Saint Léon Ier, dit
le Grand, élu pape le 29 septembre 440, succéda à
Sixte III. On ne sait rien de sa famille,
sinon que son père s'appelait Quintien, qu'il était originaire de Toscane et qu'il naquit à Rome. Ses talents et ses vertus l'avaient fait remarquer dans des missions importantes. L'empire d'Orient était alors gouverné par Théodose II et celui d'Occident par Valentinien III. Les
Francs, commandés par
Clodion, étaient à peine établis dans les Gaules, et n'étaient pas encore chrétiens.
Genséric, roi des
Vandales, désolait l'Afrique, et se préparait à passer en
Sicile.
Attila menaçait l'Italie supérieure, après avoir ravagé la Thrace et l'
Illyrie ; mais ces
ennemis ne furent pas les premiers qui occupèrent les soins du nouveau
pontife.
Saint Léon, sous les papes ses prédécesseurs, avait déjà combattu les différentes hérésies qui infestaient le sein de l'
Eglise. Il travailla d'abord à chasser de Rome les manichéens qui s'y tenaient cachés. C'était le sujet de sa
prédication accoutumée. Il désigne ces
hérésiarques en disant que « lorsqu'ils communient avec les fidèles, ils ne prennent que le
corps de Notre Seigneur, et non point le sang, parce qu'ils abhorrent le vin
(1) ».
Saint Léon s'attacha surtout à détruire
les erreurs de
Nestorius et d'
Eutychès sur le mystère de l'incarnation.
Le premier avait été condamné dans le
concile d'
Ephèse,
en 431.
Eutychès, qui l'avait combattu, soutenait une doctrine non moins
hétérodoxe dans un excès contraire. Ce fut dans un
concile
tenu à Constantinople, en l'an 448, que les erreurs d'
Eutychès furent
dénoncées par Eusèbe,
évêque de Dorilée.
Elles furent condamnées ; et saint Flavien,
évêque de Constantinople,
qui présidait l'assemblée, prononça la sentence.
Eutychès
fit entendre qu'il appellerait de ce
jugement ; et il en écrivit en effet
à
saint Léon, qui crut un moment que les actes du
concile étaient
frappés de quelque irrégularité. L'empereur Théodose
fut encore plus aisément persuadé par les instances de l'
eunuque
Chrysaphius et par les insinuations de l'
impératrice Eudoxie. Il convoqua
un second
concile, connu dans l'
histoire sous le nom de
Brigandage d'
Ephèse. Tout en effet s'y passa avec violence ;
Eutychès à son tour triompha de saint Flavien et d'Eusèbe de Dorilée, qui furent déposés. Les
légats du pape refusèrent de signer les actes de cette assemblée. Ils s'en échappèrent avec peine pour venir rendre compte à
saint Léon de ces affligeantes nouvelles. Depuis leur départ, Flavien, exilé en Lydie, était mort des suites des mauvais traitements dont il avait été accablé. Ce prétendu
concile d'
Ephèse fut condamné à Rome ; et
saint Léon écrivit à l'empereur d'Orient pour le supplier de réparer ces désordres ;
mais Théodose, au contraire, approuva hautement tous les actes d'
Ephèse.
Marcien, son successeur, adopta un autre système, parce que les courtisans
et les favoris avaient été éloignés du trône. La vertueuse Pulchérie, sur de Théodose,
épouse du nouvel empereur, contribua puissamment à cette révolution. Le
corps de saint Flavien fut exhumé et rapporté avec honneur à Constantinople,
et l'on convoqua un troisième
concile à
Chalcédoine (en 451).
Les lettres de
saint Léon, et surtout celle qu'il avait écrite à
saint Flavien avant d'avoir appris sa mort, servirent de base à la doctrine
que le
concile fixa d'une manière irrévocable, d'après les
actes du
concile de Nicée et du premier
concile d'
Ephèse. Ainsi
furent proscrites les erreurs de
Nestorius et d'
Eutychès.
Saint Léon
approuva tous les actes du
concile de
Chalcédoine, excepté celui
qui donnait au siège de Constantinople la prééminence sur
ceux d'Antioche et d'
Alexandrie.
Pendant le cours de ces grandes contestations, une discussion
particulière s'était élevée entre
saint Léon et saint Hilaire,
évêque d'
Arles, qui avait, de son autorité, déposé l'
évêque Célidonius, sous prétexte
qu'il avait épousé une veuve. Cette affaire ayant été
portée dans un
concile tenu à Rome, en 445, saint Hilaire vint s'y
défendre, et le fit avec une certaine
hauteur qui déplut. Le crime
imputé à Célidonius ne fut pas prouvé ; il fut rétabli
dans son
église. Le siège métropolitain fut transféré
d'
Arles à
Vienne ; mais saint Hilaire ne fut point déposé : il reprit ses fonctions
épiscopales, et mourut en odeur de sainteté, comme
saint Léon en convient lui-même (
Lettre 2 aux évêques des Gaules). Au reste, il ne fut pas question dans cette affaire de disputer
à la cour de Rome le droit de juger une contestation élevée entre deux
évêques au sujet d'un droit de juridiction métropolitaine.
Saint Hilaire lui-même vint au
concile pour se justifier, et se soumit au
jugement sans protestation. Dans une pareille matière, qui ne touche point au dogme et n'intéresse que la discipline, l'autorité d'un homme tel que
saint Léon est tellement imposante, que le sage
Fleury a gardé à cet égard un silence respectueux. Il observe seulement que le système de
saint Léon était d'attacher l'autorité métropolitaine au plus ancien
évêque, et non pas à un siège en particulier ; que tel était l'usage de l'
Eglise d'Afrique, mais que celle des Gaules refusait de s'y soumettre.
Ces grandes affaires ecclésiastiques terminées,
saint Léon eut à s'occuper de soins bien différents. Le terrible
Attila, après avoir ravagé la
Pannonie, et s'être emparé
d'
Aquilée, de
Pavie et de Milan, semblait prêt à
fondre sur Rome (en 452). Le faible Valentinien demeurait renfermé dans
Ravenne.
Aétius,
général des troupes romaines, se trouvait hors d'état de
résister à l'irruption des barbares. L'empereur implora la médiation
de
saint Léon,et Rome fut sauvée par un de ces événements
extraordinaires que la sagesse humaine ne peut pas seule expliquer (Voyez
Attila).
Le saint pape, accompagné uniquement de deux personnages consulaires, alla au-devant du roi des
Huns, qu'ils rencontrèrent dans la Cénétie,
à Ambuleium, près du passage du Mincio. L'aspect du
vénérable
pontife désarma la colère d'un vainqueur farouche, accoutumé
à d'autres résistances. Il promit la paix, et se retira au delà
du Danube.
Saint Léon revint à Rome, où les bénédictions du peuple furent le seul triomphe qu'accepta sa modestie.
Après avoir rétabli quelque tranquillité dans l'
Eglise d'Orient, grâce à la piété de
Marcien et de la vertueuse
impératrice Pulchérie,
saint Léon dut encore s'occuper de détourner ou du moins d'
adoucir les nouveaux malheurs dont Rome était menacée. Valentinien était mort en 445, assassiné par des gens de Maxime, qui lui succéda et contraignit sa veuve de l'
épouser. Eudoxie ignorait qu'il fût un des meurtriers de son premier
époux. Quand elle l'apprit, son ressentiment fut tel qu'elle invita
Genseric à venir la venger en s'emparant de la ville de Rome.
Saint Léon fut appelé de nouveau pour traiter avec les
ennemis. Il obtint qu'on épargnât à ses malheureux concitoyens les
incendies, les meurtres et les supplices, et qu'on ne touchât point aux principales
basiliques ; mais il ne put sauver la capitale du monde d'un pillage qui dura quatorze
jours (Voyez
Genseric). Maxime fut tué ; Eudoxie et ses filles furent emmenées à Carthage ; et ce fut ainsi que l'avilissement de l'autorité impériale prépara la puissance temporelle des papes.
Cependant, le parti de l'
hérésiarque Eutychès
se relevait en Afrique. Dioscore,
évêque d'
Alexandrie, un de ses
sectateurs les plus zélés, avait été condamné par le
concile de
Chalcédoine, déposé et relégué à Gangres. Protère lui avait succédé ; mais il fut massacré de la manière la plus cruelle par les schismatiques ; et le moine Timothée Elure fut nommé à sa place. Le pape, instruit de ces désordres, réclama l'appui de l'empereur
Léon, qui avait remplacé
Marcien, et fut puissamment secondé par lui. Timothée Elure fut chassé d'
Alexandrie et relégué dans la Chersonèse en 460. Un autre Timothée, surnommé
Solofaciole, partisan des saintes doctrines, fut élu à l'
évêché, et
saint Léon eut ainsi la satisfaction de voir s'affermir davantage l'autorité du
concile de
Chalcédoine.
Tels furent les prinicipaux actes du
pontificat de
saint Léon, qui occupe une place si mémorable dans l'
histoire. Aucune des hérésies qui désolaient l'
Eglise catholique n'échappait
à sa vigilance. Il combattit les
priscillianistes et les pélagiens
avec autant d'ardeur et de succès que les
sectaires de
Nestorius et d'
Eutychès.
La discipline était aussi négligée que le dogme était
méconnu ; on ordonnait comme
évêque des
laïques et même
des bigames ; les élections étaient le
fruit des brigues ou des
émeutes populaires.
Saint Léon eut à détruire tous
ces abus : il avait pour coopérateur le célèbre saint Prosper,
auquel certains écrivains attribuèrent les lettres de
saint Léon
sur les erreurs d'
Eutychès. Cependant,
dom Ceillier, dans son
Histoire
des écrivains sacrés, ne confond point le style de
l'un et de l'autre. Quoiqu'il préfère évidemment celui de
saint Prosper, il n'ôte point au
pontife le mérite de ses ouvrages
contre l'
hérésiarque d'Orient.
Saint Léon mourut à Rome, à ce qu'on
croit, le 10 novembre 461 ; la première translation de ses
reliques se
fit le 11 avril,
jour où l'
Eglise honore sa mémoire. C'est le premier
pape dont nous ayons un
corps d'ouvrages ; il se compose de 96 sermons sur les
principales fêtes de l'année, de 141 lettres, des livres sur la vocation
des gentils, et d'un code des anciens canons. L'édition qu'en avait donnée
le père
Quesnel, en 1675, en 2 volumes in-4°, était regardée
comme la plus complète et la plus estimée. Les
frères Ballerini
l'ont réimprimée avec des augmentations,
Venise, 1753, 3 volumes
in-folio ; et le père Th. Cacciari, professeur à la
Propagande,
en a donné une autre, aussi en 3 volumes in-folio, revue et corrigée
sur les manuscrits du
Vatican. Ces trois volumes ont paru en 1751, 1753 et 1755.
Dans sa préface, Cacciari reproche vivement à
Quesnel des infidélités
et des altérations considérables. La première édition
des sermons et des opuscules est celle de Rome, 1470, in-folio. Le
Sacramentaire
(
Codex sacramentorum vetus romanæ Ecclesiæ,
a sancto Leone papa I confectus) a été publié
par J. Bianchini à la tête du tome 4 d'
Anastase le Bibliothécaire,
en 1735 ; et par Muratori, dans le tome 1er de sa
Liturg.
rom. vet.,
Venise, 1748. Les sermons de
saint Léon ont été
traduits en français par l'abbé de
Bellegarde,
Paris, 1701.
Son
style est élégant et noble. Il avait connu saint Augustin dans sa
jeunesse ; et l'on doit penser qu'il avait bien profité des leçons
d'un tel maître.
Après le pillage exercé par les
Vandales, il
fit rétablir l'argenterie dans toutes les
églises de Rome. Il répara
les
basiliques de St-Pierre et de St-Paul, et institua des gardiens aux tombeaux
des saints Apôtres. Il fit travailler à un nouveau canon pascal,
d'après la base fixée par le
concile de Nicée. Sous tous
les rapports, ses nobles qualités et ses éminentes vertus l'ont
placé au premier rang des papes dont se glorifient les plus beaux siècles
de l'
Eglise. Dans ses discours, dans ses écrits, dans ses actions, on remarque
toujours la beauté de son éloquence, la pureté de sa doctrine,
la sainteté de ses murs et la grandeur de son courage. Il eut pour
successeur Hilaire ou Hilarius.
__________________________________________________________________________________________________
(1) Ce passage des sermons de
saint Léon prouve que, de son temps, on communiait
encore sous les deux espèces. Le calice, dont les
protestants ont repris
l'usage, paraît n'avoir été interdit aux
laïques que
dans le
XIIIème siècle.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 24 - Pages 147-149)