Biographie universelle ancienne et moderne Louis IX ou
saint Louis, fils de Louis VIII et de
Blanche de Castille, né à
Poissy le 25 avril 1215, succéda le 08 novembre 1226 à son père, n'étant que dans sa douzième année. C'était la troisième minorité depuis
Hugues-Capet, et la première régence exercée par une femme. La même Blanche s'empara de l'autorité aussitôt après la mort de Louis VIII ; et connaissant l'aversion des Français pour le gouvernement des femmes, elle se hâta d'assembler des troupes, conduisit et fit sacrer son fils à
Reims, avant que les seigneurs eussent pu s'entendre pour réclamer contre le pouvoir
qu'elle s'arrogeait. A beaucoup d'ambition et de fierté, Blanche unissait tant d'élévation et de ressources dans l'
esprit, un courage si grand, des principes si austères, qu'on doit penser qu'elle fut déterminée par la conviction que seule elle pouvait conserver et agrandir héritage de son fils pendant la minorité. Elle n'accorda une entière confiance qu'à
Romain Bonaventure, cardinal-légat, sans doute parce qu'étant étranger il ne pouvait avoir d'autres intérêts que les siens.
Mais ce fut pour les seigneurs un motif de plus de se révolter, ne pouvant souffrir d'être conduits par une reine castillane et un ministre italien. Les
grands vassaux avaient encore un autre motif ; ils brûlaient
de se venger de l'humiliation et de l'espèce d'abaissement dans lequel ils étaient tombés depuis la bataille de
Bouvines. A la tête de la ligue qui se forma contre la régente, l'
histoire distingue Pierre Mauclerc,
duc de
Bretagne, qui aimait mieux reconnaître pour souverain le roi d'Angleterre que le roi de France ; Hugues de
Lusignan, comte de la
Marche, excité par sa femme Isabelle d'
Angoulême, veuve de Jean sans
Terre,
Raymond VII, comte de
Toulouse, à qui Louis VIII avait fait la guerre, et qui perdit une grande partie de ses Etats pour avoir voulu se venger contre le fils de ce monarque ; et enfin Thibault, comte de
Champagne, tour à tour entraîné à la rébellion par la vengeance, et ramené à l'obéissance par l'autorité royale plutôt que par un
amour dont on a contesté la réalité (Voyez Levêsque de la Ravalière). Ces seigneurs, après avoir formé leur ligue, présentèrent leurs demandes. Blanche accorda tout ce qui n'était pas contraire à son autorité et fit marcher le roi à la tête d'une armée, afin de
joindre la
force aux négociations.
Louis IX avait à peine treize ans, et déjà on aurait pu croire qu'il gouvernait par lui-même, tant sa mère avait soin de le mettre en avant dans toutes les occasions, même lorsqu'il s'agissait de parler. Mais cette politique ne trompait pas les ligues, qui essayèrent plusieurs fois d'enlever le roi, sachant bien que ceux qui seraient les maîtres de sa personne le feraient expliquer selon leur volonté. La fortune leur offrit une occasion dont ils ne purent profiter, et qui ne servit qu'à faire éclater l'
amour des Français pour leur roi. Le jeune roi revenait d'
Orléans dans la capitale avec la reine Blanche, lorsqu'il fut surpris et entouré par des confédérés. Les hommes de sa suite le défendirent vaillamment et lui donnèrent le temps de se réfugier dans la tour de
Montlhéry : bientôt le bruit du danger qu'il courait parvint à
Paris ; tous les habitants, ayant pris les armes, volèrent à son secours, et le ramenèrent en triomphe. La ligue des seigneurs échouait ainsi dans toutes ses tentatives.
Tour à tour soutenus et abandonnés par le comte de
Champagne, les principaux confédérés tournèrent enfin leurs armes contre lui, et Blanche fit marcher le roi à sa défense : mais dès qu'elle n'eut plus besoin des secours du comte, elle ne pensa qu'à rabaisser cette maison de
Champagne, dont le pouvoir portait depuis si longtemps ombrage à la
couronne, et Thibault fut contraint de partir pour la terre sainte avec le
duc de
Bretagne.
Un autre événement important
de cette première régence de la reine Blanche fut le soulèvement
de l'université de
Paris en 1229. Quelques disputes entre les bourgeois
et les écoliers ayant obligé d'envoyer des soldats pour les apaiser,
plusieurs écoliers furent tués, et l'université demanda vengeance
à la régente ; mais celle-ci aima mieux voir l'université
se
dissoudre que de faire fléchir son pouvoir. Ce
corps ne fut rétabli
que trois ans après, sur la demande du pape Grégoire IX
(1). Blanche termina aussi avec gloire cette fatale guerre des Albigeois, qui durait
depuis le règne de
Philippe-Auguste ; elle maria
Louis IX à Marguerite,
fille de
Raymond Béranger
(2), comte de
Provence ; et la fin de sa régence fut aussi calme que les commencements en avaient été agités. Mais le plus éclatant service que cette reine ait rendu à la France est sans doute d'avoir formé un monarque si accompli, qu'il serait difficile de trouver dans l'
histoire à qui le comparer. Présidant elle-même à son éducation, elle ne laissait approcher de lui que des hommes estimables par leur vertu : elle lui
inspira pour la gloire de
Dieu un zèle si ardent et si éclairé, qu'il fut à la fois le plus grand des héros, le plus juste des monarques et le plus simple des hommes. Elle lui répétait souvent dans son enfance :
Mon fils, j'aimerais mieux vous voir mort que souillé d'un péché mortel.
Ce prince fut déclaré majeur, le 25 avril 1236,
à l'âge de vingt-et-un ans. Poussé par cet
esprit d'ordre et de justice qui l'animait sans cesse, il maintint longtemps son royaume dans le calme, et fit tous ses efforts pour rendre la paix à l'
Europe, alors troublée par les
divisions du pape et de Frédéric II. Il s'offrit plusieurs fois pour médiateur ; et s'il ne parvint point à se faire écouter, il obtint du moins l'estime et la confiance de ceux que ses discours et son exemple ne purent désarmer. Dans la seconde année de son gouvernement (1238), il signala sa pieuse ferveur en allant jusqu'à
Sens pour recevoir la
couronne d'épines de Jésus-Christ, qu'il venait de faire racheter des Vénitiens, entre les mains desquels elle avait été mise en gage par Baudouin, et la portant lui-même depuis le
bois de
Vincennes, la tête et les pieds nus, jusqu'à Notre-Dame, et de là à la chapelle qu'il avait fait bâtir dans son palais, dite depuis la Ste-Chapelle, où elle fut déposée. En 1239, Louis refusa pour son
frère, le comte d'
Artois, la
couronne impériale qui lui fut offerte par le pape Grégoire IX ; et ne voulant donner aucun sujet de plainte à l'empereur
Frédéric II, que le
pontife avait excommunié et qu'il menaçait de
déposer, le monarque français arrêta les deniers que Grégoire levait en France pour lui faire la guerre. Le respect de Louis pour le chef de la chrétienté, loin de le soumettre aux ecclésiastiques dans les affaires qui intéressaient le trône, lui apprit que la discipline
extérieure de l'
Eglise a besoin d'être réglée et maintenue
par l'autorité publique ; et ses ordonnances tendirent toujours à
séparer entre les
évêques et les seigneurs, entre la papauté
et la
royauté, des droits et des pouvoirs que les malheurs du temps avaient
confondus. Trop occupé de hautes pensées pour ne pas mépriser le luxe, il administra ses domaines avec tant d'économie, qu'il ne manqua jamais d'
argent pour les accroître.
En 1241, il tint à
Saumur une cour plénière
qui fut nommé la
non-pareille, à cause de sa magnificence. Il y donna la ceinture militaire à son
frère Alphonse, l'investit du comté de
Poitou, de celui d'Auvergne, de l'Albigeois, cédé par le comte de
Toulouse, et lui fit
rendre hommage par ses
vassaux. Le comte de la
Marche ayant refusé de remplir ce devoir, Louis l'attaqua avec une armée nombreuse ; et quoique le roi d'Angleterre Henry III fût accouru au secours du comte, il le battit deux fois en quatre
jours, la première à
Taillebourg, en
Poitou, où il fit des prodiges de bravoure ; la seconde à
Saintes, où il remporta une victoire décisive. Louis dicta la paix et pardonna au comte, qui était venu s'humilier devant lui. Cette clémence fut d'autant plus remarquable, que le monarque n'ignorait pas que la femme de ce rebelle avait tenté de le faire empoisonner. Loin d'être considéré comme un acte de faiblesse, ce pardon après la victoire fit connaître aux
grands vassaux qu'ils pouvaient sans honte se soumettre à un roi qui, à vingt-sept ans, défendait ses droits avec tant de courage et traitait ses
ennemis avec tant de générosité. Aussi depuis cette époque ils ne songèrent plus à se révolter, et le prirent même souvent pour
juge de leurs différends. La guerre contre le comte de la
Marche avait été suivie d'un traité avec l'Angleterre. Vivement poursuivi par l'armée française, le monarque anglais demanda une trêve de cinq ans ; et cette trêve ne lui fut accordée qu'en payant à la France 5000 livres sterling.
Louis IX avait éprouvé dans cette campagne une maladie grave dont il ressentait encore les suites. Dans l'année 1214, il retomba malade. Plus on appréciait les bienfaits de son règne, plus on craignait de le perdre. Comme le mal faisait des progrès effrayants et qu'on désespérait de sa vie, le peuple et le clergé accouraient aux
églises pour implorer la
miséricorde du
ciel ; on pleurait déjà sa mort, lorsque tout à coup il parut se ranimer, et prononça ces mots :
La lumière de l'Orient s'est répandue sur moi par la grâce du Seigneur, et m'a rappelé d'entre les morts. Le premier usage qu'il fit de la parole fut de demander la
croix et de prononcer le serment d'aller combattre les infidèles. On venait d'apprendre en Occident que les Kharismiens, peuple chassé de la Perse par les Tartares, avaient pris Jérusalem et dévasté la
Palestine. Cette nouvelle jetait la consternation parmi les fidèles ; et
Louis IX, vivement affecté du malheur qu'éprouvaient les chrétiens de la terre sainte, voulut partir lui-même pour y porter remède. En vain l'
évêque de
Paris, la reine Marguerite et la reine Blanche réunirent, à plusieurs reprises, leurs vives instances pour le détourner de son entreprise ; St-Louis resta inébranlable, renouvela son serment, et s'occupa des préparatifs de la
croisade dont il devait être le chef. Il assembla à
Paris un parlement auquel assista le
légat du pape, et dans lequel il prêcha lui-même la guerre sainte. Ses trois
frères, un grand nombre de
barons et de chevaliers, le comte de la
Marche, le comte de
Bretagne et plusieurs autres
grands vassaux qui avaient troublé le royaume prirent la
croix et promirent de suivre le roi en Asie
(3). Les revenus de ses domaines, les tributs volontaires des villes, les décimes levés sur le clergé, lui fournirent l'
argent nécessaire pour l'expédition. Rien n'est plus touchant que de voir, à l'époque de son départ, les tendres sollicitudes, les soins multipliés du monarque pour ne laisser dans le royaume qu'il allait quitter aucun sujet de plainte, aucune trace d'injustice, aucun
germe de trouble et de
discorde. Il confia la régence à la reine Blanche, manda à
Paris tous les
barons de France, leur fit jurer
fidélité.
Le 12
juin 1248, il alla prendre à St-Denis l'
oriflamme, le bourdon et la panetière, et accompagné de la reine Marguerite, des comtes d'
Artois et d'
Anjou, se rendit à
Aigues-Mortes pour s'embarquer ; il prit et rasa sur sa route le château de Roger de la Roche-Gluy, qui pillait et détroussait les marchands et les
pèlerins ; il mit à la voile le 28 août 1248, et le 17 septembre aborda à Chypre, où il passa l'
hiver. Au mois de mai suivant, Louis donna le signal du départ ; et la flotte qui portait les
croisés français, après avoir essuyé une tempête, parut à la
vue des côtes de l'Egypte. On assembla un conseil pour savoir si l'on opérerait sur-le-champ une descente : Louis parla avec tant de
force et d'énergie, qu'il enflamma le courage de tous ceux qui l'écoutaient ; l'armée entière descendit ou plutôt se précipita sur le rivage en présence des Sarrasins. Louis animait les
croisés par son exemple : l'armée musulmane fut mise en déroute ; et le lendemain du combat, le roi de France, précédé du clergé, marchant les pieds nus, entra dans Damiette, que les
ennemis avaient abandonnée.
Comme on approchait du temps marqué
pour l'accroissement des
eaux du Nil, on résolut de séjourner quelque
temps à Damiette, et d'attendre l'arrivée du cornte de
Poitiers,
frère du roi, qui devait venir avec l'
arrière-ban de la France.
Ce séjour corrompit les murs des
croisés, altéra parmi
eux la discipline, et fit naître des désordres dont la piété
du monarque fut vivement affectée
(4). Enfin, le comte
de
Poitiers arriva ; l'armée chrétienne, n'ayant plus à craindre
les débordements du Nil, marcha sur le
Caire. Parvenue au canal de
Tanis,
en face de
Mansourah, elle trouva me armée musulmane qui lui disputa le
passage. Après avoir employé un mois à des travaux inutiles,
on découvrit un gué, et les
croisés, ayant traversé
ce bras du Nil, remportèrent sur les Sarrasins une victoire que l'imprudence
et l'inhabileté des chefs empêchèrent d'être décisive.
Le comte d'
Artois,
frère du roi, poursuivant l'
ennemi avec trop de
chaleur
jusque dans
Mansourah, tomba au pouvoir des infidèles et perdit la vie.
Dans cette terrible journée, Louis n'avait pas cessé de combattre
; il s'était toujours montré au plus fort de la mêlée,
et on l'avait même vu un moment seul au milieu des Sarrasins. Cette victoire
lui coûta la moitié de sa
cavalerie ; il eut beaucoup de peine les
jours suivants à défendre le camp
musulman dont on s'était
emparé ; chaque
jour il gagnait des batailles, mais il perdait l'élite
de ses troupes ; enfin la disette et les maladies portèrent leurs ravages
dans l'armée chrétienne comme le
feu grégeois (Voyez
Marcus
Græcus) y avait répandu l'épouvante. Le roi se fit voir
au milieu de l'épidémie et de toutes les calamités qui affligeaient
les
croisés, comme il avait paru sur le champ de bataille, bravant la mort
et ranimant tout le monde par son exemple et par ses discours. L'armée
ne pouvait plus marcher vers le
Caire : il fallut songer à la retraite.
Louis fit embarquer sur le Nil les malades et les blessés : il donna aux
troupes le signal du départ. Quoique attaqué de la contagion et
se soutenant à peine, il ne voulut partir qu'avec l'arrière-garde,
et lorsqu'on le conjurait de monter sur un vaisseau comme le
légat du pape,
il ne songeait qu'à ses
compagnons d'armes et disait :
Je suis venu
avec eux ; je veux me sauver ou mourir avec eux. La retraite se fit dans le
plus grand désordre ; ceux qui étaient partis les premiers, comme
ceux qui étaient partis les derniers, ceux qui se trouvaient sur le Nil,
comme ceux qui avaient pris la route de terre, tout fut atteint par l'
ennemi,
tout fut massacré ou fait prisonnier.
Louis IX qui était arrivé
presque mourant à Minieh, eut le sort des autres
croisés ; et lorsque
ses serviteurs s'occupaient de le rappeler à la vie, il fut entouré
par des Sarrasíns, qui le chargèrent de chaînes et le conduisirent
à
Mansourah. Le monarque déploya dans sa prison toutes les vertus
d'un chrétien, et l'excès de l'abaissement et du malheur ne l'empêcha
jamais de parler en roi. Lorsque le sultan du
Caire offrit de lui rendre sa
liberté
pour 8000
besants, il répondit qu'un roi de France ne se rachetait pas
pour de l'
argent, qu'il donnerait la ville de Damiette pour sa personne, et les
8000
besants d'or pour son armée
(5). Enfin, le traité
fut conclu ; mais lorsqu'on allait l'exécuter, le sultan Almoadan fut assassiné
dans sa tente par les mameluks. De là naquirent de nouveaux troubles pour
l'Egypte et de nouveaux dangers pour Louis. Des meurtriers se présenterent
plusieurs fois devant lui ; ils furent près de massacrer ses plus fidèles
serviteurs, et ils menacèrent de le tuer lui-même ; ce qui suffirait
pour réfuter l'assertion des écrivains qui ont répété
de nos
jours, d'après un passage mal entendu de
Joinville, qu'on avait
proposé dans l'assemblée des chefs des mameluks d'offrir à
Louis la
couronne d'Egypte. Le monarque français lassa par sa patience
la fureur de ses
ennemis, et les étonna par son courage ; ceux-ci, à
la fin, consentirent à exécuter les traités déjà
conclus, en disant qu'ils avaient affaire
au plus fier chrétien qu'on
eût jamais vu en Orient.
Enfin le roi fut libre et s'embarqua
pour la
Palestine avec la reine Marguerite, ses deux
frères Alphonse et
Charles, et quelques
croisés, reste de 35.000 qu'il avait amenés
de France, et de 20.000 autres qui étaient venus avec le comte de
Poitiers.
Il séjourne trois ans et demi dans la terre sainte, attendant de l'
Europe
des secours qui n'arrivèrent point ; il ranimait le courage des chrétiens,
faisait fortifier leurs villes, sollicitait la délivrance des prisonniers
demeurés en Egypte, et soignait lui-même ses soldats malades d'une
épidémie. Ce fut alors (1252) que, dans l'espérance de répandre
la lumière de l'
évangile au centre de l'Asie, il envoya une ambassade
au Grand Khan de Tartarie (Voyez
Mangou-Khan). La nouvelle de la captivité
du roi avait plongé la France dans la consternation. Louis à son
départ avait prévenu tous les dangers que pouvait causer l'ambition
des grands ; mais il n'avait pas songé aux égarements de la multitude
; une foule de bergers, de laboureurs, d'hommes de la lie du peuple, auxquels
se joignirent, sous le nom commun de
pastoureaux, des vagabonds, des brigands,
sous prétexte de voler au secours du roi de France
(6),
troublèrent la tranquillité du royaume. Ces désordres furent
apaisés par la régente, qui soupirait après le retour de
son fils, le sollicitait sans cesse de revenir, et mourut sans le revoir. Louis
IX, en apprenant la mort de sa mère (1252) ne put retenir ses larmes, et
se jetant à genoux devant l'
autel de sa chapelle : Ô mon
Dieu, s'écria-t-il,
il est bien vrai que faímais ma mère plus que toutes les autres
créatures ; mais que votre volonté soit faite, et que votre nom
soit béni.
Peu de temps après il s'occupa de regagner la France.
S'étant embarqué au port d'
Acre le 24 avril 1254, il débarqua
aux îles d'
Hyères le 10
juillet, et arriva le 05 septembre à
Vincennes. Partout on se réjouissait, on pleurait de joie sur son passage.
Il signala son retour par plusieurs ordonnances, au nombre desquelles on doit
remarquer celle qui défendait la guerre entre particuliers, celle qu'il fit contre la corruption des
juges, et celle enfin par laquelle il organisa les
corps de métiers (Voyez
Boyleaux). Ce fut quelques mois après son retour d'Egypte qu'il reçut dans sa capitale le roi d'Angleterre. Il déploya dans cette circonstance une magnificence royale, et le 25 mars 1259 il conclut avec ce prince un traité par lequel il lui rendit tout ce qui lui restait au delà de la Garonne, le Querci, le Limousin, l'Agenois et une partie de la Saintonge. Un tel sacrifice ne fut arraché à
Louis IX que par le plus ardent
amour de la paix et du bonheur de ses sujets : « Je sais bien, disait-il, au rapport de
Joinville, que le roi d'Angleterre a perdu tous ses droits par la conquête que j'ai faite ; mais je ne lui donne cette terre pour autre chose que pour
mette amour entre mes enfants et les siens. »
Sans cesse animé du désir
de travailler au bonheur des Français de toutes les classes, Louis s'occupa
vers le même temps de secourir les familles dont les chefs s'étaient
ruinés en le suivant à la
croisade, et ses sollicitudes s'étendirent
sur les laboureurs qui avaient souffert par suite de la guerre sainte, ou par les troubles suscités pendant son absence. Ce bon prince avait coutume de dire :
Les serfs appartiennent à Jésus-Christ comme nous ; et dans un royaume chrétien nous ne devons pas oublier qu'ils sont nos frères. Louis mettait principalement tous ses soins à réparer les injustices qu'on a avait commises en son nom. Il parcourait sans cesse ses Etats pour entendre toutes les plaintes ; on le voyait souvent en été rendre lui-même la justice, soit dans le
jardin de son palais, soit dans le
bois de
Vincennes sous un grand
arbre. Un
jugement par lequel il condamna le comte d'
Anjou son
frère ; la sévérité qu'il exerça contre Enguerrand de
Coucy ; la ferme résistance qu'il opposa à d'injustes prétentions du clergé, annoncent assez que, quelque grandes que fussent sa piété et sa clémence, rien ne pouvait faire fléchir sa supréme équité. Il fonda plusieurs établissements utiles, tels que les Hôtels-Dieu de
Pontoise, de
Compiègne, de
Vernon, et l'hospice des
Quinze-Vingts, non point, comme on l'a dit, pour y recueillir trois cents gentilshommes qui avaient perdu la
vue en Egypte, mais trois cents aveugles appartenant aux classes pauvres.
Louis IX avait appris en Syrie qu'un prince
musulman faisait transcrire des livres et tenait une bibliothèque
ouverte à tous les savants ; il suivit cet exemple, ordonna qu'on transcrivit les livres qui se trouvaient dans les
monastères (7), fit ranger ces précieux exemplaires dans une salle voisine de la Ste-Chapelle, et il allait souvent s'y délasser des travaux du gouvernement. Enfin c'est à sa munificence que l'on doit la fondation de la Sorbonne.
La France fut sous ses sages lois aussi
tranquille que l'
Europe était agitée ; il fit tous ses efforts pour
rétablir la
concorde entre les Etats chrétiens, et ses traités
avec l'
Aragon, l'Allemagne et l'Angleterre eurent toujours pour but de conserver la paix. Sa modération envers le roi d'Angleterre fut vivement blâmée par les politiques du temps, et elle n'a trouvé que peu d'approbateurs parmi les
historiens ; il faut dire cependant qu'elle produisit une telle impression sur les seigneurs anglais, qu'en 1264 ils le choisirent pour arbitre des différends qu'ils avaient avec leur souverain. Louis, n'ayant plus de guerre à redouter ni au dedans ni au dehors, s'occupa de l'éducation et de l'établissement de ses
enfants. Il surveillait lui-même leurs études, se faisait accompagner par eux dans ses uvres de
charité, et leur rappelait dans ses entretiens les actions des bons rois. Ce fut vers le même temps (1261), qu'il opéra dans l'administratíon de la justice des réformes dont les plus importantes sont : la suppression de l'épreuve par le
duel (8) en matière civile et criminelle, et l'établissement de la
justice du ressort ou
d'appel. Après avoir rempli tous les devoirs d'un monarque, il se dégoûta des grandeurs, et si l'on en croit l'
histoire, il songea un moment à ensevelir le reste de sa vie dans un cloître. Sa famille le fit revenir de cette résolution ; il continua d'être roi et se consola des ennuis du trône en faisant régner avec lui la
religion et la justice. On tourna quelquefois en ridicule sa tendre piété : on l'appelait le roi des
frères mineurs, le roi des
frères prêcheurs, le roi des
prêtres et des clercs. Toutes ces satires n'altéraient point sa douceur ; et lorsque les courtisans le blâmaient de donner trop de temps aux exercices de dévotion, il se contentait de dire :
Si j'employais ces moments à la chasse, au jeu, aux tournois, aux spectacles, on ne dirait rien.
Dans le zèle qui l'animait pour le triomphe de la
religion, il ne pouvait oublier les revers qu'il avait essuyés en combattant pour elle. Depuis son retour de la
Palestine il n'avait point cessé de porter la
croix, et sa plus chère espérance était de combattre encore pour la cause de Jésus-Christ.
Vers l'année 1267 on apprit que Bondocdar, sultan des mameluks, ravageait la
Palestine, s'emparait des places fortifiées par
saint Louis, et qu'il menaçait d'anéantir les colonies chrétiennes d'Orient. Ces nouvelles répandirent la consternation en
Europe ; le pape fit prêcher une nouvelle
croisade. Louis, ayant convoqué un parlement à
Paris, s'y présenta portant dans ses mains la
couronne d'épines de Jésus-Christ, et il retraça le tableau des malheurs de la terre sainte. Le pieux monarque prononça de nouveau le serment d'aller combattre les infidèles. Plusieurs princes de sa famille, plusieurs seigneurs suivirent son exemple ; mais les souvenirs de la
croisade précédentes vivaient encore dans les
esprits et réveillaient plus de tristesse que d'enthousiasme.
Joinville va jusqu'à dire que ceux qui conseillèrent au roi de se croiser une seconde fois
péchèrent mortellement ; et, quelque attaché qu'il fût à la personne du monarque, il refusa de le suivre dans cette nouvelle expédition,
aimant mieux, dit-il, rester dans ses domaines pour y réparer les malheurs causés par son éloignement. Cependant Louis se disposait à partir, et s'occupa d'assurer la tranquillité de son royaume pendant son absence. Il voulut surtout compléter la législation qu'il avait donnée à ses peuples, et ce fut alors, si l'on en croit certains
historiens, qu'il publia l'ordonnance connue sous le nom de
pragmatique sanction, par laquelle il rendit aux
abbayes et aux
cathédrales le droit d'élire leurs
évêques ou abbés, réprima les entreprises du clergé sur l'autorité
séculière, et le droit que s'arrogeaient les papes d'établir des impôts sur les
églises de France. Bossuet trouve dans cette célèbre ordonnance les vrais principes des
libertés gallicanes. On croit que
Louis IX publia dans le même temps le recueil d'ordonnances que nous avons sous le nom des
Etablissements de saint Louis. C'est un monument précieux, dont l'idée lui avait été suggérée par les
Assises de Jérusalem, qu'il avait connues pendant son séjour en
Palestine, et d'où il en avait apporté les premières copies. Les préparatifs de la
croisade étant achevés,
Louis IX fixa les droits de ses
enfants à son héritage, nomma pour gouverner pendant son absence l'abbé de St-Denis et le comte de
Nesle ; leur substitua en cas de mort l'
évêque d'
Evreux et le comte de Ponthieu, et s'embarqua de nouveau à
Aigues-Mortes en 1270, accompagné de ses trois fils, avec une armée de 60.000 hommes et une flotte de 1.800 vaisseaux.
Charles d'
Anjou, roi de Naples, qui devait réunir ses
forces à celles du roi de France, avait fait décider qu'on attaquerait le royaume de Tunis. La flotte se dirigea vers les côtes d'Afrique, et aborda près de l'ancienne Carthage ; l'armée débarquée sur ce point attaqua d'abord les troupes de Tunis ; mais comme on résolut d'attendre l'arrivée de Charles d'
Anjou, l'ardeur du climat et la contagion eurent le temps de faire de grands ravages parmi les
croisés. Louis tomba malade, et les progrès du mal furent si rapides que l'en désespéra bientôt de sa vie. Ce fut alors que ce prince traça pour son successeur cette belle instruction sur les devoirs des rois, rapportée tout entière par
Joinville. Cette pièce mémorable est d'un chrétien austère et du plus sage des monarques ; les philosophes n'ont rien exigé de plus de ceux qui gouvernent ; mais quelle différence entre des écrivains sans autorité et le souverain qui ne conseillait que ce qu'il avait lui-même pratiqué ! Au milieu de ses souffrances,
Louis IX songeait surtout aux dangers de
Son armée :
Ô Dieu, s'écriait-il, ayez pitié de ce peuple qui m'a suivi sur ce rivage ;
couduisez-le dans sa patrie ; faites qu'il ne tombe pas entre les mains de vos ennemis, et qu'il ne soit pas contraint de renier votre saint nom. Lorsqu'il sentit que sa fin approchait, il se fit mettre sur un
lit de cendres, et les bras
croisés sur la poitrine, les yeux levés au
ciel, il expira le 25 août 1270, après avoir fait entendre ces paroles :
Seigneur, j'entrerai dans votre maison ; je vous adorerai dans votre saint temple, et je glorifierai votre nom. Au moment où il rendait le dernier soupir, Charles d'
Anjou arrivait devant Carthage ; il traversa l'armée, qui dans un morne silence pleurait la mort de son chef. Après avoir remporté quelques avantages sur les
musulmans, on fit la paix avec le roi de Tunis, et l'armée rapporta en France les tristes restes d'un monarque regretté de l'
Europe entière : ils furent d'abord déposés à Notre-Dame de
Paris ; le roi
Philippe le Hardi les porta ensuite lui-même sur ses épaules jusqu'à St-Denis. On croit que son cur fut déposé à la Ste-Chapelle de
Paris, où on a cru l'avoir retrouvé en 1844. Cette découverte donna lieu à une vive discussion parmi les érudits français (Voyez
Letronne).
Louis IX avait eu de Marguerite, qui lui survécut, onze
enfants, dont huit seulement parvinrent jusqu'à l'âge de majorité,
quatre filles et quatre fils :
Philippe le Hardi, son successeur, Jean Tristan, comte de
Nevers, qui mourut en Afrique ; Pierre, comte d'
Alençon ; Robert, comte de
Clermont, duquel descendent les Bourbons, qui, plus de trois siècles après, montèrent sur le trône dans la personne de Henri IV.
Louis IX fut canonisé en 1297 par le pape
Boniface VIII.
Louis XIII obtint de la cour de Rome qu'on célèbrerait sa fête dans toute l'
Eglise le 25 d'août. La vie de
saint Louis a été écrite par son fidèle ami le
sénéchal de
Champagne (Voyez
Joinville), et par Guillaume de
Nangis, son
confesseur. Parmi les modernes qui ont traité le même sujet, nous indiquerons l'abbé de
Choisy et Filleau de la
Chaise, que Velly, dans l'
Histoire de France, et
Bury, dans son
Histoire de saint Louis, ont presque littéralement copiés. Les meilleurs ouvrages qui aient été
composés sur
saint Louis sont la
Vie de ce monarque par Lenain de Tillemont, dont une 2ème édition a
été donnée par J. de Gaulle, et publiée par les soins de la société d'
histoire de France,
Paris, 1847-1851, 6 vol. in-8° ; l'
Hístloire de saint Louis du vicomte de Villeneuve-Trans,
, 1836, 3 vol. in-8°, Beugnot (Arthur) ;
Essai sur les institutions de saint Louis,
Paris, 1821, in-8°. Des ouvrages de
poésie, nous nous contenterons de citer le poème de
Saint Louis par le P. Lemoyne et la tragédie du même nom par Ancelot, donnée au premier Théâtre-Français à la fin de 1819. Avant la révolution, l'Académie française faisait prononcer chaque année, au 25 août, un
panégyrique de
saint Louis, et cet usage avait été repris sous la restauration.
Louis IX est celui des rois de France qu'on a le plus loué et qui méritait le plus de l'être. Parmi ses vertus on doit surtout remarquer cette passion pour la justice qui l'anima constamment, ce respect pour la vie des hommes dont il donna tant d'exemples au milieu des dangers, et qu'on trouve si rarement chez les maîtres de la terre.
Joinville, le
compagnon de ses travaux et le confident de ses pensées, dit, en commencant son
histoire :
Ainsi comme Dieu est mort pour tout son peuple, aussi semblablement a mis le bon roi saint Louis, son corps en danger et aventure de mort pour le peuple de son royaume. Ce qui n'intéressait que lui ne pouvait l'émouvoir ; ce qui intéressait la
religion et le bonheur des peuples l'élevait au-dessus de toute crainte et de toute considération. Dans les circonstances où la justice ordinaire cède aux intérêts de l'Etat, il ne consulta jamais que sa conscience, et cette
probité scrupuleuse a frappé le monde d'une si profonde admiration, que les
publicistes les plus hardis n'ont pas encore osé juger ses actions par des règles contraires à l'équité qui les lui
inspira. «
Louis IX, dit Voltaire, paraissait un prince destiné à réformer l'
Europe, si elle avait pu l'être ; il a rendu la France triomphante et policée, et il a été en tout le modèle des hommes. Sa piété, qui était celle d'un
anachorète (9), ne lui ôta point les vertus royales ; sa libéralité ne déroba rien à une sage économie ; il sut accorder une politique profonde avec une justice exacte, et peut-être est-il le seul souverain qui mérite cette louange. Prudent et ferme dans le conseil, intrépide dans les combats sans être emporté,
compatissant comme s'il n'avait jamais été que malheureux, il n'est guère donné à l'homme de pousser la vertu plus loin. » On a reproché à
saint Louis les deux
croisades dont il fut victime. Les revers dont ces expéditions furent accompagnées n'ont point permis à la postérité d'apprécier les
vues politiques qui, dans ces guerres lointaines, se trouvent mêlées aux idées
religieuses. Si ces entreprises avaient réussi, l'Egypte serait devenue une colonie française et chrétienne ; on aurait vu s'établir une communication facile entre l'
Europe et l'Asie, et le nom de
saint Louis serait peut-être de nos
jours béni sur les côtes d'Afrique, comme il l'est chez tous les peuples chrétiens.
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(1) Voyez l'exposé de cette querelle dans l'
Histoire de France, de M. Henri Martin (t. 4, Règne de
Louis IX).
(2) Le
mariage fut célébré à
Sens le 27 mai 1234.
(3) Pour engager un plus grand nombre de seigneurs à l'accompagner, Louis se servit d'un moyen assez singulier. C'était une ancienne coutume de nos rois de faire, la veille de
Noël, des
livrées à leurs courtisans, c'est-à-dire de leur livrer des
capes fourrées dont ces seigneurs se couvraient sur-le-champ pour aller à la messe de minuit. Le roi donna ordre de broder secrètement des
croix sur toutes ces
capes, et afin qu'on ne s'en aperçût pas, les appartements ne furent que
faiblement éclairés. Ce ne fut qu'en
entrant dans l'
église que tous les seigneurs de la cour virent avec une extrême surprise qu'ils étaient
croisés. Ils se prêtèrent de bonne grâce aux vux du monarque, et on l'appela
un adroit pêcheur d'hommes.
(4) Il y avait, dit
Joinville,
des lieux de prostitution tenus par des gens du roi jusqu'à l'entour du pavillon royal.
(5) Cette comme a été évaluée à sept million de francs.
(6) L'insurrection des
pastoureaux, qui avait pris naissance chez les plus misérables habitants de la campagne, chez les bergers surtout, avait aussi un caractère
religieux (Voyez à ce sujet Michelet,
Histoire de France, t. 2, p. 679-680).
(7) On copiait surtout ceux dont les extraits devaient former une espèce d'encyclopédie dont s'occupait, par son ordre,
Vincent de
Beauvais, son lecteur, surintendant de l'éducation des princes ses fils. Ce recueil, intitulé
Speculum on Bibliotheca mundi, est un des plus curieux monuments du
moyen-âge (Voyez les
Recherches sur les bibliothèques, par M. Petit-Radel, p. 122).
(8) Ces
duels ou combats judiciaires étaient, à défaut d'autres preuves, ordonnés même par les
juges ecclésiastiques, et l'on croit que c'est de là qu'est venu le proverbe :
Les battus payent l'amende.
Saint Louis ne put parvenir à les abolir entièrement : une ordonnance de
Philippe le Bel les proscrivit de nouveau en 1303. Depuis lors, les seigneurs offensés et manquant de preuves demandaient au souverain le
combat contre leur adversaire, et le roi l'accordait assez souvent. Le dernier exemple connu est celui de
Jarnac, en 1617 (Voyez
Chateigneraie).
(9) Voyez, sur le reproche qu'on a adressé à
saint Louis d'avoir eu plus les vertus d'un moine que celles d'un roi, les judicieuses observations de M. Henri Martin, dans son
Histoire de France (t. 4). Quoique
saint Louis eût fortement adopté les idées
religieuses de son temps, on se tromperait si l'on croyait que sa dévotion eût rien de triste et de sombre. Toutefois il faut reconnaître que le saint roi poussait le culte des
reliques jusqu'à la superstition la plus puérile. Il ressentit, par exemple, une véritable douleur de la perte d'un des prétendus clous de la
croix que possédait
l'
abbaye de St-Denis, et il déclara que, plutôt que de perdre cet auguste instrument de la passion, il eût préféré voir la plus belle partie de son royaume abîmée sous terre. Porté au
mysticisme, le roi s'était un instant allié aux idées soutenues par les
franciscains et il entra même dans le
tiers ordre. Sa foi vive le portait à l'intolérance, et il disait un
jour à
Joinville qu'on ne doit pas disputer contre les mécréants sur la
religion, mais leur enfoncer, quand ils parlent mal des choses saintes, leur
épée dans le ventre (Voyez Michelet,
Histoire de France, t. 2, p. 634).
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 25 - Pages 163-169)