PREMIÈRE PARTIE
Chapitre II
RÉORGANISATION DE LA FRANC-MAÇONNERIE DANS LES TROIS ROYAUMES DE LA GRANDE-BRETAGNE : Effets de la décision de la loge de Saint-Paul, retardés par les événements politiques Situation de la société maçonnique Assemblée des quatre loges de Londres, en 1717 Formation de la Grande-Loge d'Angleterre Nomination d'un grand-maître Dispositions organiques importantes Anciens documents de la société colligés Destruction d'une partie de ces documents Introduction d'un nouveau mode d'élection du grand-maître Installation du grand-maître duc de Montagu Procession maçonnique Impression des constitutions de la confrérie L'ancienne Grande-Loge d'York Elle prend le titre de Grande-Loge de TOUTE l'Angleterre Juridictions des deux grandes-loges tracées à l'amiable Election illégale du duc de Wharton comme grand-maître Le duc de Montagu se démet en sa faveur de la grande-maîtrise Progrès extraordinaires de la société Création de l'office de grand-secrétaire
RÉORGANISATION DE LA FRANC-MAÇONNERIE DANS LES TROIS ROYAUMES DE LA GRANDE-BRETAGNE : Effets de la décision de la loge de Saint-Paul, retardés par les événements politiques. Situation de la société maçonnique. Assemblée des quatre loges de Londres, en 1717. Formation de la Grande-Loge d'Angleterre.
Nomination d'un grand-maître. Dispositions organiques importantes. Anciens documents de la société colligés. Destruction d'une partie de ces documents. Introduction d'un nouveau mode d'élection du grand-maître. Installation du grand-maître duc de Montagu. Procession maçonnique. Impression des constitutions de la confrérie. L'ancienne Grande-Loge d'York. Elle prend le titre de Grande-Loge de TOUTE l'Angleterre. Juridictions des deux grandes-loges tracées à l'amiable. Election illégale du duc de Wharton comme grand-maître. Le duc de Montagu se démet en sa faveur de la grande-maîtrise. Progrès extraordinaires de la société. Création de l'office de grand-secrétaire. Etablissement du Committee of charity. Détails sur cette institution. Anecdotes. Réunion des loges de Galles à la Grande-Loge. Création de l'office de grand-maître provincial. Formation de la loge des stewards. Suspension des processions publiques. Caricature qui motive cette décision. Initiation du duc de Lorraine, depuis empereur d'Allemagne, et du prince de Galles, père de Georges III. Institution de la Grande-Loge d'Irlande. Etablissement de la Grande-Loge d'Ecosse. Résignation de l'office de grand-maître héréditaire par W. Saint-Clair de Rosslyn. Election de ce frère aux fonctions de grand-maître. La Mère-Loge de Kilwinning. Bonnes uvres de la Grande-Loge d'Ecosse. Elle pose processionnellement la première pierre de l'hospice royal d'Edimbourg.
Les discussions politiques et les querelles
religieuses qui troublèrent
la fin du règne de la reine Anne, l'accession de Georges de Brunswick,
électeur de Hanovre, au trône d'Angleterre, et les révoltes
qui éclatèrent bientôt après en faveur de François-Edouard
Stuart, connu sous le nom de Prétendant, ne permirent pas que la décision
de la loge de
Saint-Paul eût d'abord les résultats qu'on s'en
était promis. Loin de là, beaucoup de loges cessèrent de
se réunir, et les assemblées et les fêtes annuelles furent
généralement négligées. Ce qui rendait encore plus
fâcheuse cette situation de la maçonnerie, c'est que, depuis 1702,
que Christopher Wren, accablé d'ans et d'infirmités, avait été
obligé de résigner sa charge de grand-maître, la confrérie
était sans chef et tout à fait abandonnée à elle-même.
Les choses étaient en cet état, lorsque les
maçons de Londres et des environs résolurent de faire une nouvelle
tentative pour rendre quelque vigueur à leur institution chancelante. Les
seules loges qui existassent alors dans le sud de l'Angleterre étaient
celles qui se réunissaient dans les tavernes ayant pour enseignes
l'Oie
et le Gril, dans Saint-Paul's Church-yard ;
la Couronne, dans Parker's
lane ;
le Pommier, dans Charles-street, Covent-Garden ;
le Gobelet et
les Raisins, dans Channel-Row, Westminster. Ces quatre loges, auxquelles se
joignirent quelques maçons isolés, s'assemblèrent à
la taverne du
Pommier, au mois de
février 1717. Leur premier soin
fut de se constituer Grande-Loge
pro tempore ; et, après avoir décidé
que les communications de quartier, ou tenues trimestrielles, et les fêtes
annuelles de saint Jean reprendraient à l'avenir leur cours régulier,
elles s'ajournèrent au 24
juin suivant pour élire un grand-maître
et pour continuer les opérations commencées.
La réunion eut lieu à la taverne de
l'Oie
et le Gril, dans le local de la loge de
Saint-Paul, la plus ancienne
des quatre. Les travaux ayant été ouverts sous la présidence
du doyen d'âge, on dressa une liste de candidats pour
l'office de grand-maître ; les noms des concurrents furent successivement
appelés ; et les
frères, à la grande majorité des
mains, fixèrent leur choix sur Antoine Sayer, qui fut immédiatement
installé dans sa dignité par le
maître en chaire, et
félicité par l'assemblée, « qui lui rendit
hommage.
»
Le grand-maître, ayant préalablement désigné ses surveillants, ouvrit la délibération sur les divers objets à l'ordre du
jour. On décida que le droit de se former en loge, qui jusque alors avait été sans limites, n'appartiendrait plus désormais qu'aux réunions de maçons qui en obtiendraient la confirmation de la Grande-Loge, et auxquelles il serait délivré en conséquence une
patente constitutionnelle ; qu'en outre, les nouvelles loges ne pourraient conférer que le grade d'apprenti, la Grande-Loge se réservant expressément la
collation de ceux de
compagnon et de maître
(40) ; que toutes les loges constituées se feraient représenter dans les assemblées de communication de quartier par leur
vénérable et par leurs surveillants ; enfin qu'elles transmettraient annuellement à la Grande-Loge le rapport de leurs travaux accomplis, et la copie littérale des règlements qu'elles entendraient adopter pour leur gouvernement intérieur. On exprima le vu que, des vieux statuts et des usages traditionnels de la confrérie, il fût formé un
corps de lois générales qui servît de règle et de modèle aux loges et dont les lois particulières de celle-ci ne dussent jamais s'écarter. L'assemblée accueillit ce vu avec empressement ; mais elle ne prit aucune mesure pour en opérer la réalisation immédiate.
L'expérience fit voir combien étaient sages les dispositions arrêtées dans cette réunion. Quoi qu'il en soit, la société ne fit que peu de progrès sous l'administration du
frère Sayer : les loges existantes ne s'accrurent que d'un petit nombre de membres, et deux nouvelles loges seulement furent constituées.
Le
frère Georges Payne, qui succéda en 1718 à ce grand-maître, déploya beaucoup de zèle et d'activité. C'est à ses soins que la confrérie dut la découverte et la mise en ordre d'un grand nombre de manuscrits, la plupart anglo-saxons, relatifs au gouvernement, à l'
histoire et aux anciens usages de la maçonnerie.
Un Français, le docteur Désaguliers, fut élu
grand-maître en 1719. L'année suivante, le
frère Payne fut
réélu, et, sous son habile direction, les affaires de la société prospérèrent au delà de toute espérance. Cependant, en cette année 1720, on fit une perte irréparable : la plupart des manuscrits recueillis par le grand-maître deux ans auparavant furent livrés aux flammes « par quelques
frères scrupuleux, alarmés, dit Preston, de la publicité qu'il était question de donner à ces documents. »
Jusque-là, les grands-maîtres avaient été
nommés à la majorité des suffrages, sur une liste de candidats
dressée séance tenante. Il fut dérogé à ce mode d'élection en 1721. Dans l'assemblée de communication de quartier tenue au mois de mars de cette année, on arrêta que le grand-maître occupant la chaire aurait la faculté de désigner son successeur ; que seulement ce choix serait soumis à la sanction des
frères, et que, chaque année, cette sanction serait réclamée d'eux, soit pour remplacer le nouveau grand-maître, soit pour le continuer dans ses fonctions. En vertu de cette décision, le
frère Payne proposa pour son successeur le
duc de Montagu. Ce personnage occupait un poste éminent dans l'Etat ; il était
vénérable d'une des loges de Londres, et il avait toujours montré la plus vive sollicitude pour tout ce qui intéressait l'honneur et la prospérité de la confrérie : aussi fut-il accepté avec autant d'empressement que de joie par la Grande-Loge, qui vit dans sa nomination le gage de nouveaux succès pour la maçonnerie.
Le 24
juin suivant, le grand-maître Payne, ses surveillants
et les
grands-officiers de la Grande-Loge, les
vénérables et les
surveillants de douze loges du ressort s'assemblèrent à la taverne
des
Armes de la Reine, dans Saint-Paul's Church-yard, où la vieille
loge de
Saint-Paul tenait alors ses séances. Là, sur la proposition
du
duc de Montagu, la Grande-Loge
initia plusieurs personnes de distinction, notamment
le lord Stanhope, depuis comte de Chesterfield. Les
frères, décorés
de leurs tabliers, et bannières déployées, se rendirent processionnellement, à travers les rues, à la salle des Papetiers, dans Ludgate-street, où ils furent reçus avec de grandes démonstrations de joie par cent cinquante maçons qui les y attendaient. Le
duc de Montagu y fut
solennellement installé par son prédécesseur, et l'assemblée
entendit la lecture du projet d'
histoire et de statuts de la société, que le
frère Payne avait rédigé sur les anciens manuscrits recueillis en 1718.
Postérieurement, ce projet fut soumis à l'examen de deux commissions successives. Sur le rapport de la dernière, le ministre
anglican James Anderson et le docteur Désaguliers furent chargés de réviser et de refondre entièrement l'uvre du grand-maître Payne et d'en présenter une nouvelle rédaction. Le 25 mars 1722, la Grande-Loge prit connaissance du travail de ces
frères, l'approuva et en ordonna l'impression immédiate. Cependant il ne parut que l'année suivante, sous le titre de :
Constitutions de l'ancienne et honorable confraternité des maçons libres et acceptés. A partir de ce moment, l'organisation de la maçonnerie fut assise sur des bases solides, et sa prospérité alla toujours en augmentant.
Pendant que ces événements se passaient à
Londres, l'ancienne Grande-Loge d'
York ne restait pas inactive. On voit, par les livres qu'elle a publiés, qu'à cette époque ses assemblées annuelles avaient lieu régulièrement comme par le passé. Il en était de même des loges de son ressort, dans lesquelles beaucoup de personnes de haut rang s'étaient successivement fait
initier. En 1705, elle avait pour grand-maître sir Georges Tempest. Elle lui donna plus tard pour successeurs le
frère Robert Benson, lord-maire d'
York ; sir Walter Hawkesworth, baronet, etc.
Il ne paraît pas que l'établissement d'une grande-loge
à Londres, sous la dénomination usurpée de
Grande-Loge
d'Angleterre, ait, dans le principe, rencontré de l'opposition de la part de la Grande-Loge d'
York. Au contraire, les deux autorités tracèrent d'un commun accord les limites de leurs juridictions respectives ; et, bien que la Grande-Loge d'
York eût voulu constater sa légitimité et son droit de suprématie, en prenant le titre de
Grande-Loge de TOUTE l'Angleterre, cependant les maçons du sud et du nord ne laissaient pas pour cela d'entretenir les uns avec les autres des relations suivies et toutes fraternelles. Ce n'est que longtemps après, comme on le verra, que des
divisions éclatèrent entre les deux
corps, et que les
frères qui s'étaient rangés sous leurs bannières cessèrent tout à fait de communiquer, et se lancèrent, de part et d'autre, les foudres de l'
anathème.
En 1722, la Grande-Loge de Londres maintint le
duc de Montagu dans la grande-maîtrise. Cette nomination fut
vue avec déplaisir par le
duc de Wharton, qui s'était flatté de l'espérance de lui succéder dans son office. Le 24
juin, il convoqua une grande assemblée, pour laquelle il avait fait préparer un somptueux banquet.
Vers la fin du repas, et lorsque toutes les têtes étaient échauffées par les vapeurs des vins, qu'on avait servis avec profusion, les partisans de l'amphitryon, prenant tour-à-tour la parole, attaquèrent vivement la réélection du
duc de Montagu, qu'ils signalèrent comme un acte impolitique, de nature à décourager des
frères dont le zèle et le crédit pouvaient être employés à l'avantage de la maçonnerie. Ils firent valoir tous les titres qui auraient dû déterminer la Grande-Loge à décerner la grande-maîtrise au
duc de Wharton, et ils proposèrent à l'assemblée, dont les membres de la diète maçonnique, disaient-ils, n'étaient, après tout, que les délégués, d'annuler l'élection du
duc de Montagu et d'élire en sa place le
duc de Wharton. Il était difficile de résister à la puissance des arguments divers mis en usage dans cette occasion pour porter la conviction dans les
esprits : aussi obtinrent-ils un triomphe complet. Les amis du
duc de Wharton l'élurent grand maître par acclamation, et leur vote fut ratifié avec enthousiasme par tous les
frères présents.
Ces procédés ayant été déclarés irréguliers et inconstitutionnels par la Grande-Loge, il se forma dès lors deux partis fort animés l'un contre l'autre et soutenant leur cause avec une extrême
chaleur. Il serait inévitablement résulté de là des
divisions fatales à la maçonnerie, si le
duc de Montagu n'avait conjuré le péril par un acte de prudence et d'
abnégation personnelle qui lui concilia l'estime et l'affection de tous. Dès qu'il eut connaissance de ce qui s'était passé, il convoqua extraordinairement la Grande-Loge ; et, dans cette assemblée, exagérant à dessein les
forces de l'opposition qui s'était formée contre lui, il supplia les
frères de permettre que, pour rétablir la bonne
harmonie si
malheureusement troublée, il se démît de ses fonctions en faveur de son concurrent, qui lui paraissait réunir la majorité des suffrages. Le
duc de Wharton, qui était présent à la séance, éprouva quelque confusion de ce procédé si plein de noblesse et de véritable
esprit maçonnique. Il confessa spontanément ses torts, renonça au titre qui lui avait été indûment décerné, et n'accepta finalement la grande-maîtrise, sur les instances réitérées du
duc de Montagu, qu'en
protestant qu'il en remplirait les devoirs avec assez de zèle et de dévouement pour qu'on pût oublier plus tard par quelle voie il y était parvenu. En effet, son administration eut les résultats les plus avantageux pour la société. Le nombre des loges s'accrut considérablement à Londres, dans les comtés et au dehors, et la Grande-Loge se vit obligée de créer l'office de grand-secrétaire, afin de pourvoir aux besoins multipliés de la correspondance.
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(40) On ignore l'époque à laquelle la Grande-Loge renonça à ce monopole. En 1760, les loges inférieures conféraient les trois grades.