PREMIÈRE PARTIE
Chapitre Premier
Les Khasidéens et les Esséniens Particularité remarquable
Les collèges d'architectes romains
ORIGINE DE LA FRANC-MAÇONNERIE : Enseignement secret des sciences et des arts en Egypte. Corporation d'architectes sacrés de ce pays. Les ouvriers dionysiens de la Grèce, de la Syrie, de la Perse et de l'Inde. Les Maçons juifs et tyriens. Le temple de Salomon. Les Khasidéens et les Esséniens. Particularité remarquable. Les collèges d'architectes romains. Les corporations franches d'ouvriers constructeurs du moyen-âge, en Italie, en Allemagne, etc. Les frères pontifes. Les templiers. La société de la truelle à Florence. Extinction des associations de maçons sur le continent. Les compagnons du devoir. Les confréries maçonniques en Angleterre. Leurs statuts sous Athelstan et sous Edouard III. Poème maçonnique anglo-saxon. Edit du parlement contre les maçons, pendant la minorité d'Henri VI. La reine Elisabeth. La confrérie maçonnique en Ecosse. Etat de la société dans la Grande-Bretagne, au XVIIème siècle. Importante décision de la loge de Saint-Paul à Londres, en 1703. Dernière transformation de la société maçonnique.
Au reste, il existait fort anciennement en Judée une association
religieuse dont on faisait remonter l'origine à l'époque de la construction du temple de Salomon, et dont les membres étaient appelés khasidéens ou hhasidéens. « Scaliger, dit Basnage, fait des khasidéens une confrérie de dévots, ou bien un ordre de
chevaliers du temple de Jérusalem, parce qu'ils s'étaient associés particulièrement pour entretenir ce bâtiment et pour en orner les portiques. » On s'accorde à reconnaître que c'est du sein de cette société qu'est sortie la célèbre secte des esséniens, dont les juifs et les pères de l'
Eglise chrétienne ont parlé avec une égale vénération, et aux mystères de laquelle Eusèbe prétend que
Jésus fut
initié.
Les esséniens formaient des
communautés séparées, qui étaient unies entre elles par le lien de la fraternité. Les biens de toutes étaient la propriété de chacune, et tous les membres indistinctement pouvaient en user pour leurs besoins personnels. Les esséniens se livraient à l'exercice des professions mécaniques ; ils construisaient eux-mêmes leurs habitations ; et
il est probable qu'ils ne restreignaient pas à cet usage privé l'emploi
de leurs connaissances architecturales. Ils avaient des mystères et une
initiation ; les aspirants étaient soumis à trois années d'épreuves, et, après leur réception, ils étaient décorés d'un
tablier blanc. Philon d'
Alexandrie, qui donne des détails sur les esséniens de l'Egypte, ou
thérapeutes, dit notamment que, lorsqu'ils étaient assemblés et qu'ils écoutaient les instructions de leurs chefs, ils portaient «
la main droite sur la poitrine, uu peu au-dessous du menton, et la gauche plus bas, le long du côté ». Cette particularité est précieuse à relever. Le signe qu'elle indique sera facilement reconnu par les francs-maçons. Il
concorde également avec la pose attribuée par Macrobe à
Vénus en pleurs, après la mort d'
Adonis, dont les mystères, tout
phéniciens, étaient célébrés à
Tyr, ville d'où avait été envoyé
Hiram, l'architecte du temple de Salomon. Ne se pourrait-il pas que Philon, qui écrivait en Egypte, où les dionysiastes étaient établis, n'eût cité cette circonstance, qui, sans cela n'offrirait qu'une indication puérile, que pour donner à entendre à cette association que les esséniens étaient en communauté de mystères avec elle ? Basnage dit, en effet, que les esséniens professaient plusieurs mystères des Egyptiens ; et l'on a vu que ces mystères étaient, au fond, les mêmes que ceux des dionysiastes
(25).
Il serait difficile de ne pas inférer des rapprochements qui précèdent que les maçons juifs et les dionysiastes formaient une seule et même association sous des noms différents. Cependant ce ne serait là, il faut le reconnaître, qu'une simple conjecture, à laquelle manquerait toujours la sanction des faits positifs. On ne trouve, en effet, dans les auteurs aucun texte précis qui vienne l'appuyer formellement ; et ce point historique important est condamné à rester à jamais entouré d'incertitude et de doute.
Il n'en est pas ainsi des rapports qui ont existé entre les dionysiastes et les
corporations d'architectes romains. Ces rapports sont historiquemeut établis ; ils sont incontestables.
Vers l'an 714 avant notre ère,
Numa institua à Rome des
collèges d'artisans (
collegia artificum), en tête desquels étaient les
collèges d'architectes (
collegia fabrorum). On désignait aussi ces agrégations sous les noms de sociétés, de fraternités (
sodalitates,
fraternitates). Leurs membres primitifs étaient des Grecs, que
Numa avait fait venir tout exprès de l'
Attique, pour les organiser. De la même époque datait, à Rome, l'établissement des libérales, ou fêtes de
Bacchus.
La huitième des douze tables, tirées, comme on sait, de la législation de Solon, contient des
dispositions générales
applicables aux
collèges romains. Ces associations avaient le droit de se faire des statuts particuliers et de conclure des contrats, pourvu que les uns et les autres ne fussent pas en opposition avec les lois de l'Etat. Elles avaient une juridiction et des
juges distincts. Les
collèges d'architectes étaient de ceux qui jouissaient de l'immunité des contributions ; et cette franchise, qui fut continuée aux
corporations d'artistes constructeurs durant le
moyen-âge, est l'origine de la qualification de
maçons libres ou de
francs-maçons, donnée à leurs membres.
Les
collèges romains existaient à la fois comme
sociétés civiles et comme institutions
religieuses, et leurs rapports
envers l'Etat et le sacerdoce étaient déterminés avec précision par la loi. Ils tenaient leurs assemblées à huis-clos, et ils en excluaient les
profanes. Les maceriæ, masures, ou loges, dans lesquelles
ils se réunissaient, étaient ordinairement situées dans le voisinage des temples des divinités qu'ils vénéraient le plus, et dont les
prêtres les employaient, soit comme constructeurs, soit comme fournisseurs des ustensiles sacrés. Dans ces assemblées, où les décisions étaient prises à la majorité des voix, les
frères se concertaient sur la distribution et sur l'exécution du travail, et ils
initiaient les nouveaux membres dans les secrets de leur art et dans leurs mystères particuliers, dont un des traits caractériques était l'emploi
symbolique des outils de leurs professions. Les
frères étaient divisés en trois classes : apprentis,
compagnons et maîtres ; ils s'engageaient par serment à se prêter réciproquement secours et assistance ; ils se reconnaissaient entre eux à certains signes secrets ; et des diplômes, qui leur étaient délivrés, les aidaient encore à établir leur qualité. Leurs présidents, élus pour cinq ans, se nommaient
magistri, maîtres. Ils avaient des anciens (
seniores) ; des surveillants ; des censeurs ; des trésoriers, qui percevaient les cotisations mensuelles exigées de chacun d'eux ; des gardes du sceau ; des achivistes ; des secrétaires ; des médecins particuliers, et des
frères servants. Ils avaient la faculté d'admettre, comme membres d'honneur et même comme
dames d'honneur (
matrones), des personnes qui n'appartenaient pas à leurs professions ; mais, parce que cette autorisation ouvrait souvent la voie à des conciliabules
religieux ou politiques défendus, les empereurs la révoquèrent quelquefois, et il y eut des lois qui fixèrent, au moins à l'égard de quelques
collèges, le nombre des membres dont ils pouvaient se composer.
Successivement, les
collèges devinrent le théâtre de toutes les
initiations étrangères, s'ouvrirent à toutes les doctrines secrètes ; et il faut croire que c'est par cette voie que nous ont été transmis les mystères hébraïques,
que les francs-maçons professent encore aujourd'hui. En effet, ont voit, dès le règne de Jules César, les Juifs autorisés à
tenir leurs synagogues à Rome et dans plusieurs villes de l'empire, et, au temps d'Auguste, beaucoup de chevaliers romains judaïser et observer publiquement le sabbat. Dans la suite, le christianisme fit pareillement
invasion dans les
collèges, après avoir vainement tenté d'obtenir pour ses
sectateurs nominalement les droits et les privilèges de
corporation.
Les
collèges d'artisans, et principalement ceux qui professaient les métiers nécessaires à l'architecture
religieuse, civile, navale et hydraulique, se répandirent, de Rome, dans les cités municipales et dans les provinces. Quand il s'agissait de bâtir une ville, de construire un temple, une
église, un palais, ces
corporations étaient convoquées des points les plus éloignés par l'empereur pour qu'elles s'occupassent en commun de ces travaux. Indépendamment des
collèges d'architectes établis à poste fixe dans les villes, il y avait encore, à la suite des
légions, de petites
corporations architectoniques dont la mission était de tracer le plan de toutes les constructions militaires, telles que camps retranchés, routes stratégiques, ponts,
arcs de triomphe, trophées, etc., et qui dirigeaient les soldats dans l'exécution matérielle de ces ouvrages. Toutes ces
corporations civiles et militaires, composées en majorité d'artistes habiles et de savants, contribuèrent à répandre les murs, la littérature et les arts des Romains, partout où cette nation porta ses armes victorieuses
(26).
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(25) Il est remarquable que le signe que nous venons de décrire est considéré comme sacré par les
prêtres du lamaïsme,
religion dérivée de celle de l'Inde, de même que la croyance des Egyptiens. Au Tibet, suivant Samuel Turner, les dépouilles des lamas, ou
prêtres du premier ordre, qui se sont incarnés dans de nouveaux
corps, sont pieusement conservées. Entre autres postures qu'on fait prendre à leur cadavre, on lui place
la main gauche sur la poitrine, les quatre doigts allongés et réunis, le pouce séparé, de manière â former une équerre.
Voyez, à l'appui de ce que tous disons sur les maçons
juifs, sur les esséniens, etc., la Bible,
Exode I ;
Rois, I ;
Chroniques, II ; Josèphe,
Antiq. jud., chap. VII et VIII ; Philon,
De vita contemplativa ;
Hérodote, I ; Macrobe,
Comment. sur le songe de Scipion ; Basnage,
Histoire des Juifs, livre des Caraïtes; Eusèbe,
Préparat. évangél., etc.
(26) On peut consulter, au sujet de ces associations, le
corps du droit romain ; Cicéron, 1. II,
Epist. ad Quint. frat. ; de
Bugny,
Pollion ; Schll,
Archiv. hist., t. 1 ; C. Lenning (Mossdorf),
Encyclopædie der Freimaurerei ; de Hammer,
Aperçu
de l'Etat actuel de la maçonnerie ; Krause,
Les trois plus anciens documents ; de Wiebeking,
Mémoire sur l'état de l'architecture au moyen-âge, lu à l'Institut de France, en 1824, etc.