PREMIÈRE PARTIE LA VIE ET L'UVRE D'AGRIPPA
Chapitre III
Prétendant qu'une affaire secrète l'y appelait, Agrippa se dirigea en 1510 vers l'Angleterre, où il écrivit ses Commentaires sur les Epitres de saint Paul (15). Tous ceux qui ont écrit sur Agrippa ont négligé de donner à ce sujet quelques éclaircissements. Bayle lui-même, qui est à la fois le plus ardent défenseur d'Agrippa et son biographe le plus exact, se contente d'indiquer qu'il descendit à Londres « chez le célèbre Jean Colet », un confrère de ce Catilinet qui venait de l'attaquer si violemment à Gand devant Marguerite d'Autriche. Agrippa lui-même est extrêmement sobre de renseignements sur cette mission ; plus d'une fois reviennent chez ce bohême original ces réticences calculées qui, si elles jettent quelque obscurité sur son existence romantique, viennent en revanche révéler certains côtés de son caractère hâbleur. Le médecin, le légiste, le diplomate, l'orateur, le savant, l'alchimiste et le philosophe qu'il était ne parvinrent jamais à se débarrasser du pourpoint et des rodomontades du capitaine qu'il avait été. Peu d'années plus tard, il aura un imitateur en France qui s'appelle, non sans gloire, Cyrano de Bergerac.
Toujours est-il que son séjour auprès de Jean Colet en Angleterre ne fut pas de longue durée, puisque, la même année 1510, il reparaît à
Cologne, où il professa la
théologie (16). Dans un voyage qu'il fait à Wurtzbourg, il noue des relations amicales avec l'abbé Tritheim, qui étudiait les
sciences occultes. Quelle puissante attraction ces redoutables et mystérieux problèmes exerçaient déjà sur son intelligence avide de nouveau ! Cette liaison avec l'abbé Tritheim l'entraîne à terminer un ouvrage qu'il avait sur le chantier depuis longtemps, ouvrage auquel il n'aurait pas donné tant d'extension sans les conseils de son mettre et ami : la
Philosophie occulte, qui est la première encyclopédie réelle de l'occultisme
(17).
On doit indiquer ici le premier
mariage d'Agrippa, vers la fin de 1514, avec une jeune fille belle, riche, dévouée, dont lui-même dans sa correspondance fait le plus touchant éloge
(18). Peu de temps après cette union, il alla rejoindre Maximilien en Italie, où l'on ne peut plus le suivre qu'avec une extrême difficulté. Tantôt il est à Milan. tantôt à Brindes, puis à Cazal, errant de ville en ville, en quête de puissants protecteurs qui l'arrachent une bonne fois à cette misère dont il se plaint avec tant d'amertume. Le
Cardinal de
Sainte-Croix l'emmène avec lui au
concile de
Pise. L'occasion si désirée se présentait enfin et plus que nulle autre propice au développement de ses aptitudes. Malheureusement le
concile de
Pise, après avoir fait beaucoup de bruit et fort peu de besogne, fut obligé, par suite de la guerre d'Italie, de remettre à une époque non déterminée l'examen des propositions soumises à sa sagesse. Agrippa consterné dut redemandera u professorat le pain quotidien qu'il n'avaitpas toujours. Il avait fait sur
Hermès Trismégiste (trois fois grand) des études intéressantes qu'il récita publiquement à l'Université de
Pavie (19). A Turin il professa la
théologie. La fortune commençait donc à sourire à ses efforts et. sans trop de présomption, il pouvait envisager des
jours heureux à
Pavie lorsque la guerre vint l'en chasser brusquement. Laissant derrière lui sa vaisselle, ses meubles, tout ce qui lui appartient et... des dettes, sa maison fut pillée par l'armée française. Heureusement pour lui, il avait eu la prévoyance de confier à son ami le Lucernois Christophe Schilling, qu'il avait connu en Lombardie, ses livres et ses manuscrits. Avant
Ravenne, il avait eu d'ailleurs des relations fréquentes avec les Suisses et peut-être avait-il été chargé de certaines négociations délicates, car le
prélat romain Ennius, nonce de
Léon X et ami, comme Agrippa, du
cardinal Schyner et de l'avoyer
Falck, avait informé le pape des services rendus. Par un bref élogieux de 1513, signé du
cardinal Bembo, sa sainteté remerciait le philosophe et lui envoyait sa bénédiction
apostolique.
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(15) Commentariola in epist. Pauli ad Romanos. Ce travail, commencé en 1510 à Londres et poussé jusqu'au chap. VI, est resté inachevé. Perdu en Italie au moment de Marignan, il fut retrouvé en 1523 par Agrippa dans les mains d'un de ses anciens élèves, mais n'est pas parvenu jusqu'à nous.
Epist., III, 40, 41, 42.
(16) Agrippa n'était point docteur en
théologie, comme il le dit lui-même dans
Opera omnia, tome II, p. 595 : «
Ego certe theologi nomen mihi arrogare non ausim. » Conf.
idem, p. 628, et
Epist., II, 19.
Vers la fin de 1510, il donne à
Cologne des thèses, ou
Placita theologica quæ quodlibeta dicuntur, à l'Université.
(17) Commencé vers 1508, cet ouvrage ne fut imprimé qu'en 1531 à
Paris et
Anvers partiellement, et ce n'est qu'en 1533 que parut la première édition complète. Jean Soter en fit dans cette année 1533 deux éditions successives à
Cologne. Une traduction nouvelle vient de paraître à
Paris en 2 volumes in-8° (
octobre 1910-avril 1911) à la Bibliothèque Chacornac.
(18) Epist. fam., III, 33.
(19) Cette
oratio habita Paviæ in prælectione Hermetis Trismegisti de potestate Dei fut prononcée en 1515 à l'Université de
Pavie en présence de Jean de Gonzague,
marquis de Mantoue, à l'ouverture des leçons publiques d'Agrippa sur le
Pimander d'
Hermès (
Opera omnia, II, p. 1073). Ses
Annotationes super Pimandrum de 1516 ne nous sont pas parvenues.