INTRODUCTION
L'
Alchimie est la science la plus nébuleuse que nous ait léguée le
Moyen-Age. La Scholastique avec son argumentation infiniment subtile, la
Théologie avec sa
phraséologie ambiguë, l'Astrologie si vaste et si compliquée, ne sont que
jeux d'enfants, comparées à l'
Alchimie.
Ouvrez un de ces
vénérables traités
hermétiques du XVème ou du XVIème siècles et lisez ! Si vous n'avez fait des études spéciales sur le sujet, si vous n'êtes déjà
initiés à la terminologie alchimique, si enfin vous n'avez une certaine connaissance de la chimie inorganique, vous
fermerez bientôt le volume déçus et découragés.
Quelques-uns diront que ces
allégories sont vides de sens, que ces
symboles mystérieux sont des figures faites à plaisir. Il
est facile de dédaigner une chose que l'on n'entend pas, mais ils sont peu nombreux ceux que la résistance irrite et qui aiment la lutte. Ceux-là sont des élus de la science ; ils ont la persévérance qui est la
première vertu du savant. Qu'un problème se présente à eux, ils travailleront sans relâche à en trouver la solution : l'
illustre
chimiste Dumas, parlant d'un fait, mit dix ans pour découvrir la loi des substitutions !
Les traités
hermétiques sont obscurs, il est vrai, mais sous cette obscurité se cache la lumière. Une fois la théorie alchimique connue, possédant la
clef des principaux
symboles, vous pourrez hardiment entreprendre la lecture de
Raymond Lulle,
Paracelse,
Bernard le
Trévisan, Flamel,
Roger Bacon,
Philalèthe. Ce qui vous paraissait vide de sens, vous le trouverez logique, ces
symboles qui vous étonnaient, vous les lirez comme Marielle lisait les
hiéroglyphes, vous éprouverez un grand plaisir à déchiffrer vous-même, à épeler pour ainsi dire cette langue inconnue, à marcher pas à pas, mais sûrement vers la lumière.
II
Comme bien d'autres sciences, l'
Alchimie est née dans l'antique Egypte. A l'origine, la connaissance en était réservée aux
prêtres et aux
initiés qui n'opéraient qu'avec le plus grand mystère dans le silence des
sanctuaires. Vint la conquête romaine, les secrets
isiaques passèrent aux
néo-platoniciens et aux
gnostiques. C'est de cette époque (IIème et IIIème siècles de l'ère chrétienne) que date véritablement l'
Alchimie. C'est alors que furent écrits les premiers traités alchimiques. Quelques-uns nous sont parvenus sous les noms d'Ostanès, Pélage, le pseudo-Démocrite, Synésius,
Zosime,
Hermès, l'Anonyme chrétien, Cléopâtre. Ces traités, où l'art de faire de l'or se trouve à côté de recettes métallurgiques et économiques, ont été étudiés et mis au
jour par M. Berthelot dans son
Introduction à l'étude de la Chimie et surtout dans sa
Collection des alchimistes grecs. L'on peu constater que dès lors l'
Alchimie est constituée de toutes pièces, ses théories traverseront les âges sans changer, jusqu'à notre grand Lavoisier.
Puis les Barbares envahissent l'
Europe ; les sciences, les arts, les lettres sont morts en Occident. C'est en Orient que nous les retrouvons entre les mains des Arabes. Leurs chimistes, observateurs patients et opérateurs habiles, accrurent le domaine de la science et la débarrassèrent de ses
éléments étrangers : magie, cabale et
mysticisme. Le plus célèbre d'entre eux est
Geber, qui parle le premier de l'
acide azotique et de l'
eau régale. Qu'il nous suffise de citer à côté de lui quelques noms : Avicenne, Rhasès, Alphidius, Calid, Morien, Avenzoar.
Avec les Arabes finissent les débuts de l'
Alchimie ; elle va désormais marcher à grands pas vers son apogée.
Dans l'
Europe, débarrassée des terreurs de l'An Mil, il y eut comme une sorte de Renaissance (que l'on nous pardonne cet
anachronisme qui rend bien la chose). Les
croisades avaient permis à l'Occident d'acquérir la gloire et science. Ce que les
Croisés rapportèrent de plus en plus
précieux, ce furent les uvres d'Aristote et les traités des alchimistes arabes.
La Philosophie prit un nouvel essor et l'
Alchimie compta en
Europe ses premiers grands maîtres : Alain de
Lille,
Albert le grand,
Roger Bacon, saint Thomas d'
Aquin,
Raymond Lulle ! La voie était désormais largement ouverte, non seulement à l'
Alchimie mais à toutes les sciences de l'observation :
Roger Bacon et
Albert le grand n'avaient-ils pas substitué l'expérience
à l'autorité des anciens ?
Les alchimistes se multiplient, surtout à la fin du XIVème et du
XVème siècle : en Angleterre, Georges Riplée, Norton, Bartholomée ; en France,
Bernard le
Trévisan, le célèbre Nicolas Flamel ; en Allemagne, Eck de Sultzbach, Ulsted, Tritheim, Basile valentin, Isaac le Hollandais.
III
Avec Basile valentin, nous entrons dans une ère nouvelle, l'
Alchimie tend au
mysticisme, elle s'allie de nouveau, comme dans son enfance, avec la cabale et la magie, en même temps la chimie proprement dite apparaît et peu à peu se sépare de sa mère.
Le représentant le plus
illustre de l'
Alchimie au
XVIème siècle est
Paracelse. Jamais réformateur ne fut plus violent, jamais homme n'eut d'amis aussi enthousiastes et d'
ennemis aussi acharnés. Un volume entier ne suffirait pas à énumérer les uvres de ses
disciples et les pamphlets de ses détracteurs. Les plus connus des paracelsistes furent Thurneysser, Croll, Dorn, Roch-le-Baillif,
Bernard Penot, Quercetanus et surtout Librarius. Les autres alchimistes de cette époque n'appartenant à aucune école sont le fameux
Denys Zachaire, Blaise de Vigenère, Barnauld, Grosparmy, Vicot, Gaston Claves ou Dulco, Kelley, Sendivogius ou le Cosmopolite. On peut mettre à côté d'eux Jean-Baptiste
Porta, l'auteur bien connu de la
Magie naturelle et de la
Physionomie humaine.
Au
XVIIème siècle, l'
Alchimie est dans tout son éclat ; des
adeptes sillonnent l'
Europe, démontrant la vérité de la science d'
Hermès par des transmutations réellement étonnantes. Véritables apôtres, vivant pauvrement, se cachant sous une misérable apparence, ils vont par les grandes villes, ne s'adressent qu'aux savants ; leur unique désir est de démontrer la vérité de l'
Alchimie par les faits. C'est ainsi que Van Helmont, Bérigard de
Pise, Crosset de la Haumerie, Helvétius furent convertis à l'
Alchimie. Le résultat fut atteint, la soif de l'or s'empara du monde entier, tous les
couvents ont un laboratoire, les princes et les rois en compagnie d'Alchimistes à gage travaillent au Grand uvre, les médecins surtout et les pharmaciens s'adonnent à l'hermétisme. En même temps paraît la fameuse société des Rose-Croix sur laquelle on ne sait encore aujourd'hui rien de bien certain.
Les traités d'
Alchimie qui ont vu le
jour au
XVIIème siècle sont innombrables, mais il n'y a pas de grand noms à citer, sauf
Philalèthe, le président
d'Espagnet et
Michael Maier. Au second rang, nous trouvons : Chartier, Nuysement, Colleson, d'Atremont, Salmon, Helias, Barchusen, Planiscampi,
Saint Romain, etc.
IV
Au
XVIIIème siècle, l'
Alchimie est en pleine décadence. La chimie a progressé au contraire, elle s'est constituée en science, les découvertes se succèdent, les faits s'entassent. L'
Alchimie a bien encore des partisans, mais ils se cachent déjà pour travailler, on les regarde comme des insensés. Il n'y a plus d'
adeptes, on se contente de réimprimer des traités anciens, ou de produire au
jour des compilations sans valeur aucune. Peu de noms à citer :
Pernety, Respour, Lenglet Dufresnoy, auteur de l'
histoire de la philosophie
hermétique, Libois,
Saint-Germain. L'
histoire de l'
Alchimie au
XVIIIème siècle finit avec deux charlatans, Cagliostro
(1) et Etteila.
Dans notre siècle, l'
Alchimie semble morte ; ce n'est plus qu'une science curieuse, intéressante à connaître pour l'
histoire de la chimie. D'alchimistes attachés à l'antique doctrine, nous n'en trouvons que deux : Cyliani et Cambriel. Quant à Tiffereau et à Louis Lucas, c'est sur la chimie moderne qu'ils s'appuient pour arriver aux mêmes conclusions que les alchimistes proprement dits, car chose curieuse, les dernières découvertes de la science tendent à démontrer l'unité de la matière et par conséquent la possibilité de la transmutation. Il est vrai que Pythagore
avait déjà dit positivement que la terre tourne autour du
soleil, et après deux mille ans d'erreur Copernic rétablit cette vieille vérité !
V
Quelques mots maintenant sur ce livre. On s'est efforcé de le rendre aussi clair que possible, mais toutes choses s'y enchaînant rigoureusement comme en une démonstration, il est nécessaire de le lire avec attention et méthode. Les gravures ont été reproduites par des procédés phototypiques, elles ne laissent donc rien à désirer pour l'exactitude. Les nombreuses citations qui étaient indispensables pour appuyer ce que nous avançons ont été traduites fidèlement, ou, si elles étaient en vieux français, reproduites avec leur orthographe.
On trouvera à la fin du volume, un dictionnaire résumant la signification des
symboles hermétiques les plus communs, une liste des auteurs cités dans ce volume et un essai sur la bibliographie
alchimique de notre siècle, enfin une table analytique très détaillée.
Cet ouvrage continue une série d'études sur l'
Alchimie, série que nous avions commencée par la publication des Cinq
traités d'
Alchimie. Nous nous proposons de livrer successivement : l'
histoire de l'
Alchimie depuis l'antiquité jusqu'à nos
jours, puis une étude sur les laboratoires alchimiques, les instruments et les opérations chimiques des Philosophes
hermétiques.
Albert POISSON
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(1) Note FS : Contrairement à ce que disent
Albert Poisson et beaucoup d'autres, Cagliostro fut un authentique
Adepte.