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Les précurseurs de la Franc-Maçonnerie

au XVIème et au XVIIème siècle
Claudio Jannet
© France-Spiritualités™






XVI – Les Juifs en Angleterre sous Edouard VI et Cromwell

L'ébranlement causé à la chrétienté par l'explosion du protestantisme causa une grande agitation chez les juifs du monde entier. Quoique Luther, animé de tous les préjugés populaires, les accablât d'injures, qui contrastaient avec la mansuétude dont l'Eglise les avait toujours entourés, et qu'il poussât à leur expulsion violente de l'Allemagne, on voit des Juifs se mêler aux mouvements insurrectionnels de l'époque. Conrad Mutian, dans une lettre du 25 avril 1525, signale la présence d'un certain nombre d'entre eux parmi les paysans révoltés. On en voit encore quelques autres parmi les Anabaptistes (89).

      Ils étaient emportés par leur haine du nom chrétien et s'imaginaient que leurs rêves de restauration du royaume d'Israël allaient se réaliser au milieu de cette conflagration.

      Immédiatement après qu'Edouard VI eut adopté le protestantisme, les Juifs cherchèrent à prendre position en Angleterre.

      Voici comment s'exprime sur leurs rapports avec ses ministres un historien israélite récent qui fait autorité, Moses Margoliouth :

      Le fameux converti juif Emmannuel Tremellius (90), quand il apprit qu'un pieux protestant, Edouard VI, était monté sur le trône d'Angteterre, vint résider dans ce pays. Il vivait dans une grande intimité avec l'archevêque Cramer et Parker et fut nommé professeur d'hébreu à l'Université de Cambridge. Mais, à la mort d Edouard VI, il jugea prudent de partir. Sous Elizabeth, Hugh Broughton, théologien célèbre en son temps par ses connaissances en hébreu et en grec, transmit à la reine une lettre écrite en hébreu par un rabbin de Constantinople, Rabbi Rouben, par laquelle ce personnage demaudait à la reine, au nom de la communauté israélite de cette ville, à la fois, de lui envoyer des missionnaires à Constantinople, qui était le centre des juifs, et de pouvoir remettre le pied sur le sol de l'Angleterre, pour y travailler à des traductions anglaises de la Bible.

      Broughton fut accusé d'avoir inventé ces lettres ; mais il en maintint l'authenticité avec une grande énergie et il insista de nouveau auprès de Jacques Ier pour obtenir cette permission. Elle ne fut pas accordée expressément ; mais, grâce à une connivence tacite, peu à peu un certain nombre de juifs riches vinrent s'établir en Angleterre (91). Cromwell les protégea si bien qu'en 1654, ils s'enhardirent jusqu'à offrir d'acheter l'église de Saint-Paul, pour en faire une synagogue. Leur offre fut rejetée uniquement parce qu'elle n'était pas assez élevée (92). L'année suivante, Cromwell, malgré l'opposition d'une partie de son conseil et les protestations des marchands anglais, leur accorda la permission de s'établir dans toute l'Angleterre. Cromwell attachait personnellement le plus grand intérêt à cette mesure, comme on peut le voir dans les relations comtemporaines de la discussion du conseil. Les plus riches juifs de Hollande accoururent immédiatement et, dans les années suivantes, on les voit comme médecins, savants, banquiers, prendre une position importante dans le pays (93). L'enthousiasme des juifs pour Cromwell fut tel que des juifs d'Acre envoyèrent quelques-uns des leurs en Angleterre pour s'assurer s'il n'était pas le Messie : ils firent des recherches à la bibliothèque de l'Université de Cambridge pour examiner s'il ne comptait pas quelques juifs parmi ses ancêtres (94). On voit la vive émotion, les espérances que le premier régicide commis dans l'Europe chrétienne avait excité dans Israël.

      Quant à Cromwell, il se servit avec grande habileté des Juifs pendant sa domination. Burnett raconte qu'il les employa avec succès comme espions en Hollande, en Espagne et en Portugal (95). Fidèles à la même politique les Juifs d'Amsterdam aidèrent de tout leur crédit, en 1688, l'expédition de Guillaume d'Orange contre Jacques II.

      L'influence des Juifs en Angleterre ne tarda pas à se faire sentir. Ceux qui entrèrent en contact avec les protestants appartenaient à l'école rationaliste. Un des points sur lesquels cette école se séparait des orthodoxes était les obligations à imposer aux Gentils, qui se rattachaient seulement à Noë et non à Abraham, et qu'on appelait pour cela dans le langage Rabbinique les Noachides. Tandis que les talmudistes orthodoxes reconnaissaient sept lois de Noé relatives en partie aux prescriptions cérémonielles, le rabbin Joseph Albo, dès 1415, dans son livre Ikkarim, réduisait tous les enseignements de Noé à ces trois points : Croyance en l'existence d'un Dieu unique ; Témoignage d'une révélation divine primitive ; Foi en des peines et récompenses dans l'autre vie. Mais, quand on pénètre le vrai sens de ces prescriptions ainsi réduites, on voit que dans la croyance à un Dieu unique les rabbins entendaient toujours l'obligation de ne pas adorer Jésus-Christ (96). Voilà la doctrine secrète que la Maçonnerie allait propager dans la société chrétienne ! L'antiquaire Selden, dans son livre De jure naturali, publié en 1640, avait mis en lumière cet enseignement et ce n'est pas sans une intention secrète qu'en 1723, Anderson, dans le livre des Constitutions, présentait le franc-maçon comme un vrai noachite qui pratiquait la loi naturelle. Se rattacher à Noé était un moyen détourné de nier Jésus-Christ et de tendre la main aux juifs (97).

      Dès le milieu du XVIIIème siècle, les déistes anglais firent de la cause des Juifs la leur et travaillèrent à les faire pénétrer dans la société civile sur le pied d'égalité, avec la même ardeur que les francs-maçons français et allemands à la fin du XVIIIème siècle. En 1650, un écrivain chrétien, Eduard Michalas, publie une Apology for the honourable nation of the Jews and all sons of Israël. Locke, dans ses Lettres sur la tolérance (1685-1704), réclame expressément pour les juifs et les mahométans les mêmes droits que pour toutes les confessions chrétiennes.

      Toland, le fondateur des sodalités socratiques, publie successivement, en 1715, Raison pour naturaliser les Juifs dans la Grande-Bretagne et dans l'Irlande sur le même pied que toutes les autres nations, et, en 1718, un phamphlet intitulé : Nazarenus ou le christianisme des Juifs, des Gentils et des Mahométans. Si l'on ne voit pas de Juifs dans les loges de Londres, d'York et d'Ecosse des premières années, c'est qu'ils ne voulaient pas effrayer l'opinion. D'ailleurs, ils avaient les hauts grades hermétiques, dont parle le livre The long Livers, pour fraterniser avec les chrétiens apostats qui fondaient la grande loge d'Angleterre.

      La cause des Juifs progressa parallèlement avec la Maçonnerie et en 1753, le Parlement vota un bill qui leur ouvrait l'accès de la naturalisation ; mais, sur les réclamations du commerce de Londres, cet acte fut rappelé dès l'année suivante.


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(89)  Voyez Tentzel, Supplementum historiæ gothanæ reliquias epistolare Mutiani, Jena, 1701, p. 75. Friedrich, Astrologie und Reformation (Munich, 1864), p. 162. Jorg, Deutschland in der Revolutions Periode von 1522 bis 1526 (1851), pp. 147 et suiv.

(90)  Tremelli était un juif Ferrarais. Peu après avoir été converti, il abandonna le catholicisme pour passer au protestantisme, font il fut en Italie, puis en Allemagne, un des prédicants les plus violents. Voyez Cantu, Histoire des Italiens, t. VIII, p. 406.

(91)  History of the Jews in Great Britain, 2ème édition, London, 3 vol. in-12, 1851, t. I, pp. 303, 305 et suiv.

(92)  Tovey, Anglia judaica, in-4°, Oxford, 1738, p. 259.

(93)  Margoliouth, History of the Jews, t. II, pp. 10 à 50.

(94)  Tovey, Anglia judaica, p. 275.

(95)  Histoire des Révolutions d'Angleterre (La Haye, 1727), t. I, pp. 184-185. Cf. Tovey, Anglia judaica.

(96)  Voyez de nombreux passages du Talmud sur la théorie du Noachide, recueillis par Achille Laurent, Histoire des affaires de Syrie, Paris, 1846, t. II, p. 376, et par Gougenot Desmousseaux. Le Juif, le Judaïsme et la judaïsation des peuples chrétiens, 2ème édition, p. 128, Paris, 1886.

(97)  Voyez sur l'identité du Judaïsme rationaliste et de la Maçonnerie les articles du F... Schwalbach dans la Bauhütte de juillet 1885 : War die englische Grossloge bei ihrer Grundung eine Christliche Institution ?




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