PREMIÈRE PARTIE
Chapitre Premier
Enseignement secret des sciences et des arts en Egypte Corporation d'architectes sacrés de ce pays
Les ouvriers dionysiens de la Grèce, de la Syrie, de la Perse et de l'Inde. Les Maçons juifs et tyriens
ORIGINE DE LA FRANC-MAÇONNERIE : Enseignement secret des sciences et des arts en Egypte. Corporation d'architectes sacrés de ce pays. Les ouvriers dionysiens de la Grèce, de la Syrie, de la Perse et de l'Inde. Les Maçons juifs et tyriens. Le temple de Salomon. Les Khasidéens et les Esséniens. Particularité remarquable. Les collèges d'architectes romains. Les corporations franches d'ouvriers constructeurs du moyen-âge, en Italie, en Allemagne, etc. Les frères pontifes. Les templiers. La société de la truelle à Florence. Extinction des associations de maçons sur le continent. Les compagnons du devoir. Les confréries maçonniques en Angleterre. Leurs statuts sous Athelstan et sous Edouard III. Poème maçonnique anglo-saxon. Edit du parlement contre les maçons, pendant la minorité d'Henri VI. La reine Elisabeth. La confrérie maçonnique en Ecosse. Etat de la société dans la Grande-Bretagne, au XVIIème siècle. Importante décision de la loge de Saint-Paul à Londres, en 1703. Dernière transformation de la société maçonnique.
Ce fut la coutume générale des peuples de l'antiquité d'enseigner
secrètement les sciences, les arts et les métiers. Chez les Egyptiens, par exemple, les
prêtres formaient des classes séparées, qui toutes se livraient à l'enseignement d'une branche spéciale des connaissances humaines. Chaque classe faisait passer ses élèves par une série déterminée d'études propres à la science qu'elle professait et les soumettait en outre, pour chaque degré du noviciat, à des épreuves qui avaient pour but de s'assurer de leur vocation et qui ajoutaient encore au mystère dont l'instruction était déjà couverte pour le public. Les autres castes procédaient de la même façon dans l'enseignement des arts et des métiers qui étaient de leur domaine.
Les Perses, les Chaldéens, les Syriens, les Grecs, les Romains, les
Gaulois, adoptèrent cette méthode, dont on retrouve des traces chez les nations modernes jusqu'à la fin du
XVIIème siècle. Encore aujourd'hui, les Anglais emploient traditionnellement le mot
mystery,
mystère, comme synonyme de métier.
Comme toutes les autres sciences, l'architecture était enseignée dans le secret parmi les Egyptiens. Il y avait, outre l'architecture civile, une architecture sacrée, qui puisait ses types emblématiques dans le spectacle que la nature offre à nos yeux. Les jeunes gens de toute caste qui y étaient instruits étaient en même temps
initiés dans les mystères de la
religion et formaient, en dehors du sacerdoce, une
corporation distincte, qui, sur les dessins tracés par les
prêtres, édifiait les temples et les autres monuments consacrés au culte des
dieux (22). Les membres de cette
corporation jouissaient d'une grande estime et tenaient un rang élevé dans la société. On voit encore dans les ruines de la ville de Syène, en Egypte, une suite de tombeaux creusés pour recevoir des
corps embaumés ; tous remontent aux premiers pharaons de la dix-huitième dynastie, et font partie de la
crypte royale : quelques-uns appartiennent à des
chefs de travaux ou
inspecteurs des carrières de Silsilis.
Les Egyptiens portèrent dans la Grèce leurs
mystères et les institutions qui en dépendaient. Chez les Grecs, au rapport de
Plutarque, Osiris prit le nom de
Bacchus ; Isis, celui de
Cérès ; et la pamilia égyptienne devint la dionysia grecque. Il ne faut pas dès lors s'étonner que l'organisation des architectes sacrés fût semblable dans les deux pays.
Les
prêtres de
Dionysius, ou
Bacchus, sont les premiers qui élevèrent les théâtres et qui instituèrent les représentations dramatiques, lesquelles, dans le principe, étaient
étroitement liées au culte du
dieu. Les architectes chargés de la construction de ces édifices tenaient au sacerdoce par l'
initiation ; on les appelait
ouvriers dionysiens, ou
dionysiastes.
Mille ans environ avant notre ère, les mystères de
Bacchus furent établis dans l'Asie mineure par une colonie de Grecs. Là, les ouvriers
dionysiens perfectionnèrent leur art et le portèrent à ce degré de sublimité dont témoignent les ruines encore existantes des monuments qu'ils y élevèrent. Ils avaient le privilège exclusif de construire les temples, les théâtres et les autres édifices publics dans toute la contrée. Ils y devinrent très nombreux, et on les retrouve, sous la même dénomination, dans la Syrie, dans la Perse et dans l'Inde.
Leur organisation à Téos, que les rois de Pergame
leur assignèrent pour demeure, environ trois cents ans avant Jésus-Christ,
offre une ressemblance frappante avec celle des francs-maçons à
la fin du
XVIIème siècle. Ils avaient une
initiation particulière,
des mots et des signes de reconnaissance. Ils étaient divisés en
communautés séparées, comme des loges, qu'on appelait
collèges,
synodes, sociétés, et qui étaient distinguées par des titres spéciaux, tels que
communauté d'Attalus,
communauté des compagnons d'Eschine. Chacune de ces tribus était sous la direction d'un maîttre et de présidents, ou surveillants, qu'elle élisait annuellement. Dans leurs cérémonies secrètes, les
frères se servaient symboliquement des outils de leur profession. Ils avaient, à certaines époques, des banquets et des assemblées générales dans lesquels ils décernaient des prix aux ouvriers les plus habiles. Les plus riches d'entre eux devaient secours et assistance aux indigents et aux malades. A ceux qui avaient bien mérité de la confraternité, on élevait des monuments funéraires, comme on en voit encore des vestiges dans les cimetières de Siverhissar et d'Eraki. Des personnes étrangères à l'art de bâtir étaient souvent agrégées en qualité de patrons ou de membres d'honneur, et, d'après une inscription tumulaire rapportée par Chandler, il est très probable qu'Attalus II, roi de Pergame, appartenait, à ce litre, à la société.
Dans la mère-patrie, les dionysiastes
étaient organisés de la même manière ; les lois de
Solon leur concèdent des privilèges particuliers
(23).
On a vu que cette
corporation était principalement
répandue en Egypte et en Syrie. Elle devait avoir aussi des établissements
dans la
Phénicie, pays limitrophe, à cette époque où tous les peuples se copiaient. Si elle était primitivement inconnue en Judée, ce qui n'est pas probable, puisque, selon la Bible, les Juifs, d'origine égyptienne, comme les
Phéniciens, avaient fait en Egypte
le métier de maçon, elle dut y être introduite lors de la construction du temple de Salomon. Seulement elle eut un nom différent dans ce pays, les mystères judaïques se rattachant à un autre
dieu que
Bacchus,
Les maçons juifs étaient bien certainement liés à une organisation qui s'étendait hors de la Judée. La Bible les montre se confondant avec les maçons
tyriens, malgré la répugnance ordinaire des Israélites pour les étrangers ; et la tradition maçonnique, qu'il ne faut pas dédaigner,
porte que les ouvriers qui contribuèrent à l'édification du temple se reconnaissaient entre eux au moyen de mots et de signes secrets, semblables à ceux qui étaient employés par les maçons des autres contrées. Il y avait, au surplus, entre les Juifs et les
Tyriens, conformité de génie
allégorique, notamment en ce qui touchait l'architecture sacrée. Suivant Josèphe, le temple de Jérusalem
(24) fut construit sur le même plan, dans le même
esprit et par le même architecte que le temple d'
Hercule et d'Astarté, à
Tyr. « Les proportions et les mesures du tabernacle, dit cet auteur, démontrent que c'était une
imitation du système du MONDE. » Par les développements de cette assertion, on voit que, par exemple, les douze pains de proposition que renfermait le tabernacle faisaient allusion aux douze mois de l'année ; les soixante-dix pièces du chandelier, aux
décans ou aux soixante-dix
divisions des constellations ; les sept lampes du chandelier, aux sept planètes, etc. Et ce n'était pas là une opinion émise par Josèphe pour faire sa cour aux Romains, dont les temples offraient la même signification
symbolique, puisqu'on
lit dans les
Proverbes de Salomon ce passage caractéristique déjà cité ailleurs, et qui s'accorde parfaitement avec ce qu'avance l'
historien juif : « La souveraine sagesse a
bâti sa maison ; elle a
taillé ses sept colonnes. » Et, à ce propos, si l'on se rappelle les explications que renferme le discours de l'orateur de la loge de maître, on remarquera que c'est dans le même sens que les francs-maçons, qui se prétendent issus des constructeurs juifs et
tyriens, interprètent les
emblèmes de leur temple.
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(22) Il paraît qu'il en était originairement de même dans l'Inde, où les Egyptiens puisèrent leurs institutions
religieuses et civiles. Quoique, depuis longtemps, la tradition de leurs anciens rapports avec le sacerdoce se soit perdue, cependant, de nos
jours encore, les maçons et les charpentiers hindous sont pris dans toutes les castes de la nation, et se décorent sans opposition du cordon sacré des
brahmes.
(23) Voyez, pour ce qui concerne les dionysiastes, Strab., l. IV ; Aulu-Gelle, 1. VIII ;
Antiq. asiatiq., de Chischull ;
Antiq. ioniennes, de la société des Dilettanti ;
Voyages, de Chandler ; Robison,
Proofs of a conspiracy ; Lawrie,
History of Masonry, etc.
(24) Voyez planche n°6.