LIVRE PREMIER
RAMA LE CYCLE ARYEN
III L'EXODE ET LA CONQUÊTE
Dans ce rêve, comme sous une lumière fulgurante, Ram vit sa mission et l'immense destinée de sa race. Dès lors, il n'hésita plus. Au lieu d'allumer la guerre entre les peuplades de l'Europe, il résolut d'entraîner l'élite de sa race au cur de l'Asie. Il annonça aux siens qu'il instituerait le culte du feu sacré, qui ferait le bonheur des hommes ; que les sacrifices humains seraient à jamais abolis ; que les Ancêtres seraient invoqués, non plus par des prêtresses sanguinaires sur des rochers sauvages dégouttants de sang humain, mais à chaque foyer, par l'époux et par l'épouse, unis dans une même prière, dans un hymne d'adoration, près du feu qui purifie. Oui, le feu visible de l'autel, symbole et conducteur du feu céleste invisible, unirait la famille, le clan, la tribu et tous les peuples, centre du Dieu vivant sur la terre. Mais pour récolter cette moisson, il fallait séparer le bon grain de l'ivraie ; il fallait que tous les hardis se préparassent à quitter l'Europe pour conquérir une terre nouvelle, une terre vierge. Là, il donnerait sa loi ; là, il fonderait le culte du feu rénovateur.
Cette proposition fut accueillie avec enthousiasme par un peuple jeune et avide d'aventures. Des
feux allumés et entretenus pendant plusieurs mois sur les
montagnes, furent le signal de l'émigration en masse pour tous ceux qui voulaient suivre le
Bélier. La formidable émigration, dirigée par ce grand pasteur des peuples, s'ébranla lentement et se dirigea vers le centre de l'Asie. Le long du
Caucase, elle eut à prendre plusieurs forteresses cyclopéennes des Noirs. En souvenir de ces victoires, les colonies blanches sculptèrent plus tard de gigantesques têtes de
béliers dans les rochers du
Caucase. Ram se montra digne de sa haute mission. Il aplanissait les difficultés, pénétrait les pensées, prévoyait l'avenir, guérissait les maladies, apaisait les révoltés, enflammait les courages. Ainsi les puissances célestes que nous nommons Providence, voulaient la domination de la race boréenne sur la terre et lançaient, par le génie de Ram, des rayons lumineux sur son chemin. Cette race avait déjà eu ses inspirés de second ordre pour l'arracher à l'état sauvage. Mais Ram qui, le premier, conçut la loi sociale comme une expression de la loi divine fut un inspiré direct et de premier ordre.
Il fit amitié avec les Touraniens, vieilles tribus
scythiques croisées de sang jaune, qui occupaient la haute Asie, et les entraîna à la conquête de l'Iran d'où il refoula complètement les Noirs, voulant qu'un peuple de pure race blanche occupât le centre de l'Asie et devînt pour tous les autres un foyer de lumière. Il y fonda la ville de
Ver, ville admirable, dit
Zoroastre. Il enseigna à labourer et à ensemencer la terre, il fut le père du blé et de la vigne. Il créa les castes selon les occupations et divisa le peuple en
prêtres, guerriers, laboureurs, artisans. A l'origine, les castes ne furent
point rivales ; le privilège héréditaire, source de haine et de jalousie, ne s'introduisit que plus tard. Il défendit l'esclavage autant que le meurtre, affirmant que l'asservissement de l'homme par l'homme était la source de tous les maux. Quant au clan, ce groupement primitif de la race blanche, il le conserva tel quel et lui permit d'élire ses chefs et ses
juges.
Le chef-d'uvre de Ram, l'instrument civilisateur par
excellence créé par lui, fut le rôle nouveau qu'il donna à
la femme. Jusqu'alors l'homme n'avait connu la femme que sous une double forme
: ou l'esclave misérable de sa hutte qu'il écrasait et maltraitait
brutalement, ou la troublante
prêtresse du chêne et du rocher dont
il recherchait les faveurs et qui le dominait malgré lui, magicienne fascinante
et terrible, dont il redoutait les oracles et devant laquelle tremblait son
âme
superstitieuse. Le sacrifice humain, c'était la revanche de la femme contre
l'homme, lorsqu'elle enfonçait le couteau dans le cur de son tyran
farouche. Proscrivant ce culte affreux et relevant la femme devant l'homme dans
ses fonctions divines d'
épouse et de mère, Ram en fit la
prêtresse
du foyer, gardienne du
feu sacré, l'égale de l'
époux, invoquant
avec lui l'
âme des Ancêtres.
Comme tous les grands législateurs, Ram ne fit donc
que développer, en les organisant, les instincts supérieurs de sa
race. Afin d'orner et d'embellir la vie, Ram ordonna quatre grandes fêtes
de l'année. La première fut celle du printemps ou des
générations.
Elle était consacrée à l'
amour de l'
époux et de l'
épouse.
La fête d'été ou des moissons appartenait aux fils et aux
filles qui offraient les gerbes du travail aux parents. La fête de l'
automne
célébrait les pères et les mères ; ceux-ci donnaient
alors des
fruits aux
enfants en signe de réjouissance. La plus sainte et
la plus mystérieuse des fêtes était celle de
Noël ou
des grandes semailles. Ram la consacra à la fois aux
enfants nouveau-nés,
aux
fruits de l'
amour conçus en printemps et aux
âmes des morts,
aux Ancêtres. Point de
conjonction entre le visible et l'invisible, cette
solennité
religieuse était à la fois l'adieu aux
âmes
envolées et le salut
mystique à celles qui reviennent s'incarner
dans les mères et renaître dans les
enfants. Dans cette nuit sainte,
les antiques Aryas se réunissaient dans les
sanctuaires de l'Aïryana-Vaéïa
comme ils l'avaient fait jadis dans leurs
forêts. Par des
feux et des chants,
ils célébraient le recommencement de l'année terrestre et
solaire, la germination de la nature au cur de l'
hiver, le tressaillement
de la vie au fond de la mort. Ils chantaient l'universel baiser du
ciel à
la terre et l'enfantement triomphal du nouveau
Soleil par la grande Nuit-Mère.
Ram reliait ainsi la vie humaine au cycle des saisons, aux
révolutions astronomiques. En même temps il en faisait ressortir
le sens divin. C'est pour avoir fondé d'aussi fécondes institutions,
que
Zoroastre l'appelle « le chef des peuples, le très fortuné
monarque. » C'est pourquoi le poète indou Valmiki, qui transporte
l'antique héros à une époque beaucoup plus récente
et dans le luxe d'une civilisation plus avancée, lui conserve cependant
les traits d'un si haut
idéal. « Rama aux yeux de lotus bleu, dit
Valmiki, était le seigneur du monde, le maître de son
âme et
l'
amour des hommes, le père et la mère de ses sujets.
Il sut
donner à tous les êtres la chaîne de l'amour. »
Etablie dans l'Iran, aux portes de l'Himalaya, la race blanche
n'était pas encore maîtresse du monde. Il fallait que son avant-garde
s'enfonçât dans l'Inde, centre capital des Noirs, les antiques vainqueurs
de la race rouge et de la race jaune. Le
Zend-Avesta
parle de cette marche sur l'Inde de Rama
(11). L'épopée indoue en
a fait l'un de ses thèmes favoris. Rama fut le conquérant de la
terre qu'enferme l'Himavat, la terre des éléphants, des tigres et
des gazelles. Il ordonna le premier choc et conduisit la première poussée
de cette lutte gigantesque, où deux races se disputaient inconsciemment
le sceptre du monde. La tradition poétique de l'Inde renchérissant
sur les traditions
occultes des temples, en a fait la lutte de la magie blanche
avec la magie noire. Dans sa guerre contre les peuples et les rois du pays des
Djambous, comme on l'appelait alors, Ram ou Rama, comme l'appelèrent les
Orientaux, déploya des moyens miraculeux en apparence, parce qu'ils sont
au-dessus des facultés ordinaires de l'humanité, et que les grands
initiés doivent à la connaissance et au maniement des
forces cachées
de la nature. Ici la tradition le représente faisant jaillir des sources
d'un désert, là trouvant des ressources inattendues dans une sorte
de manne dont il enseigna l'usage, ailleurs, faisant cesser une épidémie
avec une plante nommée
hom, l'
amomos des Grecs, la
perséa
des Egyptiens, dont il tira un suc salutaire. Cette plante devint sacrée
parmi ses
sectateurs et remplaça le gui du chêne conservé
par les
Celtes de l'
Europe.
Rama usait contre ses
ennemis de toutes sortes de prestiges.
Les
prêtres des Noirs ne régnaient plus que par un culte bas. Ils
avaient l'habitude de nourrir dans leurs temples d'énormes
serpents et
des ptérodactyles, rares survivants d'
animaux antédiluviens qu'ils
faisaient adorer comme des
dieux et qui terrifiaient la foule. A ces
serpents
ils faisaient manger la chair des captifs. Quelquefois Rama apparut à l'improviste
dans ces temples, avec des torches, chassant, terrifiant, domptant les
serpents
et les
prêtres. Quelquefois il se montrait dans le camp
ennemi, s'exposant
sans défense à ceux qui cherchaient sa mort et repartait sans que
personne eût osé le
toucher. Lorsqu'on interrogeait ceux qui l'avaient
laissé échapper, ils répondaient qu'en rencontrant son regard
ils s'étaient sentis pétrifiés ; ou bien, pendant qu'il parlait,
une
montagne d'
airain s'était interposée entre eux et lui, et ils
avaient cessé de le voir. Enfin, comme couronnement de son uvre,
la tradition épique de l'Inde attribue à Rama la conquête
de Ceylan, dernier refuge du magicien noir
Ravana sur lequel le magicien blanc
fait pleuvoir une grêle de
feu, après avoir jeté un pont sur
un bras de mer avec une armée de singes qui ressemble fort à quelque
peuplade primitive de bimanes sauvages, entraînée et enthousiasmée
par ce grand charmeur de nations.
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(11) Il est très remarquable que le
Zend-Avesta,
le livre sacré des
Parsis, tout en considérant
Zoroastre comme l'inspiré d'
Ormuzd, le prophète de la loi de
Dieu, en fait le continuateur d'un prophète beaucoup plus ancien. Sous le
symbolisme des temples antique, on saisit ici le fil de la grande révélation de l'humanité qui relie entre eux les vrais
initiés. Voici ce passage important :
1. Zarathoustra (
Zoroastre) demanda à Ahura-Mazda (
Ormuzd, le
Dieu de lumière) : Ahura-Mazda, toi, saint et très sacré créateur de tous les êtres corporels et très purs ;
2. Quel est le premier homme avec lequel tu t'es entretenu, toi qui es Ahura Mazda ?
...
4. Alors Ahura Mazda répondit : «
C'est avec le bel Yima, celui qui était à la tête d'un rassemblement
digne d'éloges, ô pur
Zarathoustra » ;
...
13. Et je lui dis : « Veille sur les mondes qui sont à moi, rends-les fertiles en ta qualité de protecteur.
...
17. Et je lui apportai les armes de la victoire, moi qui suis Ahura Mazda :
18. Une lance d'or et une,
épée d'or.
...
31. Alors Yima s'éleva jusqu'aux étoiles vers le midi, mur la route que suit le
soleil.
...
37. Il marcha sur cette terre qu'il avait rendue fertile. Elle fut d'un tiers plus considérable qu'auparavant.
...
43. Et le brillant Yima réunit l'assemblée des hommes les plus vertueux dans le célèbre Airyana-Vaéja,
créé pur. (
Vendidad-Sadé,
2èmeFargard. Traduction d'Anquetil Duperron.)