FRAGMENT I : LA VOIX DU SILENCE
Chapitre X : Deviens le Sentier
Tu ne pourras parcourir le Sentier avant d'être devenu ce Sentier même.
Charles Webster Leadbeater : A ce passage, est ajoutée la note suivante :
Il est parlé de ce sentier dans toutes les uvres
mystiques. Comme dit
Krishna dans le
Jnaneshvari : « Quand ce sentier est aperçu, que l'on se dirige vers les
roses de l'aurore ou vers les
chambres de l'Ouest,
sans mouvement, ô porteur de l'arc,
est le voyage sur cette route. Dans ce sentier, quelque part qu'on veuille aller, cet endroit devient vous-même ». « Tu es le Sentier est-il dit au
Gourou Adepte et par celui-ci au
disciple, après l'
Initiation. « Je suis la voie et le sentier » dit un autre Maître.
Nous avons déjà expliqué (commentaire sur
Aux pieds du Maître) que les pensées et les sentiments, difficiles tout d'abord à saisir et à maintenir, finissent par devenir très faciles. Quand l'aspirant s'est si bien entraîné ou développé que le point de
vue de bouddhi et sa manière de répondre à la vie lui sont devenus parfaitement naturels et spontanés, nous pouvons dire qu'il est devenu le Sentier lui-même. On appelle parfois « seconde nature » le résultat ainsi obtenu par l'effort et la pratique soutenus avec persévérance ; seulement, cette expression donne à supposer que les qualités nouvelles ont été acquises et qu'ensuite elles sont devenues habituelles ; c'est regrettable. C'est notre nature primitive, la meilleure, la plus élevée, qui se manifeste dans la vie supérieure ; si cette manifestation nous paraît nouvelle, la seule cause en est que, jusqu'ici, elle nous avait été cachée par nos enveloppes matérielles et par la pression des circonstances, dans les régions de notre personnalité.
La note contient une intéressante vérité métaphysique. Notre évolution n'est pas un transit, ni même une croissance. Elle ne consiste pas à nous rendre en un point quelconque, ni à devenir plus grands. C'est un développement des facultés virtuelles de notre vie. Sur le plan de l'ego nous le répétons la matérialité occupe la seconde place ; les facultés de la conscience la volonté, la sagesse et l'activité (ou la volonté, l'
amour et la pensée) dominent presque absolument la matière des plans. L'espace n'est donc pas comme ici un geôlier, et la conscience n'a pas besoin de le traverser afin de paraître ailleurs. La conversation suivante, entre un
Gourou et son élève, a été rapportée pur démontrer ce point. Le
Gourou ayant demandé à l'élève de traverser la
chambre, lui demande :
« Que faisiez-vous ? Etiez-vous en mouvement ? »
Après avoir réfléchi, le
disciple donna la réponse suivante, qui fut déclarée juste :
« Non, ce n'est pas moi qui étais en mouvement. Je voyais le
corps se mouvoir. Je ne pensais, ni ne sentais, ni ne voulais. Le
corps seul se mouvait
(29). »
Et c'est un fait, pour chacun de nous. L'observation au moyen des sens, telle que nous l'exerçons pour étudier un objet quelconque nous permet seule de savoir que le
corps se meut. La sensation de mouvement rapide éprouvée dans une automobile ouverte se résoud, quand nous fermons les yeux, en un violent courant d'
air et en un sentiment de puissance qui, agissant par l'imagination, produit un bien-être physique. Une expérience identique pourrait s'obtenir au moyen d'appareils convenables comportant des machines productrices de vent et de mouvement, sans aucun déplacement du
corps. Autre exemple : il est arrivé à la plupart des voyageurs ayant passé la nuit dans des couchettes de wagons Pullman, de se réveiller et de se demander s'ils étaient, ou non, étendus dans le sens de la marche du train, ou même si le train était, ou non, en mouvement et en général de mettre fin à leur incertitude en soulevant le rideau et en jugeant, d'après les lumières et les ombres, de la direction suivie.
Le fait que, pour se rendre d'un lieu à un autre, l'ego n'a pas besoin de voyager est également démontré par la façon dont il peut simultanément apparaître dans les images dévakhaniques de toute une série de personnes, sur le plan mental inférieur et dans différentes parties du monde.
Au degré de développement sous-entendu dans cette doctrine, le candidat s'attache au perfectionnement de la personnalité, mais en même temps son travail intérieur comporte spécialement le développement de boudhi, l'
âme spirituelle. En d'autres termes, il escalade le plan bouddhique. Il devient le Sentier, et le montre par le grand développement de sympathie et d'
amour pour autrui, comme l'indiquent les sentences suivantes :
Laisse ton âme prêter l'oreille à tout cri de douleur, comme le lotus met son cur à nu pour boire le soleil matinal.
Ne permets pas à l'ardent soleil de sécher une seule larme de souffrance, avant que tu n'aies toi-même essuyé les yeux affligés.
Mais laisse toute larme humaine tomber brûlante sur ton cur et y rester, et ne l'en efface jamais avant que soit disparue la douleur qui l'a causée.
Homme au cur plein de compassion, ces larmes sont les ruisseaux qui arrosent les champs de la charité immortelle. C'est dans ce terrain-là que croît la fleur de minuit de Bouddha, plus difficile à trouver, plus rare à contempler que la fleur de l'arbre Vogay. C'est la semence de la libération des renaissances. Elle isole l'Arhat de la lutte et de la convoitise, et le mène, à travers les champs de l'être, vers la paix et la béatitude connues seulement au pays du silence et du non-être.
Quand le Christ disait : « Je suis le chemin, la vérité et la vie ; nul ne vient au Père que par moi
(30) », Il exprimait une vérité
mystique, car le Christ est un avec l'aspect bouddhique de la conscience universelle. Il n'y a qu'une seule conscience ; dès qu'il a pleinement reconnu ce fait, l'
Initié peut devenir un Arhat mais, sans passer par ce principe christique, il ne peut plus haut encore atteindre le Père, l'atma. Cette vérité exposée avec une inspiration et une
clarté admirables par le Dr Annie Besant dans
Esoteric Christianity, ne représente pourtant qu'une des faces de la question, car le Christ incarné personnifiait le même principe lors de sa vie extérieure en
Palestine qui a influencé des millions d'hommes et cela parce qu'Il affronta la souffrance. On cherche en général à s'y dérober autant que possible, mais le Christ accepta la sienne et y ajouta celle de l'humanité entière. Les hommes qui suivent le sentier bouddhique disent instinctivement quand l'épreuve se présente : « Tant de gens souffrent ; pourquoi désirer ne pas souffrir ? » Mieux encore : dans la plénitude de leur sympathie, ils éprouvent ces autres souffrances à l'extrême, avant de parvenir à la sérénité de l'Arhat, à l'illumination qui les rend vainqueurs de la mort et leur donne la joie intense de la
liberté, quelles que soient leurs douleurs. Une
liberté semblable ne donnerait que le repos dans l'indifférence si les hommes pouvaient l'obtenir avant d'avoir éprouvé la souffrance du Christ ; dans cette souffrance, le supplice de la
croix ne compte pour rien auprès de la
compassion avec laquelle il accueille la plainte d'un monde qui subit la douleur. Vient enfin le moment où l'homme dit : « Que je souffre ou non, qu'importe ? »
Son désir de servir l'absorbe tellement qu'il n'a guère le temps de penser à lui-même.
Une expression comme « la paix et la
béatitude connues seulement au pays du silence et du non-être » n'est compréhensible que pour les personnes qui consentent à penser aux réalités métaphysiques. Beaucoup d'expressions orientales de ce genre ont pour base l'idée fondamentale que le
Dieu universel s'exprime comme Sat, Chit et Ananda, c'est-à-dire comme être, conscience et
béatitude.
L'être se comprend bien ; chacun le voit autour de soi ; la conscience, on la connaît par expérience ; quant au bonheur, on le poursuit. Or, tous les hommes se cherchent eux-mêmes. Le bonheur n'est pas un bien à saisir, à obtenir, à posséder ; c'est l'état normal du Moi. Pourtant, supérieure à la matière comme à la conscience, se trouve la véritable vie intérieure ; celle-ci, qui est au point de
vue extérieur silence et non-être, est en réalité la
béatitude de l'être véritable.
Tue le désir ; mais si tu le tues, prends garde qu'il ne se relève d'entre les morts.
Tue l'amour de la vie ; cependant, si tu détruis Tanha, que ce ne soit pas par soif de vie éternelle, mais pour remplacer le variable par l'immuable.
Ne désire rien. Ne t'emporte pas contre Karma, ni contre les lois invariables de la nature. Lutte seulement contre le personnel, le transitoire, l'éphémère et le périssable.
Le désir commun est l'
amour des objets extérieurs, en
vue de jouissances astrales ou sensuelles. Comme nous l'avons déjà vu, le
disciple ne doit pas rechercher ce genre de satisfactions ; il doit au contraire appliquer toute l'énergie de sa personnalité physique, émotionnelle et mentale à l'uvre de l'évolution spirituelle et au service de la vie intérieure, en soi-même et en autrui.
Tanha est la racine de ces désirs, parce que c'est la soif de la vie sensorielle. Sur son propre plan, l'ego est loin d'être pleinement conscient, mais la conscience qu'il possède lui cause un vif plaisir et éveille en lui comme la faim d'une vie plus complète. Voilà, au fond, pourquoi le monde réclame cette vie à grands cris. Nous l'avons déjà expliqué : les énergies du plan mental supérieur traversent le
corps causal sans guère l'impressionner, s'il s'agit d'une personne ordinaire, l'ego n'étant pas encore développé et entraîné de façon à répondre à autre chose qu'à des vibrations peu nombreuses, spécifiques à son propre plan. Sur le plan mental supérieur, point de vibrations grossières comme celles auxquelles l'ego est capable de répondre dans son jeune âge ; aussi l'ego descend-il jusqu'aux plans inférieurs afin de se sentir plus vivant. Par suite, et pendant longtemps, sa conscience est particulièrement vive en présence des objets du plan physique. Plus tard, quand s'est éveillée la nature astrale, les plaisirs de ce dernier niveau présentent un attrait supérieur.
Impossible, dans le
corps physique, de se rendre compte à quel point sont vives les joies de la vie astrale ; c'est au point qu'elles détournent et retiennent souvent les personnes qui sur le plan physique ont dominé des satisfactions analogues. Ce danger pourtant n'est pas grand pour ceux qui dès la vie physique mettent tout leur intérêt dans les choses du Sentier, s'ils sont des hommes parvenus à un certain degré d'avancement, car ils ont la possibilité de goûter des joies plus hautes encore et infiniment plus séduisantes. Il en est de même, successivement, sur chaque plan.
Néanmoins, le
disciple doit se garder de renoncer aux plaisirs inférieurs simplement pour les échanger contre des plaisirs relativement plus élevés ; il ne doit jamais perdre de
vue son but
idéal, situé au delà de tous les plaisirs passagers. Il ne doit pas aspirer aux plaisirs très prolongés du monde céleste, mais renoncer à
tout ce qui est transitoire et personnel. Si d'un côté il ne recherche pas les objets désirables, de l'autre il ne se dérobe pas aux leçons que lui donne le Karma ; il ne souhaite pas un champ d'expérience différent du sien. Il sait que, grâce à l'
immutabilité des lois naturelles, il peut faire servir ses expériences à son développement. Sans l'ordre qui règne dans le monde, il serait impossible à l'intelligence de grandir à l'Homme d'employer ses facultés. L'aspirant n'éprouve donc aucun ressentiment contre le Karma, manifestation de la Loi.
Aide la nature et travaille avec elle : la nature te regardera comme l'un de ses créateurs et fera sa soumission.
Et devant toi elle ouvrira tout grands les portails de ses chambres secrètes, et sous tes yeux elle mettra à nu les trésors cachés au fond même de son sein pur et vierge. La main de la matière ne l'a pas souillée : elle ne montre ses trésors qu'à l'il spirituel, l'il qui ne se ferme jamais, l'il pour lequel il n'y a de voiles dans aucun de ses royaumes.
C'est alors qu'elle te montrera les moyens et la voie, la première porte et la seconde, la troisième, jusqu'à la septième même. Puis le but, au delà duquel s'étendent, baignées dans le soleil de l'Esprit, des gloires inexprimées, invisibles pour tous sauf pour l'il de l'Ame.
Tout étudiant des sciences matérielles sait que « la nature est conquise par l'obéissance ». Toutes les énergies employées dans la vie moderne, telles que la pression de la vapeur ou l'électricité, sont des exemples de notre collaboration avec la nature. Le terme « conquête » est peut-être un peu dur, étant donné que tous les pouvoirs dont nous disposons ici-bas résultent de l'
harmonie entre l'Homme et la nature. L'homme qui, dans une embarcation, dispose la voile de façon à se diriger contre le vent, ne maîtrise pas le vent, mais tient compte de ses lois. La puissance humaine s'accroît en agissant d'accord avec les lois, non point en luttant contre elles.
L'occultiste sait que le même principe est vrai sur tous les plans, non seulement à l'égard de la matière de chaque monde, mais encore à l'égard des formes de vie qui lui sont propres, qu'elles soient élevées ou non sur l'échelle de l'évolution. C'est pourquoi la connaissance des lois mécaniques naturelles qui a valu à l'humanité tant de puissance et de richesses ne représente qu'un seul aspect de l'
harmonie qui devrait régner entre la nature et les hommes. Une amicale sympathie envers les
animaux, envers les plantes et même envers les minéraux, comme envers les
esprits de la nature et les dévas, importe tout autant,
sinon plus, au progrès de l'homme. La nature est vie aussi bien que matière ; la sympathie permet de connaître cette vie et d'établir l'
harmonie entre elle et la vie humaine. Notre époque a l'habitude regrettable de considérer le monde comme le séjour d'entités repoussantes, mais l'homme qui dans sa vie témoigne de la bienveillance à tous les êtres vivants, non seulement verra et apprendra plus que les autres, mais aussi, pour traverser l'existence, voguera sur des flots plus calmes. Une tradition indienne attribue « la main heureuse » à certaines personnes douées de cette sympathie ; elles cultivent avec succès des plantes qui ne réussissent pas chez d'autres. Des autorités en science
occulte ont aussi expliqué, bien souvent, que le véritable
yogui ou sannyasi doit à son
amour pour tous les êtres de pouvoir errer dans les
montagnes et dans la jungle sans avoir rien à craindre, ni des bêtes fauves, ni des reptiles.
Dans la vie humaine ordinaire, la sympathie s'affirme de bien des façons. A notre époque, on sait, dans les affaires, que pour réussir, la première condition est d'entrer en relations cordiales avec les clients éventuels. La même qualité est nécessaire pour instruire les
enfants, car souvent ils regardent les adultes comme des êtres bizarres et despotiques, d'une classe toute différente de la leur, des êtres plutôt étranges ; un habitant de notre terre regarderait de même l'un des hommes dont l'imagination de M. Wells a peuplé la planète
Mars. Mais, dès que la sympathie s'éveille, toute cette étrangeté se dissipe et l'éducation véritable devient possible.
Il en est des
esprits de la nature comme des
enfants, sauf qu'ils ne dépendent pas de nous et qu'ils peuvent sans difficulté fuir notre voisinage ce que font d'ailleurs en général les catégories les plus aimables quand l'homme arrive, avec ses manières bruyantes, grossières et cruelles, avec son aura et son nuage de formes-pensées impures et répugnantes. En fait, si les hommes témoignaient de la sympathie aux autres règnes, si, ne se bornant pas à détruire les
forêts, ils en plantaient, s'ils se montraient bienveillants à l'égard de la nature en général, nous jouirions d'un climat plus égal et de récoltes plus abondantes. Reconnaissons-le d'ailleurs : notre mouvement moderne pour entourer de
jardins les maisons pour planter d'
arbres et de
fleurs même nos voies urbaines tout cela est excellent ; en outre, par les méthodes spéciales apportées à la préparation du sol, à la culture de
fleurs, de
fruits, de semences et d'
arbres particuliers, et même à l'élevage des
animaux, les hommes ont bien secondé l'uvre des
esprits de la nature ; un peu plus de sympathie et les résultats auraient été meilleurs.
Cette sympathie s'est quelquefois manifestée, en particulier chez les poètes. Les essais et poèmes du Dr Rabindranath Tagore en témoignent hautement ; la diffusion de cette qualité semble même être comme la contribution spéciale de l'auteur à la civilisation moderne. Autre exemple bien connu celui du philosophe Emerson qui, rentrant dans sa propriété de Concord après une tournée de conférences d'
hiver, donnait des poignées de main aux branches basses de ses
arbres, ayant, assurait-il, le sentiment que son retour leur faisait plaisir. Cette bienveillance a sans doute eu sur son uvre une
influence inspiratrice.
Les hommes qui vivent dans leur
jardin, comme Luther Burbank en Californie, disent souvent être conscients de l'
influence particulière communiquée par certaines plantes, certains buissons ou certains
arbres. Au Canada, les hommes appelés par leur profession à passer leur existence dans les
forêts inspecteurs, marqueurs, etc. m'ont assuré que dans les
bois ils sentaient une vie
sui generis, et aussi que certaines localités et certains
arbres ont pour les hommes une affection que d'autres leur refusent.
Une sympathie de ce genre est parfaitement naturelle. Au sentiment spécial d'
amour et d'admiration que vous éprouvez envers un être humain particulier, correspond chez lui une tendance à s'intéresser à vous et à vous rendre la pareille. A un degré inférieur, si vous êtes affectueux pour un
animal, il vous devient très attaché. Plus bas encore, dans les règnes végétal et minéral, la même loi s'affirme, bien que ses effets soient moins
patents. D'où la tradition que les
fleurs et les plantes poussent mieux pour certaines personnes que pour d'autres, toutes choses égales d'ailleurs. C'est une question de
magnétisme personnel, auquel, à un niveau supérieur, nous donnons le nom d'affection.
Les sept portails mentionnés dans ce passage n'appellent ici aucun commentaire car le troisième fragment de l'ouvrage est consacré tout entier aux sept portails ; là, nous les étudierons en détail.
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(29) Voyez
The Seven Rays, p. 13.
(30) Bible Louis Segond">
St Jean, XIV, 6.