« Oyez mes plaints vous tous..., s'écria-t-elle,
Secourez moi sans le mettre en faintise,
Plourez mes maux, car je suis Sainte
Eglise
La vostre mère.
Mon domaine est ès mains des mécréants
J'en suis chassée
Honteusement comme povre égarée,
Musant, fuyant par dure destinée,
Si lassée, si esteinte et grevée
Qu'à peine say
Dire les maux où je suis et que j'ay.
. . . . . .
. . . . .
. . . . .
O toy, o toy, noble
duc de Bourgongne,
Fils de l'
Eglise et
frère à ses
enfants
Entens à moi...
Infidèles par milliers et par cens
Sont triomphants en leur terre damnée
Là où jadis voulais être honorée !
. . . . . .
. . . . .
. . . . .
Et vous princes puissants et honnourés
Vous chevaliers qui portez la Toison
O gentils home, voici belle occasion !
. . . . . .
. . . . .
. . . . .
Les noms croîtront et l'
âme enrichira
Du service que chacun me fera. »
A ce moment « entrèrent dans la salle un grand nombre d'officiers d'armes, desquels le dernier était
Toison d'or, roi d'armes. Ce Toison l'or portait en ses mains un faisan vivant, orné d'un très beau collier l'or
très richement garni de perles et de pierreries. Deux damoiselles adextrées de deux chevaliers de la
Toison d'or suivaient. « En cette ordonnance, vinrent les dits officiers d'armes et
Toison d'or avec le faisan jusque devant Monsieur le
Duc auquel ils firent la révérence, puis
Toison d'or lui parla de cette façon :
« Très haut, très puissant prince et mon très redouté seigneur, voici les
dames qui se recommandent à vous ; c'était l'usage anciennement qu'aux grandes fêtes et nobles assemblées, on présentât aux princes, aux seigneurs et aux hommes nobles le paon ou quelqu'autre
oiseau noble pour faire vux utiles et valables. C'est pourquoi les
dames m'ont envoyé ici avec ces deux damoiselles vous présenter ce noble faisan vous priant de vous souvenir d'elles, »
(14).
Le
Duc se lève alors et après s'être voué à
Dieu et à sa glorieuse Mère, puis aux
dames et au noble
oiseau, jura qu'il irait combattre les infidèles « le plus avant qu'il pourrait », d'y « travailler et de s'y mettre en tel devoir que le monde devrait reconnaître que s'il ne réussissait pas, cela n'aurait pas dépendu de lui ». Il ajoutait même que « si, au cours du saint voyage, il pouvait par quelque voie ou manière que ce soit, savoir que le Grand Turc ait la volonté d'avoir à faire à lui
corps à
corps, il le
combattrait avec l'aide de
Dieu et de sa très douce Vierge Mère qu'il appelle toujours à son aide »
(15). Tous les chevaliers qui l'entouraient, s'engagèrent par les mêmes serments
(16).
Comme un témoin de ces fêtes, homme réfléchi et sage, déplorait l'exagération du luxe qui s'y étalait et l'énormité des dépenses que le
Duc faisait, tant dans les banquets que pour les joutes, un conseiller de Philippe le Bon lui répondit : « Apprends, mon ami, que ces festins et ces tournois, qui sont devenus de plus en plus brillants, n'ont d'autre cause que la ferme volonté du
Duc
de parvenir ainsi à exécuter ses anciens projets. Le vu qu'il a prononcé vient de les révéler »
(17).
Ce vu n'était pas une vaine parade.
En effet, il est absolument certain que le
Duc fut constamment hanté par l'idée de combattre les Turcs et qu'il ne « cessa de songer à la défense de la foi chrétienne »
(18). « Outre que sa piété était très sincère, il espérait venger l'échec subi, en 1396, par le Comte de
Nevers et se placer comme chef des
croisés à la tête des
Princes chrétiens »
(19).
Philippe le Bon, avec cette persévérance qui le
caractérisait, poursuivit activement ce projet pendant plusieurs années. Nous le voyons se rendre dans ce but en
Bourgogne, en
Suisse, en Souabe, en Bavière, en Autriche. Il cherche à tout organiser et à faire
entrer les princes allemands dans une vaste confédération.
« En 1454, il se dirige vers Ratisbonne, pour conférer avec l'Empereur sur l'organisation de la
croisade, et son voyage est une telle suite d'entrées triomphales dans les villes, soulève de telles ovations et le pare d'un tel éclat, que l'Empereur Frédéric esquive prudemment l'entrevue projetée »
(20) et que le but du voyage n'est pas atteint !
Un an plus tard, Philippe le Bon recevait solennellement le
légat de
Calixte III, qui venait lui remettre de la part du Pape l'étendard de la guerre sainte.
Vers la même époque, plusieurs chevaliers de la
Toison d'or, entre autres Simon de Lalaing, les sires de Waurin, de
Lannoy et Vilain, sont chargés de diverses ambassades
(21) et de différentes enquêtes en
vue de cette expédition qui, en 1460, paraît invariablement arrêtée.
En 1461, au chapitre de la
Toison d'or réuni à St-Omer, le
Duc, après avoir reçu une ambassade envoyée par des princes d'Orient, adresse aux chevaliers de la
Toison d'or le discours suivant : « Voici que les plages sont venus de l'Orient vers l'étoile qu'ils ont aperçue à l'Occident, c'est à dire vers vous qui portez la noble Toyson et dont la puissance brille aujourd'hui d'un si grand éclat jusqu'aux rivages de l'Orient qu'elle y éclaire les princes et les nations et les guide vers vous qui êtes la vraie image de
Dieu ! »
C'est encore à une de ces réunions que vint « le
dauphin de France devers son bel oncle pour montrer son intention sur son allée sur le Turc à la défense de la Foi Chrétienne ».
C'est toujours à un Chapitre de la
Toison d'or, qu'en 1473,
l'ambassadeur du Roi de Naples et celui de
Venise s'adressent pour insister sur l'urgence de la
croisade.
On sait que des dissensions intestines, le refus de
Louis XI de participer à la
croisade et la « négligence des autres princes »
(22) vinrent déranger et ruiner le beau projet de Philippe le Bon et permirent que « la foi chrétienne fut encore faillie et amoindrie par le Grand Turc »
(23).
A côté de ce but
religieux, la
Toison d'or devait avoir aussi, dans la pensée de Philippe le Bon, de grands avantages politiques. Poursuivant une union plus étroite de ses divers états pour établir une monarchie puissante et un pouvoir personnel, il était nécessaire de créer des liens nouveaux de nature à rapprocher également entre elles les noblesses des différents pays soumis a son autorité. Il était encore sage au moment où Philippe le Bon allait entamer contre les communes de
Bruges et de Gand des luttes violentes pour briser leur autonomie
(24), de grouper autour de lui tous ces comtes et
barons, riches et vaillants qui eussent pu apporter aux communes le secours de leur bravoure et de leur expérience de la guerre. Car il y avait parmi eux beaucoup d'hommes sages et plusieurs
illustres capitaines. Le
duc eut l'habilité de les faire entrer dans la confrérie de la
Toison d'or dont il était le chef, se les attachant ainsi et leur apprenant en même temps à considérer le souverain comme la source de toute grandeur.
Il fit plus : après avoir lié étroitement la noblesse à sa personne, il l'intéressa à la prospérité de l'Etat.
De par leurs statuts, les chevaliers de la
Toison d'or feront, en effet, partie du conseil privé du souverain. Ils auront le droit d'ecirc;tre consultés, écoutés. La
Toison d'or est donc également une sorte de représentation politique d'hommes éminents par leur naissance, leurs vertus et leur bravoure.
Enfin, Philippe le Bon, courageux, comme le furent et le seront tous ceux de sa race, va donner, par l'ordre de chevalerie qu'il a fondé, une vie nouvelle à ces traditions d'honneur et de vaillance qui sont le précieux héritage de la
Féodalité. Et pour cela, il a d'abord soin de choisir les chevaliers dans les camps et non dans les antichambres. Il faut que ceux-ci justifient d'une noblesse militaire et qu'ils soient chevaliers d'armes. La bravoure déjà éprouvée est donc indispensable. Elle ensuite devient une loi rigoureuse, car les statuts de l'ordre portent que toute défection et toute fuite devant l'
ennemi entraînent la perte du collier. Et ces prescriptions furent
scrupuleusement suivies, comme l'
histoire le montre. A chaque Chapitre, du reste, une minutieuse enquête est faite sur la conduite de chaque chevalier et même sur celle du souverain. On ne ménage par les remontrances à ceux qui ont
quelque peu marqué à la vertu ; on est impitoyable pour ceux dont
l'honneur militaire est obscurci.
On ne s'étonnera pas, en présence de ces règles, de voir les rois et les plus grands seigneurs briguer l'honneur d'entrer dans un ordre qui place si haut la foi, la loyauté, la valeur !
A tous ceux qui ont l'
âme guerrière et le cur
épris, il offre encore l'attrait des joûtes et des tournois les plus brillants. Car ces dangereux divertissements qui sont une occasion de faire preuve d'adresse, d'élégante, de courtoisie et de courage, suivent chacun des Chapitres de la
Toison d'or.
Etre fidèle à son
Dieu, à son prince et à son
épée, montrer un courage indomptable dans les camps, une adresse supérieure dans les joûtes, associer à ces exploits le culte de sa
dame, ne trahir ni ses armes, ni la beauté, ne rien craindre que de perdre l'honneur, tout entreprendre pour l'
amour de celle dont on porte un gage sur sa cuirasse, lutter toujours avec loyauté et ne jamais oublier les liens d'une étroite
confraternité, tels sont bien les caractères de l'ordre fondé
à
Bruges, le 10
janvier 1429, par celui qu'on appelait « le
Grand
Duc d'Occident ».
Vingt quatre chevaliers
(25) furent créés en ce
jour qui était celui du
mariage du
Duc avec Isabelle de Portugal.
Rien ne peut mieux faire comprendre l'éclat que Philippe le Bon veut donner à cet ordre de chevalerie que le moment qu'il a choisie pour « publier la prise de ce noble ordre ».
Bruges est en fête. Toutes ses rues sont pavoisées, sur les carrefours et les places des tréteaux richement ornés sont dressés sur lesquels on représente des scènes mythologiques ou bibliques, pompeuses
allégories dont les personnages sont muets.
Sur la porte de Damme, par laquelle doit entrer Isabelle de Portugal, des trompettes d'
argent font retentir l'
air de leurs joyeuses fanfares.
La foule est innombrable : tout
Bruges, qui compte alors 150.000 habitants, est là et la plupart des villes de la Flandre ont envoyé d'importantes délégations. Tout ce peuple est en « moult bel état et magnificence ». Au premier rang, près de la porte, on remarque huit cents marchands étrangers, chiffre qui ne doit pas étonner quand on songe qu'en un
jour il entrait cent cinquante bateaux de commerce dans le port de
Bruges et que ces navires venaient même de l'Extrême Orient...
Ces huit cents marchands étaient tous vêtus d'or et de soie et rangés sous leurs bannières. Rien que la hanse allemande comprend cent trente six marchands, puis viennent ceux de Milan,
Venise, Florence, Gênes, ceux d'
Aragon dont un more soutient l'écusson éclatant, ceux de la Catalogne etc.,
etc.
La nouvelle
Duchesse de
Bourgogne qui s'est embarquée à l'Ecluse sur le canal de Damme, suivie par six navires qui portent les armes de Portugal, arrive à 9 heures. Cortèges et processions vont au devant d'elle. On y voit l'
Evêque élu de
Liège, le Comte de St Pol, le Comte de Blanquenchem, messire Jehan de Luxembourg, le seigneur d'Antoing, le seigneur de Préaulx, le seigneur de Montagu, le vidame d'
Amiens et quantité de hauts seigneurs de
Bourgogne, de Picardie, de Flandres, de Hollande, de Zélande et d'ailleurs, accourus à l'appel de Philippe le Bon et tous les nobles seigneurs du pays. N'oublions pas les
dames. On remarque parmi elles « Madame Anne de
Bourgogne,
duchesse de Bethfort, femme et
épouse du régent de France pour lors, laquelle
dame était l'une des plus gracieuses du monde. Une quantité de chevaliers et écuyers,
dames et demoiselles, richement habillés comme
il convenait à la suite d'une telle princesse, l'entourent ».
La Comtesse de Namur est venue en « moult bel estat grandement » en compagnie de chevaliers et d'écuyers tous vêtus de sa livrée de drap de satin noir ouvré d'orfèvrerie : ils sont plus de cent. Il y a aussi de nombreuses
dames et demoiselles avec elle.
Puis c'est Madame de
Beaurevoir, femme de J. de Luxembourg, avec une suite de cent vingt
chevaux. Elle est dans un chariot « moult riche » tout garni et couvert de drap d'or et derrière elle se trouvent « VI gentilz femmes moult richement habillées sur haquenées bien parées et deux valets sur deux chevaulx menant deux haquenées ». La
dame d'Anthong a avec elle « quatre cents
chevaux et foison de chevaliers, escuyers et autres portant la livrée du seigneur d'Anthoing robes vermeilles bien broudées ». Le chariot de la
dame de
Santes est traîné par seize
chevaux et ses gens sont tous parés de la livrée du seigneur de
Santes. La séneschale du Hainaut est accompagnée de quatre cents
chevaux et de « notables chevaliers, escuyers,
dames et demoiselles parés de sa livrée moult honorablement ».
Bien d'autres
dames viennent encore, « en grands états » à la rencontre de la nouvelle
Duchesse et se joignent à son propre cortège non moins brillant et qui comprend l'
Infant « Ferand son
frère, le Comte d'
Orin son neveu, l'
Evêque d'Evre en Portugal, grand nombre de seigneurs
Portugais et les seigneurs flamands, les Sires de
Roubaix, de Toulonjon, de Noyelles, le prévot d'Harlebeke, sans oublier Jean Van Eyck qui ont été en ambassade pour la chercher ».
Un « chariot pendant moul richement doré, couvert de drap d'or, dont les pommeaux d'
argent doré et émaillé pesaient plus de cent marcs d'
argent », don de la régente de France, l'y attendait.
Il y avait aussi une « moult riche litière faite neufve, tant richement doré que il n'estait point à penser ». C'est dans celle-ci que voulut prendre place Isabelle de Portugal, accompagnée de toute «
gentilesse allant à pied à côté d'elle, et tenant les deux destriers qui portaient la dite litière. Derrière elle marchent tous les
barons, chevaliers et escuyers de Portugal, vêtus de robes bleues,
ornées de sa devise et foison autres chevaliers et escuyers et le roy d'armes, heraulx et menestreaux. »
Tout le long du parcours il fallut deux heures à la
Duchesse pour arriver à l'hôtel du
Duc les rues étaient parées de drap vermeil sans autre
couleur et les cinquante quatre métiers de
Bruges au grand complet, étaient rangés les uns à la suite des autres. Ils avaient leurs fanfares et à chaque carrefour les sonneries de leurs
trompettes d'
argent, éclataient d'autant plus bruyantes que de grands pots de vin se trouvaient à côté des musiciens pour les « rafraischir ».
Des « archiers et des arbalestriers » forment la haie jusqu'à l'hôtel du
Duc devant laquelle une phalange de 76 trompettes « brandissent en une foiz ».
Philippe le Bon a voulu donner aux banquets qui vont couronner cette
entrée une telle extension et un tel éclat qu'il a dû faire exécuter à son hôtel d'importants travaux d'agrandissement. Toute une rue a été emprise dans les dépendances du Palais pour y établir quatre cuisines, quatre rotisseries et quatre offices supplémentaires. La salle de festin qui vient d'être construite à
146 pieds de long sur 76 de large. Tous les murs de cette salle sont couverts de draperies semées de la devise du
Duc qui est de « fusilz à pierres
enflamblées ». De chaque côté, un dressoir de vingt pieds de
long supporte avec peine la vaisselle d'or et d'
argent du
Duc de
Bourgogne. Pour en deviner la richesse il suffit de rappeler qu'elle fut évaluée à sa mort à soixante-douze mille marcs d'
argent.
La
Duchesse, à peine arrivée, fut conduite par la
Duchesse de Bedford dans la
Chapelle où la messe fut célébrée. Puis les
dames se retirèrent dans des
chambres qui toutes étaient garnies de riches tapisseries et y revêtirent des robes qui par leur éclat surpassaient encore celles qu'elles venaient de quitter
(26).
« Les perles, les émeraudes, les saphirs, les
rubis, les pierres fines, les broderies d'or et d'
argent étaient semées comme une
pluie d'étoiles sur les jupes historiées, les manteaux de samit, sur les souliers à poulaines, sur les hennins, cônes croissants et coiffures »
(27), car «
oncques ne furent
vues, dit le Sr de
Saint Remy, tant de riches robes de drap d'or et orfavrerie que en
icelle feste ».
Les innombrables serviteurs du
Duc, qui étaient tous vêtus de drap de damas et de satin, avec les héraulx, les trompettes et les menestrels, attendaient ces brillants convives dans la grande salle du festin où deux tables étaient dressées. L'
Evêque de Tournai, les sires d'Antoing d'Enghien et de Luxembourg et le Comte de Blakenheim suivis de vingt et un chevaliers vêtus de robes magnifiques toutes semblables, escortaient les mets jusqu'à la première table où s'étaient assis la
duchesse Isabelle, la
duchesse de Bedford, l'
Infant Don Ferdinand, l'
Evêque d'
Evora, etc.
« Il y avait autant de plats que de convives, autant d'entremets que de plats. Et quels entremets ! C'est un grand château à quatre tours où flotte la bannière du
Duc, un immense plat qui figure une prairie au milieu de laquelle est une
dame qui guidait une
licorne », puis un « grand pasté où il y avait un mouton tout vif, teinct en bleu et les cornes dorées de fin or. En
icelle pasté était un homme nommé Hansse le plus appert que on sceut, vestu en habit de beste saulvaige ; et quant le pasté fut ouvert le mouton saillit en bas et l'homme au bout de la table alla folâtrer à Madame d'Or, une moult gracieuse folle »
(28).
Mais le Bon
Duc voulait que tout le monde eût sa part des réjouissances. Il avait donc fait appliquer à son hôtel, dans le mur extérieur faisant face à la grande rue, une sorte de grand
lion en
bois bien sculpté peint. Ce
lion était accroupi et tenait de l'une de ses pattes de devant fusil et de l'autre une pierre à
feu. De cette pierre, « par certain artifice, sortaient vin blanc et vin vermeille qui chacun coulait dans un vaste récipient où tout le monde pouvait puiser »
(29).
Dans une des murailles de la cour intérieure de l'hôtel, le
Duc avait fait encastrer également un grand cerf tenant dans sa patte une fiole où l'Hippocras
(30) coulait dans un grand bassin. Tous ceux qui passaient là en buvaient à volonté, car toute la journée et toute la nuit « cette course de vin » continua tant à l'extérieur qu'à l'intérieur du palais.
Ce fut pendant cette extraordinaire réunion de princes et de grands seigneurs venus de tous pays, ce fut au milieu de cet empressement du peuple, au plus fort de cette allégresse débordante de la foule, au moment le plus brillant de ces fêtes dont Philippe voulait qu'on ne perdit jamais le mémoire, et qui lui coûtèrent plus de 600.000 salus ; c'est dans cette joie, cette
liesse, cet enthousiasme, que tout à coup le
duc de
Bourgogne annonce, comme l'événement qui devait effacer en éclat tous les autres, la prise du nouvel ordre : la création de la
Toison d'or !
Son Roy d'armes de Flandres. accompagné de plusieurs officiers d'armes, le fait savoir à tous en une solennelle proclamation.
Il publie également les noms des vingt-quatre premiers titulaires, car Philippe veut probablement que dès le lendemain, ils se distinguent dans les joûtes et tournois qui sont préparés et qui vont durer six
jours. Et en effet, la chaîne d'or, deux
diamants, deux
rubis, un fermail en or, furent tour à tour gagnés par cinq des membres du nouvel ordre. Le
Duc lui-même était l'un des cinq et il avait mérité un riche
diamant (31).
C'est que les titulaires choisis par Philippe le Bon sont adroits parmi les plus adroits, braves parmi les braves ! Rien que leurs noms suffiraient à
illustrer une institution ! Si le collier que vient de leur donner le
Duc est pour eux un insigne honneur, l'éclat de leurs hauts faits à chacun rejaillit sur toute la confrérie !
Quels noms, en effet que ceux de cette première promotion ! Les voici :
Messire Guillaume de
Vienne, messire Régnier Pot, messire Jean de
Roubaix, messire Roland d'Uutkerke, messire Antoine de Very, messire David de Brimeu, messire Hugues de
Lannoy, messire Jean de Commines, messire Antoine de Toulongeon, messire Pierre de Luxembourg, messire Jean de la
Trémouille, messire Gilbert de
Lannoy, messire Jean de Luxembourg, messire Jean de
Villiers, messire Antoine de Croy, messire Florimond de Brimeu, messire Robert de Masmines, messire Jacques de Brimeu, messire Baudouin de
Lannoy, messire Pierre de
Beaufremont, messire Philippe de
Ternant, messire Jean de Croy et messire Jean de
Créquy.
Ce Jean de Luxembourg, c'est le seigneur
illustre et vaillant que le
Duc avait requis pour l'armer chevalier avant sa première bataille, sous
Abbeville ; c'est à lui que revint, en ce
jour glorieux, l'honneur de donner l'accolade à Philippe le Bon en lui disant « Monseigneur, au nom de
Dieu et de Monseigneur St-Georges je vous fais chevalier ; que aussi vous puissiez devenir saint comme il vous sera bien besoin et à nous tous ! » Honneur, dont J. de Luxembourg s'acquitta en se couvrant de gloire dans le combat acharné qui suivit, lorsque entouré d'
ennemis qui lui criaient « rendez-vous », il ne répondait qu'en frappant plus fort.
Ces sires d'Uutkerke, de Brimeu, de
Lannoy, de la
Trémouille et de Commines étaient aussi de cette même journée de Mons-en-Vimeu, et au plus fort de la mêlée, se trouvaient aux côtés du jeune
Duc si fort en péril et si ardent à la lutte que l'arçon de sa selle est brisé et que le harnachement de son coursier est déchiré de coups de lances.
Deux autres
Lannoy, non moins connus par leurs prouesses, représentent encore sur cette liste un nom synonyme de haute et pure noblesse.
Deux Croy aussi, dont la fortune si brillante est justifiée par tant de mérites et de courage ! L'un d'eux devait être cinq ans plus tard le
parrain de
Charles le Téméraire qu'il arma chevalier à son
baptême.
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(14) Olivier de la
Marche, Ch. XXX.
(15) Idem.
(16) Baron Kervyn de Lettenhove,
Histoire de Flandre, t. V, p. 4.
(17) Olivier de la
Marche, Ch. XXII.
(18) Ibidem.
(19) Pirenne,
Histoire
de Belgique, t. II, p. 237, notes.
(20) Ibidem.
(21) Olivier de la
Marche.
(22) Olivier de la
Marche, Ch. XXII.
(23) Idem.
(24) On a appelé cela leur particularisme !
(25) L'année suivante ce chiffre fut porté à 31 puis à 51 par Charles-Quint.
(26) Bn Kervyn de Lettenhove,
Histoire de Flandre.
(27) Fierens-Gevaert.
Psychologie d'une ville.
Bruges.
(28) Il n'y a rien d'étonnant à ce que les folles fussent gracieuses, puisque souvent les fous étaient à leurs moments, ainsi que l'écrit le Comte de
Laborde, des gens fort sérieux envoyés en missions difficiles.
(29) L. St Rémi.
(30) Vin blanc ou rouge auquel on ajoutait du miel, des épices et des aromates.
(31) Les autres étaient les sires de Croy, de Toulongeon, de
Villiers et de
Créquy.