LIVRE V
ORPHÉE LES MYSTÈRES DE DIONYSOS
I LA GRÈCE PRÉHISTORIQUE LES BACCHANTES APPARITION D'ORPHÉE
Dans les sanctuaires d'Apollon qui possédaient la tradition orphique, une fête mystérieuse se célébrait à l'équinoxe du printemps. C'était le moment où les narcisses refleurissaient près de la fontaine de Castalie. Les trépieds, les lyres du temple vibraient d'elles-mêmes et le Dieu invisible était sensé revenir du pays des Hyperboréens, sur un char traîné par des cygnes. Alors, la grande prêtresse vêtue en Muse, couronnée de lauriers, le front ceint des bandelettes sacrées, chantait devant les seuls initiés la naissance d'Orphée, fils d'Apollon et d'une prêtresse du Dieu. Elle invoquait l'âme d'Orphée, père des mystes, sauveur mélodieux des hommes ; Orphée souverain, immortel et trois fois couronné, dans les enfers, sur la terre et dans le ciel ; marchant, une étoile au front, parmi les astres et les Dieux.
Le chant
mystique de la
prêtresse de
Delphes faisait allusion à l'un des nombreux secrets gardés par les
prêtres
d'
Apollon et ignorés de la foule. Orphée fut le génie animateur de la Grèce sacrée, l'éveilleur de son
âme divine.
Sa lyre aux sept cordes embrasse l'univers. Chacune d'elles répond à un mode de l'
âme humaine, contient la loi d'une science et d'un art. Nous
avons perdu la
clef de sa pleine
harmonie, mais les modes divers n'ont pas cessé
de vibrer à nos oreilles. L'impulsion
théurgique et dionysiaque
qu'Orphée sut communiquer à la Grèce, s'est transmise par
elle à toute l'
Europe. Notre temps ne croit plus à la beauté
dans la vie. Si malgré tout il en garde un profond ressouvenir, une secrète
et invincible espérance, il le doit à ce sublime Inspiré.
Saluons en lui le grand
initiateur de la Grèce, l'Ancêtre de la
Poésie
et de la Musique, conçues comme révélatrices de la vérité
éternelle.
Mais avant de reconstituer l'
histoire d'Orphée du
fond même de la tradition des
sanctuaires, disons ce qu'était la
Grèce à son apparition.
C'était au temps de Moïse, cinq siècles
avant
Homère, treize siècles avant le Christ. L'inde s'enfonçait
dans son
Kali-Youg, en son âge de ténèbres, et n'offrait
plus que l'ombre de son ancienne splendeur. L'Assyrie, qui, par la
tyrannie de
Babylone, avait déchaîné sur le monde le fléau de l'
anarchie,
continuait à piétiner l'Asie. L'Egypte, très grande par la
science de ses
prêtres et par ses pharaons, résistait de toutes ses
forces à cette
décomposition universelle ; mais son action s'arrêtait
à l'
Euphrate et à la Méditerranée. Israël allait
relever dans le désert le principe du
Dieu mâle et de l'unité
divine par la voix tonnante de Moïse ; mais la terre n'avait pas encore entendu
ses échos.
La Grèce était profondément divisée par la
religion et par la politique.
La péninsule montagneuse qui étale ses fines
découpures dans la Méditerranée et qu'entourent des guirlandes
d'îles, était peuplée depuis des milliers d'années
par une poussée de la race blanche, voisine des Gètes, des
Scythes
et des
Celtes primitifs. Cette race avait subi les mélanges, les impulsions
de toutes les civilisations antérieures. Des colonies de l'Inde, de l'Egypte,
de la
Phénicie avaient essaimé sur ses rivages, peuplé ses
promontoires et ses vallées de races, de coutumes, de divinités
multiples. Des flottes passaient, voiles déployées, sous les jambes
du colosse de
Rhodes, posé sur les deux môles de son port. La mer
des Cyclades, où, par les
jours clairs, le navigateur voit toujours quelque
île ou quelque rive surgir à l'
horizon, était sillonnée
par les proues rouges des
Phéniciens et les proues noires des
pirates de
Lydie. Ils emportaient dans leurs
nefs creuses toutes les richesses de l'Asie
et de l'Afrique : de l'ivoire, des poteries peintes, des étoffes de Syrie,
des vases d'or, de la pourpre et des perles souvent des femmes enlevées sur une côte sauvage.
Par ces croisements de races, s'était moulé
un diome harmonieux et facile, mélange de
celte primitif, de
zend, de sanscrit
et de
phénicien. Cette langue, qui peignait la majesté de l'Océan
dans le nom de
Poséidôn et la sérénité
du
ciel dans celui d'
Ouranos, imitait toutes les voix de la nature depuis
le gazouillis des
oiseaux jusqu'au choc des
épées et au fracas de
la tempête. Elle était multicolore comme sa mer d'un bleu intense,
aux azurs changeants, multisonnante comme les vagues qui murmurent dans ses golfes
ou mugissent sur ses récifs innombrables
poluphlosboïo Thalassa,
comme dit
Homère. Avec ces marchands ou ces
pirates, il y avait souvent
des
prêtres qui les dirigeaient et leur commandaient en maîtres. Ils
cachaient précieusement dans leur barque, une image en
bois d'une divinité
quelconque. L'image était grossièrement sculptée sans doute,
et les matelots d'alors avaient pour elle le même
fétichisme que
beaucoup de nos marins ont pour leur madone. Mais ces
prêtres n'en étaient
pas moins en possession de certaines sciences, et la divinité qu'ils emportaient
de leur temple en pays étranger représentait pour eux une
conception
de la nature, un ensemble de lois, une organisation civile et
religieuse. Car
en ces temps, toute la vie intellectuelle descendait des
sanctuaires. On adorait
Junon à
Argos ;
Artémis en
Arcadie ; à
Paphos, à Corinthe,
l'Astarté
phénicienne était devenue l'Aphrodite née
de l'écume des flots. Plusieurs
initiateurs avaient paru en
Attique. Une
colonie égyptienne avait porté à
Eleusis le culte d'Isis
sous forme de Dèmètèr (
Cérès), mère
des
Dieux. Erechtée avait établi entre le mont Hymette et le Pentélique
le culte d'une déesse vierge, fille du
ciel bleu, amie de l'olivier et
de la sagesse. Pendant les
invasions, au premier signal d'alarme, la population
se réfugiait sur l'Acropole et se serrait autour de la déesse comme
autour d'une victoire vivante.
Au-dessus des divinités locales
régnaient quelques
dieux mâles et cosmogoniques. Mais, relégués
sur les hautes
montagnes, éclipsés par le cortège brillant
des divinités féminines, ils avaient peu d'
influence. Le
Dieu solaire,
l'
Apollon delphien (72) existait déjà, mais
ne jouait encore qu'un rôle effacé. Il y avait des
prêtres
de Zeus le Très-Haut, au pied des cimes neigeuses de l'
Ida, sur les
hauteurs
de l'
Arcadie et sous les chênes de Dodone. Mais le peuple préférait
au
Dieu mystérieux et universel, les déesses qui représentaient
la nature en ses puissances ou séduisantes ou terribles. Les
fleuves souterrains
de l'
Arcadie, les cavernes des
montagnes qui descendent jusqu'aux entrailles de
la terre, les éruptions volcaniques dans les îles de la mer
Egée
avaient porté de bonne heure les Grecs vers le culte des
forces mystérieuses
de la terre. Ainsi, dans ses
hauteurs comme dans ses profondeurs, la nature était
pressentie, redoutée et vénérée. Cependant, comme
toutes ces divinités n'avaient ni centre social, ni synthèse
religieuse,
elles se faisaient entre elles une guerre acharnée. Les temples
ennemis,
les cités rivales, les peuples divisés par le
rite, par l'ambition
des
prêtres et des rois, se haïssaient, se jalousaient et se combattaient
en des luttes sanglantes.
Mais, derrière la Grèce, il y avait la Thrace
sauvage et rude.
Vers le Nord, des enfilades de
montagnes couvertes de chênes
géants et couronnées de rochers, se suivaient en croupes onduleuses,
se déroulaient en cirque énormes ou s'enchevêtraient en massifs
noueux. Les vents du
septentrion labouraient leurs flancs chevelus et un
ciel
souvent tempétueux balayait leurs cimes. Pâtres des vallées
et guerriers des plaines appartenaient à cette forte race blanche, à
la grande réserve des
Doriens de la Grèce. Race mâle par excellence,
qui se marque dans la beauté par l'accentuation des traits, la décision
du caractère, et dans la laideur par l'effrayant et le grandiose qu'on
retrouve dans le masque des Méduses et des antiques
Gorgones.
Comme tous les peuples antiques qui
reçurent leur organisation des Mystères, comme l'Egypte, comme Israël,
comme l'
Etrurie, la Grèce eut sa
géographie sacrée, où
chaque contrée devenait le
symbole d'une région purement intellectuelle
et supraterrestre de l'
esprit. Pourquoi la Thrace
(73) fut-elle
toujours considérée par les Grecs comme le pays saint par excellence,
le pays de la lumière et la véritable patrie des Muses ? C'est que
ces hautes
montagnes portaient les plus vieux
sanctuaires de Kronos, de Zeus et
d'Ouranos. De là étaient descendus en rythmes eumolpiques la
Poésie,
les Lois et les Arts sacrés. Les poètes
fabuleux de la Thrace en
font foi. Les noms de Thamyris, de
Linos et d'
Amphion répondent peut-être
à des personnages réels ; mais ils personnifient avant tout, selon
le langage des temples, autant de genres de
poésie. Chacun d'eux consacre
la victoire d'une
théologie sur une autre. Dans les temples d'alors, on
n'écrivait l'
histoire qu'
allégoriquement. L'individu n'était
rien, la doctrine et l'uvre tout. Thamyris, qui chanta la guerre des
Titans
et fut aveuglé par les Muses, annonce la défaite de la
poésie
cosmogonique par des modes nouveaux.
Linus, qui introduisit en Grèce les
chants mélancoliques de l'Asie et fut tué par
Hercule, trahit l'
invasion
en Thrace d'une
poésie émotionnelle, éplorée et voluptueuse,
que repoussa d'abord l'
esprit viril des
Doriens du nord. Il signifie en même
temps la victoire d'un culte lunaire sur un culte solaire.
Amphion, par contre,
qui selon la
légende allégorique mettait les pierres en mouvement
par ses chants et construisait des temples aux sons de sa lyre, représente
la
force plastique que la doctrine solaire et la
poésie dorienne orthodoxe
exercèrent sur les arts et sur toute la civilisation
hellénique.
(74)
Bien autre est la lumière dont reluit Orphée
! Il brille à travers les âges avec le rayon personnel d'un génie
créateur, dont l'
âme vibra d'
amour en ses mâles profondeurs
pour l'Eternel-Féminin et en ses dernières profondeurs lui
répondit cet Eternel-Féminin qui vit et palpite sous une triple
forme dans la Nature, dans l'Humanité et dans le
Ciel. L'adoration des
sanctuaires, la tradition des
initiés, le cri des poètes, la voix
des philosophes et plus que tout le reste : son uvre, la Grèce
organique témoignent de sa vivante réalité !
En ces temps, la Thrace était en proie à une
lutte profonde, acharnée. Les cultes solaires et les cultes lunaires se
disputaient la suprématie. Cette guerre entre les adorateurs du
soleil
et de la
lune, n'était pas, comme on pourrait le croire, la dispute futile
de deux superstitions. Ces deux cultes représentaient deux
théologies,
deux cosmogonies, deux
religions et deux organisations sociales absolument opposées.
Les cultes ouraniens et solaires avaient leurs temples sur les
hauteurs et les
montagnes ; des
prêtres mâles ; des lois sévères. Les
cultes lunaires régnaient dans les
forêts ; dans les vallées
profondes ; ils avaient des femmes pour
prêtresses, des
rites voluptueux,
la pratique déréglée des arts
occultes et le
goût de
l'excitation orgiastique. Il y avait guerre à mort entre les
prêtres
du
soleil et les
prêtresses de la
lune. Lutte des sexes, lutte antique,
inévitable, ouverte ou cachée, mais éternelle entre le principe
masculin et le principe féminin, entre l'homme et la femme, qui remplit
l'
histoire de ses alternatives et où se joue le secret des mondes. De même
que la
fusion parfaite du masculin et du féminin constitue l'
essence même
et le mystère de la divinité, de même l'
équilibre de
ces deux principes peut seul produire les grandes civilisations.
Partout en Thrace comme en Grèce, les
dieux mâles,
cosmogoniques et solaires avaient été relégués sur
les hautes
montagnes, dans les pays déserts. Le peuple leur préférait
le cortège inquiétant des divinités féminines qui
évoquaient les passions dangereuses et les
forces aveugles de la nature.
Ces cultes donnaient à la divinité suprême le sexe féminin.
D'effroyables abus commençaient à en résulter.
Chez les Thraces, les
prêtresses de la
lune ou de la triple
Hécate
avaient fait acte de suprématie en s'appropriant le vieux culte de
Bacchus
et en lui donnant un caractère sanglant et redoutable. En signe de leur
victoire, elles avaient pris le nom de
Bacchantes, comme pour marquer leur maîtrise,
le règne souverain de la femme, sa domination sur l'homme.
Tour à tour magiciennes, séductrices
et sacrificatrices sanglantes de victimes humaines, elles avaient leurs
sanctuaires
en des vallées sauvages et reculées. Par quel charme sombre, par
quelle ardente curiosité hommes et femmes étaient-ils attirés
dans ces solitudes d'une végétation luxuriante et grandiose ? Des
formes nues des danses lascives au fond d'un
bois... puis des rires, un
grand cri et cent
Bacchantes se jetaient sur l'étranger pour le
terrasser. Il devait leur jurer soumission et se soumettre à leurs
rites
ou périr. Les
Bacchantes apprivoisaient des panthères et des
lions
qu'elles faisaient paraître dans leurs fêtes. La nuit, les bras enroulés
de
serpents, elles se prosternaient devant la triple
Hécate ; puis, en
des rondes frénétiques, évoquaient
Bacchus souterrain, au
double sexe et à face de taureau
(75). Mais malheur
à l'étranger, malheur au
prêtre de Jupiter ou d'
Apollon qui
venait les épier. Il était mis en pièces.
Les
Bacchantes primitives furent donc les
druidesse de la
Grèce. Beaucoup de chefs Thraces restèrent fidèles aux vieux
cultes mâles. Mais les
Bacchantes s'étaient insinuées chez
quelques-uns de leurs rois qui unissaient des murs barbares au luxe et aux
raffinements de l'Asie, Elles les avaient séduits par la volupté
et domptés par la terreur. Ainsi les
Dieux avaient divisé la Thrace
en deux camps
ennemis. Mais les
prêtres de Jupiter et d'
Apollon, sur leurs
sommets déserts, hantés par la foudre, devenaient impuissants contre
Hécate qui gagnait dans les vallées brûlantes et qui de ses
profondeurs commençait à menacer les autels des fils de la lumière.
A cette époque, avait paru en Thrace un jeune homme
de race royale et d'une séduction merveilleuse. On le disait fils d'une
prêtresse d'
Apollon. Sa voix mélodieuse avait un charme étrange.
Il parlait des
Dieux sur un rythme nouveau et semblait inspiré. Sa chevelure
blonde, orgueil des
Doriens, tombait en ondes dorées sur ses épaules,
et la musique qui coulait de ses lèvres prêtait un contour suave
et triste aux coins de sa bouche. Ses yeux d'un bleu profond rayonnaient de
force,
de douceur et de magie. Les Thraces farouches fuyaient son regard ; mais les femmes
versées dans l'art des charmes, disaient que ces yeux mêlaient dans
leur philtre d'azur les
flèches du
soleil aux caresses de la
lune. Les
Bacchantes même, curieuses de sa beauté, rôdaient souvent autour
de lui comme des panthères amoureuses, fières de leurs peaux tachetées
et souriaient à ses paroles incompréhensibles.
Subitement ce jeune homme, qu'on appelait
le fils d'Apollon avait disparu. On le disait mort, descendu aux enfers.
Il s'était enfui secrètement en
Samothrace, puis en Egypte, où
il avait demandé asile aux
prêtres de Memphis. Ayant traversé
leurs Mystères, il était revenu au bout de vingt ans sous un nom
d'
initiation, qu'il avait conquis par ses épreuves et reçu de ses
maîtres, comme un signe de sa mission. Il s'appelait maintenant
Orphée
ou
Arpha (76), ce qui veut dire :
celui qui guérit
par la lumière.
Le plus vieux
sanctuaire de Jupiter s'élevait alors
sur le mont Kaoukaïôn. Jadis, ses
hiérophantes avaient été
grands pontifes. Du sommet de cette
montagne, à l'abri des coups de main,
ils avaient régné sur toute la Thrace. Mais depuis que les divinités
d'en bas avaient pris le dessus, leurs adhérents étaient en petit
nombre, leur temple presque abandonné. Les
prêtres du mont Kaoukaïôn
accueillirent l'
initié d'Egypte comme un sauveur. Par sa science et par
son enthousiasme, Orphée entraîna la plus grande partie des Thraces,
transforma complètement le culte de
Bacchus et dompta les
Bacchantes. Bientôt
son
influence pénétra dans tous les
sanctuaires de la Grèce.
Ce fut lui qui consacra la
royauté de Zeus en Thrace, celle d'
Apollon à
Delphes, où il jeta les bases du tribunal des Amphyctions, qui devint l'unité
sociale de la Grèce. Enfin par la création des Mystères,
il forma l'
âme religieuse de sa patrie. Car, au sommet de l'
initiation, il fondit la
religion de Zeus avec celle de
Dionysos dans une pensée universelle. Les
initiés recevaient par ses enseignements la pure lumière des vérités sublimes ; et cette même lumière parvenait au peuple plus tempérée, mais non moins bienfaisante sous le voile de la
poésie et de fêtes enchanteresses.
C'est ainsi qu'Orphée était devenu
pontife de Thrace, grand
prêtre du Zeus
Olympien, et, pour les
initiés, le révélateur du
Dionysos céleste.
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(72) Selon l'antique tradition des Thraces, la
poésie avait été inventée par Olen. Or, ce nom veut dire en
phénicien l'
Etre universel.
Apollon a la même racine.
Ap Olen ou
Ap Wholon signifie
Père universel. Primitivement on adorait à
Delphes l'Etre universel sous le nom d'Olen. Le culte d'
Apollon fut introduit par un
prêtre novateur, sous l'impulsion de la doctrine du verbe solaire qui parcourait alors les
sanctuaires de l'Inde et de l'Egypte. Ce réformateur identifia le Père universel avec sa double manifestation : la lumière hyperphysique et le
soleil visible. Mais cette réforme ne sortit guère des profondeurs du
sanctuaire. Ce fut Orphée qui donna une puissance nouvelle au verbe solaire d'
Apollon, en le ranimant et en l'électrisant par les mystères de
Dionysos. (Voir Fabre d'
Olivet,
Les vers dorés de Pythagore.)
(73) Thrakia, selon Fabre d'
Olivet, dérive du
phénicien Rakhiwa : l'espace éthéré ou le
firmament. Ce qu'il y a de certain, c'est que, pour les poètes et les
initiés de la Grèce, comme Pindare, Eschyle ou Platon, le nom de la Thrace avait un sens
symbolique et signifiait : le pays de la pure doctrine et de la
poésie sacrée qui en procède. Ce mot avait donc pour eux un sens philosophique et historique. Philosophiquement, il désignait une région intellectuelle : l'ensemble des doctrines et des traditions qui font procéder le monde d'une intelligence divine.
Historiquement, ce nom rappelait le pays et la race où la doctrine et la
poésie doriennes, ce vigoureux rejeton de l'antique
esprit aryen, avaient poussé d'abord pour refleurir ensuite en Grèce par le
sanctuaire d'
Apollon. L'usage de ce genre de
symbolisme est prouvé par l'
histoire postérieure. A
Delphes, il y avait une classe de
prêtres Thracides. C'étaient les gardiens de la haute doctrine. Le tribunal des Amphyctions était anciennement défendu par une
garde Thracide, c'est-à-dire par une garde de guerriers
initiés. La
tyrannie de Sparte supprima cette phalange incorruptible et la remplaça par les mercenaires de la
force brutale. Plus tard, le verbe
thraciser fut appliqué ironiquement aux dévots des anciennes doctrines.
(74) Strabon assure positivement que la
poésie ancienne n'était que la langue de l'
allégorie.
Denys d'Halicarnasse le confirme et avoue que les mystères de la nature et les plus sublimes
conceptions de la morale ont été couverts d'un voile. Ce n'est donc point par
métaphore que l'ancienne
poésie s'appela
la langue des Dieux. Ce sens secret et magique qui fait sa
force et son charme est contenu dans son nom même. La plupart des linguistes ont dérivé le mot de
poésie du verbe grec
poïeïn, faire, créer,
Etymologie simple et fort naturelle en apparence, mais peu conforme à la langue sacrée des temples, d'où sortit la
poésie primitive. Il est plus Logique d'admettre avec Fabre d'
Olivet que
poïèsis vient du
phénicien phohe (bouche, voix, langage, discours) et de
ish (Etre supérieur, être principe, au figuré :
Dieu.) L'étrusque
Aes ou
Aesar, le gallique
Aes, le
scandinave Ase, le copte
Os (Seigneur), l'égyptien
Osiris ont la même racine.
(75) Le
Bacchus à face de taureau se retrouve dans le XXIXème hymne orphique. C'est un souvenir de l'ancien culte qui n'appartient nullement à la pure tradition d'Orphée. Car celui-ci épura complètement et transfigura le
Bacchus populaire en
Dionysos céleste,
symbole, de l'
esprit divin qui évolue à travers tous les règnes de la nature. Chose curieuse, nous retrouvons le
Bacchus infernal des
Bacchantes dans le Satan à face de taureau qu'évoquaient et qu'adoraient les sorcières du
moyen-âge en leurs nocturnes sabbats. C'est le fameux
Baphomet dont l'
Eglise accusa les
Templiers d'être les
sectateurs pour les discréditer.
(76) Mot
phénicien composé d'
aour, lumière, et de
rophae, guérison.