes les voix de la nature depuis le gazouillis des oiseaux jusqu'au choc des épées et au fracas de la tempête. Elle était multicolore comme sa mer d'un bleu intense, aux azurs changeants, multisonnante comme les vagues qui murmurent dans ses golfes ou mugissent sur ses récifs innombrables – poluphlosboïo Thalassa, comme dit Homère. Avec ces marchands ou ces pirates, il y avait souvent des prêtres qui les dirigeaient et leur commandaient en maîtres. Ils cachaient précieusement dans leur barque, une image en bois d'une divinité quelconque. L'image était grossièrement sculptée sans doute, et les matelots d'alors avaient pour elle le même fétichisme que beaucoup de nos marins ont pour leur madone. Mais ces prêtres n'en étaient pas moins en possession de certaines sciences, et la divinité qu'ils emportaient de leur temple en pays étranger représentait pour eux une conception de la nature, un ensemble de lois, une organisation civile et religieuse. Car en ces temps, toute la vie intellectuelle descendait des sanctuaires. On adorait Junon à Argos ; Artémis en Arcadie ; à Paphos, à Corinthe, l'Astarté phénicienne était devenue l'Aphrodite née de l'écume des flots. Plusieurs initiateurs avaient paru en Attique. Une colonie égyptienne avait porté à Eleusis le culte d'Isis sous forme de Dèmètèr (Cérès), mère des Dieux. Erechtée avait établi entre le mont Hymette et le Pentélique le culte d'une déesse vierge, fille du ciel bleu, amie de l'olivier et de la sagesse. Pendant les invasions, au premier signal d'alarme, la population se réfugiait sur l'Acropole et se serrait autour de la déesse comme autour d'une victoire vivante.

      Au-dessus des divinités locales régnaient quelques dieux mâles et cosmogoniques. Mais, relégués sur les hautes montagnes, éclipsés par le cortège brillant des divinités féminines, ils avaient peu d'influence. Le Dieu solaire, l'Apollon delphien (72) existait déjà, mais ne jouait encore qu'un rôle effacé. Il y avait des prêtres de Zeus le Très-Haut, au pied des cimes neigeuses de l'Ida, sur les hauteurs de l'Arcadie et sous les chênes de Dodone. Mais le peuple préférait au Dieu mystérieux et universel, les déesses qui représentaient la nature en ses puissances ou séduisantes ou terribles. Les fleuves souterrains de l'Arcadie, les cavernes des montagnes qui descendent jusqu'aux entrailles de la terre, les éruptions volcaniques dans les îles de la mer Egée avaient porté de bonne heure les Grecs vers le culte des forces mystérieuses de la terre. Ainsi, dans ses hauteurs comme dans ses profondeurs, la nature était pressentie, redoutée et vénérée. Cependant, comme toutes ces divinités n'avaient ni centre social, ni synthèse religieuse, elles se faisaient entre elles une guerre acharnée. Les temples ennemis, les cités rivales, les peuples divisés par le rite, par l'ambition des prêtres et des rois, se haïssaient, se jalousaient et se combattaient en des luttes sanglantes.

      Mais, derrière la Grèce, il y avait la Thrace sauvage et rude. Vers le Nord, des enfilades de montagnes couvertes de chênes géants et couronnées de rochers, se suivaient en croupes onduleuses, se déroulaient en cirque énormes ou s'enchevêtraient en massifs noueux. Les vents du septentrion labouraient leurs flancs chevelus et un ciel souvent tempétueux balayait leurs cimes. Pâtres des vallées et guerriers des plaines appartenaient à cette forte race blanche, à la grande réserve des Doriens de la Grèce. Race mâle par excellence, qui se marque dans la beauté par l'accentuation des traits, la décision du caractère, et dans la laideur par l'effrayant et le grandiose qu'on retrouve dans le masque des Méduses et des antiques Gorgones.

      Comme tous les peuples antiques qui reçurent leur organisation des Mystères, comme l'Egypte, comme Israël, comme l'Etrurie, la Grèce eut sa géographie sacrée, où chaque contrée devenait le symbole d'une région purement intellectuelle et supraterrestre de l'esprit. Pourquoi la Thrace (73) fut-elle toujours considérée par les Grecs comme le pays saint par excellence, le pays de la lumière et la véritable patrie des Muses ? C'est que ces hautes montagnes portaient les plus vieux sanctuaires de Kronos, de Zeus et d'Ouranos. De là étaient descendus en rythmes eumolpiques la Poésie, les Lois et les Arts sacrés. Les poètes fabuleux de la Thrace en font foi. Les noms de Thamyris, de Linos et d'Amphion répondent peut-être à des personnages réels ; mais ils personnifient avant tout, selon le langage des temples, autant de genres de poésie. Chacun d'eux consacre la victoire d'une théologie sur une autre. Dans les temples d'alors, on n'écrivait l'histoire qu'allégoriquement. L'individu n'était rien, la doctrine et l'œuvre tout. Thamyris, qui chanta la guerre des Titans et fut aveuglé par les Muses, annonce la défaite de la poésie cosmogonique par des modes nouveaux. Linus, qui introduisit en Grèce les chants mélancoliques de l'Asie et fut tué par Hercule, trahit l'invasion en Thrace d'une poésie émotionnelle, éplorée et voluptueuse, que repoussa d'abord l'esprit viril des Doriens du nord. Il signifie en même temps la victoire d'un culte lunaire sur un culte solaire. Amphion, par contre, qui selon la légende allégorique mettait les pierres en mouvement par ses chants et construisait des temples aux sons de sa lyre, représente la force plastique que la doctrine solaire et la poésie dorienne orthodoxe exercèrent sur les arts et sur toute la civilisation hellénique. (74)

      Bien autre est la lumière dont reluit Orphée ! Il brille à travers les âges avec le rayon personnel d'un génie créateur, dont l'âme vibra d'amour en ses mâles profondeurs pour l'Eternel-Féminin – et en ses dernières profondeurs lui répondit cet Eternel-Féminin qui vit et palpite sous une triple forme dans la Nature, dans l'Humanité et dans le Ciel. L'adoration des sanctuaires, la tradition des initiés, le cri des poètes, la voix des philosophes – et plus que tout le reste : son œuvre, la Grèce organique – témoignent de sa vivante réalité !

      En ces temps, la Thrace était en proie à une lutte profonde, acharnée. Les cultes solaires et les cultes lunaires se disputaient la suprématie. Cette guerre entre les adorateurs du soleil et de la lune, n'était pas, comme on pourrait le croire, la dispute futile de deux superstitions. Ces deux cultes représentaient deux théologies, deux cosmogonies, deux religions et deux organisations sociales absolument opposées. Les cultes ouraniens et solaires avaient leurs temples sur les hauteurs et les montagnes ; des prêtres mâles ; des lois sévères. Les cultes lunaires régnaient dans les forêts ; dans les vallées profondes ; ils avaient des femmes pour prêtresses, des rites voluptueux, la pratique déréglée des arts occultes et le goût de l'excitation orgiastique. Il y avait guerre à mort entre les prêtres du soleil et les prêtresses de la lune. Lutte des sexes, lutte antique, inévitable, ouverte ou cachée, mais éternelle entre le principe masculin et le principe féminin, entre l'homme et la femme, qui remplit l'histoire de ses alternatives et où se joue le secret des mondes. De même que la fusion parfaite du masculin et du féminin constitue l'essence même et le mystère de la divinité, de même l'équilibre de ces deux principes peut seul produire les grandes civilisations.

      Partout en Thrace comme en Grèce, les dieux mâles, cosmogoniques et solaires avaient été relégués sur les hautes montagnes, dans les pays déserts. Le peuple leur préférait le cortège inquiétant des divinités féminines qui évoquaient les passions dangereuses et les forces aveugles de la nature. Ces cultes donnaient à la divinité suprême le sexe féminin.

      D'effroyables abus commençaient à en résulter. – Chez les Thraces, les prêtresses de la lune ou de la triple Hécate avaient fait acte de suprématie en s'appropriant le vieux culte de Bacchus et en lui donnant un caractère sanglant et redoutable. En signe de leur victoire, elles avaient pris le nom de Bacchantes, comme pour marquer leur maîtrise, le règne souverain de la femme, sa domination sur l'homme.

      Tour à tour magiciennes, séductrices et sacrificatrices sanglantes de victimes humaines, elles avaient leurs sanctuaires en des vallées sauvages et reculées. Par quel charme sombre, par quelle ardente curiosité hommes et femmes étaient-ils attirés dans ces solitudes d'une végétation luxuriante et grandiose ? Des formes nues – des danses lascives au fond d'un bois... puis des rires, un grand cri – et cent Bacchantes se jetaient sur l'étranger pour le terrasser. Il devait leur jurer soumission et se soumettre à leurs rites ou périr. Les Bacchantes apprivoisaient des panthères et des lions qu'elles faisaient paraître dans leurs fêtes. La nuit, les bras enroulés de serpents, elles se prosternaient devant la triple Hécate ; puis, en des rondes frénétiques, évoquaient Bacchus souterrain, au double sexe et à face de taureau (75). Mais malheur à l'étranger, malheur au prêtre de Jupiter ou d'Apollon qui venait les épier. Il était mis en pièces.

      Les Bacchantes primitives furent donc les druidesse de la Grèce. Beaucoup de chefs Thraces restèrent fidèles aux vieux cultes mâles. Mais les Bacchantes s'étaient insinuées chez quelques-uns de leurs rois qui unissaient des mœurs barbares au luxe et aux raffinements de l'Asie, Elles les avaient séduits par la volupté et domptés par la terreur. Ainsi les Dieux avaient divisé la Thrace en deux camps ennemis. Mais les prêtres de Jupiter et d'Apollon, sur leurs sommets déserts, hantés par la foudre, devenaient impuissants contre Hécate qui gagnait dans les vallées brûlantes et qui de ses profondeurs commençait à menacer les autels des fils de la lumière.

      A cette époque, avait paru en Thrace un jeune homme de race royale et d'une séduction merveilleuse. On le disait fils d'une prêtresse d'Apollon. Sa voix mélodieuse avait un charme étrange. Il parlait des Dieux sur un rythme nouveau et semblait inspiré. Sa chevelure blonde, orgueil des Doriens, tombait en ondes dorées sur ses épaules, et la musique qui coulait de ses lèvres prêtait un contour suave et triste aux coins de sa bouche. Ses yeux d'un bleu profond rayonnaient de force, de douceur et de magie. Les Thraces farouches fuyaient son regard ; mais les femmes versées dans l'art des charmes, disaient que ces yeux mêlaient dans leur philtre d'azur les flèches du soleil aux caresses de la lune. Les Bacchantes même, curieuses de sa beauté, rôdaient souvent autour de lui comme des panthères amoureuses, fières de leurs peaux tachetées et souriaient à ses paroles incompréhensibles.

      Subitement ce jeune homme, qu'on appelait le fils d'Apollon avait disparu. On le disait mort, descendu aux enfers. Il s'était enfui secrètement en Samothrace, puis en Egypte, où il avait demandé asile aux prêtres de Memphis. Ayant traversé leurs Mystères, il était revenu au bout de vingt ans sous un nom d'initiation, qu'il avait conquis par ses épreuves et reçu de ses maîtres, comme un signe de sa mission. Il s'appelait maintenant Orphée ou Arpha (76), ce qui veut dire : celui qui guérit par la lumière.

      Le plus vieux sanctuaire de Jupiter s'élevait alors sur le mont Kaoukaïôn. Jadis, ses hiérophantes avaient été grands pontifes. Du sommet de cette montagne, à l'abri des coups de main, ils avaient régné sur toute la Thrace. Mais depuis que les divinités d'en bas avaient pris le dessus, leurs adhérents étaient en petit nombre, leur temple presque abandonné. Les prêtres du mont Kaoukaïôn accueillirent l'initié d'Egypte comme un sauveur. Par sa science et par son enthousiasme, Orphée entraîna la plus grande partie des Thraces, transforma complètement le culte de Bacchus et dompta les Bacchantes. Bientôt son influence pénétra dans tous les sanctuaires de la Grèce. Ce fut lui qui consacra la royauté de Zeus en Thrace, celle d'Apollon à Delphes, où il jeta les bases du tribunal des Amphyctions, qui devint l'unité sociale de la Grèce. Enfin par la création des Mystères, il forma l'âme religieuse de sa patrie. Car, au sommet de l'initiation, il fondit la religion de Zeus avec celle de Dionysos dans une pensée universelle. Les initiés recevaient par ses enseignements la pure lumière des vérités sublimes ; et cette même lumière parvenait au peuple plus tempérée, mais non moins bienfaisante sous le voile de la poésie et de fêtes enchanteresses.

      C'est ainsi qu'Orphée était devenu pontife de Thrace, grand prêtre du Zeus Olympien, et, pour les initiés, le révélateur du Dionysos céleste.


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(72)  Selon l'antique tradition des Thraces, la poésie avait été inventée par Olen. Or, ce nom veut dire en phénicien l'Etre universel. Apollon a la même racine. Ap Olen ou Ap Wholon signifie Père universel. Primitivement on adorait à Delphes l'Etre universel sous le nom d'Olen. Le culte d'Apollon fut introduit par un prêtre novateur, sous l'impulsion de la doctrine du verbe solaire qui parcourait alors les sanctuaires de l'Inde et de l'Egypte. Ce réformateur identifia le Père universel avec sa double manifestation : la lumière hyperphysique et le soleil visible. Mais cette réforme ne sortit guère des profondeurs du sanctuaire. Ce fut Orphée qui donna une puissance nouvelle au verbe solaire d'Apollon, en le ranimant et en l'électrisant par les mystères de Dionysos. (Voir Fabre d'Olivet, Les vers dorés de Pythagore.)

(73)  Thrakia, selon Fabre d'Olivet, dérive du phénicien Rakhiwa : l'espace éthéré ou le firmament. Ce qu'il y a de certain, c'est que, pour les poètes et les initiés de la Grèce, comme Pindare, Eschyle ou Platon, le nom de la Thrace avait un sens symbolique et signifiait : le pays de la pure doctrine et de la poésie sacrée qui en procède. Ce mot avait donc pour eux un sens philosophique et historique. – Philosophiquement, il désignait une région intellectuelle : l'ensemble des doctrines et des traditions qui font procéder le monde d'une intelligence divine. – Historiquement, ce nom rappelait le pays et la race où la doctrine et la poésie doriennes, ce vigoureux rejeton de l'antique esprit aryen, avaient poussé d'abord pour refleurir ensuite en Grèce par le sanctuaire d'Apollon. – L'usage de ce genre de symbolisme est prouvé par l'histoire postérieure. A Delphes, il y avait une classe de prêtres Thracides. C'étaient les gardiens de la haute doctrine. Le tribunal des Amphyctions était anciennement défendu par une garde Thracide, c'est-à-dire par une garde de guerriers initiés. La tyrannie de Sparte supprima cette phalange incorruptible et la remplaça par les mercenaires de la force brutale. Plus tard, le verbe thraciser fut appliqué ironiquement aux dévots des anciennes doctrines.

(74)  Strabon assure positivement que la poésie ancienne n'était que la langue de l'allégorie. Denys d'Halicarnasse le confirme et avoue que les mystères de la nature et les plus sublimes conceptions de la morale ont été couverts d'un voile. Ce n'est donc point par métaphore que l'ancienne poésie s'appela la langue des Dieux. Ce sens secret et magique qui fait sa force et son charme est contenu dans son nom même. La plupart des linguistes ont dérivé le mot de poésie du verbe grec poïeïn, faire, créer, Etymologie simple et fort naturelle en apparence, mais peu conforme à la langue sacrée des temples, d'où sortit la poésie primitive. Il est plus Logique d'admettre avec Fabre d'Olivet que poïèsis vient du phénicien phohe (bouche, voix, langage, discours) et de ish (Etre supérieur, être principe, au figuré : Dieu.) L'étrusque Aes ou Aesar, le gallique Aes, le scandinave Ase, le copte Os (Seigneur), l'égyptien Osiris ont la même racine.

(75)  Le Bacchus à face de taureau se retrouve dans le XXIXème hymne orphique. C'est un souvenir de l'ancien culte qui n'appartient nullement à la pure tradition d'Orphée. Car celui-ci épura complètement et transfigura le Bacchus populaire en Dionysos céleste, symbole, de l'esprit divin qui évolue à travers tous les règnes de la nature. – Chose curieuse, nous retrouvons le Bacchus infernal des Bacchantes dans le Satan à face de taureau qu'évoquaient et qu'adoraient les sorcières du moyen-âge en leurs nocturnes sabbats. C'est le fameux Baphomet dont l'Eglise accusa les Templiers d'être les sectateurs pour les discréditer.

(76)  Mot phénicien composé d'aour, lumière, et de rophae, guérison.




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