LIVRE PREMIER
RAMA LE CYCLE ARYEN
I LES RACES HUMAINES ET LES ORIGINES DE LA RELIGION
« Le Ciel est mon Père, il m'a engendré. J'ai pour famille tout cet entourage céleste. Ma Mère, c'est la grande Terre. La partie la plus haute de sa surface, est sa matrice ; là le Père féconde le sein de celle qui est son épouse et sa fille. »
Voilà ce que chantait, il y a quatre ou cinq mille ans, devant un
autel de terre où flambait un
feu d'herbes sèches, le poète védique. Une divination profonde, une conscience grandiose respire dans ces paroles étranges. Elles renferment le secret de la double origine de l'humanité. Antérieur et supérieur à la terre est le type divin de l'homme ; céleste est l'origine de son
âme. Mais son
corps est le produit des
éléments terrestres fécondés par une
essence cosmique. Les embrassements d'Ouranos et de la grande Mère signifient dans la langue des Mystères les
pluies d'
âmes ou de
monades spirituelles qui viennent féconder les
germes terrestres ; les principes organisateurs sans lesquels la matière ne serait qu'une masse inerte et diffuse. La partie la plus haute de la surface terrestre que le poète védique appelle la matrice de la terre désigne les continents et les
montagnes, berceaux des races humaines. Quant au
Ciel :
Varouna, l'Ouranos des Grecs, il représente l'ordre invisible, hyperphysique, éternel et intellectuel, il embrasse tout l'
Infini de l'Espace et du Temps.
Dans ce chapitre, nous n'envisagerons que les origines terrestres de l'humanité selon les traditions
ésotériques confirmées par la science anthropologique et ethnologique de nos
jours.
Les quatre races qui se partagent actuellement le globe sont
filles de terres et de zones diverses. Créations successives, lentes élaborations
de la terre en travail, les continents ont émergé des mers à
des intervalles de temps considérables que les anciens
prêtres de
l'Inde appelaient cycles interdiluviens. A travers des milliers d'années,
chaque continent a enfanté sa flore et sa faune couronnée par une
race humaine de
couleur différente.
Le continent austral, englouti par le dernier grand
déluge,
fut le berceau de la race rouge primitive, dont les Indiens d'Amérique
ne sont que les débris issus de Troglodytes qui gagnèrent le sommet
des
montagnes quand s'effondra leur continent. L'Afrique est la mère de
la race noire appelée éthiopienne par les Grecs. L'Asie a mis au
jour la race jaune qui se maintient dans les Chinois. La dernière venue,
la race blanche, est sortie des
forêts de l'
Europe, entre les tempêtes
de l'Atlantique et les sourires de la Méditerranée. Toutes les variétés
humaines résultent des mélanges, des combinaisons, des dégénérescences
ou des sélections de ces quatre grandes races. Dans les cycles précédents,
la rouge et la noire ont régné successivement par de puissantes
civilisations qui ont laissé des traces dans les constructions cyclopéennes
comme dans l'architecture du Mexique. Les temples de l'Inde et de l'Egypte avaient
sur ces civilisations évanouies des chiffres et des traditions sommaires.
Dans notre cycle, c'est la race blanche qui domine et si l'on mesure l'antiquité
probable de l'Inde et de l'Egypte, on fera remonter sa prépondérance
à sept ou huit mille ans
(5).
Selon les traditions
brahmaniques, la civilisation aurait
commencé sur notre terre, il y a cinquante mille ans, avec la race rouge,
sur le continent austral, alors que l'
Europe entière et une partie de l'Asie
étaient encore sous
eau. Ces mythologies parlent aussi d'une race de
géants
antérieure. On a retrouvé dans certaines cavernes du Thibet des
ossements humains gigantesques dont la conformation ressemble plus au singe qu'à
l'homme. Ils se rapportent à une humanité primitive, intermédiaire,
encore voisine de l'animalité qui ne possédait ni langage articulé,
ni organisation sociale, ni
religion. Car ces trois choses jaillissent toujours
à la fois ; et c'est là le sens de cette remarquable triade bardique
qui dit : « Trois choses sont primitivement contemporaines :
Dieu, la lumière
et la
liberté. » Avec le premier balbutiement de la parole naît
la société et le vague soupçon d'un ordre divin. C'est le
souffle de Jéhovah dans la bouche d'
Adam, le verbe d'
Hermès, la
loi du premier
Manou, le
feu de Prométhée. Un
Dieu tressaille dans
le faune humain. La race rouge, nous l'avons dit, occupait le continent austral
aujourd'hui englouti, appelé
Atlantide par Platon d'après les traditions
égyptiennes. Un grand cataclysme le détruisit en partie et en dispersa
les restes. Plusieurs races polynésiennes ainsi que les Indiens de l'Amérique
du Nord et les Aztèques que
François Pizarre rencontra au Mexique
sont les survivants de l'antique race rouge dont la civilisation, à jamais
perdue, eut ses
jours de gloire et de splendeur matérielle. Tous ces pauvres
retardataires portent dans leur
âme la mélancolie incurable des vieilles
races qui se meurent sans espoir.
Après la race rouge, la race noire domina sur le globe.
Il faut en chercher le type supérieur non pas dans le nègre dégénéré,
mais dans l'Abyssinien et le Nubien, en qui se conserve le moule de cette race
parvenue à son apogée. Les Noirs envahirent le sud de l'
Europe en
des temps préhistoriques et en furent refoulés par les Blancs. Leur
souvenir s'est complètement effacé de nos traditions populaires.
Ils y ont cependant laissé deux empreintes ineffaçables : l'horreur
du
dragon qui fut l'
emblème de leurs rois et l'idée que le diable
est noir. Les Noirs rendirent l'insulte à la race rivale en faisant leur
diable blanc. Au temps de leur souveraineté, les Noirs eurent des centres
religieux en Haute-Egypte et en Inde. Leurs villes cyclopéennes crénelaient
les
montagnes de l'Afrique, du
Caucase et de l'Asie centrale. Leur organisation
sociale consistait en une
théocratie absolue. Au sommet, des
prêtres
redoutés comme des
dieux ; en bas, des tribus grouillantes, sans famille
reconnue, les femmes esclaves. Ces
prêtres avaient des connaissances profondes,
le principe de l'unité divine de l'univers et le culte des astres qui,
sous le nom de
sabéisme, s'infiltra chez les peuples blancs
(6).
Mais entre la science des
prêtres noirs et le
fétichisme grossier
des masses, il n'y avait point d'intermédiaire, d'art
idéaliste,
de mythologie suggestive. Du reste, une industrie déjà savante,
sur tout l'art de manier par la balistique des masses de pierres colossales et
de
fondre les métaux dans d'immenses
fourneaux auxquels on faisait travailler
les prisonniers de guerre. Chez cette race puissante par la résistance
physique, l'énergie passionnelle et la capacité d'attachement, la
religion fut donc le règne de la
force par la terreur. La Nature et
Dieu
n'apparurent guère à la conscience de ces peuples
enfants que sous
la forme du
dragon, du terrible
animal antédiluvien que les rois faisaient
peindre sur leurs bannières et que les
prêtre sculptaient sur la
porte de leurs temples.
Si le
soleil d'Afrique a couvé la race noire, on dirait
que les glaces du pôle arctique ont vu l'éclosion de la race blanche.
Ce sont les
Hyperboréens dont parle la
mythologie grecque. Ces hommes aux
cheveux roux, aux yeux bleus, vinrent du Nord à travers des
forêts
éclairées de lueurs boréales, accompagnés par des
chiens et des rennes, commandés par des chefs téméraires
et poussés par des femmes voyantes. Crins d'or et yeux d'azur ;
couleurs
prédestinées. Cette race devait inventer le culte du
soleil et du
feu sacré et apporter dans le monde la nostalgie du
ciel. Tantôt
elle se révoltera contre lui jusqu'à vouloir l'escalader, tantôt
elle se prosternera devant ses splendeurs dans une adoration absolue.
Comme les autres, la race blanche dut se dégager de
l'état sauvage avant de prendre conscience d'elle-même. Elle
a pour signes distinctifs le
goût de la
liberté individuelle, la
sensibilité réfléchie qui crée le pouvoir de la sympathie,
et la prédominance de l'intellect qui donne à l'imagination un tour
idéaliste et
symbolique. La sensibilité animique amena l'attachement,
la préférence de l'homme pour une seule femme ; de là la
tendance de cette race à la monogamie, le principe conjugal et la famille.
Le besoin de
liberté, joint à celui de sociabilité,
créa le clan avec son principe électif. L'imagination
idéale
créa le culte des ancêtres qui forme la racine et le centre de la
religion chez les peuples blancs.
Le principe social et politique se manifeste le
jour où
un certain nombre d'hommes à demi sauvages, pressés par une peuplade
ennemie, s'assemblent d'instinct et choisissent le plus fort et le plus intelligent
d'entre eux pour les défendre et les commander. Ce jour-là, la société
est née. Le chef est un roi en herbe, ses
compagnons, de futurs nobles
; les vieillards délibérants, mais incapables de marcher, forment
déjà une espèce de sénat ou d'assemblée des
anciens. Mais comment est née la
religion ? On a dit que c'était
de la crainte de l'homme primitif devant la nature. Mais la crainte n'a rien de
commun avec le respect et l'
amour. Elle ne relie pas le fait à l'idée,
le visible à l'invisible, l'homme à
Dieu. Tant que l'homme ne fit
que trembler devant la nature, il ne fut pas homme encore. Il le devint le
jour
où il saisit le lien qui le rattachait au passé et à l'avenir,
à quelque chose de supérieur et de bienfaisant et où il adora
ce mystérieux inconnu. Mais comment adora-t-il pour la première
fois ?
Fabre d'
Olivet fait une hypothèse
éminemment
géniale et suggestive sur la manière dont le culte des ancêtres
a dû s'établir chez la race blanche
(7). Dans un clan belliqueux,
deux guerriers rivaux sont en querelle. Furieux, ils vont se
battre, déjà
ils sont aux prises. A ce moment, une femme échevelée s'élance
entre eux et les sépare. C'est la sur de l'un et la femme de l'autre.
Ses yeux jettent des
flammes, sa voix a l'accent du commandement. Elle s'écrie
en paroles haletantes, incisives, qu'elle a vu dans la
forêt l'Ancêtre
de la race, le guerrier victorieux d'autrefois, le héroll lui apparaître.
Il ne veut pas que deux guerriers
frères se combattent, mais qu'ils s'unissent
contre l'
ennemi commun. « C'est l'ombre du grand Ancêtre, c'est le
héroll qui me l'a dit, clame la femme exaltée, il m'a parlé
! Je l'ai vu ! » Ce qu'elle dit, elle le croit. Convaincue, elle convainc.
Emus, étonnés et comme terrassés par une
force invincible,
les adversaires réconciliés se donnent la main et regardent cette
femme inspirée comme une sorte de divinité.
De telles inspirations suivies de brusques volte-face durent
se produire en grand nombre et sous des formes très diverses dans la vie
préhistorique de la race blanche. Chez les peuples barbares, c'est la femme
qui, par sa sensibilité nerveuse, pressent d'abord l'
occulte, affirme l'invisible.
Qu'on envisage maintenant les conséquences inattendues et prodigieuses
d'un événement semblable à celui dont nous parlons. Dans
le clan, dans la peuplade, tout le monde parle du fait merveilleux. Le chêne
où la femme inspirée a vu l'apparition devient un
arbre sacré.
On l'y ramène ; et là, sous l'
influence magnétique de la
lune qui la plonge dans un état visionnaire, elle continue à prophétiser
au non du grand Ancêtre. Bientôt cette femme et d'autres semblables,
debout sur les rochers, au milieu des clairières, au bruit du vent et de
l'Océan lointain, évoqueront les
âmes diaphanes des ancêtres
devant des foules palpitantes, qui les verront ou croiront les voir, attirées
par de magiques incantations dans les brumes flottantes aux transparences lunaires.
Le dernier des grands
Celtes, Ossian, évoquera Fingal et ses
compagnons
dans les nuages assemblés. Ainsi, à l'origine même de la vie
sociale, le culte des Ancêtres s'établit chez la race blanche. Le
grand Ancêtre devient le
Dieu de la peuplade. Voilà le commencement
de la
religion.
Mais ce n'est pas tout. Autour de la prophétesse se
groupent des vieillards qui l'observent dans ses sommeils lucides, dans ses extases
prophétiques. Ils étudient ses états divers, contrôlent
ses révélations, interprètent ses oracles. Ils remarquent
que lorsqu'elle prophétise dans l'état visionnaire, son visage se
transfigure, sa parole devient rythmique et sa voix élevée profère
ses oracles en chantant sur une mélopée grave et significative
(8).
De là le vers, la strophe, la
poésie et la musique dont l'origine
passe pour divine chez tous les peuples de race aryenne. L'idée de la révélation
ne pouvait se produire qu'à propos de faits de cet ordre. Du même
coup nous en voyons jaillir la
religion et le culte, les
prêtres et la
poésie.
En Asie, dans l'Iran et dans l'Inde, où des peuples
de race blanche fondèrent les premières civilisations aryennes en
se mêlant à des peuples de
couleur diverse, les hommes prirent rapidement
le dessus sur les femmes en fait d'inspiration
religieuse. Là, nous n'entendons
plus parler que de sages, de rishis, de prophètes. La femme refoulée,
soumise, n'est plus
prêtresse qu'au foyer. Mais en
Europe, la trace du rôle
prépondérant de la femme se retrouve chez les peuples de même
origine, restés barbares pendant des milliers d'années. Il perce
dans la Pythonisse
scandinave, dans la Voluspa de l'Edda, dans les
druidesses
celtiques, dans les femmes devineresses qui accompagnaient les armées germaniques
et décidaient du
jour des batailles
(9), et jusque
dans les
Bacchantes thraces qui surnagent dans la
légende d'Orphée.
La Voyante préhistorique se continue dans la Pythie de
Delphes.
Les prophétesses primitives de la race blanche s'organisèrent
en
collèges de
druidesses, sous la surveillance des vieillards instruits
ou des
druides, les hommes du chêne. Elles ne furent d'abord que bienfaisantes.
Par leur intuition, leur divination, leur enthousiasme, elles donnèrent
un élan immense à la race qui n'en était qu'au commencement
de sa lutte plusieurs fois
séculaire avec les Noirs. Mais la corruption
rapide et les abus énormes de cette institution étaient inévitables.
Se sentant maîtresses des destinées des peuples, les
druidesses voulurent
les dominer à tout prix. L'inspiration leur faisant défaut, elles
tentèrent de régner par la terreur. Elles exigèrent les sacrifices
humains et en firent l'élément essentiel de leur culte. En cela,
les instincts héroïques de leur race les favorisaient. Les Blancs
étaient courageux ; leurs guerriers méprisaient la mort ; au premier
appel, ils venaient d'eux-mêmes et par bravade se jeter sous le couteau
des
prêtresses sanguinaires. Par
hécatombes humaines, on dépêchait
les vivants chez les morts comme des messagers, et on croyait obtenir ainsi les
faveurs des ancêtres. Cette menace perpétuelle planant sur la tête
des premiers chefs par la bouche des prophétesses et des
druides devint
entre leurs mains un formidable instrument de domination.
Premier exemple de la perversion que subissent fatalement
les plus nobles instincts de la nature humaine, lorsqu'ils ne sont pas maîtrisés
par une autorité savante, dirigés vers le bien par une conscience
supérieure. Livrée au hasard de l'ambition et de la passion personnelle,
l'inspiration dégénère en superstition, le courage en férocité,
l'idée sublime du sacrifice en instrument de
tyrannie, en exploitation
perfide et cruelle.
Mais la race blanche n'en était qu'à son enfance
violente et folle. Passionnée dans la
sphère animique, elle devait
traverser bien d'autres et de plus sanglantes crises. Elle venait d'être
réveillée par les attaques de la race noire qui commençait
à l'envahir par le sud de l'
Europe. Lutte inégale au début.
Les Blancs à demi sauvages, sortant de leurs
forêts et de leurs habitations
lacustres, n'avaient d'autre ressource que leurs arcs, leurs lances et leurs
flèches
aux pointes de pierre. Les Noirs avaient des armes de fer, des armures d'
airain,
toutes les ressources d'une civilisation industrieuse et leurs cités cyclopéennes.
Ecrasés au premier choc, les Blancs, emmenés en captivité,
commencèrent par devenir en masse les esclaves des Noirs qui les forcèrent
à travailler la pierre et à porter le minerai dans leurs fours.
Cependant des captifs échappés rapportèrent dans leur patrie
les usages, les arts et des fragments de science de leurs vainqueurs. Ils apprirent
des Noirs deux choses capitales : la fonte des métaux et l'écriture
sacrée, c'est-à-dire l'art de
fixer certaines idées par des
signes mystérieux et hiéroglyphiques sur des peaux de bête,
sur la pierre ou sur l'écorce des frênes ; de là les
runes
des
Celtes. Le métal fondu et forgé, c'était l'instrument
de la guerre ; l'écriture sacrée fut l'origine de la science et
de la tradition
religieuse. La lutte entre la race blanche et la race noire oscilla
pendant de longs siècles des
Pyrénées au
Caucase et du
Caucase
à l'Himalaya. Le salut des Blancs, ce furent leurs
forêts, où
comme des fauves ils pouvaient se cacher pour en rebondir au moment propice. Enhardis,
aguerris, mieux armés de siècle en siècle, ils prirent enfin
leur revanche, renversèrent les cités des Noirs, les chassèrent
des côtes de l'
Europe et envahirent à leur tour le nord de l'Afrique
et le centre de l'Asie occupé par des peuplades mélaniennes.
Le mélange des deux races s'opéra de deux manières
différentes, soit par colonisation pacifique, soit par conquête belliqueuse.
Fabre d'
Olivet, ce merveilleux
voyant du passé préhistorique de
l'humanité, part de cette idée pour émettre une
vue lumineuse
sur l'origine des peuples dits
sémitiques et des peuples aryens. Là
où les colons blancs se seraient soumis aux peuples noirs en acceptant
leur domination et en recevant de leurs
prêtres l'
initiation religieuse,
là se seraient formés les peuples
sémitiques, tels que les
Egyptiens d'avant Ménès, les Arabes, les
Phéniciens, les
Chaldéens et les Juifs. Les civilisations aryennes, par contre, se seraient
formées là où les Blancs auraient régné sur
les Noirs par la guerre ou par la conquête, comme les Iraniens, les Indous,
les Grecs, les
Etrusques. Ajoutons que sous cette dénomination des peuples
ariens, nous comprenons aussi tous les peuples blancs restés à l'état
barbare et nomade dans l'antiquité, tels que les
Scythes, les Gètes,
les Sarmates, les
Celtes et, plus tard, les Germains. Par là s'expliquerait
la diversité fondamentale des
religions et aussi de l'écriture chez
ces deux grandes catégories de nations. Chez les
Sémites où
l'intellectualité de la race noire a dominé primitivement, on remarque,
au-dessus de l'
idolâtrie populaire, une tendance au
monothéisme,
le principe de l'unité du
Dieu caché, absolu et sans forme,
ayant été un des dogmes essentiels des
prêtres de la race
noire et de leur
initiation secrète. Chez les Blancs vainqueurs ou restés
purs, on remarque au contraire la tendance au
polythéisme, à la
mythologie, à la personnification de la divinité, ce qui provient
de leur
amour pour la nature et de leur culte passionné pour les ancêtres.
La différence principale entre la manière d'écrire
des
Sémites et celle des Aryens s'expliquerait par la même cause.
Pourquoi tous les peuples
sémitiques écrivent-ils de droite à
gauche, et pourquoi tous les peuples aryens écrivent-ils de gauche à
droite ? La raison qu'en donne Fabre d'
Olivet est aussi curieuse qu'originale.
Elle évoque devant nos yeux une véritable vision de ce passé
perdu.
Tout le monde sait que dans les temps préhistoriques
il n'y avait point d'écriture vulgaire. L'usage ne s'en répandit
qu'avec l'écriture phonétique ou l'art de figurer par des lettres
le son même des mots. Mais l'écriture hiéroglyphique ou l'art
de représenter les choses par des signes quelconques est aussi vieille
que la civilisation humaine. Et toujours, en ces temps primitifs, elle fut le
privilège du sacerdoce, étant considérée comme chose
sacrée, comme fonction
religieuse et primitivement comme inspiration divine.
Lorsque, dans l'hémisphère austral, les
prêtres de la race
noire où sudéenne traçaient sur des peaux de bêtes
ou sur des tables de pierres leurs signes mystérieux, ils avaient l'habitude
de se tourner vers le pôle sud ; leur main se dirigeait vers l'Orient, source
de la lumière. Ils écrivaient donc de droite à gauche. Les
prêtres de la race blanche ou nordique apprirent l'écriture des
prêtres
noirs et commencèrent par écrire comme eux. Mais lorsque le sentiment
de leur origine se fut développé en eux avec la conscience nationale
et l'orgueil de la race, ils inventèrent des signes à eux, et au
lieu de se tourner vers le Sud, vers le pays des Noirs, ils firent face au Nord,
au pays des Ancêtres, en continuant à écrire vers l'Orient.
Leurs caractères coururent alors de gauche à droite. De là
la direction des
runes celtique du
zend, du sanscrit, du grec, du latin et de
toutes les écritures des races aryennes. Elles courent vers le
soleil,
source de la vie terrestre mais elles regardent le Nord, patrie des ancêtres
et source mystérieuse des aurores célestes.
Le courant
sémitique et le courant aryen, voilà
les deux
fleuves par lesquels nous sont venues toutes nos idées, mythologies
et
religions, arts, sciences et philosophies. Chacun de ces courants porte avec
lui une
conception opposée de la vie, dont la réconciliation et
l'
équilibre seraient la vérité même. Le courant
sémitique
contient les principes absolus et supérieurs : l'idée de l'unité
et de l'universalité au nom d'un principe suprême qui conduit, dans
l'application, à l'unification de la famille humaine. Le courant aryen
contient l'idée de l'évolution ascendante dans tous les règnes
terrestres et supraterrestres, et conduit dans l'application à la diversité
infinie des développements au nom de la richesse de la nature et des aspirations
multiples de l'
âme. Le génie
sémitique descend de
Dieu à
l'homme ; le génie aryen remonte de l'homme à
Dieu. L'un se figure
par l'
archange justicier, qui descend sur la terre armé du
glaive et de
la foudre : l'autre par Prométhée qui tient à la main le
feu ravi du
ciel et mesure l'
Olympe du regard.
Ces deux génies nous les portons en nous. Nous pensons
et nous agissons tour à tour sous l'empire de l'un et de l'autre. Mais
ils sont enchevêtrés, non fondus dans notre intellectualité.
Ils se contredisent et se combattent dans nos sentiments intimes et dans nos pensées
subtiles comme dans notre vie sociale et dans nos institutions. Cachés
sous des formes multiples qu'on pourrait résumer sous les noms génériques
de spiritualisme et de naturalisme, ils dominent nos discussions et nos luttes.
Inconciliables et invincibles tous deux, qui les unira ? Et cependant l'avancement,
le salut de l'humanité dépend de leur conciliation et de leur synthèse.
C'est pour cela que, dans ce livre, nous voudrions remonter jusqu'à la
source des deux courants, à la naissance des deux génies. Par delà
les mêlées de l'
histoire, les guerres des cultes, les contradictions
des textes sacrés, nous entrerons dans la conscience même des fondateurs
et des prophètes qui donnèrent aux
religions leur mouvement initial.
Ceux-là eurent l'intuition profonde et l'inspiration d'en haut, la lumière
vivante qui donne l'action féconde. Oui, la synthèse préexistait
en eux. Le rayon divin pâlit et s'obscurcit chez leurs successeurs ; mais
il reparaît, il brille, chaque fois que d'un point quelconque de l'
histoire
un prophète, un héros, ou un
voyant remonte à son foyer.
Car du point de départ seul on aperçoit le but ; du
soleil rayonnant
la course des planètes.
Telle est la révélation dans l'
histoire, continue,
graduée, multiforme comme la nature mais identique dans sa source,
une comme la vérité,
immuable comme
Dieu.
En remontant le courant
sémitique, nous arrivons par
Moïse à l'Egypte, dont les temples possédaient d'après
Manéthon une tradition de trente mille ans. En remontant le courant
aryen, nous arrivons à l'Inde où se développa la première
grande civilisation résultant d'une conquête de la race blanche.
L'Inde et l'Egypte furent deux grandes mères de
religions. Elles eurent
le secret de la grande
initiation. Nous entrerons dans leurs
sanctuaires.
Mais leurs traditions nous font remonter plus haut encore,
à une époque antérieure, où les deux génies
opposés dont nous avons parlé nous apparaissent unis dans une innocence
première et dans une
harmonie merveilleuse. C'est l'époque aryenne
primitive. Grâce aux admirables travaux de la science moderne, grâce
à la
philologie, à la mythologie, à l'ethnologie comparées,
il nous est permis aujourd'hui d'entrevoir cette époque. Elle se dessine
à travers les hymnes védiques qui n'en sont pourtant qu'un reflet,
avec une simplicité
patriarcale et une grandiose pureté de lignes.
Age viril et grave qui ne ressemble à rien moins qu'à l'âge
d'or enfantin rêvé par les poètes. La douleur et la lutte
n'en sont point absentes, mais il y a dans les hommes une confiance, une
force,
une sérénité que l'humanité n'a pas retrouvées
depuis.
En Inde, la pensée s'approfondira, les sentiments
s'affineront. En Grèce, les passions et les idées s'envelopperont
du prestige de l'art et du vêtement magique de la beauté. Mais aucune
poésie ne surpasse certains hymnes védiques en élévation
morale, en
hauteur et en largeur intellectuelle. Il y a là le sentiment
du divin dans la nature, de l'invisible qui l'entoure et de la grande unité
qui pénètre le tout.
Comment une telle civilisation est-elle née ? Comment
une si haute intellectualité s'est-elle développée au milieu
des guerres des races et de la lutte coutre la nature ? Ici s'arrêtent les
investigations et les conjectures de la science contemporaine. Mais les traditions
religieuses des peuples interprétées dans leur sens
ésotérique
vont plus loin et nous permettent de deviner que la première concentration
du noyau aryen dans l'Iran se fit par une sorte de sélection opérée
dans le sein même de la race blanche sous la conduite d'un conquérant
législateur qui donna à son peuple une
religion et une loi conformes
au génie de la race blanche.
En effet le livre sacré des Persans, le
Zend-Avesta
parle de cet antique législateur sous le nom de Yima, et
Zoroastre en
fondant
une
religion nouvelle en appelle à ce prédécesseur comme
au premier homme auquel parla
Ormuzd, le
Dieu vivant, de même que Jésus-Christ
en appelle à Moïse. Le poète persan Firdousi nomme ce
même législateur : Djem, le conquérant des Noirs. Dans
l'épopée indoue, dans le
Ramayana,
il apparaît sous le nom de Rama costumé en roi indien, entouré
des splendeurs d'une civilisation avancée ; mais il y conserve ses deux
caractères distinctifs de conquérant rénovateur et d'
initié.
Dans les traditions égyptiennes, l'époque de Rama est désignée
par le règne d'Osiris, le seigneur de la lumière, qui précède
le règne d'Isis, la reine des mystères. En Grèce enfin,
l'ancien héros demi-dieu était honoré sous le nom de
Dionysos
qui vient du sanscrit
Déva Nahousha, le divin rénovateur.
Orphée donna même ce nom à l'Intelligence divine et le poète
Nonnus chanta la conquête de l'Inde par
Dionysos selon les traditions d'
Eleusis.
Comme les rayons d'un même cercle, toutes ces traditions
désignent un centre commun. En suivant leur direction, on peut y parvenir.
Alors, par de là l'Inde des Védas, par delà l'Iran de
Zoroastre,
dans l'aube crépusculaire de la race blanche, on voit sortir des
forêts
de l'antique
Scythie le premier créateur de la
religion aryenne ceint de
sa double tiare de conquérant et d'
initié, portant dans sa main
le
feu mystique, le
feu sacré qui illuminera toutes les races.
C'est à Fabre d'
Olivet que revient l'honneur d'avoir
retrouvé ce personnage
(10) ; il a frayé la route lumineuse qui
y conduit et c'est en la suivant que j'essayerai à mon tour de l'évoquer.
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(5) Cette
division de l'humanité
en quatre races successives et originaires était admise par les plus anciens
prêtres de l'Egypte. Elles sont représentées par quatre figures
à types et à teintes différents dans les peintures du tombeau
de Séti Ier à Thèbes. La race rouge porte le nom de
Rot
; la race asiatique, au teint jaune, celui d'
Amou ; la race africaine,
au teint noir, celui de
Halasiou ; la race lybico-européenne, au
teint blanc, aux
cheveux blonds celui de
Tamahou. Lenormant,
Histoire
des peuples d'Orient, I.
(6) Voir les
historiens arabes,
ainsi que Aboul-Ghazi,
Histoire généalogique des Tartares,
et Mohammed Moshen,
historien des Persans. William Jones,
Asiatic
Reseaches. I. Discours sur les Tartares et les Persans.
(7) Histoire philosophique du genre humain, tome Ier.
(8) Tous ceux qui ont vu une véritable somnambule ont été frappés de la singulière
exaltation intellectuelle qui se produit dans son sommeil lucide. Pour ceux qui n'ont pas été témoins de pareils phénomènes et qui en douteraient, nous citerons un passage du célèbre David Strauss qui n'est pas suspect, de superstition. Il vit chez son ami le docteur Justinus Kerner la célèbre « voyante de Prévorst » et la décrit ainsi : « Peu après, la visionnaire tomba dans un sommeil magnétique. J'eus ainsi pour la première fois le spectacle de cet état merveilleux, et, je puis le dire, dans sa plus pure et sa plus belle manifestation. C'était un visage d'une expression souffrante, mais élevée et tendre, et comme inondé d'un rayonnement céleste ;
une langue pure, mesurée solennelle, musicale, un sorte de récitatif ; une abondance de sentiments qui débordaient et qu'on aurait pu comparer à des bandes de nuées, tantôt lumineuses, tantôt sombres, glissant au-dessus de l'
âme, ou bien encore
à des brises mélancoliques et sereines s'engouffrant dans les cordes d'une merveilleuse harpe éolienne. » (Trad. R. Lindau,
Biographie générale, art.
Kerner.)
(9) Voir la dernière bataille entre Arioviste et César dans les
Commentaires de celui-ci.
(10) Histoire philosophique du genre humain, Tome Ier.