CHAPITRE XVII
Au delà
Au delà de cette période, nous ne pouvons évidemment rien
connaître des conditions gouvernant l'accès aux niveaux, plus élevés,
que l'homme arrivé à la perfection a encore devant lui. Nous ne
saurions douter pourtant qu'en devenant
Asekha l'homme n'ait épuisé
toutes les possibilités de développement moral et que de nouveaux
progrès ne puissent signifier pour lui que des connaissances toujours plus
vastes et des facultés spirituelles toujours plus merveilleuses. L'homme,
nous est-il dit, en atteignant ainsi sa majorité spirituelle, soit par
la voie lente de l'évolution, soit par le sentier plus direct du développement
individuel, devient maître absolu de ses propres destinées et choisit
le mode de son évolution future parmi sept voies qui s'ouvrent devant lui.
A notre stade présent, naturellement, nous ne pouvons
espérer nous en faire une idée très nette ; les vagues indications
qui seules peuvent nous être données sur certaines d'entre elles
n'éveillent en nous aucune notion bien précise,
sinon que la plupart
éloignent complètement l'
adepte de notre chaîne terrestre
qui ne suffit plus à l'ampleur de son évolution.
L'une de ces voies est celle que les
adeptes qui, suivant
l'expression technique, « acceptent le Nirvâna ». Pendant quelles
périodes incalculables demeurent-ils dans cet état sublime ? A quelle
tâche se préparent-ils ? Que sera leur futur mode évolutif
? Nous n'en savons rien. A vrai dire et en admettant que des éclaircissements
puissent être donnés sur des questions semblables, il est plus que
probable qu'ils resteraient pour nous, dans notre stade actuel, tout à
fait incompréhensibles.
Mais nous pouvons du moins comprendre ceci : la
béatitude
Nirvânique n'est pas, comme certains l'ont supposé dans leur
ignorance,
un morne anéantissement ; bien au contraire, elle implique une activité
infiniment plus intense et plus efficace. A mesure qu'il s'élève
sur l'échelle de la nature, l'homme découvre des
horizons plus vastes,
et son travail pour autrui devient toujours plus grandiose et plus étendu
; pour lui, la sagesse et la puissance infinies ne signifient qu'une capacité
infinie de servir, puisqu'elles obéissent à un
amour sans limites.
D'autres choisissent une évolution spirituelle un peu moins éloignée
de l'humanité ; car cette évolution, sans être liée
directement à la chaîne suivante de notre système, se poursuit
pendant deux longues périodes correspondant à ses première
et deuxième rondes ; après quoi ils semblent, eux aussi, «
accepter le Nirvâna », mais à un niveau plus élevé
que les
adeptes mentionnés tout d'abord.
D'autres encore se joignent à l'évolution déva
qui a pour théâtre une chaîne grandiose formée de sept
chaînes comme la nôtre et dont chacune est pour eux comme un monde
unique. Cette ligne évolutive est, paraît-il, la plus graduelle et
par suite la moins ardue des sept, mais si on l'appelle parfois la voie de « ceux
qui cèdent à la tentation de devenir des
dieux », la comparaison
avec le renoncement sublime du Nirmânakâya permet seule d'employer
cette expression dédaigneuse. L'
adepte qui préfère cette
ligne a vraiment devant lui une glorieuse carrière et, si le sentier qu'il
choisit n'est pas le plus court, l'oeuvre à accomplir est d'une grande
beauté.
Les Nirmânakâyas forment une autre catégorie
; ils refusent toutes ces méthodes plus faciles et choisissent le sentier,
plus court mais plus escarpé, menant aux sommets qui se dressent encore
devant eux ; ils constituent ce qu'on appelle poétiquement, « le
rempart protecteur » et, comme nous le dit la
Voix
du Silence (7), « préservent
le monde de douleurs et de chagrins infiniment plus grands », non pas en
le protégeant contre les
influences mauvaises venant du dehors, mais en
y déversant à flots la
force et les secours spirituels, sans lesquels
le monde serait assurément dans une situation bien plus critique qu'elle
ne l'est.
D'autres enfin restent plus directement encore en relation
avec l'humanité, continuent à s'y réincarner et choisissent
la voie traversant les quatre stades, que nous avons appelés plus haut
la période officielle. Dans leurs rangs sont les Maîtres de la Sagesse,
qui nous ont enseigné, à nous étudiants de la
Théosophie,
le peu que nous savons sur la puissante
harmonie de l'évolution naturelle.
Il semble qu'un nombre d'
adeptes relativement restreint prenne ce parti ; sans
doute le nombre strictement nécessaire pour assurer ce côté
physique de leur tâche.
En entendant parler de ces différentes possibilités,
certaines personnes s'écrient parfois trop vite : « Il est clair que
les Maîtres ne peuvent songer à prendre d'autre parti que le plus
utile à l'humanité. » Des connaissances plus étendues
empêcheraient des réflexions semblables. Ne l'oublions jamais : il
y a dans le système solaire d'autres évolutions que la nôtre,
et il est sans doute nécessaire à la réalisation de l'immense
plan du Logos qu'il y ait des
adeptes travaillant suivant chacune des sept lignes
dont nous avons parlé. Le choix d'un Maître est sûrement d'aller
là où ses efforts seront les plus nécessaires, et de mettre
ses services, avec une
abnégation absolue, à la
disposition des
Puissances qui dirigent ce département de l'énorme ensemble évolutif.
Tel est donc le sentier qui s'étend devant nous, le sentier que chacun devrait commencer à suivre. Ces sommets sont vertigineux, mais l'ascension se fait graduellement, lentement, et ceux qui se tiennent aujourd'hui près de la cime ont jadis traîné leurs pas, comme nous le faisons aujourd'hui, dans la fange des vallées. Si, en commençant, le sentier peut paraître dur et pénible, nos pas, à mesure que nous montons, deviennent plus assurés et notre
horizon plus étendu, et nous nous trouvons plus à même d'aider nos
frères qui escaladent la
montagne à nos côtés.
Ce caractère difficile et ardu qu'il présente pour le soi inférieur lui a quelquefois valu le nom de « sentier de la douleur » mais, suivant la belle expression de Mme Besant : « Au milieu de toutes ces souffrances règne une joie profonde et permanente, car la souffrance est le partage de la nature inférieure et la joie celui de la nature supérieure. Avec le dernier vestige de la personnalité disparaît tout ce qui est susceptible de souffrance et, chez l'
adepte accompli, règnent une paix inaltérable et une félicité éternelle. Il voit le but où tend l'effort général et s'en réjouit, car il sait que les chagrins de ce monde ne sont qu'une phase passagère de l'évolution humaine.
« Il est un point dont on a peu parlé, c'est le bonheur extrême éprouvé en suivant le sentier, en comprenant la nature du but et le chemin qui y mène, en sachant que le pouvoir d'être utile grandit et que la nature inférieure se déracine graduellement. On a dit peu de chose des rayons d'allégresse qui, partant des sommets plus élevés, viennent tomber sur le sentier, des moments où nous apparaît, vision éblouissante, la gloire qui nous attend, de la sérénité que les orages de ce monde ne sauraient troubler. Pour l'homme qui s'est engagé dans le sentier, tous les autres chemins ont perdu leur charme et ses chagrins font goûter une félicité plus vive que les meilleures joies du monde inférieur. » (Vahan, vol. V, n° 12.)
Ainsi, que personne ne se désespère, jugeant la tâche au-dessus de ses
forces. Ce qu'un homme a fait, un autre peut l'accomplir et, dans la mesure exacte où nous aiderons les hommes à notre portée, pourront nous aider nous-mêmes ceux qui déjà sont au but. Du plus humble au plus
exalté, nous qui suivons le sentier, nous sommes liés l'un à l'autre par une longue chaîne de services mutuels. Que nul ne se croie abandonné ou seul. Les marches inférieures du vaste escalier peuvent être voilées de
brouillard, mais nous savons qu'il conduit à des régions plus heureuses où l'
air est plus pur et où la lumière brille toujours.
FIN
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(7) Publications
théosophiques, 4, square Rapp,
Paris (7ème).