CHAPITRE VII
CROMLECK DE RENNES-LES-BAINS
IX - Le gui sacrée
Le traitement de certaines maladies par les
eaux des
Redones était trop simple et trop facile pour n'être point familier aux
Druides. La science
druidique
comprenait la connaissance des remèdes en rapport avec le nombre restreint d'infirmités de ces hommes pleins de vigueur et de santé, et les
bains
étaient pour eux une ressource précieuse, dont certainement ils se servaient avec intelligence. Néanmoins, les
bains n'auraient point été, pour les
Druides, un remède bien usité, s'il fallait
ajouter foi aux écrits de Pline, [283] qui suppose en eux assez peu de science médicale pour croire qu'ils auraient raison de toutes les maladies humaines par le seul emploi du gui,
omnia sanantem.
(100)
Le gui, conservant au cur de l'
hiver ses feuilles d'un vert foncé, alors que les
arbres en sont dépouillés, était-il simplement aux yeux des
Druides le
symbole de l'immortalité de l'
âme et de la vie future, ou bien possédait-il réellement dans leur pensée une certaine efficacité pour la guérison des maladies ?
Son nom
celtique nous l'apprendra, tout en rejetant bien loin les appréciations hasardées et singulières des auteurs latins.
« C'était ordinairement en
Février que les
Druides en faisaient la recherche. A la nouvelle que la plante précieuse avait frappé les regards le peuple entrait en foule dans la
forêt, on entourait l'
arbre privilégié pour le garder avec vigilance ; et le sixième
jour de la
lune de
Mars, (le sixième
jour de la
lune chez les
Gaulois ouvrait toujours le mois, l'année et le siècle) un
druide en robe blanche coupait, avec une serpette d'or, le végétal sacré, de peur qu'il ne touchât la terre en tombant et ne fût souillé par un contact
profane. Cette cérémonie se reproduisait dans chaque tribu. » [284]
« Le vieil usage de courir les rues, le premier
jour de l'an, au cri de
au gui l'an neuf, se rattachait au culte des
Gaulois. »
(101)
Alors on
immolait des victimes (deux taureaux blancs) en priant
Dieu de rendre son présent salutaire à ceux qui auraient l'avantage de le posséder
(102) Le festin commençait ensuite, et le reste du
jour était consacré aux réjouissances.
« On retrouve, dit l'abbé
Monlezun,
(103) une partie de cet antique usage dans l'arrondissement de
Lectoure. Seulement, en traversant des temps et des pays chrétiens, il a dû s'empreindre de christianisme. Peu de
jours avant la
Noël, des jeunes gens se présentent durant la nuit devant chaque maison, en chantant
Aguillouné, au gui l'an neuf. »
Les réjouissances de l'aguillouné ont lieu aussi en
Provence et se confondent dans la fête de
Noël. En Angleterre, le
jour de
Noël (Christmas), on présente sur toutes les tables le fameux plum-pudding orné d'une branche de gui.
Dans la
Bretagne, le cri fameux était
eguinané qui est le synonyme d'étrennes, parce qu'il est le signal de la distribution des étrennes.
(104) « Ce cri, [285] dit Henri Martin,
(105) s'est conservé avec le même sens, dans des parties de la France d'où la langue
celtique a disparu depuis bien des siècles. M.Augustin Thierry nous a raconté qu'à
Blois, il avait encore entendu les
enfants nommer l'
aguilanlé un
jour de fête où ils quêtaient des pièces de monnaie sur une pomme fichée au bout d'une baguette enrubanée. »
D'après l'auteur des
Derniers Bretons, Eguinané ou plutôt enghin-an-eit, signifierait le blé
germe. Le terme aguilanlé, entendu à
Blois ne présente aucune idée à l'
esprit, tandis que l'aguillouné chanté à
Lectoure nous donne, malgré une légère altération dans la prononciation, la véritable expression
celtique dont se servaient nos ancêtres.
Le gui est une plante parasite nommée
viscum par les Latins et
mistletoe (
mizzlto) par les Anglo-Saxons. Gui n'est qu'une
partie du mot aguillouné, et dans cette dernière expression est renfermée toute la croyance des
Druides sur les vertus de cette plante célèbre. Ils lui attribuaient, à tort ou à raison, la faculté de prévenir ou de guérir la fièvre intermittente, et cette qualité précieuse la faisait entourer d'une faveur particulière.
Aguillouné se décompose ainsi :
ague [286] (
éguiou), fièvre intermittente,
nay (
né), non, adverbe négatif, éguiouné .
D'après cette interprétation, le gui était un préservatif absolu de la fièvre intermittente, et on l'employait en infusion dans l'
eau, infusion, sans doute, fortement prolongée.
Le gui ne délivrait donc pas de tous les maux, comme l'avance Pline, mais seulement d'une maladie singulièrement redoutable pour les
Gaulois ; car les fatigues de la guerre préparaient, pour ainsi dire, leurs
corps à l'
invasion de la fièvre intermittente. Grâce à la faveur dont jouissait cette plante, et cette faveur n'était peut-être pas
imméritée, nous avons conservé d'éguiouné la seule syllabe
gui qui désigne aujourd'hui le mistletoe des
Celtes.
Qu'il nous soit permis de faire une simple observation sur tout ce que Pline raconte au sujet du gui sacré. Cet auteur, fort préoccupé du terme grec
drus signifiant le chêne d'où il faisait dériver sans doute le nom de
Druides, ne voit que des chênes dans toutes les cérémonies
druidiques. Les
Druides sont les hommes du chêne, leurs sacrifices ont lieu sous les branches de cet
arbre, excepté dans les pays
où les chênes sont remplacés par des sapins ou des hêtres, et le gui doit absolument croître sur un chêne, quoique personne, pas
même le célèbre botaniste Decandolle, n'ait jamais pu l'y découvrir. [287]
De plus, la relation de Pline sur le viscum se heurte à une impossibilité matérielle. Dés lors que cette plante délivrait de tous les maux, et qu'une plante de gui croissant sur le chêne était une rareté telle, qu'on instituait des réjouissances publiques et des sacrifices pour le
jour de la cueillette de ce gui extraordinaire, qu'il fallait d'ailleurs trouver dans chaque tribu, puisque dans chacune avaient lieu les mêmes cérémonies, les
Celtes étaient inévitablement condamnés à ne jamais guérir de leurs maladies ; évidemment, une seule plante de gui par tribu, ne pouvait suffire aux millions d'habitants enfermés dans la Gaule. Il est donc nécessaire de rechercher une autre explication des
rites druidiques concernant le gui, dit sacré.
Les cérémonies dont parle Pline, les réjouissances, étaient réservées par les
Druides à un
jour fixé, le sixième
jour de la
lune de
Mars. Elles paraissent ainsi se rapporter d'abord à l'ouverture d'une année nouvelle, et en second lieu, à la cueillette du gui. Le
druide en robe blanche, qui coupait le gui de sa serpette d'or, ne faisait autre chose que donner le signal d'une récolte très précieuse, et alors, les
Gaulois pouvaient, dans l'étendue du pays, le chercher, le cueillir sur tous les
arbres qui le nourrissent, et en faire une provision pour les cas malheureux où la fièvre inter- [288] mittente viendrait les saisir et les réduire à l'impuissance la plus désolante.
Cette interprétation fait perdre au gui son caractère sacré, mais lui conserve la vertu que les
Gaulois attribuaient à son infusion pour la guérison ou la préservation de la fièvre intermittente.
Nous n'examinerons point, si la science médicale des
Druides était en défaut, lorsqu'ils traitaient la fièvre intermittente par la liqueur gluante obtenue en faisant longuement macérer le gui dans l'
eau ; il nous suffit de voir que cette plante célèbre n'était point, comme l'affirme Pline, une panacée universelle, et que les
Druides savaient fort bien appliquer à une maladie particulière un remède particulier, en opposant le gui à la fièvre intermittente, et les
bains à d'autres maladies tout aussi redoutables.
__________________________________________________________________________________________________
(100) Pline. lib. 16.
(101) Histoire de France, par Emile Lefranc.
(102) Pline, lib. 26. cap. 44.
(103) Histoire de la Gascogne.
(104) Emile Souvestre,
Les Derniers Bretons.
(105) Histoire de France, note 1, page 72.