CHAPITRE II :
SCIENCE OCCULTE ET RELIGION
Celui qui entreprend sérieusement de comprendre renseignement
théosophique sur le développement de l'
âme, ne doit pas se faire l'illusion de le supposer hostile à toute
religion ou basé sur quelque système de philosophie athéiste. Loin de mériter ce reproche, la
Théosophie, au contraire, a rendu sympathiques aux idées essentiellement
religieuses ceux de ses adhérents qui, répugnant à la façon dont certains dogmes ecclésiastiques déguisent la
religion, avaient abordé la
Théosophie avec un
esprit agnostique et même purement athéiste.
La science
occulte nous représente clairement le but auquel doit tendre l'humanité. On nous objectera peut-être que la foi
religieuse le fait aussi, quelque variées que soient les croyances dont elle s'accompagne, car elle nous promet toujours la félicité spirituelle en récompense d'une vie pieuse et irréprochable. Mais ceci n'est pas un but « clairement défini », parce que les saintes Ecritures ne nous ont jamais expliqué
exactement les conditions de cette existence supérieure. La donnée
théosophique, au contraire, nous décrit d'abord les conditions de
l'existence spirituelle engendrées par une vie pieuse et irréprochable, puis aussi certaines conditions supérieures encore, accessibles à
ceux qui uniront à une vie absolument pure la connaissance adéquate
du but et des possibilités de l'existence humaine. Ceux-là dont la vie aura été guidée par cette science lumineuse pourront s'harmoniser avec les principes divins qui gouvernent l'évolution du monde, et s'élever dans la conquête de la création jusqu'à ces
sphères qui, comparées à l'empire de notre humanité, peuvent vraiment être appelées le Royaume divin.
Avant d'aller plus loin, je voudrais dire quelques mots de l'erreur dans laquelle tombent souvent ceux qui commencent l'étude de l'enseignement
théosophique et de ses tendances éthiques. Ils croient que la
Théosophie se borne simplement à répéter les anciens enseignements chrétiens sous une forme nouvelle et dépouillée de l'ancienne
phraséologie ecclésiastique.
Malgré l'apparence de précision méticuleuse
qui distingue les formules anthropomorphiques des
Eglises modernes, en étudiant
la pensée contemporaine qui se dégage des ouvrages philosophiques, on y discerne cette conviction : qu'il est impossible actuellement de rien présager sur les conditions de l'Au-delà.
Shakespeare regarde le « pays d'où nul voyageur n'est revenu » comme voilé d'une impénétrable obscurité ; et pourtant, il nous présente en même temps un voyageur qui en revient. Tennyson, dans la
Voice of Faith, ne nous donne pas d'information plus précise sur notre avenir que celle contenue dans : « l'avertissement vaguement compris » concluant à un « espoir caché ». Les principaux scientistes et physiciens modernes repoussent énergiquement toute théorie basée sur la constatation de faits positifs ayant eu lieu dans des conditions de conscience extra-corporelles. Le résultat des enseignements du Christianisme, son uvre pendant ces 18 siècles, a été de convaincre ses plus intelligents
adeptes que, s'il y a beaucoup à espérer en suivant ses voies, il n'y a rien de plus à
apprendre. On peut raisonnablement conjecturer qu'une intelligence, une conscience hyperphysique quelconque, gouverne l'univers ; mais il est impossible d'arriver à une connaissance exacte, telle que celle, par exemple, que nous possédons de la constitution moléculaire de la matière, ou de la rotation des planètes.
Samuel Laing, en résumant ses conclusions dans
Modern Thought (2), parle ainsi : « Autant que peuvent le faire présumer notre science et notre expérience, la vie individuelle comme personnalité consciente est en rapport indissoluble avec un organe matériel : le cerveau... Qu'adviendra-t-il de cette personnalité lorsque le cerveau se sera dissous ? Nulle voix ne nous répond de la tombe. C'est le mystère des mystères. »
Les auteurs de
The Unseen Universe (3), tout en nous présentant dans leur uvre entière l'hypothèse d'un monde invisible et d'une voie pouvant relier le connu à l'inconnu, considèrent jusqu'à présent cette voie comme « fermée par un mur portant cet écriteau :
Aucun chemin ne conduit ici. »
Au résumé, disent-ils plus loin, « l'invisible
peut être une vaste
sphère d'
influence, mais, par sa nature même,
il échappe à toute analyse. C'est pourquoi, toute autre information
nous étant refusée, il faut nous en tenir à celle que le
Christianisme nous donne concernant l'
influence que cet univers invisible exerce
sur nous ». Quant au sort futur des méchants, « il est douteux
qu'aucune école
théologique ait jamais pu nous éclairer sur
les mystérieuses régions qui leur sont réservées ».
L'enseignement
théosophique, au contraire, s'appuie
sur cette déclaration rassurante qu'une connaissance très étendue
de ces sujets est accessible et a été acquise, et qu'elle est aussi
précise et certaine que celle de la
composition des molécules ou du mouvement des planètes : je veux parler des conditions hyperphysiques de la conscience humaine, des lois naturelles régissant le transfert de cette conscience d'un plan de la Nature à l'autre, et des conditions d'existence de certains êtres, les uns supérieurs, les autres inférieurs à l'humanité qui peuple notre terre. Mais en
observant l'
influence pratique de cette science spirituelle sur les actes journaliers de la vie usuelle, en comparant son éthique avec celle de la
religion aux aspirations ardentes, quoique plus vagues, nous les trouvons identiques sous bien des rapports. Les étudiants en
Théosophie n'en sont pas surpris parce qu'ils ont déjà compris que toute
religion vraiment digne de ce nom a pris sa source dans la science spirituelle de son époque. En effet, les
religions fondées par les grands instructeurs et prophètes de l'humanité, et destinées à être enseignées aux foules, sont toutes des résumés, plus ou moins voilés par le
symbolisme, de la connaissance scientifique des lois spirituelles de l'Univers, telle que la possédaient alors les
initiés de la sagesse
ésotérique.
La similitude des éthiques
religieuse et
théosophique
ne diminue nullement l'importance de la direction spirituelle que nous offre aujourd'hui
la doctrine
théosophique. En effet, l'acquisition de cette science spirituelle
devient, à un moment donné de l'évolution, une condition
sine qua non de progrès, si l'on veut pousser ce progrès évolutif
à sa limite extrême.
Une vie irréprochable nous conduira à la félicité future, comme nous l'enseignent avec raison toutes les
religions ; les aspirations
religieuses qui l'auront guidée donneront même une caractéristique particulière à l'existence subjective qui s'ensuivra. Mais cette vie ne nous procurera que le bonheur, et encore ne sera-t-il pas éternel. Pour s'élever sur l'échelle de la Nature au-dessus des conditions transitoires auxquelles sont sujettes toutes les consciences humaines, incarnées ou désincarnées, nous devons faire certains efforts spéciaux qui ne peuvent s'accomplir qu'au moyen de la connaissance des lois spirituelles et supérieures de la Nature.
Ces dernières phrases paraîtront vagues jusqu'au
moment où elles seront éclaircies par la découverte des facultés spirituelles encore latentes dans l'humanité et dont la Nature favorisera l'épanouissement. Cette découverte fut faite par quelques représentants avancés de l'humanité, comme il en exista en tous temps depuis l'origine du monde.
Lorsque les
Eglises et les sectes avec leurs centaines de croyances diverses nous présentent chacune un exposé défini des destinées humaines semblant provenir de la matérialisation grossière de quelque
allégorie, ou d'une
conception obscure et anthropomorphique des principes gouvernant l'univers, l'enseignement
théosophique ne peut que s'élever contre ces erreurs. Mais le sentiment et l'instinct
religieux
qui les accompagnent sont tellement identiques à ceux dont s'
inspire la
Théosophie, que la supposer hostile à ces
religions serait méconnaître absolument la situation où elle se place.
Il est malheureusement vrai qu'un sentiment réel et
religieux s'allie souvent à une certaine bigoterie
sectaire. Qu'un membre de l'
Eglise anglicane, un
catholique romain, un baptiste ou un
musulman croit que sa
religion seule contient toute la vérité et que les autres sont erronées, nous le tiendrons pour très inintelligent, pour ne pas dire plus. S'il va plus loin (ce qui est fréquent), s'il est persuadé que hors sa propre Foi il n'est pas de salut, il nous apparaît alors comme une
reductio ad absurdum de folie
religieuse. Et cependant, si faible que soit son entendement spirituel, cet homme peut allier sa folie à beaucoup de sentiment
religieux. Il se fait une
conception, spéciale pour lui, de la Divinité qu'il adore, un code du bien et du mal, certainement au-dessus des simples impulsions de l'égoïsme et de l'intérêt propre ; il pout orienter sa vie d'après ce principe que les destinées futures de l'
âme ont une importance plus grande que les jouissances éphémères de la vie terrestre. Alors ce commencement de spiritualité, allié à une intelligence plus développée, pourra, avec le temps, le mettre sur la voie de la véritable connaissance.
Mais la meilleure préparation d'
esprit à la
réception de la lumière suprême de l'enseignement
théosophique
serait un sentiment
religieux d'une nature plus subtile et plus vive. Les
religions
pratiquées actuellement sont peu propres à le développer
dans les
âmes. Pourtant, on constate avec surprise qu'un grand nombre de
leurs fidèles sont plus avancés, ont même développé
une spiritualité intelligente bien supérieure à celle que
leurs croyances pouvaient faire espérer. Leur mentalité en progression
a pénétré les
religions européennes, les a
adoucies
sans en changer la forme extérieure ; en d'autres termes ces fidèles,
grâce à leur culture intellectuelle croissante, à leurs aspirations
spirituelles sincères, ont su voiler d'un sentiment exquis les laideurs
de cette doctrine primitive à laquelle ils restent cependant attachés.
Si on leur objecte : « Votre doctrine enseigne telle et telle chose », ils répondent : «
Pas du tout ; une personne intelligente n'interprète
pas ainsi ce dogme ; il signifie en substance ceci ou cela. » Et là-dessus,
ils interprètent un dogme grossier quelconque en l'élevant à
un degré de subtilité qui rend toute controverse inutile.
Cette méthode d'interpréter les
religions exotériques ou populaires peut être approuvée ou blâmée suivant les cas. Aidera-t-elle, retardera-t-elle la transformation des
religions du monde
en un
idéal plus élevé ? C'est une question difficile à
résoudre. Quoi qu'il en soit, l'état d'
esprit de ceux qui cherchent
à sublimiser pour leur usage les doctrines
exotériques, décèle une
disposition particulière à l'assimilation de la vraie connaissance spirituelle ; et leur ardente ferveur, cause initiale de leur développement intérieur, les aidera à appliquer aux conditions morales de la vie les enseignements de la haute sagesse, c'est ce que la
Théosophie cherche avant tout à nous inculquer.
On ne condamnera jamais trop énergiquement, au nom
de la
Théosophie elle-même, la façon dont l'ont dénaturée ceux qui la représentent, aux yeux du monde, comme une philosophie
iconoclaste nécessairement hostile à la
religion. Autant vaudrait dire que l'enseignement des mathématiques est hostile à l'astronomie. Les mathématiques ont pu parfois contribuer à détruire quelque croyance populaire
relative à l'astronomie, et cela pour le plus grand bien de l'astronomie.
De même la
Théosophie peut se trouver en mesure de discréditer
certaine croyance
religieuse, ou plutôt certaine croyance greffée sur la
religion, et la
religion alors s'en trouverait débarrassée à son avantage. En somme, la
Théosophie occupe en face de la
religion une position analogue à celle des mathématiques en regard de l'astronomie ; cette relation est celle de l'abstrait vis-à-vis du concret. Les réalités
pures et froides des mathématiques nous conduisent à admirer le sublime panorama des deux, dont la beauté émeut nos
âmes.
Ainsi en est-il des vérités
théosophiques, si scientifiques et abstraites soient-elles, lorsqu'on les a bien comprises. Elles nous conduisent, par la conscience spirituelle, vers des
hauteurs où nous éprouvons les plus sublimes émotions, et nous amènent jusqu'à
la contemplation de ces vérités qui font pâlir toutes les joies humaines. Les étudiants éclairés en
Théosophie, considèrent même dédaigneusement tous les objets ordinaires de convoitise humaine, lorsqu'ils les comparent aux expériences vécues de leur développement intérieur.
Pour employer une phrase banale par sa fréquence,
mais qui exprime une vérité qu'on ne devrait pas oublier, j'ajouterai
que la
Théosophie est l'
essence de toute
religion digne de ce nom. Elle
est, comme l'indique son nom, la science des choses divines. La vénération
des fidèles pour leur foi les détourne souvent de la pensée
qu'elle soit inspirée par une science cachée.
Pourtant en ce qui concerne
Dieu et ses rapports avec les
hommes, l'enseignement
exotérique des
religions ne nous fournit sur ces
mystères que des données fort incomplètes, et qui par elles-mêmes
ne peuvent satisfaire que des intelligences très bornées. Il doit
y avoir une bien prodigieuse complexité, si je puis m'exprimer ainsi, dans
l'organisation spirituelle de la nature, pour que des déclarations si arides
quoique poétiques concernant l'
omnipotence, l'omniscience,
le
Ciel et la vie éternelle ne suffisent pas à l'expliquer. En étudiant
le champ déjà plus restreint des sciences physiques, on remarquera
que certains axiomes généralisés ne sont, pour ainsi dire,
qu'une substitution
exotérique remplaçant des exposés qui
ne seraient compris qu'après une étude plus approfondie. Par exemple,
pour les populations occidentales, le
soleil est un vaste globe situé au
centre de notre système planétaire ; il répand une vive lumière,
produit de la
chaleur, génère la croissance organique, cause l'alternance
des saisons, etc. D'autres
conceptions populaires plus anthropomorphes regardent
le
soleil comme une divinité consciente d'où dépendent manifestement
la vie et la conservation de notre univers. Mais derrière ces
conceptions
bornées se trouvent des
horizons d'une extrême complexité
que l'intelligence populaire n'essaye pas de pénétrer. Comment le
soleil fait-il croître une plante ? En lui dispensant la lumière
et la
chaleur. Mais cet énoncé ne nous avance guère. Nous
pouvons, il est vrai, ramener les
éléments physiques en question
à leur simplicité moléculaire primitive ; nous les discernons
alors
sinon à l'il nu, du moins avec les yeux de l'intelligence.
La
chaleur met ces molécules en mouvement ; mais ceci ne suffit pas à
expliquer la croissance organique. De plus, si nous voulons regarder le fond des
choses : comment la
chaleur solaire nous parvient-elle ? Elle rayonne du
soleil ! Ceci encore n'explique vien ; par quel intermédiaire nous
arrive son
influence ? C'est ici que la science devient
ésotérique.
La science populaire la
religion populaire pourrions-nous
dire se contente de cet énoncé rudimentaire : le
soleil émet
de la
chaleur. Mais la science
ésotérique veut le justifier et le
développer ; elle se met alors à étudier l'éther lumineux.
L'éther, ce merveilleux intermédiaire des
influences physiques qui
ne peut être vu, ni ressenti, ni soumis à l'examen d'aucun instrument,
vient d'être découvert par un prodige de la science qui, sortant
de ses habitudes de prudente réserve, a déjà affirmé
quelques principes bien définis à son sujet. Comment alors «
l'émission », dans son expression ordinaire, peut-elle se relier
avec la
chaleur et la lumière du
soleil. Ce phénomène est
dû à des états, des conditions spéciales de l'éther.
Que le
soleil agisse d'abord sur l'éther, qu'il donne lieu ensuite aux
manifestations qui nous entourent ; c'est là un fait indiscutable. Mais
alors que la donnée
exotérique, concernant l'émission de
la lumière et de la
chaleur, est aussi vraie que peut l'être tout
exposé
exotérique, et cet exposé exprime ici une idée
aussi rapprochée que possible de la vérité, c'est,
en réalité, une donnée qui ne peut satisfaire les
esprits
plus avancés et plus scientifiques.
En supposant que la chaîne des causes et des effets
qui régissent l'action solaire dans la vie organique soit bien connue des
savants, nous dirions que la physique solaire occupe vis-à-vis de l'idée
populaire dont nous parlions plus haut, la même position que la
Théosophie
vis-à-vis des croyances
religieuses généralement répandues.
Cette analogie s'applique d'autant mieux à notre sujet,
que pour bien expliquer la physique solaire on est contraint de rechercher et
d'étudier un intermédiaire qui ne tombe pas sous nos sens ; ainsi
en est-il encore de l'étude de la science spirituelle, qui exige un champ
d'observation placé en dehors de toute
conception exotérique. Sans
poursuivre aussi loin cette étude, ceux qui se sentent attirés vers
la littérature orientale peuvent y glaner de nombreux renseignements, instructifs
et très suggestifs. Elle est fort obscure dans certaines de ses parties, mais, lorsqu'on en connaît l'interprétation, on peut souvent constater que cette signification a dû être présente à la pensée de l'écrivain. Une compilation faite dans ce but, dans l'une ou l'autre partie de l'ancienne littérature orientale, nous donnera certainement un exposé du grand processus évolutif de la Nature, de l'origine du système solaire, et du développement successif des planètes correspondantes ; elle nous montrera également le passage du souffle de vie dans les règnes végétal et
animal, et en dernier lieu l'évolution du règne humain à travers une série de races puissantes. Mais il ressortira clairement de ce travail que la science contenue dans les écritures orientales n'a pu être acquise que par des êtres capables de diriger leurs observations vers des plans de la Nature impénétrables à la perception de nos sens ordinaires. La connaissance de ces plans supérieurs acquise, soit par d'anciens
voyants, il y a quelques milliers d'années, soit tout récemment par des
voyants contemporains, a dû résulter nécessairement de la façon dont ils ont su exercer certaines facultés hyper-sensuelles.
Nous reconnaissons volontiers que cette connaissance de la
Nature, où la
Théosophie a puisé une morale si élevée,
n'aurait jamais pu être obtenue par la seule étude des phénomènes
tels qu'ils s'offrent à l'observation scientifique. Le don de clairvoyance,
et même celui de la plus haute clairvoyance spirituelle ont dû contribuer
à la tâche longue et ardue d'élever le mental humain jusqu'à
la compréhension des grands desseins de la Nature à laquelle il
appartient ; la grande tâche qui nous incombe est donc de cultiver en nous
les mêmes facultés, si nous désirons nous familiariser avec
ces aspects de la Nature dont le contact a développé la science
spirituelle chez les
voyants.
Nous n'entendons pas dire par là qu'aucun progrès dans la science spirituelle n'est possible, sans avoir préalablement développé les pouvoirs qui nous rendent conscients sur les plans supérieurs de la Nature. Ceci équivaudrait à dire qu'il faut répudier toute notion d'astronomie avant d'avoir pu construire notre propre observatoire, ou d'avoir assimilé toutes les autres sciences subsidiaires. Dans l'étude des diverses connaissances de l'
esprit humain, chacun de nous s'en rapporte très souvent, et dans la plus large mesure, aux recherches faites par d'autres ; et la majeure partie de l'humanité devra, pendant longtemps encore, s'en tenir aux découvertes de quelques-uns, sur la science des choses spirituelles. Mais moyennant quelques sages précautions, ils pourront le faire avec confiance, dans ce cas comme dans l'autre. Sans doute, au début, la situation ne laisse pas d'être embarrassante, surtout en ce qui concerne l'investigation psychique ; on sait, d'autre part, que tout observateur est surveillé et contrôlé par beaucoup d'autres ; si, en outre, quelque nouvelle conclusion d'un observateur indépendant est ratifiée par la science contemporaine, tout le monde s'empressera d'accepter cette sanction. La science spirituelle ne dispose pas actuellement d'une Société Royale
(4) pour sanctionner ses nouvelles découvertes, ou plutôt il en existe une, comme le savent quelques-uns d'entre nous, composée de Maîtres en science spirituelle ; et si l'accès nous en était donné, elle ferait autorité en ces matières, autant et plus que l'élite de la science contemporaine. C'est à cette source d'information, nous l'avons déjà dit, qu'est puisée la révélation
théosophique actuelle.
Mais, pour certaines raisons qu'une patiente investigation seule saura faire apprécier, ce foyer d'
initiation spirituelle ne peut être, dès à présent, ouvert à tous les chercheurs ; aussi ne saurait-on s'
inspirer de son autorité pour guider ceux qui débutent dans l'étude de l'occultisme.
Une conviction bien nette de l'existence de ces Maîtres et de l'
influence rayonnante qu'ils envoient sur notre humanité sera d'un grand secours aux travailleurs sérieux. Mais on peut pousser assez loin l'étude de la
Théosophie avant qu'il soit nécessaire d'approfondir ce sujet.
Quittons maintenant cette question, et cherchons les moyens
dont nous pouvons disposer pour pénétrer dans le domaine spirituel,
sans être, pour cela, doués de ces facultés spéciales
donnant la perception des régions hyper-sensuelles, et sans l'aide d'instructeurs
en qui nous puissions avoir toute confiance. En première ligne, notre raison
peut envisager les données exposées par la science
occulte en les
rapportant à la vie usuelle. Puis nous les comparerons à la
conception
idéale de justice qui doit
inspirer l'Etre qui régit l'univers.
Nous étudierons ensuite avec soin les merveilleuses analogies de la Nature,
visibles quelquefois, mais le plus souvent voilées, et que nous découvrons
par inductions ; nous verrons comment elles entretiennent l'
harmonie entre les
différentes régions de la Nature. Enfin, et pour rentrer dans notre
sujet, nous comparerons les données
occultes aux
conceptions fondamentales
de cette
religion traditionnelle qui nous tient au cur, et nous verrons
si elles se contredisent entre elles, ou, au contraire, si la science
occulte
peut en confirmer, en éclairer les traditions primitives.
Or, non seulement
celte science est en complète
harmonie
avec l'idée
religieuse, mais encore elle s'allie à la
religion même,
en redonnant à plusieurs de ses dogmes leur sublime interprétation.
Ces dogmes, graduellement compromis par une
génération matérialiste,
interprétés au pied de la lettre, depuis de longs siècles,
dans les
églises et les congrégations, étaient devenus une
pierre d'achoppement pour les uns, une nourriture indigeste pour ceux qui les
absorbaient avec la foi aveugle, les acceptaient littéralement et se refusaient
de les soumettre au
jugement de leur raison.
Prenons un seul dogme comme exemple : (car les envisager
tous à la lumière de l'occultisme demanderait un volume), celui
de la Victime
Expiatoire qui fait depuis longtemps partie intégrante de
la doctrine chrétienne. Cette
conception d'un
Dieu vengeur assouvissant
sa colère sur un innocent, pour pardonner ensuite, sa vengeance apaisée,
aux véritables coupables, est, outre son absurdité, une insulte
à la Divinité et une offense à la justice. La
théologie
moderne épurée voudrait bien modifier ce dogme en l'idéalisant
quelque peu, mais elle le fait encore accepter sous cette forme, aux
âmes
trop humbles pour s'en révolter. La science
occulte nous offre la signification
réelle de ce dogme
mystique. Le drame de la Passion se représente
pour chaque
âme humaine atteignant à la perfection spirituelle. C'est
l'
allégorie de l'évolution de l'
âme ; c'est le seul processus
par lequel la
Rédemption est possible ; pour le comprendre clairement,
il faut connaître la théorie
occulte du Soi supérieur et du
soi inférieur. Nous allons en donner un aperçu qui sera développé dans la suite. Le Soi supérieur est la partie spirituelle, immortelle et impérissable de l'homme. Le but réel de la vie physique avec ses expériences multiples, vise à l'évolution de ce Soi, au complet
épanouissement de sa conscience. Le Soi supérieur est la vraie Divinité qui s'incarne, unissant, pendant chaque vie physique, sa conscience à celle du soi inférieur, l'homme tel que nous le voyons, faible et enclin au mal, reflet du Soi supérieur sur le plan matériel. C'est uniquement par
le crucifiement, par le douloureux sacrifice de ses désirs et de son égoïsme personnel sur le plan de la manifestation incarnée, que le Soi supérieur peut élever la personnalité jusqu'au plan de la véritable évolution spirituelle, et la racheter ainsi du péché et de la douleur. En d'autres termes, le soi inférieur, la conscience ordinaire à l'état de veille, doit se soumettre au Soi supérieur, c'est-à-dire à l'enseignement Divin compris dans les plus sublimes aspirations du Christ en nous. Ainsi s'accomplit, sans la moindre injustice, le mystère de la
Rédemption.
On expliquerait de même l'
histoire d'
Adam et d'
Eve, de l'Eden, de la côte d'
Adam, de la tentation et de la chute. La science
occulte nous enseigne que ce n'est qu'un mystérieux
symbole destiné à voiler quelques-uns des principaux stades évolutifs de l'humanité. Il révèle comment notre humanité d'aujourd'hui, séparée en deux sexes, descendit d'une humanité primitive d'un type plutôt astral que physique, qui précéda notre race actuelle dans le grand processus de descente de l'
esprit dans la matière.
Mais je m'éloigne de mon but, qui n'est pas précisément d'établir la corrélation existant entre la science
occulte et les dogmes
religieux exotériques, dès qu'on les dégage des
fables qui les assimilent à des contes de nourrice ou des
Sagas de l'Islande
(5), pour les interpréter dans leur vrai sens spirituel. La parfaite
harmonie de la science
occulte avec les plus nobles aspirations et les plus vives émotions
religieuses est un fait acquis pour celui qui en a poussé l'étude assez loin. Elle fait plus que nous dévoiler certains curieux mystères de la Nature, plus qu'explorer les merveilleux domaines de la science.
Elle est vraiment la science des sciences, sans laquelle nulle autre n'est complète ; elle est aussi la
religion suprême, car elle seule met l'
âme humaine en possession du grand héritage, auquel les autres
religions n'ont pu que la préparer.
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(2) Modern Science and Modern Thought. Londres, Chapman and Hall, 1880-1898.
(3) The Unseen Universe or Physical Speculations on a Future State, par B. Steward et P. G. Tait, 1894.
(4) La Société Royale de Londres correspond à peu de chose près à notre Académie des Sciences. (N. d. T.)
(5) Les
Sagas sont des
légendes religieuses ou récits poétiques
composés par des bardes Islandais ou
Scandinaves. (N. du T.)