CHAPITRE III
LANGUE PUNIQUE
II - Les généraux de Carthage - Les rois Numides
Les
Numides virent plus tard une colonie de
Phéniciens aborder sur leurs côtes et y fonder des établissements. La ville de Carthage y fut bâtie, 888 ans avant Jésus-Christ, par
Didon, princesse
tyrienne. Adonnée au commerce, Carthage s'enrichit, s'accrut avec rapidité et étendit ses possessions sur le littoral africain et sur les côtes de l'Espagne, attrayante surtout par ses mines d'or et d'
argent. Devenue guerrière par l'obligation qui s'imposait à elle de soutenir son commerce, elle levait des armées composées de soldats mercenaires auxquels elle ne pouvait [92] guère se fier. Les
Numides, les Ibères, les
Gaulois y abondaient, mais ces guerriers d'emprunt restaient seulement à son service, lorsqu'un habile général savait les mener à une victoire et à un pillage. Une bataille perdue mettait en fureur ces soldats étrangers, et ils massacraient les généraux malheureux qui n'avaient pas su conduire leur impétueux élan. Cette nécessité de vaincre renferme peut-être en elle-même tout le secret de l'habileté des brillant et intrépides généraux Carthaginois.
Les
Phéniciens, fondateurs de Carthage, parlaient la langue cananéenne, et ce langage, malgré de nombreuses dissemblances devait accuser une étroite parenté avec celui des
Numides. Mais est-ce bien à la langue des Carthaginois qu'il faut attribuer le nom de punique, et ce nom n'appartiendrait-il pas plutôt à celle des
Numides et des
Maures ? Nous croyons que la langue
Numide peut aisément le revendiquer, et, en examinant de près le langage actuel des Kabyles, on s'assurera qu'il est fait de
jeux de mots et par conséquent le seul punique
to pun (
peun) faire des
jeux de mots.
Cette assertion ne paraîtra pas sans fondement, si nous comparons les noms des plus
illustres généraux Carthaginois cités par l'
histoire avec ceux des rois
Numides, et on pourra sentir dans les noms [93]
propres Carthaginois une certaine résistance à l'interprétation, tandis que les noms propres
numides cèderont très volontiers les monosyllabes qui les forment.
Amilcar, père du célèbre Annibal, avait donné en
Sicile contre les Romains des preuves incontestables d'habileté militaire. Poursuivant avec une ardeur opiniâtre la prospérité et l'extension de l'empire Carthaginois
to aim (
ém), diriger
weal (
ouil), prospérité,
to care (
kère), se mettre en peine de, il soumit le littoral de l'Afrique jusqu'au Grand Océan, et en passant en Espagne, il s'empara de la côte occidentale de ce pays. Il avait, sur ses instances réitérées, amené avec lui le jeune Annibal, pour l'
initier à la direction d'une armée et à la science guerrière.
Amilcar avait aussi avec lui, dit Cornélius Nepos, un beau jeune homme, Hasdrubal, qu'on lui reprochait d'aimer beaucoup plus qu'il n'aurait fallu. De là il advint, que l'inquisiteur des murs lui défendit de garder Hasdrubal dans sa maison.
Amilcar prit alors le parti de donner sa fille en
mariage à ce jeune homme ; il était dans leur murs, qu'on ne pouvait défendre à un gendre d'habiter avec son beau-père. Nous rapportons ce fait, ajoute Cornélius Nepos, parce que, après la mort d'
Amilcar tué dans un combat, Hasdrubal devint le [94] chef de l'armée. Annibal ne prit le commandement qu'après la mort d'Hastrubal assassiné par l'esclave d'un chef
Lusitanien.
Le fait raconté par Cornélius Nepos donne l'intelligence de la formation du nom d'Hasdrubal. Pressé qu'il était par l'inquisiteur des murs,
Amilcar voulant faire cesser des bruits fâcheux et désirant toutefois garder Hasdrubal avec lui, se hâta de lui donner sa fille en
mariage
to haste (
heste), se hâter,
row (
raou) bruit,
to pall (
pâul), abattre, affaiblir.
La présence d'Hasdrubal dans la maison de son père et son élévation à la tête de l'armée après
la mort d'
Amilcar durent être pour Annibal une source d'ennuis ; en effet, soumis au commandement de son beau-frère, l'essor de son génie militaire se trouvait continuellement comprimé. Aussi l'avait-on appelé avec raison Annibal, c'est-à-dire, ennuyé de mener la vie
insipide d'un officier subalterne,
to annoy (
annoï), ennuyer,
to pall (
pâul) devenir
insipide.
Nous n'avons pas à rapporter les exploits de ce grand capitaine ; ils sont assez connus et ne sont point d'ailleurs utiles à notre dessein.
La difficulté d'interprétation présentée par ces noms propres de généraux Carthaginois n'existe plus dans ceux des
rois
Numides et les expressions
celtiques s'y déroulent avec la plus grande facilité. [95]
Après la seconde guerre punique, Carthage avait tout perdu, son empire, ses richesses, son commerce : il lui restait à peine la vie, que Massinissa, chef de la
Numidie et allié des Romains, cherchait à lui enlever. Ce
numide, qui a vécu un siècle, se tenait encore nuit et
jour à
cheval, à l'âge de quatre-vingt-dix ans, harcelant les malheureux Carthaginois sans trève ni merci. Cavalier indomptable, Massinissa ne connaissait point le repos dans une maison ou dans les hôtelleries dont il faisait profession de se moquer,
mass, amas
to inn, loger dans une auberge,
to hiss, se moquer.
« Après les victoires remportées sur les Carthaginois et la prise des Syphax
to see (
si), penser,
to face (
fèce) affronter, braver, dont l'empire s'étendait au loin dans l'Afrique, le peuple romain donna au roi Massinissa toutes les villes et terres qu'il avait prises de sa main. » (1)
Le vieux
Numide demeura toujours l'allié fidèle des Romains et laissa son royaume à son fils Micipsa ; ses deux autres fils, Mastanabal et Gulussa, avaient été enlevés par la maladie. Salluste garde le silence sur leur vie, se contentant de les nommer et établissant seule- [96] ment que Mastanabal était le père de
Jugurtha. Mastanabal ne possédait pas sans doute la sauvage énergie de son père Massinissa, puisque son nom le déclare épouvanté de devenir le chef d'une nation si considérable,
mass, amas, assemblée,
thane (
théne) chef,
to appal, effrayer. Quant à Gulussa, son nom dénotait clairement ses habitudes de tromperie
to gull (
gueull) tromper, duper,
to use (
iouse) habituer, se servir de .
Micipsa, devenu chef des
Numides ne se fit connaître que par la faiblesse de son caractère, laissant perdre et manquant toutes les occasions favorables pour agrandir encore l'immense territoire légué par son père,
to miss, manquer, perdre,
to heap (
hip) entasser,
to say (
sé), dire, raconter .
Ce prince avait adopté son neveu
Jugurtha et l'avait fait entrer en partage du royaume avec ses deux fils Adherbal et Hiempasl. Chéri des Romains à cause des qualité guerrières dont il avait fait preuve au siège de Numance, où Micipsa l'avait envoyé avec l'espoir secret de l'y voir périr, admiré comme le plus ardent chasseur de
lions et le plus hardi cavalier de toute l'Afrique,
Jugurtha était dévoré
de l'ambition de posséder seul la
Numidie. Comptant sur la
vénalité des Romains, il fit d'abord assassiner [97] Hiempsal
to eye (
aï) examiner,
to aim (
ém) diriger,
sale (
séle), vente, marché, le plus jeune de ses rivaux.
Adherbal le gênait encore ; car le sénat avait partagé la
Numidie entre lui et Adherbal.
Jugurtha ajoute un autre crime,
assiège, malgré l'opposition des Romains, Adherbal, dans une ville où il s'était réfugié, s'empare de ce dernier héritier de Micipsa et le fait périr dans les tourments,
to add,
ajouter,
heir (
hér), héritier,
to pall (
pâul), abattre .
Jugurtha s'est donc élevé, par deux crimes affreux, jusqu'au trône de
Numidie, et il était bien juste que son nom le rapportât aux
générations futures
to juke (
djiouke), s'élever,
to hurt (
heurt), nuire, faire tort .
Livré aux Romains par la trahison de Bocchus
to balk (
Bâuk), tromper son beau-père, roi de Mauritanie
maw (
mâu) panse,
to wear (
ouér) porter, avoir sur soi pour l'usage,
to hit,
frapper,
hand,
main,
Jugurtha fut jeté dans un sombre cachot où on le fit périr par les tortures de la faim.
Après la conquête de la
Numidie par les Romains, des
collèges furent établies dans les grandes villes africaines pour l'étude des lettres latines et grecques : néanmoins, la langue punique ne cessa point d'être parlée dans son intégrité ; et [98] ce qui le prouve, c'est le nom punique donné vers la fin du quatrième siècle après Jésus-Christ, au plus grand génie que l'Afrique ait produit,
Saint Augustin. A peine âgé de vingt-huit ans, possédant toutes les connaissances humaines enseignées à cette époque, il professait avec éclat la
rhétorique à Carthage et quelques années après à Milan où il fut baptisé par
saint Ambroise en 387. Intelligence élevée, avide de toute science et
surtout de vérité,
esprit subtil et pénétrant, ayant une parole entraînante et un raisonnement d'une logique inébranlable,
saint Augustin méritait certainement le nom d'
Aigle des assemblées, qu'on lui a donné avec justice et bonheur
hawk (
hâuk),
faucon,
hustings (
heusstings), salle d'assemblée.
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(56) Salluste, bell. Jug.