Biographie universelle ancienne et moderne Tertullien (Quintus Septimus Florens Tertullianus), l'un des plus
illustres docteurs de l'Eglise, était né vers l'an 160, à Carthage. La mort de son père, centenier dans une
légion du proconsul d'Afrique, le laissa fort jeune aux soins de sa mère. qui le fit élever avec soin. Doué d'un
esprit pénétrant, d'une vaste mémoire et d'une imagination vive, il fit de rapides progrès dans toutes les sciences, mais particulièrement dans l'éloquence et la philosophie. Il approfondit les systèmes des différentes sectes qui régnaient alors dans les écoles, et sut démêler dans les
fables de la
théologie païenne les vérités qu'elles enveloppaient. La connaissance qu'il montra des lois romaines a donné lieu de conjecturer qu'il avait fait de la jurisprudence une étude spéciale et qu'il suivit quelque temps la carrière du barreau, mais on n'en trouve aucune preuve
(1). Touché de la constance des
martyrs, il embrassa le christianisme dont il avait été jusqu'alors l'adversaire, se permettant de jeter le ridicule sur les dogmes et sur les cérémonies de l'
Eglise. Il a rendu compte des motifs de sa conversion dans l'écrit qu'il publia pour justifier les chrétiens des absurdes imputations de leurs
ennemis. C'est à l'époque des proscriptions ordonnées par Plautien, cet indigne favori de Sévère (vers l'an 200), que
Tertullien com son éloquente
Apologie, regardée comme l'un des monuments les plus précieux de l'antiquité chrétienne. Quelques critiques prétendent qu'il se trouvait alors à Rome et que c'est au sénat, ou, suivant d'autres, à Plautien lui-même, qu'il adressa cet ouvrage. Mais il paraît plus vraisemblable qu'il n'avait point encore quitté Carthage.
Tertullien était marié ; mais il se sépara de sa femme, dont il n'avait pas eu d'
enfants, pour se consacrer à l'état ecclésiastique. On ne s'accorde ni sur le lieu ni sur l'époque où il fut ordonné
prêtre. Il avait été témoin des
jeux que l'empereur Sévère fit célébrer à Rome en l'an 204 ; c'est à cette occasion qu'il composa son
Traité contre les spectacles. Le rigorisme qu'affichait
Tertullien déplut au clergé de Rome, et il ne tarda pas à repasser en Afrique, mécontent de tout ce qu'il avait vu. Ce fut alors qu'il adapta les principes de Montan. Le désir d'une plus grande perfection l'avait entraîné dans l'erreur ; mais il y persista par orgueil, et il brava les censures de l'
Eglise, dont il avait montré naguère un salutaire effroi. Il prit le
pallium ou manteau des anciens philosophes, et prétendit justifier la singularité de son costume dans un ouvrage plein d'érudition, mais écrit avec une légèreté inconcevable de la part d'un homme de son caractère. Quoique séparé de l'
Eglise, il ne cessa pas de la servir par ses ouvrages, en attaquant toutes les erreurs qui tendaient à s'établir en Afrique. Il finit par se séparer des
montanistes ; mais ce fut pour former une secte nouvelle, dont on trouvait encore des traces à Carthage du temps de saint Augustin.
Tertullien parvint à un âge très avancé. On place sa mort vers l'an 245.
Il n'est aucun écrivain ecclésiastique dont on ait dit plus de bien et plus de mal, et on a pu le faire sans blesser absolument la justice et la vérité
(2).
Son zèle outré et son obstination l'ont jeté sans doute dans des erreurs graves, mais l'obscurité de son style lui en a fait attribuer plusieurs sans aucun fondement. C'est ainsi qu'on lui a reproché d'avoir dit que l'
âme est corporelle, parce qu'on n'a pas fait attention qu'il s'est servi du mot
corps dans le sens de
substance.
Tertullien s'était fait une langue particulière, comme on le voit par le
Glossaire africain qu'en a
composé Rigault
(3), et il faut l'avoir étudié attentivement pour pouvoir se flatter de le comprendre. Tous ses ouvrages se distinguent par l'érudition ; son style, quoique obscur, est énergique et précis ; il ne manque ni d'ordre ni de méthode ; et ses raisonnements, moins solides que brillants, sont toujours présentés avec beaucoup de
force et de vivacité. Malgré ses défauts,
Tertullien a toujours été regardé comme l'un des plus grands écrivains du christianisme.
Vincent de Lérins le comparaît à Origène ; ce que celui-ci, dit-il, a été parmi les Grecs,
Tertullien l'a été parmi les Latins, c'est-à-dire l'homme le plus éloquent et le plus grand génie.
Saint Cyprien le nommait son maître
(4). Dans les temps plus rapprochés de nous, il compte aussi de nombreux admirateurs, parmi lesquels nous citerons Bossuet, qui en a parlé avec enthousiasme dans plusieurs de ses écrits, et Chateaubriand, qui a appelé le
Bossuet de l'Afrique.
Il nous reste à faire connaître ses ouvrages
(5) : l'
Apologétique ; c'est l'un des premiers et des plus célèbres écrits de
Tertullien. Tous les critiques s'accordent à le regarder comme un chef-d'uvre d'éloquence et de raison. Jamais la cause du christianisme n'a été défendue avec plus de
force et de dignité.
2° Deux livres
Contre les Gentils ; le premier est une réfutation solide des calomnies contre les chrétiens ; et le second la critique des croyances du
paganisme ;
3° Traité du témoignage de l'âme. Il y prouve que les lumières naturelles suffisent pour reconnaître la vérité du dogme de l'unité de
Dieu.
4° Remontrance à Scapula, proconsul d'Afrique, pour l'engager à faire cesser la persécution contre les chrétiens ;
5° Traité contre les spectacles ;
6° Traité de l'idolâtrie ;
7° De la couronne ; il l'écrivit pour justifier le refus qu'avait fait un soldat chrétien de se couronner de
fleurs dans une cérémonie publique ;
8° Traité du pallium ou manteau. Il y rend compte des motifs qui l'ont déterminé prendre ce vêtement, qui n'était point celui des ecclésiastiques.
9° Traité de la pénitence ;
10° Traité de la prière ;
11° Exhortation aux martyrs ;
12° Traité de la patience. On y trouve un portrait admirable de
Job.
13° De la parure des femmes ;
14° Deux livres à sa femme ; dans le premier, il l'engage à rester veuve s'il meurt avant elle ; et dans le second, il l'exhorte à n'
épouser du moins qu'un chrétien ;
15° Du voile des vierges ;
16° Traité contre les juifs ; c'est un modèle de controverse ;
17° Traité des prescriptions ; il y prouve qu'on ne doit point discuter avec les hérétiques, mais qu'il faut leur opposer la tradition et l'autorité de l'
Eglise ;
18° Traité du baptême ; il en démontre la nécessité absolue pour être sauvé, contre le sentiment des
caïnites ;
19° Traité contre Hermogène ; c'était un philosophe qui soutenait, avec les
stoïciens, l'éternité de la matière ;
20° Traité contre les valentiniens ; ceux-ci prétendaient trouver dans les uvres de Platon tous les dogmes du christianisme ;
21° Traité de l'âme ; il prouve qu'elle est immatérielle ; c'est un des livres de
Tertullien qu'on n'a pas entendus ;
22° Traité de la chair de Jésus-Christ ; il y combat divers hérétiques qui avançaient que Jésus-Christ n'avait eu que l'apparence d'un
corps ;
23° De la résurrection de la chair ;
26° Cinq livres contre Marcion. Cet ouvrage, quoique
composé par
Tertullien depuis sa chute, est un des trésors de l'ancienne
théologie.
25° Le Scorpiaque, c'est-à-dire le Préservatif contre les piqûres des scorpions. Par ce nom, il désigne les
gnostiques et les
caïnites, qui soutenaient qu'on ne doit point s'exposer au
martyre pour la foi.
26° Traité contre Praxéas ; celui-ci n'admettait pas le dogme de la
Trinité ;
27°
Exhortation à la chasteté ;
28° De la monogamie ; il y établit qu'il n'est permis de se marier qu'une seule fois, et que les secondes noces sont autant d'adultères ;
29° De la fuite des persécutions ; suivant
Tertullien, on doit les braver ;
30° Des jeûnes ; il ajoute à ceux qui sont prescrits par l'
Eglise et en augmente la sévérité ;
31° De la chasteté ; il soutient qu'on ne peut absoudre ceux qui se sont rendus coupables d'impureté.
Tertullien avait écrit plusieurs ouvrages en grec et quelques autres en latin qui ne nous sont pas parvenus. On a publié sous son nom plusieurs poèmes, mais il est reconnu qu'il n'en est pas l'auteur.
B. Rhenanus a donné le premier les
uvres de
Tertullien,
Bâle, Froben, 1521, in-fol., avec une préface et des notes. Cette édition a été reproduite,
Paris, 1566, 2 vol. in-8°. Colomiès cite cette réimpression pour la beauté des caractères et pour les notes de Rhenanus (
Bibliothèque choisie, p. 228). Les éditions de
Tertullien publiées par J. Pamèle et par le P. la Cerda ne sont point estimées ; mais celle qu'on doit au savant Rigault,
Paris, 1628, n'a pas encore été surpassée ; elle a été reproduite plusieurs fois. Indépendamment des réimpressions de
Paris, 1641, 1664, 1675, in-fol., on recherche celle de
Venise, 1746, in-fol., qui est augmentée des
Notes de Sigeb. Havercamp sur l'
Apologétique, et de la
Dissertation de Mosheim sur le temps où
Tertullien a
composé cet ouvrage. La nouvelle édition publiée par J.-Sal. Semler, Halle, 1770, 6 part., in-8°, n'est pas complète, non plus que celle de Wibourg, 1780, 1781, 2 vol. in-8°, revue par Oberthur
(6). On estime l'édition de Fr. Oehler, Leipsick, 1851-1853, 3 vol. in-8° ; elle a été reproduite, mais moins étendue, dans la même ville, 1854, in-8°.
Tertullien se trouve également dans la
Patrologia, publiée par l'abbé Migne, à
Paris. Une édition de l'
Apologie, accompagnée de notes nombreuses, en anglais, et d'une préface, a été mise au
jour par H.-A. Woodham, Cambridge, 1843, in-8°. Les
uvres de
Tertullien font aussi partie de la
Bibliotheca patrum latinorum selecta, de Léopold, Leipsick, 1839-1841, 4 vol. Saumaise a publié séparément le
Traité du manteau, avec des notes, Leyde, 1656, in-8° ; et Sig. Havercamp l'
Apologétique, ibid., 1718, in-8°. Ces deux éditions font partie de la collection des
Variorum (7). On cite une édition du
Traité des prescriptions, avec des notes, Saltzbourg, 1752, in-8° (
Bibliothèque sacrée, par Nodier).
Plusieurs ouvrages de
Tertullien ont été traduits en français : l'
Apologétique, par Audebert Maceré,
Paris, 1562, in-8° (Voyez la
Bibliothèque de Duverdier) ; par Vassoult,
Paris, 1714 ou 1715, in-4° (Voyez
Vassoult) ; par l'abbé de Gourcy,
Paris 1780,
in-12 ; par l'abbé Meunier, 1822,
in-12 ; par l'abbé J.-F. Allard,
, 1827, in-8°, édition précédée de l'examen des traductions antérieures et d'une introduction ; elle est également accompagnée d'un commentaire ; le
Traité des prescriptions, par la Broue, 1612, in-8° ; par Hébert, 1683,
in-12 ; par Brayer,
chanoine de
Troyes, à la suite de la
Vie de saint Prudence, 1725,
in-12 ; et par l'abbé de Gourcy avec l'ouvrage précédent
(8) ; les
Traités sur l'ornement des femmes, les spectacles, le baptême et la patience, par le P. Matth. Caubère,
jésuite,
Paris, 1733. in-8° ; le
Traité du Manteau, par Manessier,
Paris, 1665,
in-12 ; le
Livre de la pénitence avec l'
Exhortation aux martyrs, par le même, 1667,
in-12 ; l'
Exhortation aux martyrs, par Colomiès, à la suite de la
Bibliothèque choisie, pp. 321-336 ; le
Traité de la patience et de l'oraison, ou de la prière, par Hobier,
Paris, 1640,
in-12 ;
De la chair de Jésus-Christ, par Louis
Giry, ibid., 1661,
in-12 ;
De la couronne du soldat, par Audebert Maceré,
Paris, 1572, in-8°, et par Louis Richeome,
Bordeaux, 1594, in-8° ; un extrait du
Traité contre Marcion, par l'abbé de Gourcy, dans les
Anciens apologistes de la religion chrétienne. Les
uvres de
Tertullien, traduites par M. de Genoude,
Paris, 1841, 3 vol. in-8°, ont été réimprimées à
Besançon en 1852. Les
uvres choisies, jointes à celles de saint Augustin, forment un volume, publié en 1845 et compris dans la collection des auteurs latins traduits sous la direction de M. Nisard. La traduction de l'
Apologétique est nouvelle. Ce dernier ouvrage, joint à quelques autres traités, a paru, en français seulement, dans le volume des
uvres de Tertullien édité par le libraire Charpentier,
Paris, 1845,
in-12. Les
Démonstrations évangéliques, accompagnées de notes, ont été insérées dans la collection mise au
jour par l'abbé Migne, 1848, grand in-8°. On trouve des analyses des ouvrages de
Tertullien dans la
Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques de Dupin ; dans l'
Histoire des auteurs ecclésiastiques de
dom Ceillier, t. 2, pp. 374-529 ; dans les
Bibliothèques des Pères, de Tricalet et de l'abbé
Guillon, etc. Outre la
Vie de Tertullien, par Thomas du
Fossé, on peut consulter les auteurs cités dans le
Catalogue de Bunaw et dans l'
Onomasticon de Sax. Néander a publié un
Antignosticus ; Esprit de Tertullien, Berlin, 1825.
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(1) Quelques savants conjecturent qu'on a confondu
Tertullien avec
Tertyllus, jurisconsulte distingué.
(2) Voyez le
Dictionnaire théologique de Bergier, au mot
Tertullien.
(3) Voyez le
Glossaire africain, dans les différentes éditions de
Tertullien, par Rigault.
(4) Lorsque ce saint docteur demandait les uvres de
Tertullien, il avait coutume de dire :
Donnez-moi le maître.
(5) Nous avons suivi l'ordre adopté par Rigault : mais Tillemont a donné la table chronologique des ouvrages de
Tertullien, dans les
Mémoires pour servir à l'histoire de l'Eglise, t. 3, p. 670. Godescard a distingué les ouvrages que
Tertullien a publiés avant, de ceux qu'il a donnés après sa chute.
(6) Dom Charpentier,
bénédictin de la congrégation de St-Maur, travaillait, en 1720, à une édition de
Tertullien ; mais elle n'a point paru.
(7) On a joint à cette édition de l'
Apologétique la dissertation de Mosheim, citée plus haut.
(8) On a réimprimé l'
Apologétique et les prescriptions ; traduction de l'abbé de Gourcy, revus et corrigée (par Breghot du
Lut),
Lyon, 1823, in-8°, volume qui contient, en regard de la traduction, le texte de
Tertullien et, à la suite, une traduction nouvelle, par M. A. Péricaud, de l'
Octavius de
Minutius Félix.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 41 - Pages 182-184)