CHAPITRE VIII
VILLAGE CELTIQUE DE RENNES-LES-BAINS
II - Nourriture des Celtes - Boissons gauloises
Les
Gaulois, au rapport de certains
historiens, se nourrissaient des
fruits de la chasse et de la pêche, auxquels ils ajoutaient les glands du chêne et probablement aussi les faînes du hêtre : ils ne cultivèrent le blé, que lorsque les
Phéniciens l'eurent importé dans l'Occident.
Il serait, croyons-nous, impossible de prouver de pareilles allégations. Les
Celtes venaient de l'Asie-Mineure, où le blé, n'était, certes, point inconnu : leurs communications avec l'Orient étaient continuelles par le flot des nouvelles peuplades se dirigeant sans cesse vers le
soleil couchant : le Neimheid, ce
corps savant qui gouvernait la marche de la migration
Celtique, était, en entier,
composé de
Druides, ce que César n'infirme pas lorsqu'il écrit : « On pense que l'institution
druidique trouvée en l'île de
Bretagne a été de là transportée dans la Gaule. »
(106) Est-il admissible que l'intègre Neimheid, le distributeur du blé, l'aliment essentiel, ait eu la hardiesse de donner aux ménirs, dolmens et
cromlecks leurs noms particuliers et distinctifs, pendant que les
Gaulois avaient seulement des glands et des faînes pour remplacer le blé et le pain ? Les glands du chêne [295] et les faînes du hêtre ont bien pu servir, autrefois comme de nos
jours, de nourriture aux porcs, et il n'y a pas lieu de s'étonner de ce fait ; mais
assurer, gratuitement et sans preuves, que ces
fruits des
forêts sont entrés dans l'alimentation ordinaire des
Celtes, c'est méconnaître entièrement les véritables conditions de la vie matérielle de nos aïeux.
On peut affirmer avec certitude qu'ils cultivaient le blé, puisque cet aliment était l'objet d'une distribution impartiale et la
kaïrolo
key (
ki)
clef,
ear (
ir), épi de blé.
hole, creux, petite maison , le grenier et peut-être le silo ou souterrain renfermant la précieuse céréale, existait toujours auprès des centres d'habitations
celtiques. Il n'y a guère, en effet, de village qui ne possède un terrain de ce nom : la kaïrolo des
Redones était située au sud de
Montferrand tout près du chemin conduisant au ruisseau de la
Coume et aux
Artigues. La production du blé étant même fort abondante dans certaines
régions privilégiées, on avait recours à des mains étrangères à ces contrées, afin de moissonner avec plus de célérité. Les
Redones n'hésitaient point à louer ainsi leurs bras pour les travaux importants de la moisson, et le nom de
Montferrand
atteste leurs périodiques voyages à cet effet
to mow (
mô), moissonner,
to own (
ôn), prétendre à,
to fare (
fère), voyager,
hand, main . [296]
Les troupeaux de bêtes à laine étaient fort nombreux dans le village des
Redones. La Campbelle =
to camp, séjourner,
bell, clochette =, la Berke =
to bay (
bé), bêler, aboyer,
to heark (
herk), prêter l'oreille =, le Grauzilhou =
to graze (
grèze) brouter l'herbe, mener paître,
hill, colline =, dénotent assez la présence des troupeaux dans la campagne. A défaut de ces preuves écrites sur le sol lui-même, il reste encore dans l'idiome du
Languedoc, une expression affirmant la possession de bêtes à laine chez les
Gaulois. La chair de la brebis était même leur nourriture la plus ordinaire, car la chasse et la pêche ne pouvaient suffire à alimenter une population nombreuse. La brebis, en dialecte languedocien, est désignée par l'expression
fedo,
to feed (
fid) nourrir : cette nourriture était convenable, et ils la qualifiaient sans doute de gros morceau, puisque le terme
chik, marquant la petite
dimension d'un morceau dans le même dialecte, correspond en langue
celtique à
chick (
tckick) poulet, maigre portion, en effet, pour l'appétit de ces hommes à taille gigantesque.
La
mythologie grecque avait remarqué dans
Hercule, personnification du peuple
Celte, une certaine voracité et l'avait surnommé mangeur de bufs. Elle raconte que les
Argonautes faisant voile vers la
Colchide pour conquérir la toison [297] d'or, avaient pris tout d'abord
Hercule avec eux ; mais lorsqu'ils furent témoins de son robuste appétit, ils le forcèrent à quitter le navire, redoutant de le voir dévorer, à lui seul, toutes leurs provisions. Elle rapporte encore que le héros mangea, dans un seul repas, un buf enlevé à un laboureur. Quelle piteuse mine eût donc fait
Hercule en face de misérables glands de chêne pour apaiser sa faim !
La nourriture des
Gaulois n'était pas plus à dédaigner que leur boisson, et les
Allobroges nous disent leur délicatesse sur ce dernier point. Au reste, dans tout le pays
celtique, la fabrication des boissons particulières à la contrée, est gravée dans le nom de diverses cités. Le cidre de Normandie ne date point d'hier, et
Rotomage (
Rouen) en fait foi
to rot, se gâter,
to owe (ô), devoir,
to mash (
mache), écraser, mêler,
Rotowemash ; la cité de
Vindomage, chez les
Volkes Arécomiques, n'ignorait point la manière de faire le vin,
wine (
ouaïne), vin,
to do (
dou), faire
to mash, écraser , et les mouvements bizarres des fouleurs de raisins sont fort exactement reproduits dans
Sostomage (107), petite ville peu éloignée de
Toulouse,
to soss, se dandiner,
to do (
dou), agir, faire une action,
to mash (
mache), fouler, écraser . [298]
Les
Gaulois du
Languedoc avaient même poussé l'art de faire le vin à un degré remarquable, puisqu'on trouvait des fouleurs de
raisins réunis en
corporation, tout près de
Carcassonne, dans une localité dont les habitants exercent encore de nos
jours la même profession. Ce village est appelé par ses propres habitants
Bilomacho,
to will, désirer, vouloir,
to mash (
mache), écraser, mêler , et il est connu en français sous le nom de
Villemoustaussou, simple traduction en langue romane du
celtique Willmash.
__________________________________________________________________________________________________
(106) De bell. Gall., lib. VI. 13.
(107) Castelnaudary, (Aude).