Hugues
Capet (1), chef de la troisième dynastie, qui a donné 32 rois à la France, était le plus puissant seigneur du royaume lorsque, la
couronne lui ayant été déférée dans une assemblée tenue à
Noyon, il fut sacré par
Adalbéron, archevêque de Reims, le 03
juillet 987. Cette assemblée ne devait pas être nombreuse : depuis le triomphe de la
féodalité, il ne pouvait plus y avoir d'assemblées de la nation, puisque les hommes libres étaient peu à peu tombés en servitude, et que les nobles relevaient, pour leurs
fiefs, de quelques grands propriétaires qui seuls exerçaient le pouvoir politique et qu'on désignait par le titre de
vassaux de la
couronne. Le nombre de
grands vassaux n'allait pas alors au delà de huit, à savoir : le
duc de Gascogne, le
duc d'
Aquitaine, le comte de
Toulouse, le
duc de France, le comte de Flandre, le
duc de
Bourgogne, le comte de
Champagne et le
duc de Normandie, duquel la
Bretagne relevait encore à cette époque. Tels étaient les seigneurs qui avaient un intérêt réel au choix du monarque, parce que seuls ils traitaient directement avec lui : les autres Français n'étaient plus les sujets du roi, mais les hommes des
grands vassaux, et s'inquiétaient fort peu à qui serait offerte une
royauté qui ne s'étendait plus jusqu'à eux.
Si l'ordre de succession au trône eût été établi sous la seconde race, Charles,
duc de la basse Lorraine,
frère de
Louis d'Outremer, aurait succédé à son neveu Louis V ; mais on ne manqua pas de raisons pour l'exclure : on l'accusa de s'être fait
vassal du roi de Germanie, d'avoir le cur plus allemand que français ; en un mot, il fut en butte à mille reproches, parmi lesquels on oublia le véritable : c'est qu'étant issu de
Charlemagne, il croirait ne
régner qu'en vertu de sa naissance ; or, on voulait un roi complice du
morcellement de la France en plusieurs souverainetés à peu près
indépendantes, afin que, n'ayant aucun prétexte pour essayer de revenir sur le passé, il ne songeât qu'à maintenir ce que le temps avait consacré. Hugues
Capet, qui comptait déjà parmi ses aïeux deux rois élus par le suffrage des grands
(2), qui possédait le
duché de France et disposait par son
frère du
duché de
Bourgogne, fut préféré dans l'assemblée de
Noyon, où se trouvaient aussi les chefs du clergé, non comme le plus capable de rendre au trône son éclat, mais comme entièrement
désintéressé dans le rétablissement de la monarchie telle qu'elle était sous Clovis et sous
Charlemagne (3). C'est ainsi que souvent les princes libres de l'empire, auxquels les
grands vassaux de France ressemblaient en tous points, choisissaient pour empereur celui qui, par sa position et ses intérêts, ne leur laissait appréhender aucune tentative contre leur indépendance. La famille d'Hugues était depuis longtemps à la tête du parti opposé au pouvoir royal des
Carlovingiens ; et l'on peut dire qu'il reçut la
royauté telle que ses ancêtres l'avaient faite : c''était bien peu de chose à cette époque. On est si porté à croire que le fondateur d'une dynastie qui a régné pendant huit siècles était un homme extraordinaire, que les
historiens qui n'ont pas remonté jusqu'à l'
esprit du temps ont attribué à Hugues
Capet des établissements admirables, des lois profondes dont ils faisaient honneur à son génie. Il ne tenta rien, n'établit rien, ne porta aucune loi ; son plus grand mérite est d'avoir senti qu'une extrême modération de sa part pouvait seule accoutumer les grands à voir la
royauté se perpétuer dans sa famille. Six mois après son couronnement, il obtint en effet la permission d'associer au trône son fils unique Robert, qui fut sacré à
Orléans le 1er
janvier 988. Ce prince donna à son père quelques légers regrets de s'être tant pressé ; mais si Hugues
Capet eût attendu plus tard, peut-être n'aurait-il pas trouvé
les seigneurs dans des dispositions aussi favorables, car Charles de Lorraine
était entré en France à la tête d'une armée, pour soutenir les droits qu'il prétendait avoir à la
couronne. Le
duc de Guyenne combattait pour lui ; plusieurs
évêques soutenaient sa cause, et le comte de
Champagne menaçait pour se faire acheter. Hugues
Capet n'était pas puissant parce qu'il était roi, mais parce qu'il avait fortifié le trône par ses immenses domaines, qu'il pouvait compter sur le
duché de
Bourgogne que possédait son
frère, et que ses alliances avec plusieurs autres
grands vassaux lui garantissaient leur secours. Il battit le
duc de Guyenne et fut battu à son tour par Charles, qui, après lui avoir enlevé de vive
force la ville de
Laon, seul véritable domaine de la
couronne, s'empara par surprise de la ville de
Reims.
Un jeune homme nommé Arnoul, neveu de Charles, fils naturel du roi Lothaire, et par conséquent de la famille
carlovingienne,
jour un grand rôle dans la prise de
Laon et de
Reims : il trahit Charles pour être fait
archevêque de
Reims par Hugues
Capet, et trahit ensuit Hugues
Capet en faveur de Charles, qu'il voyait vainqueur. Un
archevêché donnait à cette époque une souveraineté réelle sur une grande étendue de pays ; et, comme le pape intervenait, en sa qualité de chef de l'
Eglise, dans l'élection et la déposition des
évêques, il se trouvait arbitre du gouvernement
féodal pour ce qui concernait les
fiefs ecclésiastiques ; tout s'accordait alors pour restreindre le pouvoir des rois. En rentrant en vainqueur dans la ville de
Laon, Hugues
Capet fit prisonnier Charles et l'
archevêque Arnoul ; il les fit conduire à
Orléans, où le premier mourut deux ans après : ce n'était qu'un prince souverain ; il ne trouva personne pour le protéger ; mais le second était un
prélat, on ne pouvait disposer de son sort sans le consentement des
évêques. Il fallut assembler un
concile, qui ne prononça la déposition du coupable qu'à condition qu'il ne perdrait pas la vie, restriction d'autant plus désagréable à Hugues
Capet qu'Arnoul était de la famille de
Charlemagne. Le pape trouva mauvais qu'un
archevêque eût été condamné sans l'aveu de la cour de Rome. Cette affaire devint si considérable qu'elle occupa le reste du règne de ce monarque, qui mourut sans la voir terminée, le 24
octobre 996, la 57ème année de son âge et la 10ème de son règne.
Ce prince, dont l'autorité n'était point supérieure à celle des
grands vassaux, dont il avait été l'égal, sut tirer de ses
forces tout le parti que lui permirent les circonstances : les alliances qu'il contracta ne laissent aucun doute sur la connaissance profonde
qu'il avait des intérêts de l'
Europe ; il fixa son séjour à
Paris et fit de son palais une
église (c'était celle de St-Barthélémi, dans la cité). Il fit fortifier, contre les
irruptions des Danois et des Normands, une métairie qu'il avait comme abbé
de St-Riquiet (
Abbatis villa), et qui le rendait maître du cours de la Somme : telle fut l'origine d'
Abbeville. Hugues
Capet joignit au courage l'art de ménager les
esprits, et se fit, par son zèle pour la
religion, des amis assez sincères parmi les
évêques pour qu'ils ne balançassent
pas à se commettre avec le pape dans la déposition d'Arnoul. Blessé
de voir les biens de l'
Eglise envahis par les hommes de guerre, il renonça
aux riches
abbayes qu'il possédait par héritage comme
duc de France
; et, dans l'impossibilité où il était de donner une loi
à cet égard, il offrit au moins aux seigneurs un bel exemple à
suivre. Plusieurs de ses successeurs l'ont imité en établissant
dans leurs domaines des usages si favorables à l'ordre qu'ils s'étendirent
ensuite sur toute la France.
Les actions des rois suppléaient ainsi à leur
autorité, et préparaient le retour de leur puissance en fixant tous les regards sur le trône. Hugues
Capet était si peu maître hors de ses domaines, qu'ayant voulu empêcher Audebert, comte de la
Marche, de poursuivre une guerre injuste, le gentilhomme qu'il lui députa, piqué de la résistance qu'il trouvait, s'emporta jusqu'à lui demander qui l'avait fait comte :
Ce sont, répondit Audebert,
ceux-là-mêmes qui ont fait Hugues et son fils Robert ; et il continua son entreprise, sûr que l'intérêt de tous les seigneurs justifierait sa réponse ; il ne se trompa point. La
couronne, qui avait été élective sous la seconde race, parce qu'elle s'était unie, dans la personne de Pépin, à la mairie du palais, qui ne s'obtenait que par le suffrage des grands, redevint héréditaire sous la troisième dynastie, parce qu'elle se confondit dans la personne de Hugues
Capet avec les grands
fiefs qu'il possédait, et que les
fiefs alors étaient incontestablement héréditaires.
On peut même assurer qu'il ne fut élu que pour consacrer l'usurpation
des
fiefs, déjà sanctionnée par une longue possession ; et
l'on ne peut s'empêcher d'admirer par quels secrets ressorts, d'une mesure
prise contre le pouvoir des rois, sortirent avec le temps l'hérédité
et l'indivisibilité de la
couronne, les deux bases fondamentales de toute
véritable monarchie.
On croit que Hugues avait épousé Blanche, veuve de
Louis le Fainéant, dont il n'eut point d'
enfants. De sa deuxième femme, Adélaïde, fille du
duc de Guyenne, il eut un fils, qui régna seul après lui (Voyez
Robert), et trois filles, Adwige, Adélaïde et Gisèle.
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(1) Ce surnom, en latin
Capito, signifie
grosse tête ; quelques auteurs le dérivent d'une espèce de chaperon que ce prince porta le premier.
(2) L'origine de sa famille se perdait dans la nuit des temps, au raport de Glaber,
historien contemporain. D'anciens
historiens le font descendre de saint Arnoul, et même d'une fille de Clotaire, fils de Clovis le Grand ; d'autres le font arrière-petit-fils du
Saxon Wiltkind. Helgald, dans sa
Vie de Robert, semble lui faire tirer son origine des rois de Lombardie ; sentiment adopté par Legendre de
Saint-Aubin. Foncemagne combat ces divers systèmes dans les
Mém. de l'Acad. des inscriptions.
(3) Suivant une lettre de Gerbert, depuis pape sous le nom de Sylvestre II, qui a été publiée par André Duchesne, il semblerait que l'élection de Hugues
Capet fut aussi due à l'arrivée de six cents hommes d'armes, à la tête desquels il s'avançait, et à l'approche desquels le parlement, assemblé à
Compiègne, se dissipa le 11 mai.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 20 - Pages 126-128)