L'
Histoire de l'Alchimie et des Alchimistes de Louis Figuier, vieille déjà d'un siècle, demeure pourtant encore le meilleur ouvrage en langue française consacré à cette question. Sa valeur tient surtout à ce que Figuier s'était très fortement inspiré de l'excellent travail de Schmieder, paru à Halle en 1832. Pourtant, entre les nombreuses relations de transmutations et les récits des
péripéties rencontrées par les faiseurs d'or et les
adeptes au cours de leur pérégrinations à travers l'
Europe, le cas le plus significatif, le plus curieux et le plus récent, jusqu'à nouvel ordre, a été omis par Figuier. Il s'agit de l'
histoire de Sehfeld, que nous relaterons d'après les témoignages complémentaires de Schmieder et de Von Justi, historiographes aussi consciencieux l'un que l'autre.
On peut se demander si le silence de Figuier ne tient pas à l'attitude que le fécond vulgarisateur était obligé d'adopter à l'égard de ses contemporains. A l'époque du scientisme le plus positiviste, un écrivain désireux d'avoir lui succès de librairie se devait de compenser par des explications chimiques rassurantes tontes ces relations de phénomènes radicalement incompatibles avec les idées et les théories en vigueur alors.
Pareillement H. C. Bolton, dans sa préface à l'article qu'il consacra aux médailles et aux monnaies aichimiques au N° d'avril 1890 de l'
American Journal of Numismatics déclare avec une belle assurance : «
Certains de ceux qui proclamaient avoir accompli le Grand uvre, comme on appelait la transmutation, s'étaient indubitablement abusés sur certains phénomènes que les chimistes modernes n'ont aucune difficulté à expliquer, mais qui, aux expérimentateurs du Moyen-Age, semblaient des preuves concluantes de transformations merveilleuses
».
Outre son caractère fondamentalement erroné,
cette affirmation comporte deux graves inexactitudes. La transmutation n'est pas
le Grand uvre, mais seulement une application fragmentaire et résiduelle
du résultat de son élaboration la Pierre philosophale , et peut au demeurant être effectuée sans utiliser cette dernière, par une technique dite « particulière », le terme étant pris par
opposition au qualificatif d'universel, propre à la pierre philosophale.
Enfin, les phénomènes dont parle Bolton sans les nommer il veut sans doute faire allusion aux déplacements électrolytiques par lesquels le fer peut sembler se transmuer en cuivre qui seraient les seuls à pouvoir être facilement expliqués ne rendent nullement compte des transmutations décrites par les chimistes du XVIIIème siècles, qui sont déjà des chimistes modernes
(1).
Le cas de Sehfeld exclut toute tentative d'explication de ce genre, et c'est la raison la plus probable pour laquelle, malgré tout l'intérêt romanesque qu'elle offre au narrateur, Figuier s'abstint de le relater dans son ouvrage.
L'
histoire de Sehfeld offre en outre la garantie supplémentaire d'avoir été rapportée par des auteurs dont la véracité ne saurait être mise en cause, et qui purent obtenir des informations de première main en interrogeant les témoins des faits qu'ils décrivirent.
Le premier d'entre eux, Johann Heinrich Gottlob von Justi
(1720-1771) fut un habile minéralogiste allemand qui se fit également connaître par des traités d'économie politique. Il était conseiller des mines en Autriche et membre de l'Académie de Göttingen.
Le second, Karl Christoph Schmieder, était directeur d'un Lycée à
Cassel.
Son histoire de l'
alchimie, parue à Halle en 1832, demeure toujours un ouvrage de base en ce domaine, et les bibliographes ultérieurs, tels Kopp, trouvèrent bien peu de détails à
rectifier dans son travail.
Nous commencerons par donner le récit que fit Von Justi de l'aventure de Sehfeld, avant de passer aux compléments d'information que donne Schmieder à ce sujet.
Histoire de Sehfeld
Un faiseur d'or au XVIIIème siècle
d'après le Compendium des uvres Chimiques
de Johann Heinrich Gottlob von Justi (Berlin et Leipzig 1761).
Tome second ; huitième partie.
Exposés relatifs à des curiosités chimiques.
Il n'est point de chimiste véritable qui ne soit persuadé de la possibilité de transmuer les métaux communs en or ou en
argent. On peut facilement trouver dans les ouvrages de ceux qui se sont le plus
illustrés en cette science, et qui, outre leur grande expérience en chimie ont également fait des recherches poussées en d'autres domaines de la connaissance, des témoignages garantissant, de nos
jours comme par le passé, la possibilité de la transmutation, voire même des preuves convaincantes de cette dernière, quoique les résultats obtenus par eux en cette matière ne leur aient guère fourni l'occasion d'en tirer un profit matériel de quelque conséquence.
D'un autre côté, personne
n'a pu fournir une raison qui pût valablement infirmer la possibilité
d'améliorer les métaux. La Nature continue encore à produire
de l'or ou de l'
argent au sein de la terre. Nous sommes capables de reproduire
très fidèlement une foule de substances minérales qu'elle
élabore dans le sous-sol, voire même de les fabriquer en quantités
importantes. Nous pouvons réaliser artificiellement des minerais d'
antimoine,
de bismuth, d'
argent, des pyrites, et bien d'autres encore. Pour obtenir ces résultats il nous faut seulement connaître la nature de ces minéraux, la façon dont ils se forment sous terre et les
éléments qui les constituent. Pourquoi ne pourrions-nous point produire d'or artificiel ? Tout au moins théoriquement, il n'y a là aucune impossibilité. Par ailleurs, étant donné
que la nature de l'or et celle de ses constituants est, entre toutes les substances
minérales, une de celles qui demeurent des moins connues, un chimiste raisonnable
ne fera pas de l'
alchimie son étude principale, et ne la conseillera pas
davantage à autrui. Le spectacle fréquent de personnes plus ou moins
complètement dépourvues de toute connaissance en chimie qui, poussées
par la cupidité, essaient de devenir des faiseurs d'or, incite le chimiste,
plus qualifié qu'un autre pour considérer l'abîme dans lequel
elles se jettent, à déplorer la témérité ou
mieux encore la folie
(2) de cette entreprise, car il sait
combien peu de lumières la chimie véritable a pu recevoir jusqu'à
ce
jour relativement à la nature de l'or.
Par contre, le même bon sens,
qui incitera le chimiste à ne pas s'adonner à l'
alchimie, lui rendra
manifeste la sottise de ceux qui, sans avoir les plus élémentaires
notions de chimie, dénient péremptoirement la possibilité
de faire de l'or. Alors que les plus grands chimistes, non contents d'admettre
théoriquement la
chrysopée, vont même souvent jusqu'à
se déclarer convaincus de son accomplissement effectif, il est vraiment
extraordinaire que tant d'
historiens, de moralistes, de littérateurs et
de
prêtres trouvent matière à exercer leur ironie, voire même
à manifester leur sarcasme tant envers sa possibilité qu'à
l'égard de sa réalité. Leur présomption envers une
chose appartenant à un domaine qui leur est quasiment inconnu ou inaccessible
est trop manifeste. Et cependant c'est cette catégorie de gens qui forme
l'opinion, tandis que les preuves les plus formelles de transmutations authentiques
ne trouvent à peu près aucune audience et n'arrivent pas à
persuader le public
(3).
Je ne chercherai aucunement à nier que d'innombrables
supercheries n'aient eu lieu en ce domaine, et cependant, s'il existe des preuves
et des témoignages irréfutables à l'égard d'un phénomène
ou d'un événement, c'est bien à l'égard de la
chrysopée,
et il faudrait rejeter toute l'
histoire si l'on voulait nier qu'il n'y ait eu
de temps à autre quelques personnes qui ont possédé le secret
de faire de l'or. Cela a été prouvé avec toutes les précautions
et la prudence humainement possibles qui s'imposaient en pareille matière
; d'éminents chimistes ont assisté à ces transmutations :
ils avaient à la fois intérêt et avantage à découvrir
la supercherie s'il y en avait eu durant l'opération. Des personnes de
haute condition ont opéré la transmutation de leurs propres mains,
en l'absence de l'
adepte ou du possesseur de la poudre de projection, et dans
des vases choisis par elles. Avec le métal précieux obtenu, elles
ont fait
frapper des médailles, qui sont conservées dans leurs cabinets
d'
histoire naturelle, avec un procès verbal des précautions prises
durant l'expérience. Est-il possible de s'imaginer qu'elles n'aient eu
d'autre intention que de mystifier la postérité ?
Nous aurions certainement beaucoup
plus d'exemples de la réalité de la transmutation si les possesseurs
de ce secret n'estimaient pas plus opportun de dissimuler au monde, non seulement
le secret lui-même, mais encore sa réalité
(4).
Souvent un fait de cet ordre n'est connu que sur les lieux où il s'est
manifesté. Cependant, comme, en général, il n'est pas consignépar
écrit, rien n'en passe à la postérité. Peut-être
en eût-il été de même pour l'
histoire que l'on va lire,
si je ne m'étais proposé d'en faire une récension quelque
peu approfondie et un
compte-rendu détaillé.
L'
histoire de Sehfeld est fort connue à
Vienne. Cependant,
dans une
génération, le souvenir en sera probablement tombé
dans un oubli complet. Au demeurant, je suis particulièrement qualifié
pour faire ce récit, car je n'écris point d'après des propos
incertains ou des rumeurs inconsistantes. Je me suis entretenu moi-même
avec les témoins des événements en question, et aussi avec
leurs protagonistes. J'ai entendu tant de témoignages concordants de la
bouche de personnes de qualité et de réputation honorable que je
puis en écrire comme d'un fait positif.
Sehfeld, dont je vais conter l'aventure, et qui a possédé
selon toute apparence, (si l'on persiste à soutenir que la
concordance
des témoignages ne fournit pas une certitude), le secret de faire de l'or,
est né dans la Haute-Autriche. Dès sa
jeunesse, il ressentit une
inclination particulière à l'égard de la chimie et la pratiqua
assidûment. Peut-être s'imagina-t-il trop vite posséder le
grand art d'améliorer les métaux ? On l'accuse en effet de s'être
associé pour faire de l'or, huit ou dix ans avant son retour en terre autrichienne,
avec diverses personnes fortunées, mais de n'avoir réussi qu'à
les engager dans des frais importants sans obtenir de résultat. Il se peut
que le mécontentement de ces gens soit en partie à l'origine des
poursuites dont Sehfeld fut ultérieurement l'objet, et leurs plaintes ont
pu inciter Sa Majesté Impériale à en user avec lui comme
on le verra par la suite.
Ces premiers insuccès sont encore à présent
l'excuse dont ses adversaires se couvrent, lorsque la conversation vient à
s'orienter sur lui dans la société, où Sehfeld trouve à
présent la majorité des
esprits en sa faveur. Il serait pourtant
abusif de vouloir tirer de ces premiers insuccès la conclusion qu'il n'était
rien de plus qu'un imposteur. Sehfeld a fort bien pu être de parfaite bonne
foi, il y a dix ans, en se persuadant à tort qu'il était capable
de faire de l'or. Plusieurs résultats heureux ont pu le confirmer dans
sa conviction et l'amener, de ce fait, sans qu'il fût à proprement
parler un escroc, à décevoir les gens avec lesquels il s'était
associé et à leur occasionner des dommages pécuniaires. Mais
cela n'implique aucunement que Sehfeld était incapable de faire de l'or
il y a huit ou dix ans, et que ses propositions n'étaient qu'une tentative
frauduleuse, ce qui est au demeurant démenti par sa conduite et ses agissements
ultérieurs. Depuis son retour de l'étranger, il n'a d'autre part
jamais plus rencontré d'insuccès dans ses expériences. Tout
homme sensé admettra cela, et ce qui n'est pour le moment avancé
qu'à titre d'hypothèse, se révèla être par la
suite de ce récit une certitude.
(à suivre)
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(1) C'est Barchusen, dans ses
Elementa Chemiæ (1718) qui le premier, dans l'explication
correcte des déplacements des métaux engagés dans des solutions
salines, qu'il ne confondait du reste nullement avec des transmutations métalliques.
(2) L'auteur des
Lettres
sur la Suisse, publiées en 1783, rapporte à ce sujet
une anecdote remarquable. Voici ses termes : Le célèbre Rouelle,
l'un de nos plus habiles chymistes, m'a dit peu de temps avant de mourir : J'ai
toujours nié l'existence de la Pierre pour empêcher les jeunes fous
de se ruiner à sa recherche, mais j'en ai toujours été convaincu
intérieurement et je n'ai jamais cessé de la chercher. Ne m'imitez
pas, car si jamais on la trouve,
Dieu seul peut faire ce miracle. Cette relation
se trouve dans une plaquette ainsi intitulée :
Bibliothèque hermétique,
contenant les ouvrages les plus rares et les plus estimés des philosophes
alchlmiques, tant anciens que modernes, avec des anecdotes intéressantes
de leur vie, auxquels on a ajouté plusieurs écrits sur la même
matière, rares, curieux, et qui n'avaient point été imprimés,
précédés d'une histoire de la Philosophie Hermétique.
Le tout enrichi de figures insérées dans les ouvrages par les auteurs
mêmes, pour en faciliter l'intelligence. Dédié au Roi philosophe
par un amateur de vérité spagyrique, 20 volumes, in-8, proposés
par souscription à Paris, Cailleau 1785. La véridicité de ce témoignage d'un
hermétiste anonyme qui le recueillit de J. B. de La Borde, premier valet
de
chambre de Louis XV, auteur des
Lettres sur la Suisse,
se trouve confirmée, par ce que relate Eugène Chevreul, le célèbre
chimiste, dans le numéro de mai 1851 du
Journal des Savants :
«
Enfin s'il est vrai, comme le frère du
célèbre Proust nous l'a affirmé plusieurs fois que Guillaume
François Rouelle fut alchimiste, cela prouverait qu'au XVIIème siècle
l'alchimie n'était pas une chimère pour tous les hommes vraiment
distingués. Mais en admettant comme vraie l'assertion du frère de
Proust qui était élève de Hilaire Martin Rouelle, cela prouverait
en même temps que la pierre philosophale n'était plus à la
mode. C'est dans un laboratoire que Guillaume François Rouelle aurait eu
rue Coupeau qu'il se serait livré dans le plus grand mystère à
ses travaux alchimiques. »
Les meilleurs auteurs
hermétiques, du reste, mettent
également en garde contre le véritable envoûtement que cause
la lecture des traités alchimiques, témoin l'avertissement suivant,
figurant en tête d'un recueil de manuscrits du XVIIème siècle,
intitulé :
Peut-estre :
« J'ai donné ce titre à ce volume parce
que je ne prétends pas me rendre garant des bagatelles, fantaisies et opinions
dont il est remply. Selon Salomon tout est vanité et selon moy tout n'est
que bagatelle si
Dieu ne nous assiste. C'est sur cette maxime que je ne conseille
à personne de s'amuser à lire tout ce que J'ai recueilli de bagatelles
en ce livre. Les savants du monde trouveront que j'ai raison de les nommer ainsi
; ce n'est pas aussi pour eux que je les ai écrites. De surplus J'ai répandu
dans tout ce grand ouvrage un
air de sincérité pour les simples,
dont je crains en conscience, sa seule lecture capable de faire tourner la cervelle
à ceux qui croient l'avoir la mieux timbrée. C'est pourquoi, pour
me disculper auprès de ceux qui pourraient rester scandalisés de
ces badineries, je répète encore un coup d'avance, que je ne leur
conseille pas de s'ennuier à les lire s'ils ne sont vrais savants. Sur
ce point peu de gens s'ils me croient, auront la peine de lire mes bagatelles.
Il leur conviendra mieux d'employer leur temps à travailler, puisqu'il
n'y a que la pratique et l'expérience qui enseignent et instruisent avec
certitude et toute la lecture du monde ne sert à rien qu'à laisser
dans un doute inquiétant. Ne vous Imaginez donc pas, ami lecteur, que quand
vous vous serez bien rompu la tête à lire tout ce qui est écrit
et annoté dans ce livre, vous en soiez plus avancé ni plus riche
: car en bonne foy, seriez-vous assez simple pour croire que si je possédais
la science je voulusse la débiter mot à mot comme elle parait ici
expliquée ? Mais me direz-vous, pourquoi vous donner tant de peine d'écrire
? Je vous réponds naturellement que c'est pour m'amuser ; chacun son passe-temps
; il en est de moins pénibles que celui-ci ; il en est aussi de plus divertissants
: pour moy voici le mien ; chacun est fou de sa marotte. Mais encore un coup je
ne conseille à personne de s'attacher à croire ni à lire
ce traité que j'ai fait de mes moments perdus et que j'ai dérobés
au travail pour me désennuyer et badiner et entretenir les trop curieux
de bagatelles, et qui veulent, je ne sais par quelle raison, que l'on leur donne
les choses écrites mot pour mot et que l'on leur mette le doigt sur la
lettre. En vérité y aurait-il du sens commun à le faire ?
Je serais le premier qui l'eût fait, et il faudrait que je voulusse passer
pour extravagant. Bagatelles. Travaillez donc plutôt que de faire votre
unique occupation de tant de vétilles et croiez que c'est le meilleur avis
que je puisse vous donner. Ce volume consiste en une répétition
de plusieurs instructions semées dans les vérités
fabuleuses
et
hermétiques qui ne doivent pas faire impression sur les cervelles légères,
car elles seraient capables de leur gâter l'
esprit et de leur donner des
entêtements pour ces bagatelles dont Ils ne pourraient se défaire
aisément dans la suite, et dont il n'y a que les
jugements solides qui
en puissent goûter le sel. Ce sera peut-être le dernier livre que
je ferai sur ces matières, qui ne conviennent pas à tout le monde
et qui sont du
goût de peu de savants. »
(3) Il semble bien que cette
remarque permette d'expliquer pourquoi les exemples de transmutation ont complètement
cessé au XIXème siècle en
Europe sans que les
adeptes aient
pour autant disparu complètement. A cet égard, il est instructif
de comparer les réflexions que nous livrent deux d'entre eux, écrivant
respectivement au XVIIIème et au XIXème siècles.
Le premier fit paraître ce fragment, intitulé
Lettre d'un anonyme dans l'ouvrage de Clavier Duplessis,
Archives
Mytho-Hermétiques,
Paris :
« Je me fais un devoir d'avancer que je crois très
fermement à la Science
Hermétique sur des preuves acquises, mais
précédées de ma part d'une prévention sans laquelle
je ne l'eusse point recherchée et s'en eusse point été favorisé.
Je n'exige pas qu'on ajoute foi à mon assertion ; ma qualité d'Anonyme
en dispense, mais je ne sais si je résisterai encore longtemps à
la tentation qui m'obsède, de produire avec éclat quelques expériences
assez frappantes pour pouvoir justifier sans réplique la Science d'
Hermès
des imputations injurieuses qu'on lui a faites... Je ne suis retenu que par la
difficulté de connaître des mains assez hardies, assez fidèles,
auxquelles je puisse confier les opérations dont je pourrais les charger
et sans crainte de les compromettre ».
Le second auteur, dont le nom nous est resté inconnu,
a laissé un manuscrit intitulé
Récréations
Hermétiques, non daté, mais qu'une allusion à
un ouvrage de
Hyacinthe Azais, paru en 1808, et la description d'un processus
opératoire repris par Cyliani (dont le traité
Hermès
dévoilé parut en 1832) permet de situer entre ces
deux dates. Voici, extraits de ce manuscrit, les passages qui nous intéressent
:
« La Science dont toutes les autres dérivent,
celle de la Nature, est tombée dans un tel discrédit que l'on frappe
aujourd'hui de ridicule tous ceux que l'on y sait livrés. Au moyen des
lois de l'affinité on prétend résoudre tous les problèmes,
les
éléments sont mutipliés ou anéantis et ceux qui
les admettent sans restriction sont placés avec ceux qui en ont traité
au rang des
ignorants ou des hommes hors de sens. Sans repousser les affinités
bases de la nouvelle philosophie chimique. Je les crois du moins inutiles au but
qu'un véritable ami de la vérité se propose d'atteindre.
J'entends parler ici de la connaissance des causes premières sur lesquelles
toute science doit s'asseoir et qu'on affecte de mépriser comme certain
renard de la table qui faisait fi du raisin qu'il ne pouvait atteindre. Au surplus,
si ces lois de l'affinité que les savants modernes font tant valoir, bien
qu'elles ne conduisent point à la source de notre admirable fontaine de
vie, sont loin d'être l'objet de nouvelles découvertes, elles étaient
du moins reconnues par le fait quand elles ne l'étaient pas encore par
les mots.
Lors donc que vous lisez quelque traité des Anciens
sur l'étude de la Nature, n'entendez pas pour
éléments les
substances crues, indigestes et mortifères que je viens de vous signaler,
mais recherchez en le centre par quelque procédé ingénieux
et de votre propre fond, car les Sages le veulent ainsi, tant pour empêcher
les abus que la profanation de cette Science, au moyen de laquelle la Société
pourrait être bouleversée et anéantie. Ne craignez donc pas
de vous livrer à l'étude de notre science, et employez pour l'approfondir
et en connaître les mystères, tous les efforts du raisonnement, puisqu'il
n'y a que ce moyen pour sortir du
labyrinthe dans lequel vous vous êtes
peut-être légèrement engagés.
N'attendez surtout aucune preuve de nos dires, car personne
ne sera tenté de vous en administrer, je veux parler de celle preuve irrévocable
que donne l'expérience. Mais puisque d'autres l'ont acquise par les
seuls moyens que je vous donne, ne désespérez pas du succès
: J'ose même vous le garantir si vous vous décidez à suivre
mes conseils et à ne pas vous en écarter : car je vous enseigne
le droit chemin et je veux vous sortir des pas perdus dont la route est partout
semée. »
Ceux qui, décidés à travailler quand
même voudraient coûte que coûte passer à la pratique,
ne sont malheureusement mis en garde que par bien peu d'auteurs assez sincères
pour les avertir que l'adage « L'uvre coûte tort peu a faire
» est valable seulement pour celui qui est totalement rompu à sa
technique opératoire. Ceux qui doivent faire l'apprentissage de cette technique
sont rarement prévenus dans la plupart des meilleurs traités qne
leurs tatônnements leur coûteront beaucoup de temps et d'
argent. Parmi
les
adeptes assez charitables pour avoir attiré l'attention explicitement
sur ce point, nous citerons l'inconnu du XVIIIème siècle qui prit
le pseudonyme du « Véridique
Hermogène ». Dans la préface
de son premier ouvrage,
L'Apocalypse Philosophique et
Spagyrique, (Leipzig 1739), il déclare que médecin
de son état, il a guéri en peu de temps une centaine de patients
atteints de maladies variées, dont certaines étaient considérées
comme incurables, par la médecine universelle parvenue à la fin
de la première rotation. Mais ce n'est que dans son troisième ouvrage,
paru à Leipzig et à Halle en 1741 sous le titre
Philosophischer
und Magischer Feuerstab (
La baguette magique
ignée et philosophique), au Chapitre VIII (
De Venatore
Spagyrico) qu'il écrit : « Avant de découvrir ce mystère
très caché, il faut employer toutes les ressources de l'entendement
et de la Sagesse. Pour le mettre en uvre il faut s'engager dans une expérimentation
ample et prolongée Car entre la Science ou la Théorie exacte et
la Connaissance très experte, il y a un abîme que l'on ne saurait
franchir si l'on n'a point la bourse bien garnie. »
Dans l'émouvante préface de son
Hermès
Dévoilé (qui
inspira à Sainte Beuve, dans
sa critique du roman de
Balzac A la recherche l'Absolu
ces lignes élogieuses : « Nul doute que si Monsieur de
Balzac avait
connu ce petit écrit, il aurait donné à son livre le cachet
de réalité qui y manque... la réalité fait ici
envie
au roman », et qui semble bien être le dernier traité
hermétique
autobiographique paru en
Europe) l'auteur franchissant la Porte alchimique, devant
laquelle tant d'
impétrants ont stationné toute leur vie sans parvenir
à l'ouvrir, entend, dans le chur du temple
allégorique où
il s'avance, une voix céleste qui lui demande : Audacieux, viens-tu profaner
ce temple pour satisfaire ta vile cupidité ?... et il répond en
ces termes : « Je viens, dépouillé de toute ambition, te prier
à genoux de me donner les moyens seulement de recouvrer la fortune que
j'ai sacrifiée pour connaître la pierre philosophale... »
Ce sacrifice, au sens pécuniaire du terme, prélude
quasi obligatoirement au sacrifice
hermétique proprement dit, dont il a
été question dans notre préface aux
Aphorismes
d'Urbiger. Il semble répondre à la parole
évangélique
: « Vous n'entrerez point que vous n'ayez payé jusqu'à la
dernière
obole ». Voilà également, nous semble-t-il
, le grand obstacle à l'entreprise, tentée par certains, de s'engager
dans les travaux à frais communs, ou par le financement d'un tiers.
Dans son
Explication de l'Enigme
trouvée en un pilier de l'Eglise Notre-Dame de Paris, publiée
en 1636 par le Sieur De La Borde, ce Philosophe donne à cet égard
l'avertissement suivant : « ...tant de sophistes ruinent la véritable
réputation de cette saincte uvre qu'on ne peut dénier avoir
été faite par une infinité de gens de bien (il déclare
précédemment : J'en ay veu une partie de l'effect et un mien amy
le surplus.
Dieu veuille que je voye le tout ensemble, comme j'espère qu'il
m'en fera la grâce), laquelle uvre je ne conseillerai jamais à
homme d'entreprendre, aux despends ny avec la société de plusieurs
: d'autant qu'il n'en arrive jamais bien, n'estant pas alors libre de luy ny de
ce qu'il faict ».
Cela n'empêcha point Philippe Andrénas d'Arménie,
conseiller et maître hôtel ordinaire du Roy, dont la bonne foi et
l'honnêteté ne sont pas en cause, de faire paraître en 1674,
chez Jacques Bouillerot, rue de la Huchette, à l'Ecrevisse, du côté
du pont
Saint Michel, le Premier extrait d'un livre intitulé :
Or
Potable levain ou discours de l'or potable levain, et l'offre faite au Public d'en faire du très-parfait et achevé en présence de messieurs les Notaires, d'un témoignage irréprochable, et de deux cents autres illustres témoins qui voudront bien y être intéressez, aux diverses conditions à choisir de deux millions de livres qu'on en demande de récompenses faciles à accorder aux divers espaces de temps. D'Andrenas, dans le
corps de son livre, déclare qu'il
lut revient à plus de 25.000 écus et plus de huit années d'étude.