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La voie de l'occultiste - Tome 2

Annie Besant
© France-Spiritualités™






FRAGMENT III : LES SEPT PORTAILS
Chapitre XXI : L'accord du cœur

      Avant de pouvoir approcher du dernier, ô tisserand de la liberté, il te faudra conquérir, le long du sentier aride, ces Paramitas de perfection, les vertus transcendantes, au nombre de six et de dix.
      Car, ô disciple, avant de t'avoir mis à même de rencontrer ton Maître face à face, lumière à lumière, que t'a-ton dit ?
      Avant de pouvoir approcher de la première porte, il faut apprendre à séparer ton corps de ton mental, à dissiper l'ombre, et à vivre dans l'éternel. Pour cela, tu dois vivre et respirer en tout, comme tout ce que tu perçois respire en toi ; sentir que tu résides en toutes choses, et toutes choses dans le Soi.


      Charles Webster Leadbeater : « Rencontre ton Maître, lumière à lumière », est l'expression d'une admirable vérité. Quand l'élève entre en contact avec la Conscience du Maître et que celui-ci l'enveloppe pour la première fois, la lumière du Maître fait resplendit l'aura de l'élève, comme nous l'avons expliqué dans Les Maîtres et le Sentier. (57)

      Ces versets répètent en grande partie les idées qui se trouvent au commencement du premier fragment. Séparer le corps du mental signifie littéralement qu'il faut apprendre à former le mayavi roupa, et, métaphoriquement, qu'il faut discerner la réalité et comprendre que l'homme n'est pas son corps. Le corps astral est l'ombre du corps physique ; il ne doit pas être détruit, mais son influence sur le disciple doit cesser. Il faut l'employer, mais faire en sorte qu'il ne nous domine pas. Vivre dans l'éternel n'est pas abandonner la terre, mais juger constamment les choses au point de vue de la vie éternelle. Nous avons considéré tout cela en étudiant Aux pieds du Maître.

      L'homme qui s'applique à vivre au point de vue de l'éternel et de l'ego soumis aux renaissances, apprend bientôt que les impacts extérieurs n'ont aucune importance. En lisant Les Vies d'Alcyone, nous constatons que parmi les caractères dont elles nous parlent, beaucoup souffrirent infiniment. Comme certains d'entre eux étaient nous-mêmes, nous savons que la souffrance n'eut qu'un temps et ne nous affecte plus aujourd'hui. En regardant en arrière, nous nous demandons parfois comment certains de ces personnages ont pu endurer de telles souffrances ; ils l'ont fait cependant et traversèrent l'épreuve en toute sûreté. Il n'est pas toujours aussi facile de sentir que nous traversons de même nos souffrances présentes, car nous sommes engagés dans cette éprouvante période, au lieu de la regarder de loin. On ne peut s'attendre à juger nettement et complètement telle expérience ou tel événement dans lesquels nous sommes aujourd'hui plongés. Sur le champ de bataille, par exemple, un soldat sait fort peu ce qui se passe et ignore habituellement l'importance du mouvement particulier ou de la manœuvre auxquels il prend part. Son rôle, insignifiant en apparence, peut être un facteur important dans l'issue du combat ; il peut aussi être brillant et remarqué sans importer beaucoup, en réalité, au succès.

      Je ne crois pas cependant que l'on puisse exagérer l'importance de la Société Théosophique. C'est un des mouvements les plus importants que le monde ait jamais vus. Aux yeux du monde, des souverains et des hommes d'Etat, rien pour la distinguer des autres sociétés ; c'est un petit groupe. Pourtant, elle a été fondée par deux Maîtres qui seront un jour à la tête de la sixième race-mère et choisissent dans nos rangs les gens susceptibles de participer au développement initial de cette race. Par contre, il est facile d'exagérer le rôle joué par nous dans l'œuvre de la Société. Nul n'est indispensable, comme nous avons pu le remarquer au cours de l'histoire de la Société. Nos grands chefs, Mme Blavatsky et le Colonel Olcott nous ont quittés, mais la Société a survécu à cette perte, elle a continué à répandre ses idéaux et à les faire pénétrer partout, parce que les Maîtres demeurent.

      Les disciples des Maîtres doivent apprendre à identifier leur conscience avec celle de leur prochain ; pour cela, certains exercices leur sont fréquemment imposés. Souvent les résultats surprennent, quand tout d'abord l'élève cherche à pénétrer la conscience de divers animaux. La pensée de ceux-ci est très courte et telles activités attribuées par l'observateur à des motifs tirés de l'expérience humaine, sont dues souvent à une cause très différente. D'autre part, les animaux poussent beaucoup plus loin que l'on ne croit le peu d'idées qui leur sont propres ; ainsi, nous leur attribuons tantôt des facultés très supérieures, tantôt des facultés très intérieures à celles dont ils sont doués.

      L'élève est souvent placé dans le corps d'une autre personne, afin de pouvoir comprendre les sentiments de celle-ci et aussi pour se voir lui-même revêtu de formes diverses. Une expérience de ce genre, expérience plutôt pénible, me fut racontée, il y a bien des années, par M. Damodar K. Mavalankar. Un jour, il fut retiré de son corps et jeté dans celui d'un marin ivrogne, sur le quai d'un port étranger. Pour lui, Brahmane, éprouvant comme tout Brahmane, une horreur héréditaire – si l'on peut s'exprimer ainsi – pour tout contact avec un objet vil et impur, sentiment dont un occidental peut à peine concevoir la puissance, pour lui le choc fut terrible. Il se trouva plongé dans ce qui était pour lui une fange innommable. Pourtant, dans la situation affreuse qui subitement lui avait été faite, il put conserver le sentiment de son individualité et se dire : « Je ne suis pas cela ; je suis Damodar ». Il parvint ainsi à rester calme et à penser : « Cela aussi est l'humanité ; à cela aussi ma sympathie est due ». Il s'en tira donc assez bien.

      Bien des gens soumis à pareille épreuve seraient entrés dans une violente agitation, auraient pris tout cela pour un affreux cauchemar, et, se débattant avec frénésie, en auraient souffert. Pour la plupart, le premier sentiment eût peut-être été le dégoût. Pour l'Adepte, il en est autrement. Devant le mal, Il ne ferme jamais les yeux ; Il le jugerait tel bien plus que nous ne le pourrions, mais Il n'éprouve pas de dégoût. Il discerne toutes les phases de la vie humaine. Il se souvient avoir passé par quelque chose de semblable, en un temps infiniment reculé – peut-être sur une autre planète. D'ailleurs, Sa conscience bouddhique est elle aussi parfaitement développée, ce qui permet d'envelopper en soi-même les pécheurs. Ainsi, point de répulsion pour l'homme qui commet le mal ; un seul désir – donner toute l'aide possible. Cependant, il est impossible d'en donner beaucoup aux hommes de cette catégorie ; encore faut-il user de prudence. La sympathie ne suffit pas : il faut aussi la sagesse, permettant de trouver les paroles capables d'agir sur le malheureux ; enfin de la patience et du tact afin de lui montrer l'excellence d'une vie légèrement supérieure à celle qu'il mène.

      Grâce à cette expérience de l'identification, on apprend ce qui est une sage sympathie ; je ne crois pas qu'il y ait une autre façon d'y arriver parfaitement. On voit alors pourquoi un homme fait certaines choses et comment elles lui apparaissent. Les gens qui n'ont pas connu cette expérience doivent, autant que possible, essayer de se placer au point de vue d'autrui.


      Tu ne laisseras pas tes sens s'ébattre dans ton mental.
      Tu ne sépareras pas ton être de l'Etre, et du reste, mais tu déverseras l'océan dans la goutte, la goutte dans l'océan.
      Ainsi tu seras en parfait accord avec tout ce qui vit ; tu aimeras les hommes comme s'ils étaient tes frères disciples, les élèves d'un même Maître, les fils d'une même et tendre mère.


      La première sentence rappelle le commencement du premier fragment, où il est dit : « Le mental est le grand destructeur du réel. Que le disciple détruise le destructeur ». Le mental est destructeur parce que nous avons toléré que des préjugés se forment en lui. Chacun sait que nous ne voyons jamais une autre personne, mais seulement l'idée que nous nous faisons d'elle. Du reste, « détruire le destructeur » ne signifie pas que nous devions nous passer de l'intelligence et nous reposer exclusivement sur nos instincts, qui appartiennent à un niveau inférieur. Il faut nous élever jusqu'au plan de l'intuition, qui est supérieur à celui de l'intelligence et permettre à l'intuition de décider vers quels objets doivent être dirigées nos pensées.

      Si les gens voyaient l'effet des préjugés sur le corps mental, ils seraient bien étonnés. La matière de ce corps est, ou devrait être, entraînée dans un courant continuel et rythmique ; certaines de ses régions (on anneaux) concernent divers genres de pensées. Un préjugé dans un ordre d'idées quelconque détermine une congestion dans l'anneau correspondant ; sur ce point, le flux se ralentit. L'effet produit sur le corps mental par cette congestion ressemble exactement à une grosse verrue. Nous devrions pouvoir, de tout point du corps mental, regarder au dehors, mais la verrue a pour effet de gêner notre vision. Essayons-nous de regarder à travers cette partie du corps mental, les choses nous apparaissent déformées ; nous l'avons déjà expliqué.

      C'est ainsi que le mental est le destructeur du réel. Les meilleurs ont leurs préjugés. Telle personne, par exemple, fière de ne pas en avoir sur certains points – mettons en ce qui concerne les castes ou la couleur – en aura sur d'autres, peut-être en ce qui concerne le savoir-vivre. Qu'un homme ait le teint basané, blanc, cuivré ou jaune, elle n'y attache pas d'importance, mais s'il mange avec son couteau ou parle avec un accent provincial, elle n'en prend pas son parti.

      De ces préjugés, les pires sont ceux dont nous ignorons l'existence et que nous possédons peut-être depuis notre enfance. Rien de plus difficile à déraciner. La seule manière d'y parvenir tout à fait, c'est d'aimer. Si les manières de cet homme sont déplaisantes, eh ! bien il en acquerra un jour de meilleures – sinon dans la présente incarnation, du moins dans la prochaine – mais cet homme, tout comme nous-même, fait partie du Logos. L'amour de Dieu, comme la paix de Dieu, dépasse toute compréhension ; non seulement cet amour excuse tout, mais encore la nécessité d'excuser n'existe pas pour lui.

      Nous devons apprendre à aimer tous les hommes comme s'ils étaient nos compagnons d'étude. Le lien entre élèves d'un même Maître est le plus puissant qui existe, sauf celui qui unit les membres de la Confrérie. L'élève finira par applendre à si bien élargir la faculté aimante acquise dans ces conditions d'unité, qu'il l'étendra à tous ceux qu'il voit.


      Il y a beaucoup de Maîtres : l'Ame-Maîtresse est du nombre, Alaya, l'Ame universelle. Vis dans ce Maître et que ces rayons vivent en toi. Vis en tes semblables comme ils vivent en Lui.

      Encore la même idée d'unité, en termes plus beaux encore.


      Avant d'atteindre le seuil du sentier ; avant de franchir la première porte, tu dois fondre les deux dans l'un, sacrifier le personnel au Soi impersonnel, et détruire ainsi le sentier entre les cieux – Antahkarana.

      Rien d'obscur dans le sens général de ce verset, mais le mot antahkarana est rarement employé, surtout dans le sens donné en note par Blavatsky. Elle dit : « Antahkarana est le Manas inférieur, le sentier de communication entre la personnalité et le Manas supérieur ou Ame humaine. A la mort, il est détruit comme sentier ou moyen de communication, et ses restes survivent dans une forme à l'état de Kamaroupa – la coque. »

      Vers la fin du troisième volume de La Doctrine Secrète, Mme Blavatsky appelle quelquefois Kama-manas ce que nous appelons maintenant le mental inférieur, c'est-à-dire un mental dont le caractère a été constitué pendant la vie personnelle sous l'influence de Kama. On pourrait ainsi regarder Antahkarana comme le manas inférieur pur de toute souillure, le rayon du manas supérieur. Pendant la vie, l'homme peut communiquer par ce canal avec le manas supérieur et, comme nous l'avons vu dans Les Maîtres et le Sentier (58), l'élève s'applique à élargir le canal de façon qu'il demeure toujours complètement ouvert et que le manas supérieur et actif puisse s'exprimer sans cesse dans la personnalité. Mais, après la mort, l'homme moyen n'a plus la liberté de se lancer dans des activités nouvelles et d'essayer des expériences nouvelles ; il se trouve maintenant dans le monde des résultats dont les causes ont été par lui-même mises en mouvement pendant la vie terrestre, et doit d'abord, dans la condition dévakhanique, mettre à profit la somme des émotions éprouvées sur le plan astral, ensuite la somme des émotions supérieures éprouvées sur le plan mental. Dans un certain sens, son antahkarana ne joue donc plus le rôle de canal descendant. Mais cela ne s'applique pas à l'homme qui est maître de ses propres sentiments et de ses propres pensées, ni à l'élève qui se déplace à volonté sur les plans astral et mental inférieur.

      Pendant sa vie, l'ego dans le corps causal a consacré en quelque sorte une partie de sa propre énergie à la recherche d'expériences utiles appropriées à sa personnalité. Dans la mesure où la personnalité s'est montrée inférieure à sa mission, cette énergie, ces rayons du manas supérieur ont élé perdus ; ils ne sont plus qu'un centre pour la coque, ou même pour la production d'un « gardien du seuil », s'ils ont assez forts pour subsister jusqu'à la prochaine incarnation.

      Dans le langage théosophique courant, l'homme après son décès demeure plus ou moins longtemps sur le plan astral, suivant la quantité et la vigueur de ses désirs égoïstes grossiers, raffinés ou mixtes. Ensuite arrive pour lui la seconde mort, celle du corps astral, et il passe en dévakhane (condition spéciale au plan mental inférieur) dans son corps mental inférieur ; là, il amène à leur perfection toutes ses ambitions et tous ses désirs non égoïstes. Durant cette phase dévahkanique, il se peut qu'une partie du cadavre astral abandonné continue à errer, s'il trouve un milieu à sa convenance et si ce corps a été grossier. Tout cela se trouve expliqué avec les plus grands détails dans mes petits livres Le Plan Astral et Le Plan Dévakhanique. Une description complète de ces conditions posthumes donnerait au présent volume des proportions excessives.

      En écrivant l'article sur les âmes perdues incorporé dans The Inner Life, j'entendais expliquer simplement les rapports entre le mental supérieur et le mental inférieur. L'ego appartient en très grande partie au sous-plan le plus élevé du mental ; pour une partie moindre au deuxième sous-plan ; pour une partie encore moindre au troisième. Nous pourrions donc représenter l'ego vivant sur ces trois sous-plans par une figure ayant la forme d'un cœur conventionnel, dont la pointe serait dirigée vers le bas. Chez la personne ordinaire, cette petite pointe touche seule la personnalité, c'est-à-dire qu'une partie infime de l'ego y est engagée.

      Chez les hommes non évolués, c'est tout au plus si la centième partie de l'ego est active. Chez les étudiants en occultisme, un peu du deuxième sous-plan est en général également actif. Chez les étudiants plus avancés, une grande partie de ce sous-plan est en activité ; enfin, au degré immédiatement inférieur à celui de l'Arhat, la moitié de l'ego, ou à peu près, est active.

      La domination exercée par l'ego sur ses véhicules inférieurs est réduit à très peu de chose. Nous pouvons considérer l'antahkarana comme un bras étendu entre la petite partie de l'ego douée d'activité et celle qui descend plus bas, la main, qui souvent oublie la première et même lui fait opposition. Quand toutes deux sont parfaitement unies, ce fil atténué cesse d'exister.

      En sanscrit, antahkarana signifie l'organe ou l'instrument intérieur ; sa destruction est le signe que l'ego n'a plus besoin d'instrument et agit directement sur la personnalité.

      L'ego perd littéralement une partie de lui-même quand la cohésion de l'ego considéré dans son ensemble est inférieure aux forces qui tendent à le tenir captif ; cependant, il a pendant sa vie réalisé certains gains et (toujours en écartant le cas d'une vie très perverse) ces gains sont plus grands que la perte éprouvée par suite de l'enchevêtrement avec le manas inférieur. Au moment de la seconde mort, il reste un peu de lui-même et un peu du manas inférieur dans le Kama roupa. Il faut donc se représenter l'antahkarana comme le lien qui unit le Moi supérieur au moi inférieur, lien qui disparaît quand ils n'obéissent plus tous deux qu'à une volonté unique.


      Tu dois être préparé à répondre au Dharma, loi rigide, dont la voix te demandera dès le début, à ton premier pas :
      « T'es-tu conformé à toutes les règles, ô toi dont les espérances sont sublimes ?
      « As-tu accordé ton cœur et ton mental avec le grand mental et le cœur de tout le genre humain ? Car, semblable à la voix rugissante de la rivière sainte qui fait écho à tous les sons de la nature, ainsi le cœur de celui qui veut entrer dans le courant doit vibrer en réponse à tout soupir, à toute pensée de ce qui vit et respire. »


      Ici se trouve une longue note de Mme Blavatsky : elle dit que les Bouddhistes du nord et, en somme, tous les Chinois, trouvent dans le grondement profond de quelques-uns des grands fleuves sacrés la tonique de la nature. En science physique comme en occultisme, ajoute-t-elle, chacun sait que dans la nature la réunion des sons – comme par exemple le grondement de grands fleuves, le bruit des cimes d'arbres se balançant dans les grandes forêts, ou encore le bruit lointain d'une ville, est une note parfaitement définie, un lieu d'une valeur appréciable. Tout cela est vrai et le ton profond de la nature est toujours perceptible pour l'homme habitué à le reconnaître. Chaque planète aussi possède son propre son ; en se mouvant dans l'espace, elle fait entendre une note spéciale, et celle-ci fait connaître au Logos si la marche de tous Ses mondes est régulière, un peu comme un mécanicien expérimenté reconnaît au son du moteur si sa machine fonctionne bien.

      Ceci nous ramène à la sympathie, qualité sur laquelle ce livre insiste tant. Souvent nous croyons comprendre nos plus intimes amis, mais au fond nous nous trompons, comme un observateur extérieur peut le constater sans peine. Mais un Maître comprend toujours ; toute méprise Lui est impossible : Il peut désapprouver en paroles telle chose dont Il est témoin ; pourtant Sa sympathie reste parfaite et Il comprend sans qu'un seul mot de nous soit nécessaire. Nous devons essayer de comprendre nos semblables en nous efforçant de voir par leurs yeux, en nous rendant compte de leurs pensées – non pas en faisant ce qu'ils font.


      On peut comparer les disciples aux cordes de la vina qui éveille les échos de l'âme ; l'humanité à sa table d'harmonie ; et la main qui la caresse, au souffle harmonisant de la grande Ame du monde. La corde incapable de répondre au toucher du Maître, en suave harmonie avec toutes les autres, se brise et est rejetée. De même, les esprits collectifs des Lanous-Shravakas. Ils doivent s'accorder avec l'esprit de l'Acharya, un avec l'âme transcendante ou se briser.

      La Hiérarchie Occulte emploie les disciples comme les cordes d'une vina, afin que retentisse la musique sublime de la marche évolutive et que toute l'humanité puisse en percevoir les accents. Que feriez-vous, étant musicien, d'une corde qui, refusant de se laisser accorder avec les autres, voudrait essayer de jouer un rôle prépondérant ? Vous la mettriez au rebut. Toute personne qui veut faire à sa tête, cherche à s'instruire ou à se libérer, vise un but personnel quelconque n'est pas digne de devenir élève du Maître. Sur ce point, tout élève sera mis à l'épreuve. Des tâches lui seront données et que nul ne fera s'il les néglige. S'il s'agit d'une œuvre importante, le Maître tient toujours toute prête une autre combinaison, mais si c'est un travail sans grande portée, son abandon est possible. Alors cette corde est jetée.

      Le disciple doit s'accorder non seulement avec les intentions souveraines de son Maître, mais encore avec le reste des travailleurs. Chacun doit accomplir sa propre tâche sans s'occuper de celle des autres ; quand leur travail touche au sien, il peut soit les aider, soit les gêner ; or, son devoir est d'assister ses frères et de faciliter autant que possible leurs efforts. Cette patience et cette assistance mutuelles opèrent comme l'huile dans la machine ; celle-ci, quand l'huile manque, peut continuer à fonctionner, mais moins facilement et moins bien, et il faut plus d'énergie pour l'actionner. Si, donnant au travail toute notre énergie, nous souffrons qu'il y ait déperdition par suite de friction, c'est à peu près comme si nous ne donnions qu'une partie de notre énergie. Il faut avoir pour objectif, non pas l'avancement personnel, ni même la réussite de notre tache spéciale, mais le bien général.


      Ainsi font les frères de l'ombre – les meurtriers de leurs âmes, le clan redouté des Dad-Dougpa.

      Dans tous ses écrits, Mme Blavatsky donne le nom de Dougpa aux frères de l'ombre – aux magiciens noirs, comme nous les appelons souvent. Le choix de ce dernier terme est peut-être assez malheureux, car les dougpas ne méritent pas absolument tout ce qui a été dit de fâcheux sur leur compte.

      Au Thibet, avant l'introduction du Bouddhisme, le culte des élémentaux et des esprits de la nature était fort répandu : on leur présentait régulièrement des offrandes propitiatoires. La religion manquait d'élévation, comme doivent en manquer toutes les religions ayant un caractère propitiatoire. « Les bhons et les dougpas, dit Mme Blavatsky, et les différentes sectes de « bonnets-rouges » sont regardés comme les plus versés en sorcellerie. Ils habitent le Thibet occidental, le petit Thibet et le Bhoutan. » Ainsi, l'ancienne religion a survécu.

      Il en fut de même dans d'autres religions. Dans le Christianisme, par exemple, comme je l'ai fait remarquer, Jéhovah s'attarde – divinité de tribu, jalouse des autres dieux. Les Juifs ignoraient le Dieu unique et suprême avant leur captivité en Assyrie ; là, ils essayèrent d'identifier le Dieu Suprême dont ils entendaient parler avec le dieu de leur propre peuplade ; d'où une grande confusion. Par malheur, le Christianisme hérita de cette doctrine, que nous retrouvons dans le service eucharistique anglican. Au commencement de ce service, lecture est donnée des dix commandements juifs où est nientionné un dieu jaloux, mais plus tard, dans le même service, nous voyons Dieu appelé « Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, Vrai Dieu de Vrai Dieu ». La vieille idée de propitiation a, elle aussi, passé dans le Christianisme, dans cette étrange notion que Dieu fut apaisé par le sacrifice de Son propre Fils.

      Au Thibet, bien que le Bouddhisme n'ait pas envoyé moins de trois missions dans ce pays et que presque tout le monde soit plus ou moins bouddhiste, l'ancienne religion se retrouve constamment, car le peuple y était très attaché. En Italie, même phénomène dans la région des Apennins où se découvre encore la vieille religion étrusque, bien plus ancienne que la romaine. L'Eglise Catholique a tenté, mais en vain, de la combattre. Autre exemple, fort évident, dans l'île de Ceylan. Les Cinghalais sont bouddhistes ; parmi eux quelques descendants chrétiens des habitants convertis par les Portugais. Pourtant, aux moments critiques – graves maladies ou calamités – Bouddhistes et Chrétiens ont également recours à l'ancien « culte du diable ». Leur en demandez-vous la raison, ils répondent : « Naturellement nous sommes bouddhistes ou chrétiens et gens civilisés ; mais il se peut, après tout, qu'il y ait quelque chose de plus dans la foi ancienne ; il n'y a pas d'inconvénient à se mettre du bon côté. »

      La terminaison pa signifie simplement « gens ». Ainsi, les fidèles du Maître Kouthoumi sont appelés au Thibet Kout-Houm-pa. Les Bhons-pa sont les sectateurs de la religion primitive. Les descendants des convertis faits par la première mission sont appelés Ninma-pa. Cette première incursion du Bouddhisme subit rapidement l'influence corruptrice de la vieille religion. La secte Kargyu représente les convertis de la deuxième mission, envoyée au Thibet plusieurs siècles après la première. Les Doug-pa ou Bonnets-rouges appartiennent à cette dernière secte et se rattachent par conséquent aux Bhon-pa. Leur doctrine se corrompit également et les vieilles croyances vinrent s'y mêler.

      Alors eut lieu la troisième et dernière réforme, par Tsong-Ka-pa ; ses adhérents sont les Geloug-pa ou Bonnets-jaunes. A cette secte appartiennent le Dalaï Lama et le Teshou Lama, ainsi que le gouvernement actuel du Thibet ; extérieurement, nos deux Maîtres en sont aussi. Les gens de la secte portent dans les grandes occasions des robes jaunes et de curieux et hauts bonnets, pointus comme des casques.

      Aryasanga appartenait aux Bonnets-jaunes ; comme aussi dans sa dernière incarnation, Alcyone, disciple de ce personnage. Peut-être Alcyone a-t-il un peu exagéré les expressions appliquées par son instructeur aux Bonnets-rouges. Les appeler « meurtriers de leurs âmes » ne révèle pas absolument l'esprit de la religion bouddhiste.

      Ainsi, le clan des Doug-pa vaut un peu mieux que son portrait. A la religion bouddhiste, ils ajoutent le culte des forces de la nature. Ce vieux culte, assurent ses adversaires, exigeait les sacrifices d'animaux et même, à une certaine époque, les sacrifices humains.

      Les Bonnets-jaunes, cherchant à maintenir un Bouddhisme plus pur, sont opposés aux Doug-pa. Leurs règles sont plus strictes et admettent beaucoup moins le culte des forces de la nature, bien qu'eux-mêmes n'aient pas réussi à s'en débarrasser complètement, si bien qu'une réforme nouvelle pourra fort bien un jour être jugée nécessaire. Certains Thibétains ont passé du clan Doug-pa à celui des Bonnets-jaunes, et ont même attiré l'attention de nos Maîtres : c'est dire qu'ils ne peuvent être absolument dévoyés. Les Bhon-pa sont des magiciens noirs ni très avancés, ni très respectables ; ils ne méritent donc guère, même dans leur catégorie particulière, l'appellation de « frères de l'ombre ».


      As-tu accordé ton âme avec la grande peine de l'humanité, ô candidat à la lumière ?
      Oui ?... Tu peux entrer. Pourtant, avant de mettre le pied sur le sentier désolé de la douleur, il est bon que tu connaisses d'abord les fondrières de cette route.

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      Encore l'idée du sentier de la douleur. Or, dans cette voie, point de tristesse ; des efforts soutenus mais aussi le plus grand bonheur trouvé dans le travail. Beaucoup d'instructeurs ont parlé de cette joie, avec ce résultat que leurs élèves, dès les premières difficultés, ont été désappointés. Aryasanga tenait évidemment à n'égarer aucun de ses disciples, aussi insistait-il sur les difficultés.

      Il existe une période difficile que tous doivent traverser ; elle forme l'intervalle entre deux certitudes. Dans cette période, beaucoup de personnes n'ont aucun goût pour les choses d'ici-bas. Peu leur importe, par exemple, si elles possèdent de l'argent, de belles maisons et de beaux vêtements – que sais-je encore. Si la fortune leur venait, ce serait une responsabilité qu'elles assumeraient tout comme une autre, mais elles seraient également satisfaites si leurs besoins étaient assurés, sans plus. A leurs yeux, les objets inférieurs ont perdu leur charme ; pourtant les objets supérieurs sont encore pour elles du domaine de la foi, non pas de la connaissance ni de l'expérience. Dans cet état, l'homme mène inévitablement une existence monotone et parfois misérable qui peut durer plus ou moins longtemps, ou bien encore se répéter plusieurs fois.

      Mais, quand le but supérieur apparaît nettement, tout change et le bonheur illumine le Sentier. Voyez notre Présidente : si elle consacrait à des fins mondaines son temps et ses talents, elle pourrait sans doute se faire une réputation et une place brillantes, et cela dans plus d'un ordre d'idées ; mais demandez-lui si elle aurait plaisir à laisser la tâche choisie par elle et à s'adonner aux ambitions mondaines, elle vous répondrait sans doute : « Certainement pas ; pourquoi le ferais-je ? Rien n'est comparable au bonheur de servir le Maître. »

      Point de vie mondaine qui présente autant de joies que la vie du disciple, quels que soient les charmes du milieu. Le disciple renonce à toutes sortes de possessions personnelles – mais qu'en ferait-il ? Dans l'Inde, il arrive souvent qu'un grand personnage, peut-être ancien premier ministre d'un Etat indépendant, disposant de beaucoup d'influence, de réputation et de richesses, renonce un beau jour à tout cela, mette une robe jaune et quitte sa demeure, sans conserver la moindre possession. Il prend ce parti, connaissant parfaitement les deux genres de vie, et se rendant bien compte que celle qu'il abandonne lui donnait peu de joie et peu de biens en comparaison de ce que lui donnera l'existence de l'ermite ou du sannyasi errant. Il arrive souvent qu'un personnage haut placé, comme le dernier tzar de Russie, se trouve à peu près dans l'impossibilité d'aider l'humanité ; un rang pareil n'a donc rien pour tenter l'occultiste. Je me souviens du choix offert à un étudiant très avancé : ou rester dans l'obscurité, ou s'élever jusqu'à une position éminente dans l'un des plus grands pays du monde. Il choisit la seconde alternative et finit par devenir premier ministre d'Angleterre. Dans cette situation, il se trouva paralysé par des intérêts puissants et égoïstes et combattu par l'Eglise. Fléchissant sous le fardeau de sa responsabilité, il fut obligé de se résoudre à une politique conciliante. Bien qu'il eût pour objectif de donner plus de liberté au peuple et de consolider l'empire – et il atteignit le second –, il regretta toujours son choix, pourtant parfaitement altruiste, et mourut désappointé.


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(57)  Op. cit., chap. V.

(58)  Op. cit., chap. VIII.




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