LIVRE VI
PYTHAGORE LES MYSTÈRES DE DELPHES
III LE TEMPLE DE DELPHES LA SCIENCE APOLLINIENNE
THÉORIE DE LA DIVINATION LA PYTHONISSE THÉOCLÉA
De la plaine de Phocide, on remontait les prairies riantes qui bordent les rives du Plistios, et l'on s'en fonçait, entre de hautes montagnes, dans une vallée tortueuse. A chaque pas, elle devenait plus étroite, le pays plus grandiose et plus désolé. On atteignait enfin un cirque de montagnes abruptes couronnées de pics sauvages, véritable entonnoir d'électricité, surplombé de fréquents orages. Brusquement, au fond de la gorge sombre, la ville de Delphes apparaissait, comme un nid d'aigle, sur son rocher environné de précipices et dominé par les deux cimes du Parnasse. De loin, on voyait étinceler les Victoires de bronze, les chevaux d'airain, les innombrables statues d'or, échelonnées sur la voie sacrée et rangées comme une garde de héros et de Dieux autour du temple dorien de Phoïbos Apollôn.
C'était le lieu le plus saint de la Grèce. Là prophétisait
la Pythie ; là se réunissaient les Amphyctions ; là tous
les peuples
helléniques avaient élevé autour du
sanctuaire
des chapelles renfermant des trésors d'offrandes. Là, des théories
d'hommes, de femmes et d'
enfants venus de loin montaient la voie sacrée
pour saluer le
Dieu de la Lumière. La
religion avait consacré
Delphes
depuis un temps immémorial à la vénération des peuples.
Sa situation centrale dans l'
Hellade, son rocher, à l'abri des coups de
main et facile à défendre, y avait contribué. Le lieu était
fait pour
frapper l'imagination ; une singularité lui donna son prestige.
Dans une caverne, derrière le temple s'ouvrait une fente, d'où sortaient
des vapeurs froides qui provoquaient, disait-on, l'inspiration et l'extase.
Plutarque
raconte qu'en des temps fort reculés, un pâtre, s'étant assis
au bord de cette fente, se mit à prophétiser. D'abord on. le crut
fou ; mais ses prédictions s'étant réalisées on devint
attentif au fait. Les
prêtres s'en emparèrent et consacrèrent
le lieu à la divinité. De là l'institution de la Pythie qu'on
faisait asseoir au-dessus de la fente sur un trépied. Les vapeurs qui sortaient
du
gouffre lui donnaient des convulsions, des crises étranges et provoquaient
en elle cette seconde
vue que l'on constate chez les somnambules remarquables.
Eschyle, dont les affirmations ont du poids, car il était fils d'un
prêtre
d'
Eleusis et
initié lui-même, Eschyle nous apprend dans
Les Euménides par la bouche de la Pythie que
Delphes avait
été consacré d'abord à la
Terre, ensuite à
Thémis (la Justice), puis à Phbée (la
lune médiatrice),
enfin à
Apollon, le
Dieu solaire. Chacun de ces noms représente
dans la
symbolique des temples de longues périodes et embrasse des siècles.
Mais la célébrité de
Delphes date d'
Apollon. Jupiter, disaient
les poètes, ayant voulu connaître le centre de la terre, fit partir
deux
aigles du levant et du couchant ; ils se rencontrèrent à
Delphes.
D'où vient ce prestige, cette autorité universelle et incontestée
qui fit d'
Apollon le
Dieu grec par excellence et fait qu'il a gardé pour
nous-mêmes un rayonnement inexplicable ?
L'
histoire ne nous apprend rien sur ce point important. Interrogez
les orateurs, les poètes, les philosophes, ils ne vous donneront que des
explications superficielles. La vraie réponse à cette question demeura
le secret du temple. Essayons de le pénétrer.
Dans la pensée orphique,
Dionysos et
Apollon étaient
deux révélations diverses de la même divinité.
Dionysos
représentait la vérité
ésotérique, le fond
et le dedans des choses, ouvert aux seuls
initiés. Il contenait les mystères
de la vie, les existences passées et futures, les rapports de l'
âme
et du
corps, du
ciel et de la terre.
Apollon personnifiait la même vérité
appliquée à la vie terrestre et à l'ordre social. Inspirateur
de la
poésie, de la médecine et des lois, il était la science
par la divination, la beauté par l'art, la paix des peuples par la justice,
et l'
harmonie de l'
âme et du
corps par la purification. En un mot, pour
l'
initié,
Dionysos ne signifiait rien moins que l'
esprit divin en évolution
dans l'univers, et
Apollon sa manifestation à l'homme terrestre. Les
prêtres
avaient fait comprendre cela au peuple par une
légende. Ils lui avaient
dit qu'au temps d'Orphée,
Bacchus et
Apollon s'étaient disputés
le trépied de
Delphes.
Bacchus l'avait cédé de bon gré
à son
frère et s'était retiré sur une des cimes du
Parnasse, où les femmes Thébaines célébraient ses
mystères. En réalité, les deux grands fils de Jupiter se
partageaient l'empire du monde. L'un régnait sur le mystérieux au-delà
; l'autre sur les vivants.
Nous retrouvons donc dans
Apollon le Verbe solaire, la Parole
universelle, le grand Médiateur, le Vischnou des Indous, le
Mithras des
Persans, l'
Horus des Egyptiens. Mais les vieilles idées de l'
ésotérisme
asiatique revêtirent dans la
légende d'
Apollon une beauté
plastique, une splendeur incisive qui les fit pénétrer plus profondément
dans la conscience humaine, comme les
flèches du
Dieu «
serpents
à l'aile blanche qui s'élancent de son arc d'or », dit Eschyle.
Apollon jaillit de la grande nuit à
Délos ; toutes les déesses saluent sa naissance ; il marche, il saisit l'arc et la lyre ; ses boucles roulent dans l'
air, son carquois résonne sur ses épaules ; et la mer en palpite et toute l'île en resplendit dans un
bain de
flamme et d'or. C'est l'
épiphanie de la lumière divine, qui par son auguste présence, crée l'ordre, la splendeur et l'
harmonie, dont la
poésie est le merveilleux écho. Le
Dieu se rend à
Delphes et perce de ses
flèches un
serpent monstrueux qui désolait la contrée, assainit le pays et fonde le temple ; image de la victoire de cette lumière divine sur les ténèbres et sur le mal. Dans les
religions antiques, le
serpent symbolisait à la fois le cercle fatal de la vie et le mal qui en résulte. Et cependant de cette vie comprise et terrassée ressort la connaissance.
Apollon tueur du
serpent est le
symbole de l'
initié qui transperce la nature par la science, la dompte par sa volonté, et rompant le cercle fatidique de la chair, monte dans la splendeur de l'
esprit, pendant que les tronçons brisés de l'animalité humaine se tordent dans le sable. Voilà pourquoi
Apollon est le maître des
expiations, des purifications de l'
âme et du
corps. Eclaboussé par le sang du monstre, il a expié, il s'est purifié lui-même dans un exil de huit ans, sous les lauriers amers et salubres de la vallée de Tempé.
Apollon, éducateur des hommes, aime à séjourner au milieu d'eux ; il se plaît dans les villes, parmi la
jeunesse mâle, dans les luttes de la
poésie et de la
palestre, mais il n'y demeure que temporairement. En
automne, il retourne dans sa patrie, au pays des
Hyperboréens. C'est le peuple mystérieux des
âmes lumineuses et transparentes qui vivent dans l'éternelle aurore d'une félicité parfaite. Là sont ses vrais
prêtres et ses
prêtresses aimées. Il vit avec eux dans une communauté intime et profonde, et lorsqu'il veut faire aux hommes un don royal, il leur
amène du pays des
Hyperboréens une de ces grandes
âmes lumineuses et la fait naître sur la terre pour enseigner et charmer les mortels. Lui-même revient à
Delphes, tous les printemps, lorsqu'on chante les péans et les hymnes. Il arrive, visible aux seuls
initiés, dans sa
blancheur hyperboréenne, sur un char traîné par des
cygnes mélodieux. Il revient habiter le
sanctuaire, où la Pythie transmet ses oracles, où l'écoutent les sages et les poètes. Alors les rossignols chantent, la fontaine de Castalie bouillonne à flots d'
argent, les effluves d'une lumière éblouissante et d'une musique céleste pénètrent dans le cur de l'homme et jusque dans les veines de la nature.
Dans cette
légende des
Hyperboréens, perce en rayons brillants le fond
ésotérique du
mythe d'
Apollon. Le pays des
Hyperboréens, c'est l'au delà, l'empyrée des
âmes victorieuses dont les aurores astrales éclairent les zones multicolores.
Apollon lui-même personnifie la lumière immatérielle et intelligible, dont le
soleil n'est que l'image physique, et d'où
coule toute vérité. Les
cygnes merveilleux qui l'amènent sont les poètes, les divins génies, messagers de sa grande
âme solaire, qui laissent derrière eux des frissons de lumière et de mélodie.
Apollon hyperboréen personnifie donc la descente du
ciel sur la terre, l'incarnation de la beauté spirituelle dans le sang et la chair, l'afflux de la vérité transcendante par l'inspiration et la divination.
Mais il est temps de soulever le voile doré des
légendes
et de pénétrer dans le temple même. Comment la divination
s'y exerçait-elle ? Nous touchons ici aux
arcanes de la science apollinienne
et des mystères de
Delphes.
Un lien profond unissait dans l'antiquité la divination
aux cultes solaires, et ceci en est la
clef d'or de tous les mystères dits
magiques.
L'adoration de l'homme aryen se porta dès l'origine
de la civilisation vers le
soleil comme vers la source de la lumière, de
la
chaleur et de la vie. Mais lorsque la pensée des sages s'éleva
du phénomène à la cause, ils conçurent derrière
ce
feu sensible et cette lumière visible, un
feu immatériel et une
lumière intelligible. Ils identifièrent le premier avec le principe
mâle, avec l'
esprit créateur ou l'
essence intellectuelle de l'univers,
et la seconde avec son principe féminin, son
âme formatrice, sa substance
plastique. Cette intuition remonte à un temps immémorial. La
conception
dont je parle se mêle aux plus vieilles mythologies. Elle circule dans les
hymnes védiques sous la forme d'Agni, le
feu universel qui pénètre
toute chose. Elle s'épanouit dans la
religion de
Zoroastre, dont le culte
de
Mithras représente la partie
ésotérique.
Mithras est le
feu mâle et
Mitra la lumière
femelle.
Zoroastre dit formellement
que l'Eternel créa par le moyen du Verbe-vivant la lumière céleste,
semence d'
Ormuzd, principe de la lumière matérielle et du
feu matériel.
Pour l'
initié de
Mithras, le
soleil n'est qu'un reflet grossier de cette
lumière. Dans sa grotte obscure, dont la voûte est peinte d'étoiles,
il invoque le
soleil de grâce, le
feu d'
amour, vainqueur du mal, réconciliateur
d'
Ormuzd et d'
Ahriman, purificateur et médiateur, qui habite l'
âme
des saints prophètes. Dans les
cryptes de l'Egypte, les
initiés
cherchent ce même
soleil sous le nom d'Osiris. Lorsque
Hermès demande
à contempler l'origine des choses, il se sent d'abord plongé dans
les ondes éthérées d'une lumière délicieuse,
où se meuvent toutes les formes vivantes. Puis, plongé dans les
ténèbres de la matière épaisse, il entend une voix,
et il y reconnaît
la voix de la lumière. En même temps
un
feu jaillit des profondeurs ; aussitôt le
chaos s'ordonne et s'éclaircit.
Dans
le livre des morts des Egyptiens, les
âmes voguent péniblement
vers cette lumière dans la barque d'Isis. Moïse a pleinement adopté
cette doctrine dans la Genèse. « Aelohim dit : Que la lumière
soit et la lumière fut. » Or, la création de cette lumière
précède celle du
soleil et des étoiles. Cela veut dire que
dans l'ordre des principes et de la cosmogonie, la lumière intelligible
précède la lumière matérielle. Les Grecs qui coulèrent
dans la forme humaine et dramatisèrent les idées les plus abstraites,
exprimèrent la même doctrine dans le
mythe d'
Apollon hyperboréen.
L'
esprit humain arriva donc par la
contemplation interne de l'univers, du point de
vue de l'
âme et de l'intelligence,
à concevoir une lumière intelligible, un élément impondérable
servant d'intermédiaire entre la matière et l'
esprit. Il serait
facile de montrer que les physiciens modernes se rapprochèrent insensiblement
de la même conclusion par un chemin opposé, c'est-à-dire en
cherchant la constitution de la matière et en
voyant l'impossibilité
de l'expliquer par elle-même. Au seizième siècle déjà,
Paracelse, en étudiant les combinaisons chimiques et les métamorphoses
des
corps, était arrivé à admettre un
agent universel et
occulte au moyen duquel elles s'opèrent. Les physiciens du dix-septième
et du dix-huitième siècle, qui conçurent l'univers comme
une machine morte, crurent au vide absolu des espaces célestes. Cependant
lorsqu'on reconnut que la lumière n'est pas l'émission d'une matière
radiante, mais la vibration d'un élément impondérable, on
dut admettre que l'espace tout entier est rempli par un fluide infiniment subtil qui pénètre tous les
corps et par lequel se transmettent les ondes de
chaleur et de lumière. On revenait ainsi aux idées de la physique et de la
théosophie grecques. Newton, qui avait passé sa vie entière à étudier les mouvements des
corps célestes, alla plus loin. Il appela cet éther
sensorium Dei, ou le cerveau de
Dieu, c'est-à-dire l'organe par lequel la pensée divine agit dans l'infiniment grand comme dans l'infiniment petit. En émettant cette idée qui lui semblait nécessaire pour expliquer la simple rotation des astres, ce grand physicien nageait en pleine philosophie
ésotérique. L'éther que la pensée de Newton trouvait dans les espaces,
Paracelse l'avait trouvée au fond de ses
alambics et l'avait nommée lumière astrale. Or, ce fluide impondérable mais partout présent, qui pénètre tout, cet
agent subtil mais indispensable, cette lumière invisible à nos yeux, mais qui est au fond de toutes les scintillations et de toutes les phosphorescences, un physicien allemand les constata dans une série d'expériences savamment ordonnées. Reichenbach avait remarqué que des sujets d'une fibre nerveuse très sensible, placés dans une
chambre parfaitement obscure, en face d'un
aimant, voyaient à ses deux bouts de forts rayons de lumière rouge, jaune et bleue. Ces rayons vibraient parfois avec un mouvement ondulatoire. Il continua ses expériences avec toutes sortes de
corps, notamment avec des cristaux. Autour de tous ces
corps, les sujets sensibles virent des émanations lumineuses. Autour de la tête des hommes placés dans la
chambre obscure, ils virent des rayons blancs ; de leurs doigts sortaient de petites
flammes. Dans la première phase de leur sommeil, les somnambules voient parfois leur magnétiseur avec ces mêmes signes. La pure lumière astrale n'apparaît que dans la haute extase, mais elle se polarise dans tous les
corps, se combine avec tous les fluides terrestres et joue des rôles divers dans l'électricité, dans le
magnétisme terrestre et dans le
magnétisme animal (84). L'intérêt des expériences de Reichenbach est d'avoir fait
toucher du doigt les limites et la transition de la vision physique à la vision astrale, qui peut conduire à la vision spirituelle. Elles font entrevoir aussi les raffinements
infinis de la matière impondérable. Sur cette voie, rien ne nous empêche de la concevoir tellement fluide, tellement subtile et pénétrante, qu'elle devienne en quelque sorte
homogène à l'
esprit et lui serve de vêtement parfait.
Nous venons de voir que la physique
moderne a dû reconnaître un
agent universel impondérable pour
expliquer le monde, qu'elle en a même constaté la présence
et qu'ainsi elle est rentrée sans le savoir dans les idées des
théosophies
antiques. Essayons maintenant de définir la nature et la fonction du fluide
cosmique, selon la philosophie de l'
occulte dans tous les temps. Car sur ce principe
capital de la cosmogonie,
Zoroastre s'accorde avec Héraclite, Pythagore
avec
saint Paul, les Kabbalistes avec
Paracelse. Elle règne partout, Cybèle-Maïa,
la grande
âme du monde, la substance vibrante et plastique que manie à
son gré le souffle de l'
Esprit créateur. Ses océans éthérés
servent de ciment entre tous les mondes. Elle est la grande médiatrice
entre l'invisible et le visible, entre l'
esprit et la matière, entre le
dedans et le dehors de l'univers. Condensée en masses énormes dans
l'atmosphère, sous l'action du
soleil, elle y éclate en foudre.
Bue par la terre, elle y circule en courants magnétiques. Subtilisée
dans le système nerveux de l'
animal, elle transmet sa volonté aux
membres, ses sensations au cerveau. Bien plus, ce fluide subtil forme des organismes
vivants semblables aux
corps matériels. Car il sert de substance au
corps
astral de l'
âme, vêtement lumineux que l'
esprit se tisse sans cesse
à lui-même Selon les
âmes qu'il revêt, selon les mondes
qu'il enveloppe, ce fluide se transforme, s'affine ou s'épaissit : Non
seulement il corporise l'
esprit et spiritualise la matière, mais il reflète,
dans son sein animé, les choses, les volontés et les pensées
humaines en un perpétuel mirage. La
force et la durée de ces images
est proportionnée à l'intensité de la volonté qui
les produit. Et en vérité, il n'y a pas d'autre moyen d'expliquer
la suggestion et la transmission de la pensée à distance, ce principe
de la magie aujourd'hui constaté et reconnu par la science
(85).
Ainsi le passé des mondes tremble dans la lumière astrale en images
incertaines et l'avenir s'y promène avec les
âmes vivantes que l'inéluctable
destin force à descendre dans la chair. Voilà le sens du voile d'Isis et du manteau de
Cybèle, dans lequel sont tissés tous les êtres.
On voit maintenant que la doctrine
théosophique de la lumière astrale est identique à la doctrine secrète du verbe solaire dans les
religions de l'Orient et de la Grèce. On voit aussi comment cette doctrine se lie à celle de la divination. La lumière astrale s'y révèle comme le médium universel des phénomènes de vision et d'extase, et les explique. Elle est à la fois le véhicule qui transmet les mouvements de la pensée et le miroir vivant où l'
âme contemple les images du monde matériel et spirituel. Une fois transporté dans cet élément, l'
esprit du
voyant sort des conditions corporelles. La mesure de l'espace et du temps change pour lui. Il participe en quelque sorte à l'ubiquité du fluide universel. La matière opaque devient transparente pour lui ; et l'
âme se dégageant du
corps, s'élevant dans sa propre lumière, arrive par l'extase à pénétrer dans le monde spirituel, à voir les
âmes revêtues de leurs
corps éthérés et à communiquer avec elles. Tous les anciens
initiés avaient l'idée nette de cette
seconde vue ou
vue directe de l'
esprit. Témoin Eschyle qui fait dire à l'ombre de
Clytemnestre : « Regarde ces blessures, ton
esprit peut les voir ; l'
esprit quand on dort a des yeux plus perçants ; au grand
jour les mortels n'embrassent pas un vaste champ avec leur
vue. »
Ajoutons que cette théorie de la clairvoyance et de l'extase s'accorde merveilleusement avec les nombreuses expériences scientifiquement pratiquées par des savants et des médecins de ce siècle sur des somnambules lucides et des clairvoyants de toute sorte
(86). C'est d'après ces faits contemporains que nous essayerons de caractériser brièvement la succession des états psychiques, depuis la clairvoyance simple jusqu'à l'extase cataleptique.
L'état de clairvoyance, cela
ressort de milliers de faits bien constatés, est un état psychique
qui diffère autant du sommeil que de la veille. Loin de diminuer, les facultés
intellectuelles du clairvoyant augmentent d'une manière surprenante. Sa
mémoire est plus juste, son imagination plus vive, son intelligence plus
éveillée. Enfin, et c'est là le fait capital, un sens nouveau,
qui n'est plus un sens corporel, mais un sens de l'
âme, s'est développé.
Non seulement les pensées du magnétiseur transmettent à lui
comme dans le simple phénomène de la suggestion, lequel sort déjà
du plan physique, mais le clairvoyant
lit dans la pensée des assistants,
voit à travers les murs, pénètre à des centaines de
lieues dans des intérieurs où il n'a jamais été et
dans la vie intime de gens qu'il ne connaissait pas. Ses yeux sont fermés
et ils ne peuvent rien voir, mais son
esprit voit plus loin et mieux que ses yeux
ouverts, et semble voyager librement dans l'espace
(87).
En un mot, si la clairvoyance est un état anormal au point de
vue du
corps,
c'est un état normal et supérieur au point de
vue de l'
esprit. Car
sa conscience est devenue plus profonde, sa vision plus large. Le moi est resté
le même, mais il a passé sur un plan supérieur, où
son regard affranchi des organes grossiers du
corps embrasse et pénètre
un plus vaste
horizon (88). Il est à remarquer que
certaines somnambules, en subissant les passes du magnétiseur, se sentent
inondées d'une lumière de plus en plus éclatante ; tandis
que le réveil leur semble un retour pénible dans les ténèbres.
La suggestion, la lecture dans la pensée et la
vue
à distance sont des faits qui prouvent déjà l'existence indépendante
de l'
âme et nous transportent au-dessus du plan physique de l'univers, sans
nous en faire sortir tout à fait. Mais la clairvoyance a des variétés
infinies et une échelle d'états divers beaucoup plus étendue
que celle de la veille. A mesure qu'on la monte, les phénomènes
deviennent plus rares et plus extraordinaires. N'en citons que les étapes
principales. La
rétrospection est une vision des événements
passés conservés dans la lumière astrale et ravivés
par la sympathie du
voyant. La
divination proprement dite est une vision
problématique des choses à venir, soit par une introspection de
la pensée des vivants qui contient en
germe les actions futures, soit par
l'
influence occulte d'
esprits supérieurs qui déroulent l'avenir
en images vivantes devant l'
âme du clairvoyant. Dans les deux cas, ce sont
des projections de pensées dans la lumière astrale. Enfin, l'
extase
se définit comme une vision du monde spirituel, où des
esprits bons
ou mauvais apparaissent au
voyant sous forme humaine et communiquent avec lui.
L'
âme semble réellement transportée hors du
corps, que la
vie a presque quitté et qui se roidit dans une catalepsie voisine de la
mort. Rien ne peut rendre, d'après les récits des grands extatiques,
la beauté et la splendeur de ces visions ni le sentiment d'
ineffable fusion
avec l'
essence divine, qu'ils en rapportent comme une ivresse de lumière
et de musique. On peut douter de la réalité de ces visions. Mais
il faut
ajouter que si, dans l'état moyen de la clairvoyance, l'
âme
a une perception juste des lieux éloignés et des absents, il est
logique d'admettre que, dans sa plus haute
exaltation, elle puisse avoir la vision
d'une réalité supérieure et immatérielle.
Ce sera, selon nous, la tâche de l'avenir de rendre
aux facultés transcendantes de l'
âme humaine leur dignité
et leur fonction sociale, en les réorganisant sous le contrôle de
la science et sur les bases d'une
religion vraiment universelle, ouverte à
toutes les vérités. Alors la science, régénérée
par la vraie foi et par l'
esprit de
charité, atteindra, les yeux ouverts,
à ces
sphères où la philosophie spéculative erre,
les yeux bandés et en tâtonnant. Oui, la science deviendra voyante
et rédemptrice, à mesure qu'augmentera en elle la conscience et
l'
amour de l'humanité. Et peut-être est-ce par « la porte du
sommeil et des songes », comme disait le vieil
Homère, que la divine
Psyché, bannie de notre civilisation et qui pleure en silence sous son
voile, rentrera en possession de ses autels.
Quoi qu'il en soit, les phénomènes de clairvoyance observés dans toutes leurs phases par des savants et des médecins du dix-neuvième siècle, jettent un
jour très nouveau sur le rôle de la divination dans l'antiquité et sur une foule de phénomènes en apparence surnaturels, qui remplissent les
annales de tous les peuples. Certes, il est indispensable de faire la part de la
légende et de l'
histoire, de l'hallucination et de la vision vraie. Mais la psychologie expérimentale de nos
jours nous enseigne à ne pas rejeter en masse des faits, qui sont dans la possibilité de la nature humaine, et à les étudier au point de
vue des lois constatées. Si la clairvoyance est une faculté de l'
âme, il.n'est plus permis de rejeter purement et simplement les prophètes, les oracles et les sybilles dans le domaine de la superstition. La divination a pu être connue et pratiquée par les temples antiques avec des principes fixes, dans un but social et
religieux. L'étude comparée des
religions et des traditions
ésotériques montre que ces principes furent les mêmes partout, quoique leur application ait varié infiniment. Ce qui a discrédité l'art de la divination c'est que sa corruption a donné lieu aux pires abus et que ses belles manifestations ne sont possibles qu'en des êtres d'une grandeur et d'une pureté exceptionnelles.
La divination, telle qu'elle s'exerçait à
Delphes,
était fondée sûr les principes que nous venons d'exposer,
et l'organisation intérieure du temple y correspondait. Comme dans les
grands temples de l'Egypte, elle se composait d'un art, et d'une science. L'art
consistait.à pénétrer le lointain, le passé et l'avenir
par la clairvoyance ou l'extase prophétique ; la science, à calculer
l'avenir d'après les lois de l'évolution universelle. Art et science
se contrôlaient réciproquement. Nous ne dirons rien de cette science,
appelée généthlialogie par les anciens, et dont l'astrologie
du
moyen-âge n'est qu'un fragment imparfaitement compris, si ce n'est qu'elle
supposait l'encyclopédie
ésotérique appliquée à
l'avenir des peuples et des individus. Très utile comme orientation, elle
demeura toujours très problématique dans l'application. Les
esprits
de premier ordre en ont seuls su faire usage. Pythagore l'avait approfondie eu
Egypte. En Grèce, on l'exerçait avec des données moins complètes
et moins précises. Par contre, la clairvoyance et la prophétie avaient
été poussées assez loin.
On sait qu'elle s'exerçait à
Delphes par l'intermédiaire de femmes jeunes et âgées nommées Pythies ou Pythonisses, qui jouaient le rôle passif des somnambules clairvoyantes. Les
prêtres interprétaient, traduisaient, arrangeaient leurs oracles souvent confus d'après leurs propres lumières. Les
historiens modernes n'ont guère vu dans l'institution de
Delphes que l'exploitation de la superstition par un charlatanisme intelligent. Mais outre l'assentiment de toute l'antiquité philosophique à la science divinatoire de
Delphes, plusieurs oracles rapportés par
Hérodote, comme ceux sur Crésus et sur la bataille de Salamine, parlent en sa faveur. Sans doute cet art eut son commencement, sa floraison et sa décadence. Le charlatanisme et la corruption finirent par s'en mêler, témoin le roi Cléomène qui corrompit la supérieure des
prêtresses de
Delphes pour priver Démarate de la
royauté.
Plutarque a écrit un traité pour chercher la raisons de l'extinction des oracles, et cette dégénérescence fut ressentie comme un malheur par toute la société antique. A l'époque précédente la divination fut cultivée avec une sincérité
religieuse et une profondeur scientifique qui l'éleva à la
hauteur d'un véritable sacerdoce. On lisait, sur le fronton du temple, l'inscription suivante : « Connais-toi toi-même » et cette autre au-dessus de la porte d'entrée : « Que celui qui n'a point les mains pures n'approche point d'ici ».
(89) Ces paroles disaient à tout venant que les passions, les mensonges, les hypocrisies terrestres ne devaient pas passer le seuil du
sanctuaire, et, qu'à l'intérieur, la vérité divine régnait avec un sérieux redoutable.
Pythagore ne vint à
Delphes qu'après avoir
fait sa tournée dans tous les temples de la Grèce. Il avait séjourné
chez Epiménide dans le
sanctuaire de Jupiter Idéen ; il avait assisté
aux
jeux olympiques ; il avait présidé aux mystères d'
Eleusis
où l'
hiérophante lui avait cédé sa place. Partout
on l'avait reçu comme un maître. On l'attendait à
Delphes.
L'art divinatoire y languissait et Pythagore voulait lui rendre sa profondeur,
sa
force et son prestige. Il venait donc moins pour consulter
Apollon que pour
éclairer ses interprètes, réchauffer leur enthousiasme et
réveiller leur énergie. Agir sur eux, c'était agir sur l'
âme
de la Grèce et préparer son avenir.
Heureusement il trouva dans le temple un instrument merveilleux,
qu'un dessein providentiel semblait lui avoir réservé.
La jeune Théocléa appartenait au
collège
des
prêtresses d'
Apollon. Elle sortait d'une de ces familles où la
dignité de
prêtre est héréditaire. Les grandes impressions
du
sanctuaire, les cérémonies du culte, les péans, les fêtes
d'
Apollon pythien et
hyperboréen avaient nourri son enfance. On l'imagine
comme une de ces jeunes filles qui ont une aversion innée et instinctive
pour ce qui attire les autres. Elles n'aiment point
Cérès et craignent
Vénus. Car la lourde atmosphère terrestre les inquiète, et
l'
amour physique vaguement entrevu leur semble un viol de l'
âme, un brisement
de leur être intact et virginal. Par contre, elles sont étrangement
sensibles à des courants mystérieux, à des
influences astrales.
Lorsque la
lune donnait dans les sombres bosquets de la fontaine de Castalie,
Théocléa y voyait glisser des formes blanches. En plein
jour, elle
entendait des voix. Lorsqu'elle s'exposait aux rayons du
soleil levant, leur vibration
la plongeait dans une sorte d'extase, où elle entendait des churs
invisibles. Cependant elle était très insensible aux superstitions
et aux
idolâtries populaires du culte. Les statues la laissaient indifférente,
elle avait horreur des sacrifices d'
animaux. Elle ne parlait à personne
des apparitions qui troublaient son sommeil. Elle sentait avec l'instinct des clairvoyantes que les
prêtres d'Apollon ne possédaient pas la suprême lumière dont elle avait besoin. Ceux-ci cependant avaient l'il sur elle pour la décider à devenir Pythonisse. Elle se sentait comme attirée par un monde supérieur dont elle n'avait pas la
clef. Qu'était-ce que ces
dieux qui s'emparaient d'elle par des souffles et des frissons ? Elle voulait le savoir avant de s'y livrer. Car les grandes
âmes ont besoin de voir clair, même en s'abandonnant aux puissances divines.
De quel profond frémissement, de quel pressentiment mystérieux dut être agitée l'
âme de Théocléa lorsqu'elle aperçut pour la première fois Pythagore et lorsqu'elle entendit sa voix éloquente retentir entre les colonnes du
sanctuaire apollinien ! Elle sentit la présence de l'
initiateur qu'elle attendait, elle reconnut son maître. Elle voulait savoir ; elle saurait par lui, et ce monde intérieur, ce monde qu'elle portait en elle, il allait le faire parler ! Lui, de son côté, dut reconnaître en elle, avec la sûreté et la pénétration de son coup d'il, l'
âme vivante et vibrante qu'il cherchait pour devenir l'interprète de sa pensée dans le temple et y infuser un nouvel
esprit. Dès le premier regard échangé, dès la première parole dite, une chaîne invisible relia le sage de
Samos à la jeune
prêtresse, qui l'écoutait sans rien dire, buvant ses paroles de ses grands yeux attentifs. Je ne sais qui a dit que le poète et la lyre se reconnaissent à une vibration profonde en s'approchant l'un de l'autre. Ainsi se reconnurent Pythagore et Théocléa.
Dès le lever du
soleil, Pythagore avait de longs entretiens
avec les
prêtres d'Apollon appelés saints et prophètes. Il
demanda que la jeune
prêtresse y fut admise, afin de l'
initier à
son enseignement secret et de la préparer à son rôle. Elle
put donc suivre les leçons que le maître donnait tous les
jours dans
le
sanctuaire. Pythagore était alors dans la
force de l'âge. Il portait
sa robe blanche serrée à l'égyptienne, un bandeau de pourpre
ceignait son vaste front. Lorsqu'il parlait, ses yeux graves et lents se posaient
sur l'interlocuteur et l'enveloppaient d'une chaude lumière. L'
air autour
de lui semblait devenir plus léger et tout intellectuel.
Les entretiens du sage de
Samos avec les plus hauts représentants de la
religion grecque furent de la dernière importance. Il ne s'agissait pas seulement de divination et d'inspiration, mais de l'avenir de la Grèce et des destinées du monde entier. Les connaissances, les titres et les pouvoirs qu'il avait acquis dans les temples de Memphis et de Babylone lui donnaient la plus grande autorité. Il avait le droit de parler en supérieur et en guide aux inspirateurs de la Grèce. Il le fit avec l'éloquence de son génie, avec l'enthousiasme de sa mission. Pour éclairer leur intelligence, il commença par leur raconter sa
jeunesse, ses luttes, son
initiation égyptienne. Il leur parla de cette Egypte, mère de la Grèce, vieille comme le monde,
immuable comme une momie couverte d'
hiéroglyphes, au fond de ses pyramides, mais possédant dans sa tombe le secret des peuples, des langues, des
religions. Il déroula devant leurs yeux les mystères de la grande Isis, terrestre et céleste, mère des
Dieux et des hommes, et leur faisant traverser ses épreuves, il les plongea avec lui dans la lumière d'Osiris. Puis ce fut le tour de Babylone, des mage kaldéens, de leurs
sciences occultes, de ces temples profonds et massifs où ils évoquent le
feu vivant dans lequel se meuvent les démons et les
Dieux.
En écoutant Pythagore, Théocléa éprouvait des sensations surprenantes. Tout ce qu'il disait se gravait en traits de
feu dans son
esprit. Ces choses lui semblaient à la fois merveilleuses et connues. En apprenant, elle croyait se souvenir. Les paroles du maître la faisaient feuilleter dans les pages de l'univers comme dans un livre. Elle ne voyait plus les
Dieux sous leurs effigies humaines, mais dans leurs essences qui forment les choses et les
esprits. Elle fluait, montait, descendait avec eux dans les espaces. Parfois elle avais l'illusion de ne plus sentir les limites de son
corps et de se dissiper dans l'
infini. Ainsi son imagination entrait peu à peu dans le monde invisible, et les empreintes anciennes qu'elle en trouvait dans sa propre
âme, lui disaient que c'était la vraie, la seule réalité ; l'autre n'était qu'apparence. Elle sentait que bientôt ses yeux intérieurs allaient s'ouvrir pour y lire directement.
De ces
hauteurs, le maître la ramena brusquement sur la terre en racontant les malheurs de l'Egypte. Après avoir développé la grandeur de la science égyptienne, il la montra succombant sous l'
invasion persane. Il peignit les horreurs de
Cambyse, les temples saccagés, les livres sacrés mis au bûcher, les
prêtres d'Osiris tués ou dispersés, le monstre du despotisme persan rassemblant sous sa main de fer toute la vieille barbarie asiatique, les races errantes à demi-sauvages du centre de l'Asie et du fond de l'Inde n'attendant qu'une occasion pour
fondre sur l'
Europe. Oui, ce cyclone grossissant devait éclater sur la Grèce, aussi sûrement que la foudre doit sortir d'un nuage qui s'amoncelle dans l'
air. La Grèce divisée était-elle préparée pour résister à ce choc terrible ? Elle ne s'en doutait même pas. Les peuples n'évitent pas leurs destinées, et s'ils ne veillent sans cesse, les
Dieux les précipitent. La sage nation d'
Hermès, l'Egypte ne s'était-elle pas effondrée après six mille ans de prospérité ? Hélas, la Grèce, la belle Ionie passera plus vite encore ! Un temps viendra où le
Dieu solaire abandonnera ce temple, où les barbares renverseront ses pierres, et où les pâtres mèneront paître leurs troupeaux sur les ruines de
Delphes.
A ces sinistres prophéties, le visage de Théocléa se transforma et prit une expression d'épouvante. Elle se laissa glisser à terre et nouant ses bras autour d'une colonne, les yeux fixes, abîmée dans ses pensées, elle ressemblait au génie de la Douleur pleurant sur le tombeau de la Grèce.
« Mais, continua Pythagore, ce sont là des secrets qu'il faut ensevelir dans le fond des temples. L'
initié attire la mort ou la repousse à son gré. En formant la chaîne magique des volontés, les
initiés prolongent aussi la vie des peuples. A vous de retarder l'heure fatale, à vous de faire briller la Grèce, à vous de faire rayonner en elle le verbe d'
Apollon. Les peuples sont ce que les font leurs
Dieux ; mais les
Dieux ne se révèlent qu'à ceux qui les appellent. Qu'est-ce qu'
Apollon ? Le Verbe du
Dieu unique qui se manifeste éternellement dans le monde. La vérité est l'
âme de
Dieu, sonu
corps est la lumière. Les sages, les
voyants, les prophètes seuls la voient ; les hommes ne voient que son ombre. Les
esprits glorifiés que nous appelons héros et demi-dieux habitent cette lumière, en
légions, en
sphères innombrables. Voilà le vrai
corps d'
Apollon, le
soleil des
initiés, et sans ses rayons rien de grand ne se fait sur la terre. Comme l'
aimant attire le fer, ainsi par nos pensées, par nos prières, par nos actions, nous attirons l'inspiration divine. A vous de transmettre à la Grèce le verbe d'
Apollon, et la Grèce resplendira d'une lumière immortelle ! »
C'est par de tels discours que Pythagore réussit à rendre aux
prêtres de
Delphes la conscience de leur mission. Théocléa les absorbait avec une passion silencieuse et concentrée. Elle se transformait à
vue d'il sous la pensée et sous la volonté du maître comme sous une lente incantation. Debout au milieu des vieillards étonnés, elle dénouait sa chevelure noire et l'écartait de sa tête, comme si elle y sentait courir du
feu. Déjà ses yeux, grands ouverts et transfigurés, paraissaient contempler les génies solaires et planétaires, dans leurs orbes splendides et leur intense radiation.
Un
jour, elle tomba d'elle-même dans un sommeil profond et lucide. Les cinq prophètes l'entourèrent, mais elle resta insensible à leur voix comme à leur
toucher. Pythagore s'approcha d'elle et lui dit : « Lève-toi et vas où ma pensée t'envoie. Car maintenant tu es la Pythonisse ! »
A la voix du maître, un frisson parcourut tout son
corps et la souleva dans une longue vibration. Ses yeux étaient fermés ; elle voyait par le dedans.
Où es-tu ? demanda Pythagore.
Je monte
je monte toujours.
Et maintenant ?
Je nage dans la lumière d'Orphée.
Que vois-tu dans l'avenir ?
De grandes guerres... des hommes d'
airain... de blanches victoires...
Apollon revient habiter son
sanctuaire et je serai sa voix !... Mais toi, son messager, hélas ! hélas! tu vas me quitter... et tu porteras sa lumière en Italie.
La voyante aux yeux fermés parla longtemps, de sa voix musicale, haletante, rythmée ; puis, tout à coup, dans un sanglot, elle tomba comme morte.
Ainsi Pythagore versait les purs enseignements dans le sein de Théocléa et l'accordait comme une lyre pour le souffle des
Dieux. Une fois exaltée à cette
hauteur d'inspiration, elle devint pour lui un flambeau, grâce auquel il put sonder sa propre destinée, percer le possible avenir et se diriger dans les zones sans rive de l'invisible. Cette contre-épreuve palpitante des vérités qu'il enseignait, frappa les
prêtres d'admiration, réveilla leur enthousiasme et ranima leur foi. Le temple avait maintenant une Pythonisse inspirée, des
prêtres initiés dans les sciences et les arts divins ;
Delphes pouvait redevenir un centre de vie et d'action.
Pythagore s'y arrêta une année entière. Ce n'est qu'après avoir instruit les
prêtres de tous les secrets de sa doctrine, et avoir formé Théocléa pour son ministère, qu'il partit pour la Grande Grèce.
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(84) Reichenbach a appelé ce fluide
odyle.
Son ouvrage a été traduit en anglais par Gregory :
Researches on Magnetism, Electricity, Heat, Light Cristallization and chemical Attraction. Londres, 1850.
(85) Voir le bulletin de la Société de psychologie physiologique présidée par M. Charcot, 1885. Voir surtout le beau livre de M. Ochorowicz,
De la Suggestion mentale,
Paris, 1887.
(86) Il y a sur cette matière une littérature abondante, de valeur très inégale, aussi bien en France qu'en Allemagne et en Angleterre. Nous citerons ici deux ouvrages où ces questions sont traitées d'une manière scientifique par des hommes dignes de foi.
1° Letters on animal Magnetism, by William Gregory. Londres, 1850. Gregory était professeur de chimie à l'université d'Edimbourg.
Son livre est une étude approfondie des phénomènes du
magnétisme animal, depuis la suggestion jusqu'à la vision à distance et à la clairvoyance lucide, sur des sujets observés par lui-même, selon la méthode scientifique et avec une minutieuse exactitude.
2° Die mystischen Erscheinungen der menschlichen Natur, von Maximilian Perty, Leipzig, 1872. M. Perty est professeur de philosophie et de médecine à l'université de Berne.
Son livre offre un immense répertoire de tous les phénomènes
occultes qui ont quelque valeur historique. Le chapitre très remarquable sur la clairvoyance (
Schlafwachen) volume 1, renferme vingt
histoires de somnambules femmes et cinq
histoires de somnambules hommes, racontées par les médecins qui les ont traités.
Celle de la clairvoyante Weiner, traitée par l'auteur, est des plus curieuses. Voir aussi les traitée du
magnétisme de Dupotet, de Deleuze, et le livre extrêmement curieux :
Die Scherin von Prevorst, de Justinus Kerner.
(87) Exemples nombreux dans Gregory. Lettres XVI, XVII et XVIII.
(88) Le philosophe allemand Schelling avait reconnu l'importance capitale du somnambulisme dans la question de l'immortalité de l'
âme. Il observe que, dans le sommeil lucide, il se produit une élévation et une libération relative de l'
âme par rapport au
corps, telle qu'elle n'a jamais lieu dans l'état normal. Chez le somnambules, tout annonce la plus haute conscience, comme si tout leur être était rassemblé en un foyer lumineux
qui réunit le passé, le présent et l'avenir. Loin qu'ils perdent le souvenir, le passé s'éclaire pour eux, l'avenir même se dévoile quelquefois dans un rayon considérable. Si cela est possible dans la vie terrestre se demande Schelling n'est-il pas certain que notre personnalité spirituelle, qui nous suit dans la mort, est déjà présente en nous actuellement, qu'elle ne naît pas alors, qu'elle est simplement délivrée et se montre dès qu'elle n'est plus liée au monde extérieur par les sens ? L'état après la mort est donc plus réel que l'état terrestre. Car, dans cette vie, l'accidentel, se mêlant à tout, paralyse en nous l'essentiel. Schelling appelle tout uniment l'état futur : clairvoyance. L'
esprit, débarrassé de tout ce qu'il y a d'accidentel dans la vie terrestre, devient plus vivant et plus fort ; le méchant devient plus méchant, le bon meilleur.
Tout récemment, M. Charles Du Prel a soutenu la même thèse avec une grande richesse de faits et d'aperçus, dans un beau livre
Philosophie der Mystik (1886). Il part de ce fait « La conscience du moi n'épuise pas son objet. L'
âme et la conscience ne sont pas deux termes adéquats ; ils ne se couvrent pas, parce qu'ils n'ont pas une égale étendue. La
sphère de l'
âme dépasse de beaucoup celle de la conscience. » Il y a donc en nous
un moi latent. Ce moi latent, qui se manifeste dans le sommeil et le rêve, est le vrai moi, supraterrestre et transcendant, dont l'existence a précédé notre moi, terrestre, lié au
corps. Le moi terrestre est périssable ; le moi transcendant est immortel. Voila pourquoi
saint Paul a dit : « Dès cette terre, nous marchons dans le
ciel. »
(89) Note F.-S. : Ces deux avertissements résument parfaitement les conditions sine qua non pour être en mesure de développer réellement, durablement et sans (trops de) risques nos facultés supérieures, car celles-ci ne peuvent être utilisées que pour le bien le plus élevé, et non pour de basses volontés terrestres. Toute autre utilisation condamne à terme celui qui, du fait de ses failles, a mésusé de ses dons.