Ce qui est certain, c'est que les hauts grades ne furent
pas inventés par Ramsay. Quand au Kadosch appelé Killer, assassin,
dans de très anciens manuscrits de Maçonnerie anglaise, et que tant
d'auteurs ont pris pour thème de leurs variations anti-maçonniques,
tout en étant bien antérieur à Ramsay, il a un sens très
différent de celui qu'on lui donne. Que si l'on nous oppose le Kadosch
de la Stricte-Observance
templière, Kadosch qui portait l'ancien costume
des
Templiers, siégeait botté, cuirassé et casqué
et dont le programme était au moins la récupération des biens
de l'ordre des
Templiers injustement condamnés et dépossédés,
nous ferons observer que le chevalier du
Temple attribué à Ramsay
n'a aucun rapport avec ce Kadosch de la Stricte-Observance
templière, dont
nous aurons d'ailleurs à parler longuement dans le cours de cette Notice.
Toujours est-il que le discours de Ramsay signala l'apparition
des hauts grades en France, puisque peu de temps après on vit se fonder
des Chapitres, Conseils et Tribunaux chargés de la direction de ces hauts
grades sous la haute protection de Jacques Edouard Stuart
[Note
de l'auteur : Un grand nombre d'auteurs ont confondu Jacques VII d'Ecosse, mort
à Saint-Germain-en-Laye en 1701, avec Jacques Edouard Stuart, mort à
Rome en 1766, et Charles-Edouard Stuart, mort en 1788 en Italie.],
dit le Chevalier de St-Georges et, plus tard, de Charles-Edouard Stuart, dit le
comte d'Albany. Ce fut d'abord le Chapitre d'
Arras, constitué par lord
de Deberkley, en 1745, sous le nom d'
Ecosse jacobite ; puis, en 1747, la
constitution à
Toulouse des
Fidèles Ecossais par sir Samuel
Lockart ; la mère-loge de
St-Jean d'Ecosse de
en 1751
; les
Juges Ecossais établis par Martinès de Pasqually
[Note
de l'auteur : Disons en passant pour M. Papus qui l'ignore, bien qu'il ait eu
la prétention d'écrire une vie de Martinès de Pasqually,
que ce dernier était natif de la paroisse Notre-Dame (Saint-Hugues), de
la ville et diocèse de Grenoble.] à
, en 1754
; et enfin, la même année, la fondation, à
Paris, par le chevalier
de
Bonneville, du
Chapitre de Clermont. Ce Chapitre, dont les membres étaient
pour la plupart des partisans du prétendant Stuart, comprenait les personnages
les plus distingués de la cour et de la ville, et pratiquait, entre autres
grades, ce Chevalier du
Temple, attribué à Ramsay, dont nous avons
parlé plus haut
[Note de l'auteur : Jouaust a écrit
fort judicieusement au sujet des accusations formulées contre ce chapitre
: « Le nom de Chapitre de Clermont, rapproché de celui de Collège
de Clermont, fondé par les jésuites (depuis Collège Louis-le-Grand),
a fait supposer à ceux qui voient partout des jésuites, que ceux-ci
avaient mis la main sur la Maçonnerie, et qu'ils en gouvernaient une partie
par les Rose-Croix. Ce rapprochement de nom est tout fortuit. Bien que le comte
de Clermont ne fût nommé que par la Grande Loge, composée
des maîtres de loge de Paris, c'est comme témoignage de respect,
en même temps que comme titre honorifique, que le chevalier de Bonneville
appela son atelier supérieur, Chapitre de Clermont. »].
On a souvent accusé le Chapitre de
Clermont d'avoir
fondé l'
Ordre de la Stricte-Observance templière ; mais rien
n'est moins démontré qu'une telle fondation, que refusera toujours
d'admettre celui qui a quelque connaissance des rituels de ce Chapitre. On ne
sait pas encore exactement où le
baron de Hund prit la première
idée d'une continuation de l'ancien ordre des
Templiers. Lui-même,
loin de s'expliquer clairement là-dessus, n'a jamais raconté que
des
histoires fort embrouillées et dépourvues de toute vraisemblance,
sur lesquelles nous aurons à revenir à propos de la chute de la
Stricte-Observance.
Ce qui est aujourd'hui établi, c'est que le
baron
de Hund fut reçu maçon le20 mars 1742 à Francfort-sur-le-Main
; qu'il vint ensuite à
Paris où, en 1743, il reçut en présence de lord Kilmarnock le grade de Chevalier du
Temple ; que quelques mois après il retourna en Allemagne où, sur les données incomplètes d'une
initiation hâtive, il conçut le
rite templier qui, sous le nom de Stricte-Observance, devait se répandre en Allemagne, en France,
en
Suisse, en Italie et en Russie.
Pour terminer, disons qu'en 1788 fut constitué le
Chapitre dit
Empereurs d'Orient et d'Occident, dont Louis de Bourbon, comte
de
Clermont, reçut la grand-maîtrise, et dont les membres prenaient
les titres de souverains princes maçons, substituts généraux
de l'Art Royal, grands surveillants de la souveraine Loge de St-Jean-de-Jérusatem.
Le
frère Lacorne, substitut particulier du comte de
Clermont et prince
maçon, était membre de ce Chapitre ; ce qui nous
amène à
défendre ce
frère Lacorne dont on a dit si injustement tant de mal.
On n'a pas épargné les sarcasmes à ce
maître à danser père du Grand Orient de France, sans
réfléchir qu'en Maçonnerie un
maître à danser
est sur le même niveau qu'un
premier baron chrétien. Sur les
documents de l'époque, nous voyons figurer les noms les plus honorables
près de celui du
frère Lacorne ; ce sont ceux de
Chaillon de Jonville,
substitut général de l'ordre, du prince de
Rohan, de
Brest de
Lachaussée
et du comte de
Choiseul, et, si nous nous en rapportons aux écrits mêmes
de ses adversaires, nous voyons que c'était un homme d'un caractère
aimable qui eut l'avantage d'aider le comte de
Clermont dans quelques travaux
de réception. Le
mémoire justificatif, bien que très
hostile à Lacorne, n'insinue même pas que ce fut un malhonnête
homme et nous ne savons sur quelles preuves on lui a depuis donné l'épithète
infamante de pourvoyeur des
amours clandestines du comte de
Clermont. Il est probable
qu'à ce sujet, comme à d'autres, les auteurs ont plus sacrifié
à l'
esprit de parti qu'à celui de vérité, puisque
Rebold lui-même a écrit que le comte de
Clermont révoqua Lacorne
et nomma à sa place le
frère Chaillon de Jonville (Rebold écrit
Chaillou de
Joinville) pour son substitut général, alors qu'il est
avéré que Lacorne ne fut jamais substitut général
et que
Chaillon de Jonville ne fut jamais substitut particulier.
La véritable cause des désordres qui se produisirent
vers 1760 consistait en ce que la plupart des membres de la
Grande Loge de
France, s'appuyant sur le décret promulgué par lord Harnouester
en 1736, refusaient de reconnaître les constitutions de maîtres de
loge qui n'avaient pas été délivrées par la
Grande
Loge de France ; alors que quelques autres membres, dont Lacorne, soutenant
la suprématie des chapitres, n'avaient pas hésité à
profiter de l'inaction du parti adverse pour placer parmi les officiers de cette
Grande Loge des maîtres dont les constitutions ne relevaient que des chapitres.
Il suffit de lire les procès-verbaux de l'époque
pour voir qu'il ne fut jamais question « d'hommes assez mal famés
» que Lacorne serait allé recruter dans les cabarets. Les partisans
de Lacorne étaient au contraire de « forts honnêtes hommes
» dont les pièces officielles constatent l'honnêteté
civique et maçonnique
[Note de l'auteur : Voy. Brest
de Lachaussée. Mémoire justificatif ; ainsi que le registre
original des travaux de la Grande Loge de France. Il est très regrettable
qu'en parlant des « murs déplorables de Lacorne et des individus
de son espèce », M. Papus se soit contenté de copier Clavel
ou Rebold, sans chercher à s'éclairer davantage.]. Il
n'y eut dans tous ces désordres, que la plupart des
historiens semblent
avoir pris plaisir à amplifier, qu'une confusion de pouvoirs très
regrettable. C'est cette confusion que d'éminents maçons devaient
s'efforcer vainement de faire cesser, lors de la fondation du
Grand Orient
de France. Nous aurons à revenir là-dessus. Pour l'instant qu'il
nous suffise de constater que toutes ces
histoires de troubles ont été
évidemment exagérées. La
Franc-Maçonnerie était
alors en pleine prospérité en France où l'on comptait déjà plus de 170 loges, chapitres et tribunaux, dont une cinquantaine à
Paris ; et les avantages que présentait cette société étaient tels, que certains escrocs commençaient à chercher dans les
ateliers inférieurs un terrain trop souvent propice à leurs exploits.